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Le contentieux préjudiciel interne en droit de la concurrence après l'entrée en vigueur du règlement 1/2003, R.D.C.-T.B.H., 2006/6, p. 648-661

CONCURRENCE
Loi sur la protection de la concurrence économique - Contentieux préjudiciel - Nature
La nature du contentieux préjudiciel interne en droit de la concurrence implique le pouvoir de la cour d'appel de Bruxelles de connaître des faits de la cause et de statuer sur la licéité de la pratique en cause par application des règles du droit de la concurrence.
Les questions préjudicielles doivent être reformulées au regard de l'objet du litige pendant devant le juge de renvoi. Lorsque cette contestation porte sur le droit d'un brasseur de poursuivre l'exécution forcée de contrats d'approvisionnement exclusif qu'il a conclus avec l'exploitant d'un débit de boissons, la question de la licéité de ces accords doit être exclusivement examinée au jour de la cessation d'activité de l'exploitant et au jour de l'introduction de la demande, sans qu'il y ait lieu de vérifier les éventuels effets anticoncurrentiels de ces accords à un quelconque autre moment depuis leur formation.



CONCURRENCE
Accord restrictif de concurrence (art. 81 traité CE) - Accords verticaux - Moment où doit s'apprécier la validité de l'accord - Restriction sensible de la concurrence - Contrat d'approvisionnement exclusif - Nullité
Au vu de l'évolution des Communications de la Commission européenne dans le sens d'une plus grande indulgence vis-à-vis des accords verticaux ne contenant pas de restrictions de concurrence caractérisées, les accords litigieux ne constituent pas une restriction sensible de la concurrence, étant donné la faible part du brasseur sur les marchés pertinents, et l'absence d'éléments produits par les parties démontrant la contribution significative de ces accords à un éventuel effet cumulatif de verrouillage de ces marchés.
Quand bien même les accords litigieux relèveraient de l'article 81 paragraphe 1 du traité CE, et ne pourraient pas bénéficier d'une exemption par catégorie, encore la cour devrait-elle apprécier si ces accords ne rempliraient pas les conditions de fond de l'article 81 paragraphe 3, conformément au système d'exception légale instauré par le règlement 1/2003.
MEDEDINGING
Wet tot bescherming van de economische mededinging - Prejudicieel geschil - Aard
De aard van het interne prejudiciële geschil in het mededingingsrecht impliceert dat het hof van beroep te Brussel de mogelijkheid heeft om kennis te nemen van de feiten van de zaak en te beslissen over de rechtmatigheid van de omstreden praktijk met toepassing van de regels van het mededingingsrecht.
De prejudiciële vragen dienen te worden geherformuleerd in het licht van het onderwerp van het voor de verwijzende rechter hangende geding. Indien de betwisting betrekking heeft op het recht van een brouwer om de gedwongen tenuitvoerlegging te vorderen van exclusieve afnameovereenkomsten die hij heeft gesloten met de uitbater van een drankgelegenheid, dient de rechtmatigheid van deze contracten uitsluitend te worden onderzocht op de dag dat de uitbater zijn activiteit stopzet en op de dag dat het verzoek wordt ingediend, zonder dat daarbij rekening dient te worden gehouden met de mogelijke mededingingsbeperkende gevolgen van deze contracten op om het even welk ogenblik sinds hun ontstaan.
MEDEDINGING
Mededingingsbeperkende akkoorden (art. 81 EG-Verdrag) - Verticale akkoorden - Ogenblik waarop de geldigheid moet worden beoordeeld - Merkbare beperking van de mededinging - Exclusieve afname - Nietigheid
In het licht van de evolutie van de Mededelingen van de Europese Commissie naar een grotere inschikkelijkheid ten opzichte van de verticale akkoorden die geen uitgesproken mededingingsbeperkingen bevatten, vormen de litigieuze overeenkomsten geen merkbare beperking van de mededinging, gelet op het zwakke marktaandeel van de brouwer op de relevante markten, en het gebrek aan door de partijen aangebrachte elementen die de significante bijdrage van deze akkoorden tot een eventuele cumulatieve marktafschermende uitwerking aantonen.
Gesteld dat de litigieuze akkoorden vallen onder artikel 81 lid 1 EG-Verdrag, en dat ze geen groepsvrijstelling kunnen genieten, dan nog dient het hof te oordelen of deze akkoorden al dan niet voldoen aan de basisvoorwaarden van artikel 81 lid 3, overeenkomstig het door Verordening 1/2003 ingestelde systeem van wettelijke uitzondering.
Le contentieux préjudiciel interne en droit de la concurrence après l'entrée en vigueur
du règlement 1/2003
Xavier Taton [1]
1. L'espèce commentée

1.En date du 24 juin 1993, l'exploitant d'un établissement de boissons (ci-après dénommé “l'Exploitant”) se lie avec une brasserie (ci-après dénommée “le Brasseur”) par un contrat d'approvisionnement exclusif en bières auprès de ce Brasseur pendant une durée de 10 ans. En contrepartie de cette fourniture exclusive, le Brasseur s'engage, par un contrat distinct dit “de prestation”, à se porter caution d'un prêt bancaire à conclure par l'Exploitant, et à supporter personnellement le remboursement de la totalité du capital et le paiement de la totalité des intérêts de ce prêt.

Le 31 mars 1997, l'Exploitant cède son fonds de commerce, avec le contrat d'approvisionnement exclusif en bières, à une société privée à responsabilité limitée (ci-après dénommée “la Société Exploitante”). Deux nouveaux contrats sont conclus le 3 juin 1997 entre le Brasseur et la Société Exploitante, aux termes desquels celle-ci s'engage à se fournir exclusivement auprès du Brasseur pour toutes les boissons autres que les bières pendant une durée de 5 ans, en contrepartie d'un prêt de matériel et de fonds de la part du Brasseur.

La Société Exploitante est déclarée en faillite le 22 juillet 1999.

En date du 2 novembre 2000, le Brasseur obtient de la banque qu'elle dénonce le prêt bancaire consenti au premier Exploitant, en raison de la cessation de ses activités. En sa qualité de caution, le Brasseur paie le solde restant dû à la banque, avec subrogation dans les droits de celle-ci à l'égard de l'Exploitant.

2.Le Brasseur assigne ensuite l'Exploitant, le 7 décembre 2000, à comparaître devant le tribunal de commerce de Liège, aux fins de l'entendre déclarer la résiliation des deux contrats de 1993 aux torts de l'Exploitant, et de condamner celui-ci [2] au remboursement de l'intégralité des sommes payées par le Brasseur à la banque, et au paiement d'une indemnité de rupture de la convention de fourniture exclusive.

Par un jugement du 27 mars 2002, le tribunal de commerce de Liège déclare l'action du Brasseur partiellement fondée, prononce la résolution des conventions litigieuses aux torts de l'Exploitant, et le condamne à payer au Brasseur le solde du prêt bancaire restant dû au moment de la dénonciation et l'indemnité de rupture convenue dans le contrat de fourniture exclusive.

3.Sur l'appel principal de l'Exploitant et l'appel incident du Brasseur, le premier arrêt commenté, rendu le 9 septembre 2004 par la 7ème chambre de la cour d'appel de Liège [3], se prononce sur deux questions litigieuses, dont seule la deuxième retiendra notre attention dans le cadre de la présente note.

En premier lieu, l'arrêt considère, à juste titre, qu'à défaut de décharge donnée par le Brasseur à l'Exploitant au moment de sa cession du contrat de fourniture exclusive à la Société Exploitante, l'Exploitant demeurait responsable de l'exécution de l'obligation d'approvisionnement exclusif [4], de sorte qu'après la faillite de la Société Exploitante, le Brasseur était fondé à demander la dénonciation du prêt bancaire pour arrêt des fournitures.

Ensuite, l'arrêt se prononce sur le moyen, développé par l'Exploitant, selon lequel les obligations d'achat exclusif conclues envers le Brasseur seraient devenues nulles le 3 juin 1997 [5], pour contrariété avec l'article 81 du traité instituant la Communauté européenne [6], [7].

En premier lieu, l'arrêt constate qu'en raison des durées des contrats d'approvisionnement exclusif en bières et en boissons autres que les bières, ces accords ne pouvaient plus bénéficier de l'exemption par catégories prévue à l'époque par le règlement 1984/83 [8].

Néanmoins, comme le rappelle ensuite l'arrêt, l'inapplicabilité de cette exemption par catégories n'implique pas nécessairement que l'ensemble du contrat soit frappé de nullité au sens de l'article 81 § 2 du traité CE. En effet, un tel contrat n'est interdit que si le marché national de la distribution de bières dans des débits de boisson est difficilement accessible pour des concurrents, notamment en raison de l'effet cumulatif produit par un ensemble de contrats similaires, et si le contrat litigieux contribue de façon significative à l'effet de blocage produit par l'ensemble de ces contrats [9].

Enfin, l'arrêt décide de poser à la cour d'appel de Bruxelles, à titre préjudiciel, la question du caractère licite de la pratique de concurrence litigieuse au regard de l'article 81 du traité CE. L'arrêt fonde cette décision sur les motifs de l'absence d'instruction documentée sur la part du marché national détenue par le Brasseur, de la violation du droit communautaire qui résulterait pour l'État belge de la méconnaissance par ses cours et tribunaux de la jurisprudence des juridictions communautaires, de l'objectif de concentration du contentieux en matière de concurrence devant la cour d'appel de Bruxelles, de la compétence de cette cour pour examiner la licéité des pratiques qui relèvent des articles 81 et 82 du traité CE, et du caractère obligatoire du renvoi préjudiciel lorsque la solution du litige dépend, comme en l'espèce, du caractère licite d'une pratique de concurrence.

En termes de dispositif, l'arrêt saisit la cour d'appel de Bruxelles non seulement de la question de la licéité de la pratique de concurrence litigieuse, qu'il décrit, mais également de celle de la portée exacte de la nullité éventuelle des contrats litigieux.

4.Ces questions font l'objet du second arrêt commenté, prononcé le 23 juin 2005 par la 9ème chambre bis de la cour d'appel de Bruxelles [10].

Après avoir rappelé les données disponibles relatives à la position du Brasseur sur le marché de la distribution des boissons dans le secteur horeca belge (nos 8 et 9), l'arrêt commence par définir la nature du contentieux préjudiciel en considérant que celui-ci implique le pouvoir de la cour de connaître des faits de la cause et de leur appliquer les règles du droit de la concurrence (nos 10 à 13).

Ensuite, l'arrêt reformule les questions préjudicielles qui lui étaient soumises, au regard de l'objet du litige pendant entre l'Exploitant et le Brasseur devant la cour d'appel de Liège. À cet égard, l'arrêt considère que comme la contestation porte sur le droit du Brasseur de demander l'exécution forcée de l'obligation d'achat exclusif au moment de la cessation d'activité de l'Exploitant [11], la question de la licéité des accords de 1993 doit exclusivement être examinée au jour de cette cessation d'activité et au jour de l'introduction de la demande, sans qu'il y ait lieu de vérifier les éventuels effets anticoncurrentiels de ces accords à un quelconque autre moment depuis leur formation (nos 14 à 17) [12].

Sur le fond de la question ainsi reformulée, l'arrêt considère d'abord que les accords d'achat exclusif de 1993 et de 1997 bénéficiaient depuis le 1er juin 2000 [13] de l'exemption par catégories prévue par l'article 3 § 1er du règlement 2790/1999, aux motifs que la part du Brasseur sur le marché pertinent n'excédait pas 30% et que leur durée n'excédait pas 5 ans [14] (nos 18 à 20) [15].

Ensuite, l'arrêt examine la validité des accords litigieux pendant la période séparant la date de la cessation d'activité (le 22 juillet 1999) de la date d'entrée en vigueur du règlement 2790/1999 (le 1er juin 2000). À défaut d'exemption par catégories [16], l'arrêt constate l'évolution des Communications de la Commission européenne dans le sens d'une plus grande indulgence vis-à-vis des accords verticaux ne contenant pas des restrictions de concurrence caractérisées [17]. L'arrêt en déduit que les accords litigieux ne constituaient pas une restriction sensible de la concurrence, vu la faible part du Brasseur sur les marchés pertinents [18], et le caractère présumé insignifiant [19] de la contribution des accords litigieux à un éventuel effet cumulatif de verrouillage dû à la coexistence d'accords similaires contractés par différents fournisseurs (nos 22 à 26).

Enfin, dans un obiter dictum, l'arrêt remarque que quand bien même les accords litigieux relèveraient de l'article 81 paragraphe 1 du traité CE, et ne pourraient pas bénéficier d'une exemption par catégories, encore la cour devrait-elle apprécier si ces accords ne rempliraient pas les conditions de fond de l'article 81 paragraphe 3 [20], conformément au système d'exception légale instauré par le règlement (CE) 1/2003 du Conseil du 16 décembre 2002 relatif à la mise en oeuvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 et 82 du traité (n° 27) [21].

L'arrêt en conclut que le moyen de nullité développé par l'Exploitant pour contrariété de l'accord du 24 juin 1993 avec l'interdiction des ententes, est dépourvu de fondement (n° 28).

5.Certes, les deux arrêts commentés sont intéressants à plus d'un titre. En particulier, le deuxième arrêt commenté démontre le niveau de sophistication du raisonnement qu'exige l'application du droit communautaire de la concurrence [22]. La présente note portera cependant essentiellement sur les aspects processuels du contentieux préjudiciel interne en droit de la concurrence, et sur les enseignements qui peuvent être déduits à ce sujet des deux arrêts commentés [23].

Nous examinerons en premier lieu la nature de ce contentieux préjudiciel (2), la compétence de la cour d'appel de Bruxelles d'y appliquer les articles 81 et 82 du traité CE (3), et les règles régissant la mise en état de ces causes (4). Nous accorderons ensuite une attention particulière au raisonnement par lequel le deuxième arrêt commenté reformule les questions préjudicielles, dans la mesure où il constitue une décision de principe sur la portée de la nullité visée à l'article 81 paragraphe 2 du traité CE (5). Enfin, nous aborderons brièvement les conséquences d'un arrêt prononcé sur question préjudicielle, sur les suites de la procédure (6).

Cette analyse nous permettra de porter, en guise de conclusion, une réflexion plus générale sur l'opportunité du maintien d'un contentieux préjudiciel interne en droit de la concurrence, et sur sa nature adéquate (7).

2. La nature du contentieux préjudiciel devant la cour d'appel de Bruxelles

6.Depuis son introduction par la loi du 5 août 1991 sur la protection de la concurrence économique [24], la question de savoir si le contentieux préjudiciel porté devant la cour d'appel de Bruxelles se limite aux questions d'interprétation du droit de la concurrence ou s'il s'étend, au contraire, à son application aux faits de la cause, a fait l'objet d'une controverse intense au sein de la doctrine [25].

Sous l'empire de la loi de 1991, la cour d'appel de Bruxelles a décidé que lorsqu'elle était saisie à titre préjudiciel, sa compétence était limitée aux questions de droit qui ont trait à l'interprétation et à l'application de cette loi, et ne portait pas sur son application aux faits de la cause [26]. Cette jurisprudence était principalement fondée sur le texte de l'ancien article 42 § 1er alinéa 4, aux termes duquel la juridiction de renvoi n'était tenue de se conformer qu'à la décision de la cour d'appel de Bruxelles sur le “point de droit” faisant l'objet de la question préjudicielle [27].

7.Depuis la modification de cette disposition et l'insertion d'un article 42bis par les lois du 26 avril 1999 [28], la référence à ce “point de droit” a été supprimée, et la cour d'appel de Bruxelles a admis qu'il lui appartenait de connaître des faits de la cause et de leur appliquer les règles du droit de la concurrence [29]. Cette jurisprudence nous semble plus conforme à la tâche de la cour de statuer à titre préjudiciel “sur les questions relatives au caractère licite d'une pratique de concurrence” [30].

Malgré les objections exprimées par le corps des rapporteurs [31], le deuxième arrêt commenté s'est rallié, à juste titre, à cette jurisprudence désormais constante [32] (n° 11).

8.Toutefois, il ne faudrait pas pour autant assimiler la compétence de la cour d'appel de Bruxelles saisie au contentieux préjudiciel, à celle d'un juge auquel l'affaire [33] serait renvoyée à la suite d'un déclinatoire de compétence [34] ou d'une exception de connexité [35], [36]. En effet, la saisine de la cour reste limitée à la pratique de concurrence faisant l'objet de la question préjudicielle qui lui est soumise [37]. Il n'appartient pas à la cour de se saisir d'office d'éventuelles autres pratiques de concurrence, qui seraient présentes en l'espèce mais que le juge du fond ne soumettrait pas à son examen [38], [39].

En outre, la compétence de la cour d'appel de Bruxelles se limite à la question de la licéité de la pratique de concurrence qui lui est déférée, et ne s'étend pas aux conséquences civiles qui résultent de son caractère illicite ni aux droits que les parties font valoir devant le juge de renvoi [40]. Il nous semble, dès lors, audacieux pour le premier arrêt commenté, d'avoir posé une deuxième question préjudicielle sur la portée exacte de la nullité éventuelle des contrats litigieux [41].

9.En outre, la compétence de la cour d'appel de Bruxelles de connaître des faits de la cause, rend inadéquates la plupart des exceptions au renvoi préjudiciel obligatoire, qui sont prévues par l'article 42bis § 2 LPCE. En effet, ces exceptions sont inspirées du contentieux préjudiciel devant la Cour d'arbitrage [42], qui est d'une nature fondamentalement différente, puisqu'il s'agit d'un contentieux objectif en validité de normes législatives.

En particulier, l'exception visée à l'alinéa 2, 1° (“lorsque la cour d'appel a déjà statué sur une question ou un recours ayant le même objet”), ne trouve à s'appliquer que si une question préjudicielle est posée en première instance et que la question de droit de la concurrence se pose entre les mêmes parties et dans les mêmes termes en degré d'appel. Par contre, cette exception semble inapplicable lorsque le litige concerne d'autres faits ou d'autres parties que celui ayant déjà fait l'objet d'un arrêt rendu sur question préjudicielle [43]. Contrairement aux arrêts de la Cour d'arbitrage prononcés sur question préjudicielle [44], les arrêts de la cour d'appel de Bruxelles n'ont donc aucune autorité de chose jugée à l'égard des juridictions autres que celles appelées à statuer dans la même affaire [45].

L'exception visée à l'alinéa 2, 2° (“lorsque la réponse à la question préjudicielle n'est pas indispensable pour rendre sa décision”), ne s'applique que si le juge peut statuer sur une ou plusieurs demandes sans appliquer le droit de la concurrence [46], [47].

10.Par conséquent, dans l'état actuel des textes et de la jurisprudence de la cour d'appel de Bruxelles, l'obligation de lui poser une question préjudicielle s'applique dans de nombreuses hypothèses, et notamment - comme dans l'espèce commentée - lorsqu'une partie s'oppose à l'exécution forcée d'une obligation contractuelle en invoquant la nullité du contrat pour violation du droit de la concurrence [48]. Le nombre relativement limité de questions effectivement posées à la cour ne semble, dès lors, devoir s'expliquer que par une certaine méconnaissance de ces dispositions parmi les plaideurs et les juges du fond [49].

11.De lege ferenda, les articles 73 et 74 du projet de loi du 21 décembre 2005 sur la protection de la concurrence économique [50] proposent de déférer à la Cour de cassation [51] le contentieux préjudiciel en droit de la concurrence, et de le limiter aux questions de droit liées à l'interprétation de la future loi sur la protection de la concurrence économique [52].

3. La compétence d'appliquer les articles 81 et 82 du traité CE à titre préjudiciel

12.Selon le texte des articles 42 et 42bis § 1er LPCE, la cour d'appel de Bruxelles ne pourrait statuer à titre préjudiciel que sur le “caractère licite d'une pratique de concurrence au sens de la présente loi”. Par conséquent, dans ses arrêts antérieurs à l'espèce commentée, la cour s'était déclarée incompétente pour statuer sur une question préjudicielle relative à l'interprétation ou à l'application des articles 81 et 82 du traité CE [53]. La doctrine avait critiqué cette jurisprudence sur pied de l'effet direct et de la primauté du droit communautaire de la concurrence [54].

13.Depuis son entrée en vigueur le 1er mai 2004, l'article 6 du règlement 1/2003 a mis un terme à cette controverse. En effet, cette disposition directement applicable [55] énonce que “les juridictions nationales sont compétentes pour appliquer les articles 81 et 82 du traité”. Dans la mesure où elle ne distingue pas les juridictions nationales selon qu'elles statuent sur l'application du droit communautaire de la concurrence dans le cadre d'une instance ordinaire ou sur question préjudicielle, cette attribution de compétence nous semble également profiter à la cour d'appel de Bruxelles, statuant à titre préjudiciel [56].

Le premier arrêt commenté pouvait donc légalement poser à la cour d'appel de Bruxelles, la question préjudicielle du caractère licite de la pratique de concurrence litigieuse au regard du seul article 81 du traité CE, en se fondant notamment sur le risque de violation du droit communautaire qui résulterait pour l'État belge de la méconnaissance par ses cours et tribunaux de la jurisprudence des juridictions communautaires [57].

14.Par contre, la question du caractère obligatoire d'un tel renvoi préjudiciel [58] est plus délicate, lorsque la pratique de concurrence ne doit pas simultanément être appréciée au regard des articles 2 et 3 LPCE [59]. Dans cette hypothèse, l'article 42bis § 1er LPCE ne prévoit, en effet, pas d'obligation de saisir la cour d'appel de Bruxelles d'une question préjudicielle. Certes, le principe de l'équivalence prévoit que les modalités procédurales des recours destinés à assurer la sauvegarde des droits que les justiciables tirent de l'effet direct du droit communautaire, ne peuvent pas être moins favorables que celles concernant des recours similaires de nature interne [60]. Toutefois, malgré la spécialisation des magistrats de la cour d'appel de Bruxelles et leur mission d'assurer l'unité de la jurisprudence en matière de concurrence [61], le caractère facultatif du renvoi préjudiciel nous paraît plus favorable aux justiciables [62], dans la mesure où il leur laisse une option [63] entre la poursuite du litige devant les juridictions ordinaires et la saisine de la juridiction spécialisée [64], [65].

15.Le projet de loi du 21 décembre 2005 n'apporte pas de réponse précise à la question de la compétence de la Cour de cassation de connaître de questions préjudicielles qui seraient uniquement relatives à l'application des articles 81 et 82 du traité CE [66]. Sauf modification du projet au cours des travaux préparatoires, cette question sera donc toujours à examiner au regard de l'article 6 du règlement 1/2003 [67].

Par contre, dans ce projet, la question préjudicielle redevient toujours facultative [68], comme sous l'empire de la loi de 1991 [69].

4. La mise en état devant la cour d'appel de Bruxelles saisie à titre préjudiciel

16.Les LPCE sont particulièrement lacunaires en ce qui concerne la mise en état des affaires soumises à titre préjudiciel à la cour d'appel de Bruxelles. Elles précisent uniquement que le greffier porte sans délai la question à la connaissance des parties et les invite à formuler leurs observations écrites [70] dans le mois [71]. Le Conseil de la concurrence, les rapporteurs et le ministre des Affaires économiques peuvent également déposer des observations écrites [72], et consulter le dossier sans déplacement [73]. Enfin, la cour peut demander une instruction au corps des rapporteurs [74], [75], et statue comme en référé [76].

Pour le surplus, la mise en état de l'affaire reste régie par les dispositions du Code judiciaire [77], et par le principe du contradictoire, qui suppose que chacune des parties reçoive la communication écrite des moyens et arguments développés par les autres parties, en temps utile pour avoir la possibilité d'y préparer sa réponse [78], [79].

17.Dans l'espèce commentée, la cour d'appel de Bruxelles a fait application de la faculté qui lui est reconnue par l'article 15 § 1er du règlement 1/2003, de demander à la Commission européenne de lui communiquer un avis écrit au sujet de l'application des règles communautaires de la concurrence (n° 6). Dans ce cadre, la Commission agit en tant qu' “amicus curiae” et soumet un avis non contraignant à la cour d'appel [80], sur un modèle similaire à celui de l'intervention du Ministère public en matière civile [81].

Conformément au principe du contradictoire, la cour a, à juste titre, autorisé les parties à déposer des observations écrites complémentaires après cet avis [82]. Par application des articles 766 alinéa 1er et 767 § 3 du Code judiciaire, ces observations complémentaires nous semblent devoir porter exclusivement sur le contenu de l'avis de la Commission, et être écartées des débats pour le surplus [83].

18.Par contre, il est curieux que la cour ait constaté qu'aucune information n'était produite aux débats relativement au marché des boissons autres que la bière (nos 9 et 25), puis se soit satisfaite de ce seul défaut d'éléments produits par les parties, pour présumer l'absence de contribution significative des accords litigieux à un éventuel effet cumulatif de verrouillage (n° 26). Cette décision est d'autant plus regrettable que le premier arrêt commenté avait précisément considéré l'absence d'instruction documentée de la part des parties, comme un motif de poser une question préjudicielle.

À notre estime, il appartenait à la cour d'appel de Bruxelles de demander d'office [84] soit une instruction au corps des rapporteurs [85], soit la production de ces informations par les parties [86], [87].

19.Le projet de loi du 21 décembre 2005 comprend plusieurs modifications à la procédure de mise en état des questions préjudicielles, désormais déférées à la Cour de cassation.

Fort logiquement, le projet supprime le pouvoir de demander une instruction à l'auditorat du Conseil de la concurrence dans le cadre d'une question préjudicielle [88].

L'article 74 § 2 alinéa 2 et § 3 alinéa 2 du projet est plus discutable. En effet, cette disposition soumet le ministre de l'Économie, la Commission européenne et l'auditeur du Conseil de la concurrence [89] au même délai d'un mois pour le dépôt de leurs observations écrites, et prescrit désormais ce délai “à peine d'irrecevabilité” [90]. Or, un tel délai unique pour toutes les parties et tous les “amici curiae” nous semble contraire au principe du contradictoire - qui a la valeur d'un traité international directement applicable [91] -, puisqu'il ne garantit pas aux parties la possibilité de connaître, par écrit, l'argumentation ou l'avis des autres intervenants au procès, en temps utile pour y préparer leur réponse écrite [92], [93].

Enfin, à défaut de référé devant la Cour de cassation [94], celle-ci ne statue pas comme en référé mais “toutes affaires cessantes” [95].

5. La reformulation des questions préjudicielles

20.Un des enseignements les plus intéressants de l'espèce commentée réside probablement dans le raisonnement par lequel la cour d'appel de Bruxelles reformule les questions préjudicielles qui lui étaient posées [96].

21.L'arrêt rappelle, en premier lieu (n° 15), qu'en tant qu'accord d'achat exclusif, le contrat du 24 juin 1993 n'a pas pour objet d'affecter le commerce entre les États membres ni de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence [97]. Il ne pourrait donc être incriminé qu'au titre de ses effets [98] et en prenant en considération le contexte économique et juridique au sein duquel il se situe. Par voie de conséquence, la nullité de ce contrat pour violation de la prohibition des ententes n'est pas nécessairement contemporaine de sa formation [99].

Ces considérations sont conformes à la jurisprudence de la Cour de justice en matière d'accords d'achat exclusif.

22.Ensuite (n° 16), l'arrêt considère que les questions préjudicielles doivent être reformulées au regard de l'objet de la contestation pendante devant la cour d'appel de Liège, à savoir le droit du Brasseur de demander l'exécution forcée de l'obligation d'achat exclusif au moment de la cessation d'activité de l'Exploitant [100].

À cet égard, l'arrêt décide que la licéité des accords de 1993 ne doit être examinée qu'au jour de cette cessation d'activité [101] et au jour de l'introduction de la demande [102], sans qu'il y ait lieu de vérifier les éventuels effets anticoncurrentiels de ces accords à un quelconque autre moment depuis leur formation. L'arrêt motive cette décision en considérant que si une partie à un contrat susceptible de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence peut se prévaloir en justice de la violation de l'article 81 paragraphe 1 du traité CE [103], il ne s'en déduit pas “qu'une partie à un contrat à prestations successives et d'une durée indéterminée qui a volontairement exécuté ses obligations pendant un laps de temps, pourrait opposer à une demande en exécution du contrat jusqu'à l'expiration du terme convenu (…) une cause de nullité qu'elle n'a jamais invoquée pendant la période au cours de laquelle la clause contractuelle aurait pu être prohibée en raison de ses effets anticoncurrentiels, lorsque cette cause a disparu” [104].

23.À première vue, cette considération semble audacieuse tant au regard de la jurisprudence des juridictions européennes que du droit des obligations.

En effet, selon la jurisprudence de la Cour de justice et de son tribunal de première instance [105], l'interdiction des accords présentant un caractère anticoncurrentiel constitue une disposition d'ordre public [106]. La violation de cette interdiction peut être invoquée par tous, en ce compris les parties à un contrat susceptible de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence [107]. La nullité qui en résulte de plein droit en vertu de l'article 81 paragraphe 2 [108], a un caractère absolu, de sorte que l'accord n'a pas d'effet dans les rapports entre les contractants, et n'est pas davantage opposable aux tiers [109]. La nullité de l'accord est susceptible d'en affecter tous les effets, passés ou futurs [110], et a donc un effet rétroactif [111].

La nullité ne s'applique cependant qu'aux seuls éléments de l'accord qui sont interdits par l'article 81 paragraphe 1, et ne s'étend à l'ensemble de l'accord que si ces éléments ne paraissent pas séparables de l'accord lui-même [112]. La question de la séparabilité doit être appréciée par les juridictions nationales conformément au droit national applicable [113]. De même, les conséquences de cette nullité pour tous autres éléments de l'accord ne relèvent pas du droit communautaire, mais sont à apprécier par la juridiction nationale selon le droit national applicable [114].

24.De même, en droit des obligations, le caractère d'ordre public du droit de la concurrence [115] implique la nullité absolue pour cause illicite [116] des conventions ayant pour objet ou pour effet d'en méconnaître les dispositions. Une telle convention ne peut pas faire l'objet de ratification ni de confirmation [117], et ne peut avoir d'effet ni entre les parties ni à l'égard des tiers [118], [119]. La demande d'exécution forcée d'un tel contrat doit être rejetée, par application de l'article 1131 du Code civil et de l'adage “Nemo auditur propriam turpitudinem allegans” [120]. Enfin, la nullité implique, en principe [121], la remise des choses dans leur pristin état.

Jusqu'à l'espèce commentée, ces principes faisaient l'objet d'une application fidèle de la part des cours et tribunaux appelés à statuer sur les conséquences civiles d'ententes méconnaissant le droit communautaire de la concurrence [122].

Par contre, en considérant que l'exécution volontaire d'un contrat aux effets anticoncurrentiels empêcherait les cocontractants d'invoquer ultérieurement sa nullité à un moment où ces effets auraient disparu, le deuxième arrêt commenté semble admettre la possibilité de confirmer un contrat frappé de nullité absolue [123].

25.L'application des principes relatifs aux changements des lois d'ordre public dans le temps, ne permet pas de retenir une analyse différente. En effet, les conditions de validité d'un contrat, et la nullité qui découle de leur méconnaissance, s'apprécient selon la loi en vigueur au jour de la formation du contrat [124]. De plus, la théorie de l'imprévision [125] ne trouve pas à s'appliquer en l'espèce, dans la mesure où l'évolution du droit de la concurrence n'a pas pour effet de modifier les effets du contrat d'approvisionnement exclusif, mais seulement ses conditions de validité [126].

26.À la réflexion cependant, la considération a priori audacieuse du deuxième arrêt commenté prend mieux en compte les spécificités de l'interdiction des ententes, et fait ainsi écho aux hésitations exprimées par la doctrine à l'égard d'une application mécanique de la nullité absolue comme sanction des accords prohibés [127].

En effet, lorsqu'un contrat n'est - comme dans l'espèce commentée - incriminé par le droit de la concurrence qu'au titre de ses effets, la nullité qui l'affecte perd son signe distinctif essentiel, qui est celui de trouver sa cause dans un vice existant dès la formation du contrat [128]. Par voie de conséquence, un contrat peut être valable à l'origine, mais voir ses effets devenir ultérieurement anticoncurrentiels. Certains auteurs suggèrent, dans cette hypothèse, de limiter l'effet rétroactif de la nullité au moment où l'accord sort des effets contraires au droit de la concurrence [129].

Le deuxième arrêt commenté se prononce sur l'hypothèse inverse, qui est celle d'un contrat dont les effets auraient pu être reconnus anticoncurrentiels à un moment où les parties l'exécutent volontairement, mais qui acquerraient par la suite leur validité en raison d'une évolution de la réglementation communautaire de la concurrence. Dans ce cas, l'arrêt considère que la nullité ne trouve pas à s'appliquer [130]. Cette décision de principe, qu'il serait utile de déférer également à la Cour de justice par une nouvelle question préjudicielle [131], illustre les différences fondamentales qui existent entre la nullité du droit de la concurrence et celle du droit commun des obligations [132].

6. La suite de la procédure après l'arrêt sur question préjudicielle

27.En vertu de l'article 42bis § 2 alinéa 3 et § 4 alinéa 2, ni la décision du juge du fond de poser une question préjudicielle ni la décision rendue sur cette question, ne sont susceptibles de recours. Il n'y a donc pas de pourvoi en cassation qui puisse être directement introduit contre l'arrêt de la cour d'appel de Bruxelles [133].

Néanmoins, un pourvoi peut être introduit de façon indirecte contre cet arrêt. En effet, contrairement à la juridiction qui a posé la question préjudicielle et aux autres juridictions de fond appelées à statuer dans la même affaire, la Cour de cassation n'est pas tenue de se conformer à l'arrêt de la cour d'appel de Bruxelles [134]. Par conséquent, la décision statuant en dernier ressort après l'arrêt prononcé sur question préjudicielle, peut faire l'objet d'un pourvoi [135]. Dans cette hypothèse, si le juge du fond se conforme à l'arrêt prononcé sur question préjudicielle, un moyen de cassation pourra toujours être pris en violation des dispositions des LPCE [136]. Par contre, si le juge du fond ne se conforme pas à l'arrêt de la cour d'appel de Bruxelles, un moyen pourra être pris de la violation de l'article 42bis § 5 LPCE, mais ce moyen sera déclaré irrecevable pour défaut d'intérêt, si la Cour de cassation considère que le juge du fond a néanmoins légalement justifié sa décision au regard des dispositions des LPCE [137], [138].

Certes, en déférant le contentieux préjudiciel en droit de la concurrence à la Cour de cassation, le projet de loi du 21 décembre 2005 garantit, par une solution pragmatique, l'absence de voie de recours contre l'arrêt rendu sur question préjudicielle [139].

28.Après le renvoi de l'affaire devant le juge du fond, les parties sont libres d'invoquer tous nouveaux moyens et arguments [140], sous réserve des questions qui ont été définitivement tranchées soit par la décision qui a posé la question préjudicielle, soit par l'arrêt prononcé par la cour d'appel de Bruxelles sur cette question [141].

D'ailleurs, dans l'espèce commentée, en constatant qu'elle n'était pas saisie d'une demande de l'Exploitant en réparation de l'éventuel préjudice qui résulterait pour lui de son assujettissement à une obligation d'achat exclusif [142] (n° 16), ni de la question de l'éventuelle disproportion entre la sanction prévue par les clauses contractuelles et l'objectif qu'elles visaient [143] (n° 27), la cour d'appel de Bruxelles risque de suggérer à l'Exploitant de nouvelles demandes incidentes [144], ou à tout le moins, de nouvelles défenses au fond.

De même, comme le rappelle le deuxième arrêt commenté (n° 12), les parties sont en droit de demander au juge de renvoi de soumettre une nouvelle question préjudicielle au juge communautaire. Cette considération est conforme à la jurisprudence de la Cour de justice, selon laquelle les juridictions nationales doivent disposer de la faculté la plus étendue de saisir la Cour d'une question préjudicielle [145].

7. L'opportunité d'un contentieux préjudiciel interne en droit de la concurrence

29.Le contentieux préjudiciel interne en droit de la concurrence trouve son origine en 1991, dans un compromis dénaturé entre l'ancienne incompétence des tribunaux pour appliquer le droit de la concurrence, et leur compétence pleine et entière sans préjudice d'un avis facultatif du Conseil de la concurrence [146]. Cette justification étant aujourd'hui obsolète, la question de l'opportunité du maintien d'un tel contentieux particulier, ne peut pas être esquivée.

Sous l'empire du règlement 1/2003 [147], cette question nous semble devoir être examinée dans l'optique de l'application du droit communautaire. En effet, étant donné la superficie limitée de notre pays, les litiges en matière de concurrence n'affectant pas le commerce entre les États membres risquent de devenir de plus en plus rares. Dans cette perspective, la question de la combinaison avec le contentieux préjudiciel devant la Cour de justice s'impose naturellement.

En vertu de l'arrêt Mecanarte du 27 juin 1991, le juge national a toujours la possibilité de poser une question préjudicielle à la Cour de justice [148]. Par conséquent, le juge premier saisi, le juge interne saisi à titre préjudiciel, et le juge de renvoi ont tous trois cette faculté, à laquelle une disposition interne ne pourrait pas valablement déroger.

La Cour de cassation est toutefois soumise à un régime particulier, puisque l'article 234 alinéa 3 du traité CE l'oblige à poser une question préjudicielle à la Cour de justice lorsqu'une question d'interprétation du droit communautaire

est soulevée devant elle [149]. Par conséquent, même si elle se voyait attribuer le contentieux préjudiciel interne en droit de la concurrence, la Cour de cassation devrait transmettre à la Cour de justice les questions préjudicielles en interprétation du droit communautaire dont elle serait saisie.

La combinaison avec le contentieux préjudiciel devant la Cour de justice influence également le choix entre un contentieux préjudiciel interne en interprétation ou en application du droit de la concurrence. En effet, dans une perspective de litiges (partiellement) soumis au droit communautaire, un contentieux interne en interprétation semble redondant par rapport à la faculté de saisir la Cour de justice. Par contre, s'il n'exclut pas toute question à la juridiction européenne [150], un contentieux interne en application du droit de la concurrence, conserve sa spécificité.

Par conséquent, un contentieux préjudiciel interne ne présente d'utilité que s'il porte sur l'application du droit de la concurrence à une pratique de concurrence litigieuse, et qu'il n'est pas confié à la Cour de cassation. En d'autres termes, les seules options utiles qui s'offrent au législateur sont soit de maintenir un contentieux préjudiciel en application du droit de la concurrence devant la cour d'appel de Bruxelles, soit d'abroger cette procédure.

Il s'agit là d'une question de politique judiciaire. Faut-il confier l'application du droit de la concurrence aux juridictions ordinaires, ou plutôt la réserver à une juridiction unique et spécialisée? Comme le démontre l'espèce commentée, les particularités du raisonnement en matière de droit de la concurrence, et l'approche économique qui doit y présider, peuvent raisonnablement justifier l'intervention d'une juridiction spécifique. À titre de comparaison, les autres États membres tendent à opter pour l'attribution du contentieux de la concurrence à un nombre restreint de juridictions spécialisées [151].

En guise de conclusion, nous ne pouvons que rejoindre les hésitations du Conseil d'État et du Conseil de la concurrence sur l'opportunité de confier à la Cour de cassation le contentieux préjudiciel interne en droit de la concurrence [152]. Plutôt que de modifier une fois de plus la nature de ce contentieux, il nous semble préférable soit de l'abroger, soit de le maintenir en l'état devant la cour d'appel de Bruxelles. Dans cette deuxième option, des amendements précis pourraient être utilement introduits pour rendre la question obligatoire en cas d'application des articles 81 et 82 du traité CE, et pour préciser les règles de mise en état des causes [153], le cas échéant par renvoi aux dispositions du Code judiciaire.

Remarque

30.La présente note était sous presse, lorsque la 7ème chambre de la cour d'appel de Liège a prononcé son arrêt sur renvoi en date du 30 mars 2006. Ce troisième arrêt tire les conséquences de la réponse de la cour d'appel de Bruxelles à la question préjudicielle qui lui avait été posée, et statue sur le montant de l'indemnité due au Brasseur, en réduisant notamment la clause pénale sur pied de son caractère excessif.

A notre connaissance, cet arrêt n'a pas fait l'objet d'un pourvoi en cassation.

[1] Avocat au barreau de Bruxelles. Assistant à l'Université Libre de Bruxelles.
[2] Sur pied des clauses contractuelles relatives aux conséquences du non-respect de l'obligation d'achat exclusif, de l'obligation d'acheter la quantité prévue ou d'une cessation d'exploitation du débit de boissons.
[3] En vertu de l'art. 42bis § 2 al. 3 des lois coordonnées du 1er juillet 1999 sur la protection de la concurrence économique (Mon.b. 1er septembre 1999, p. 32.315; ci-après “LPCE”), le premier arrêt commenté n'était pas susceptible de voie de recours. Sur ce point, voy. nos développements infra, n° 27.
[4] Le premier arrêt commenté fait une application exacte des art. 1271, 2° et 1275 du Code civil, aux termes desquels une cession de dette n'entraîne la décharge du débiteur cédant que moyennant le consentement du créancier. En tant que convention, la novation se prouve conformément au droit commun de la preuve des contrats (Cass. 9 mars 1972, Pas., I, 642; Cass. 27 novembre 1958, Pas. 1959, I, 316; H. De Page, Traité élémentaire de droit civil belge, t. 3, 3ème éd., Bruxelles, Bruylant, 1967, pp. 585 à 587).
[5] Au moment de la conclusion de l'accord d'achat exclusif supplémentaire pour les boissons autres que les bières.
[6] Ci-après, “traité CE”.
[7] Jusqu'à cette date, l'accord d'approvisionnement exclusif n'excédait pas dix ans et ne concernait que certaines bières, de sorte qu'il bénéficiait de l'exemption par catégories prévue par les art. 6 § 1er et 8 § 1er d) du Règlement (CEE) n° 1984/83 de la Commission du 22 juin 1983 concernant l'application de l'art. 85 par. 3 du traité à des catégories d'accords d'achat exclusif (JOCE n° L. 173 du 30 juin 1983, p. 5).
[8] Comme le rappelle le deuxième arrêt commenté (n° 18), la validité du règlement n° 1984/83 a expiré le 31 décembre 1999. Toutefois, en vertu de l'art. 12 du nouveau règlement (CE) n° 2790/1999 de la Commission, du 22 décembre 1999, concernant l'application de l'art. 81 par. 3 du traité à des catégories d'accords verticaux et de pratiques concertées (JOCE n° L. 336 du 29 décembre 1999, p. 21), l'application des exemptions du règlement n° 1984/83 a été maintenue jusqu'au 31 mars 2000, les accords en vigueur à cette date et répondant aux conditions de ces exemptions restant, en outre, valides jusqu'au 31 décembre 2001. Quant au règlement n° 2790/1999, il est entré en vigueur le 1er juin 2000 (art. 13).
[9] Par ces considérations, l'arrêt attaqué fait une application exacte de la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes (ci-après, “Cour de justice”), et en particulier de son arrêt Delimitis du 28 février 1991 (C.J.C.E. 28 février 1991, C-234/89, Stergios Delimitis/Henninger Braü, Rec., I, p. 935, point 40).
[10] En vertu de l'art. 42bis § 4 al. 2 LPCE, le deuxième arrêt commenté n'était pas davantage susceptible de voie de recours. Sur ce point, voy. nos développements infra, n° 27.
[11] Et, par voie de conséquence, le droit du Brasseur de réclamer l'application des clauses contractuelles relatives au non-respect de cette obligation.
[12] En conséquence, l'arrêt rejette le moyen développé par l'Exploitant, selon lequel la nullité des accords litigieux devait s'apprécier à la date de la conclusion du contrat du 3 juin 1997 (n° 21).
[13] Et donc au moment de la dénonciation du prêt par la banque.
[14] Pour l'accord de 1993, l'arrêt précise que cette durée de 5 ans devait être appréciée par rapport à la durée restant à courir à partir du 1er janvier 2002, conformément à la Communication de la Commission relative aux lignes directrices sur les restrictions verticales (JOCE n° C. 291 du 13 octobre 2000, p. 1).
[15] L'arrêt précise qu'il n'y a pas lieu de tenir compte de l'existence du contrat du 24 juin 1993 relatif aux bières, pour apprécier si le contrat du 3 juin 1997 relatif aux boissons autres que les bières, bénéficie ou non de cette exemption par catégories, et vice versa. En effet, les bières et les autres boissons ne font pas partie du même marché, et cette exemption n'est subordonnée à aucune autre condition que celles de sa durée et de la part de marché du fournisseur.
[16] Dont l'arrêt rappelle qu'il n'équivaut pas à une présomption d'incompatibilité avec l'art. 81 § 1er du traité CE (n° 23).
[17] Il s'agit notamment de la Communication du 13 avril 1984 relative aux règlements (CEE) n° 1983/83 et (CEE) n° 1984/83 de la Commission, du 22 juin 1983, concernant l'application de l'art. 85 par. 3 du traité à des catégories respectivement d'accords de distribution exclusive et d'accords d'achat exclusif (JOCE n° C. 101 du 13 avril 1984, p. 2), de la Communication du 3 septembre 1986, concernant les accords d'importance mineure qui ne sont pas visés par les dispositions de l'art. 85 par. 1 du traité instituant la Communauté économique européenne (JOCE n° C. 231 du 12 septembre 1986, p. 2), de la Communication du 9 décembre 1997 concernant les accords d'importance mineure qui ne sont pas visés par les dispositions de l'art. 85 par. 1 du traité instituant la Communauté européenne (JOCE n° C. 372 du 9 décembre 1997, p. 13), et de la Communication du 22 décembre 2001 concernant les accords d'importance mineure qui ne restreignent pas sensiblement le jeu de la concurrence au sens de l'art. 81 par. 1 du traité instituant la Communauté européenne (de minimis) (JOCE n° C. 368 du 22 décembre 2001, p. 13). Comme le remarque l'arrêt (n° 25), même les Communications postérieures à la date à laquelle la validité des accords est appréciée, sont pertinentes en tant que nouvelle prise de position de la Commission en fonction de l'expérience acquise dans l'analyse des effets de tels accords. Contra, H. Viaene, “De prejudiciële vraag of hoe een vlag niet altijd de lading dekt”, à paraître dans la Revue de la concurrence belge (R.C.B.) 2006, n° 30.
[18] Moins de 10% sur le marché de la distribution de la bière dans des débits de boissons. En ce qui concerne les boissons autres que la bière, l'arrêt constate qu'aucune donnée ne lui est fournie sur la part de marché du Brasseur, de sorte qu'elle ne peut être présumée supérieure à ce même seuil (nos 25 et 26).
[19] Faute d'éléments en sens contraire. À ce sujet, voy. notre critique infra, n° 18.
[20] Pour ce faire, les accords doivent (i) contribuer à améliorer la production ou la distribution des produits ou à promouvoir le progrès technique ou économique, (ii) réserver aux utilisateurs une partie équitable du profit qui en résulte, (iii) n'imposer que des restrictions indispensables pour atteindre cet objectif, et (iv) ne pas donner aux parties la possibilité d'éliminer la concurrence pour une partie substantielle des produits en cause. En d'autres termes, l'application de l'art. 81 par. 3 du traité CE impose une appréciation des effets économiques positifs des accords restrictifs de concurrence (C. Schurmans, “Le rôle du juge dans la mise en oeuvre du droit européen de la concurrence”, in X., La décentralisation dans l'application du droit de la concurrence. Un rôle accru pour le praticien?, Bruxelles, Bruylant, 2004, pp. 89 et s., spéc. p. 99, n° 12. À ce sujet, voy. notamment, D.G. Goyder, EC Competition Law, 4ème éd., New York, Oxford University Press, 2003, pp. 112 à 139; H. Gilliams, Y. Van Gerven, J. Wouters et P. Wytinck, “Kroniek van Rechtspraak. Europees ondernemingsrecht (augustus 1994-december 1995)”, R.D.C. 1996, pp. 283 et s., spéc. pp. 344 et 345, nos 122 et 123).
[21] JOCE n° L. 1 du 4 janvier 2003, p. 1. Ce règlement est entré en vigueur le 1er mai 2004, et a déjà fait l'objet de nombreux commentaires (voy. notamment D. Waelbroeck, “Le régime des pratiques restrictives de concurrence et le règlement (CE) 1/2003 relatif à l'application des articles 81 et 82 du traité CE”, in X., Aspects récents du droit de la concurrence, Bruxelles, Bruylant, 2005, pp. 1 et s.; D. Szafran, “Incidences en droit belge du règlement 1/2003 sur le régime des pratiques restrictives de concurrence et du règlement 139/2004 sur le régime des concentrations”, in ibid., pp. 101 et s.; L. Idot, Droit communautaire de la concurrence. Le nouveau système communautaire de mise en oeuvre des articles 81 et 82 CE, Bruxelles, Bruylant, 2004; J. S. Venit, “Brave New World: The Modernization and Decentralization of Enforcement under Articles 81 and 82 of the EC Treaty”, C.M.L.-Rev. 2003, pp. 545 et s.; H. Nyssens, “Le règlement 1/2003 CE: vers une décentralisation et privatisation du droit de la concurrence”, R.D.C. 2003, pp. 286 et s.; E. Paulis et C. Gauer, “La réforme des règles d'application des articles 81 et 82 du Traité”, J.T. dr. eur. 2003, pp. 65 et s.; J.-F. Bellis, “Les défis de la modernisation du droit européen de la concurrence”, J.T. dr. eur. 2003, pp. 73 et s.).
[22] H. Viaene, “De prejudiciële vraag…”, o.c., note 17, n° 2.
[23] Pour une première analyse détaillée et critique de l'application en l'espèce du droit communautaire de la concurrence, voy. H. Viaene, ibid., nos 28 à 36.
[24] Pasin. 1991, p. 3.672.
[25] À ce sujet, voy. notamment, G. Zonnekeyn, “De prejudiciële procedure en de WBEM - een overbodige luxe?” (commentaire sous Bruxelles 29 octobre 2002), Annuaire pratique du commerce et de la concurrence 2002, pp. 957 et s., spéc. pp. 960 à 962; P. De Vroede, “L'interprétation de l'art. 42 § 1 de la loi du 5 août 1991 sur la protection de la concurrence économique”, observations sous Bruxelles 9 mars 1995, Liège 13 avril 1995 et Bruxelles 14 septembre 1995, Ing.-Cons. 1995, pp. 394 et s.; A.-M. Van den Bossche, “Curia non novit ius… De prejudiciële vraagstelling aan het hof van beroep te Brussel ex artikel 42 WBEM”, commentaire sous Bruxelles 14 septembre 1995, Annuaire pratique du commerce & concurrence 1995, pp. 601 et s., spéc. pp. 611 à 619, n° 12 à 22.
[26] Bruxelles 28 juin 1996, Annuaire pratique du commerce et de la concurrence 1996, p. 718; Bruxelles 14 septembre 1995, J.L.M.B. 1996, p. 216, et les observations de D. Ryelandt, “La question préjudicielle organisée par la loi sur la protection de la concurrence économique”, pp. 222 et s.; Bruxelles 28 juin 1995, Annuaire pratique du commerce & concurrence 1995, p. 576. Dans le même sens, voy. M. Waelbroeck et J. Bouckaert, “La loi sur la protection de la concurrence économique”, J.T. 1992, pp. 281 et s., spéc. pp. 296 et 297, n° 86.
[27] La disposition n'était cependant pas exempte d'ambiguïté, puisque son alinéa 3 autorisait la cour à demander une instruction au Service de la Concurrence, ce qui impliquait nécessairement une instruction des faits de la cause (G. Zonnekeyn, “De prejudiciële procedure…”, o.c., note 25, p. 960; P. De Vroede, “L'interprétation de l'art. 42 § 1…”, o.c., note 25, p. 397). Par conséquent, de nombreux auteurs défendaient une analyse plus nuancée de la question (voy. notamment: D. Vandermeersch, De mededingingswet. Een praktisch commentaar bij de wet van 5 augustus 1991 tot bescherming van de economische mededinging, Deurne, Kluwer, 1994, pp. 235 et 236, n° 20-02; D. Dessard et B. Francq, “Application par les juridictions ordinaires”, in X., Bescherming van de economische mededinging. Protection de la concurrence économique, Bruges, la Charte, 1993, pp. 143 et s., spéc. pp. 154 et 155, n° 16; H. De Bauw, “Onrechtmatige mededinging en vrije concurrentie. Over de wisselwerking tussen de Wet Handelspraktijken en de Wet Economische mededinging”, R.D.C. 1992, pp. 682 et s., spéc. pp. 698 et 699, nos 50 à 54; J. Steenlant, “De nieuwe wet tot bescherming van de economische mededinging”, T.P.R. 1992, pp. 337 et s., spéc. p. 385).
[28] Art. 6 de la loi du 26 avril 1999 modifiant certains art. de la loi du 5 août 1991 sur la protection de la concurrence économique (Mon.b. 27 avril 1999, p. 14.118); art. 36 de la loi du 26 avril 1999 modifiant la loi du 5 août 1991 sur la protection de la concurrence économique (Mon.b. 27 avril 1999, p. 14.121).
[29] Pour autant que les éléments de fait soient suffisamment décrits par le juge de renvoi (Bruxelles 11 janvier 2002, Annuaire pratique du commerce & concurrence 2002, p. 833).
[30] Dans le même sens, H. Viaene, “De prejudiciële vraag…”, o.c., note 17, n° 7; C. Schurmans, “Le rôle du juge…”, o.c., note 20, p. 107, n° 22.
[31] Pour une analyse détaillée de ces objections, voy. H. Viaene, “De prejudiciële vraag…”, ibid., nos 8 à 13.
[32] Dans le même sens, voy. Bruxelles (9ème chambrebis) 10 novembre 2005, Wallonie Expo et Febiac/UPTR, R.G. 2004/MR/8, inédit; Bruxelles (9ème chambrebis) 3 novembre 2005, Sabam/Productions & Marketing, R.G. 2004/MR/7, inédit.
[33] Ou à tout le moins, ses aspects de droit de la concurrence.
[34] Art. 660 C. jud. À ce sujet, voy. notamment: A. Fry, “Actualités en matière de compétence”, in X., Actualités en droit judiciaire, CUP, vol. 83, Bruxelles, Larcier, 2005, pp. 7 et s.
[35] Art. 565 et 566 C. jud.
[36] Pand. b., v° Questions préjudicielles (en général), Bruxelles, Larcier, 1905, col. 911 et s., spéc. col. 913, n° 8.
[37] Question que la cour d'appel de Bruxelles peut reformuler, en vertu de l'art. 42bis § 4 al. 2 LPCE. À ce sujet, voy. infra, note 429.
[38] J. Steenlant, A. Vanderelst et F. Wijckmans, “De gewijzigde wet op de mededinging: een tweede kans?”, T.P.R. 2001, pp. 703 et s., spéc. pp. 797 et 798, n° 135. En effet, il résulte de la notion même de question préjudicielle, que celle-ci ne porte que sur un point de droit ou de fait, incident par rapport à la demande principale, et au jugement duquel se limite la compétence de la juridiction saisie à titre préjudiciel (C. Dauby, “Qu'en est-il des questions préjudicielles en procédure pénale fiscale? En particulier dans le cadre de l'art. 462 C.I.R. 1992”, Act. dr. 1998, pp. 93 et s., spéc. pp. 99 et 100).
[39] Conformément à l'art. 1138, 2°, C. jud., il n'appartient pas davantage à la cour d'appel de Bruxelles de statuer sur une demande non introduite par les parties (Bruxelles 8 septembre 1999, Annuaire pratique du commerce & concurrence 1999, p. 877). À ce sujet, voy. notamment, Cass. 19 juin 1998, Bull. Cass. n° 326; J. Linsmeau et X. Taton, “Le principe dispositif et l'activisme du juge”, in X., Finalité et légitimité du droit judiciaire. Het gerechtelijk recht waarom en waarheen?, Bruges, la Charte, 2005, spéc. p. 116, n° 28.
[40] C. Schurmans, “Le rôle du juge…”, o.c., note 20, p. 110, n° 25.
[41] Néanmoins, en reformulant les questions préjudicielles, le deuxième arrêt commenté y répond, fut-ce de manière implicite. Voy. nos développements infra, n° 22.
[42] D. Szafran, “La loi sur la protection de la concurrence économique. Réforme de 1999”, J.T. 2000, pp. 474 et s., spéc. p. 481.
[43] J. Steenlant, A. Vanderelst et F. Wijckmans, “De gewijzigde wet…”, o.c., note 38, p. 791, n° 131.
[44] En effet, la doctrine déduit de l'art. 26 § 2 al. 1er et 2, 2° de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage, dont le texte est similaire à celui de l'art. 42bis § 1er et 2 al. 2, 1° LPCE, que lorsqu'elles sont saisies d'une question de droit ayant déjà fait l'objet d'un arrêt de la Cour d'arbitrage, toutes les juridictions doivent soit se ranger à la position de la Cour, soit lui poser une nouvelle question préjudicielle (P. Vandernoot, “Le mécanisme préjudiciel devant la Cour d'arbitrage: forces et faiblesses”, Rev. dr. U.L.B. 2002, vol. 1, pp. 1 et s., spéc. p. 98, n° 49, et les nombreuses références citées). À notre estime, cette analyse ne s'applique pas aux arrêts que la cour d'appel de Bruxelles prononce à titre préjudiciel, car ils ne se limitent pas à des questions de droit. Ces arrêts pourraient, au mieux, avoir valeur de précédent lorsque le nouveau litige dépend, lui aussi, de la licéité d'un fait de pratique qui a déjà fait l'objet d'une décision de la cour d'appel de Bruxelles (C. Schurmans, “Le rôle du juge…”, o.c., note 20, pp. 110 et 111, nos 26 et 27).
[45] Art. 42bis § 5 LPCE. Voy. également le chapitre 6 sur la suite de la procédure après un arrêt prononcé sur question préjudicielle.
[46] J. Steenlant, A. Vanderelst et F. Wijckmans, o.c., note 38, p. 792, n° 131.
[47] Il convient également de remarquer que l'exception visée à l'al. 2, 3° (“lorsque la pratique de concurrence est manifestement licite au regard de la présente loi”), ne permet pas au juge saisi de se soustraire au renvoi préjudiciel s'il estime, au contraire, que la pratique de concurrence est manifestement illicite (H. Viaene, “De prejudiciële vraag…”, o.c., note 17, n° 4).
[48] Le renvoi préjudiciel s'impose également en cas d'action en responsabilité extra-contractuelle ou d'action en cessation pour refus de vente (Bruxelles 10 novembre 2005, précité, note 32 J. Steenlant, A. Vanderelst et F. Wijckmans, “De gewijzigde wet…”, o.c., note 38, p. 790, n° 131). Voy. également l'arrêt de la Cour de cassation du 7 janvier 2000, qui a considéré qu'un refus de vente n'est pas déloyal lorsque ce refus est autorisé au regard des règles de concurrence et qu'il ne constitue pas un abus de droit (Cass. 7 janvier 2000). Dans sa note sous cet arrêt, J. Stuyck en conclut, à juste titre, que pour les griefs relevant du droit de la concurrence, une application complémentaire de la norme des usages honnêtes en matière commerciale en sus des règles de concurrence, doit être écartée (J. Stuyck, “L'effet réflexe du droit de la concurrence sur les normes de loyauté de la loi sur les pratiques du commerce”, note sous Cass. 7 janvier 2000, R.C.J.B. 2001, pp. 256 et s., spéc. pp. 266 et 267, n° 27).
[49] H. Viaene, “De prejudiciële vraag…”, o.c., note 17, n° 14.
[50] Doc. parl. Chambre 2005-06, n° 2180/1, pp. 168 et s. L'adoption de ce projet de loi par le Parlement serait attendue dans le courant de l'année 2006 (H. Viaene, “De prejudiciële vraag…”, o.c., note 17, n° 21). Pour un premier commentaire de ce projet, voy. P. Nihoul, “Le projet de loi belge sur la protection de la concurrence économique. Les relations avec le règlement CE 1/2003”, R.C.B. 2006, n° 1, p. 4 et s.
[51] Cette compétence a été considérée comme revenant par nature à la Cour de cassation, dans la mesure où elle n'impliquait plus un jugement sur les faits, mais tendait uniquement à dire le droit applicable (Exposé des motifs, Doc. parl. Chambre 2005-06, n° 2180/1, pp. 4 et s., spéc. p. 31). Dans son avis, la Commission de la concurrence considère ce choix comme “une amélioration substantielle” du contentieux préjudiciel (Avis de la Commission de la concurrence du 4 juillet 2005, Doc. parl. Chambre 2005-06, n° 2180/1, pp. 234 et s., spéc. p. 236). Par contre, le Conseil de la concurrence considère la Cour de cassation comme “un forum inhabituel pour traiter la question préjudicielle visée” (Avis du Conseil de la concurrence du 29 juin 2005, Doc. parl. Chambre 2005-06, n° 2180/1, pp. 275 et s., spéc. p. 275, n° 3).
[52] L'exposé des motifs justifie ce choix par l'“effet pervers [qu'avait le contentieux préjudiciel en droit et en fait devant la cour d'appel de Bruxelles] de priver dans les faits les justiciables d'un double degré de juridiction puisqu'en effet, cette architecture amenait la cour d'appel à se prononcer sur recours, sur des questions déjà résolues par elle, à titre préjudiciel, dans le cadre d'un litige ayant été vidé devant une juridiction de première instance” (Exposé des motifs, ibid., pp. 31 et 32; voy. également l'avis du Conseil d'État, n° 38.502/1 du 5 juillet 2005, Doc. parl. Chambre 2005-06, n° 2180/1, pp. 161 et s., spéc. p. 163).
[53] Bruxelles 11 janvier 2002, précité, note 29 Bruxelles 28 juin 1995, précité, note 26.
[54] P. De Vroede, De Wet tot Bescherming van de Economische Mededinging, Gand, Mys & Breesch, 1997, pp. 336 à 338, nos 453 à 455; A.M. Van Den Bossche, “Curia non novit ius…”, o.c., note 358, pp. 622 et 623, n° 26. Contra, G. Zonnekeyn, “De prejudiciële procedure…”, o.c., note 25, pp. 971 et 972, qui considère que cette critique serait elle-même à l'origine de plusieurs problèmes de procédure.
[55] En vertu de l'art. 249 al. 2 du traité CE, “le règlement a une portée générale. Il est obligatoire dans tous ses éléments et il est directement applicable dans tout État membre”.
[56] H. Viaene préfère fonder cette solution sur l'art. 3 du règlement 1/2003, qui dispose que l'application du droit national de la concurrence ne peut pas entraîner l'interdiction d'accords qui n'ont pas pour effet de restreindre la concurrence au sens de l'art. 81 § 1er du traité CE. L'auteur en déduit que lors de son analyse de la validité d'une convention au regard des LPCE, la cour d'appel de Bruxelles doit tenir compte de l'interprétation qui est donnée à l'art. 81 traité CE (H. Viaene, “De prejudiciële vraag…”, o.c., note 17, n° 3). Nous ne partageons pas cette interprétation restrictive de la compétence de la cour d'appel de Bruxelles de statuer, à titre préjudiciel, sur l'application des art. 81 et 82 du traité CE. D'ailleurs, cette interprétation ne correspond pas au raisonnement que les cours d'appel de Liège et de Bruxelles ont tenu dans l'espèce commentée. En effet, par aucune de leurs considérations, les arrêts commentés n'analysent la validité des accords litigieux au regard de l'art. 2 LPCE, qui n'est d'ailleurs jamais cité, pour ensuite valider leur solution au regard de l'art. 81 du traité CE. Au contraire, sur la base de l'enseignement de C. Schurmans (C. Schurmans, “Le rôle du juge…”, o.c., note 20, pp. 106 à 109, nos 22 et 23), le premier arrêt commenté a demandé à la cour d'appel de Bruxelles de se prononcer directement sur l'application de l'art. 81 du traité CE, ce que celle-ci a fait dans le deuxième arrêt commenté.
[57] Voy. C.J.C.E. 30 septembre 2003, C-224/01, Köbler/Autriche, Rec., I, p. 10.239, point 50.
[58] Dans ses motifs, le premier arrêt commenté consacre également l'obligation du juge du fond de poser une question préjudicielle à la cour d'appel de Bruxelles, lorsque la solution d'un litige dépend de la licéité d'une pratique au regard des art. 81 et 82 du traité CE.
[59] H. Nyssens, “Le règlement 1/2003 CE…”, o.c., note 21, p. 288, n° 29. L'auteur s'inquiète, en particulier, de l'obstacle qu'un tel renvoi préjudiciel obligatoire constituerait à l'égard de la possibilité de poser directement une question préjudicielle à la Cour de justice. Sur cette question, voy. infra, nos 28 et 29.
[60] C.J.C.E. 10 juillet 1997, C-261/95, Rosalba Palmisani/Istituto nazionale della providenza sociale, Rec., I, p. 4.025, point 27.
[61] Liège 13 avril 1995, Rev. prat. soc. 1996, n° 6.702, p. 326, et les observations de S. Maquet et A-P. André-Dumont, pp. 332 et s.; D. Szafran, “La loi…”, o.c., note 42, p. 481. Dans ses motifs à l'appui de sa décision de poser deux questions préjudicielles, le premier arrêt commenté a également rappelé que telle était la ratio legis du contentieux préjudiciel devant la cour d'appel de Bruxelles.
[62] À tout le moins, il ne leur est pas moins favorable.
[63] Cette option est également ouverte au juge saisi, sauf accord procédural des parties pour exclure toute question préjudicielle (voy. infra, note 118).
[64] Contra, C. Schurmans, “Le rôle du juge…”, o.c., note 20, p. 108, n° 22, qui considère que le renvoi préjudiciel à la cour d'appel de Bruxelles est, en toute hypothèse, favorable aux justiciables.
[65] Certes, cette analyse aboutit à un système un peu étrange en cas d'affectation du commerce entre États membres. En effet, les parties peuvent écarter l'obligation de poser une question préjudicielle à la cour d'appel de Bruxelles en invoquant exclusivement les art. 81 et 82 du traité CE. Par contre, une telle question est obligatoire si les parties se fondent sur les art. 2 et 3 LPCE, quand bien même les art. 81 et 82 du traité CE trouveront néanmoins à s'appliquer, sur pied de l'art. 3 du règlement 1/2003. Pour un cas d'application de cette deuxième hypothèse, voy. Bruxelles 10 novembre 2005, précité, note 32.
[66] En effet, les art. 73 et 74 § 1er al. 1er limitent les questions préjudicielles à celles “relatives à l'interprétation de la présente loi”. Par contre, l'art. 74 § 2 dispose qu'en cas d'application des art. 81 et 82 du traité CE, le greffier près la Cour de cassation porterait la question préjudicielle à la connaissance de la Commission européenne, et l'inviterait à formuler ses observations écrites dans le mois de cette notification (Projet de loi, o.c., note 50, pp. 216 et 217). À cet égard, voy. les réserves du Conseil de la concurrence et de H. Viaene (avis du Conseil de la concurrence, o.c., note 51, p. 276, n° 5; H. Viaene, “De prejudiciële vraag…”, o.c., note 17, n° 23).
[67] Ou de son art. 3, dans la thèse de H. Viaene (voy. supra, note 56).
[68] Exposé des motifso.c., note 51, p. 67; avis du Conseil d'État, o.c., note 52, p. 161.
[69] Ancien art. 42 § 1er al. 1er de la loi du 5 août 1991.
[70] Sur la notion d'“observations écrites” et les interrogations qu'elle suscite, voy. X. Taton, “Les nouvelles procédures contentieuses en matière d'offres publiques d'acquisition”, R.D.J.P., 2003, pp. 319 et s., spéc. p. 332, n° 32.
[71] Art. 42bis § 3 LPCE. Ce délai n'est cependant assorti d'aucune sanction. Par conséquent, les observations déposées après son expiration ne peuvent pas être écartées des débats, sauf application des art. 747 § 2, 748 § 2, 750 § 2 ou 751 C. jud.
[72] Aucun délai ne leur est imposé à cet égard.
[73] Art. 42bis § 4 al. 1er LPCE. Sur les difficultés pratiques pour le Conseil de la concurrence de déposer des observations sans disposer d'une copie du dossier, voy. G. Zonnekeyn, “De prejudiciële procedure…”, o.c., note 25, pp. 973 et 974.
[74] Art. 23 § 1er, f LPCE. Contra, H. Swennen, “De wijzigingen van de Wet tot bescherming van de economische mededinging”, R.D.C. 1999, pp. 372 et s., spéc. p. 379, n° 18. Sur l'absence d'une telle demande dans l'espèce commentée, voy. infra, n° 18.
[75] Par contre, une telle instruction ne peut pas être demandée par la Cour dans le cadre des recours dirigés contre les décisions du Conseil de la concurrence (J. Steenlant, A. Vanderelst et F. Wijckmans, “De gewijzigde wet…”, o.c., note 38, p. 740, n° 56).
[76] Art. 42bis § 4 al. 2 LPCE. L'affaire doit donc être instruite dans les formes du référé, l'urgence étant légalement présumée (C. Dalcq, “Les actions 'comme en référé'”, in X., Le référé judiciaire, Bruxelles, Éd. du Jeune Barreau, 2003, pp. 145 et s., spéc. pp. 183 et 184).
[77] En tant que droit commun de la procédure (art. 2 C. jud.).
[78] J. Englebert, “Du droit de plaider et de l'obligation de se taire”, Cah. dr. jud. 1993, pp. 105 et s., spéc. p. 110, n° 41. Voy. également, Cass. 6 septembre 1999, Bull. Cass., n° 436; Cass. 16 mars 1982, Pas., I, 835. La cour d'appel de Bruxelles avait déjà consacré ce principe dans le cadre du contentieux préjudiciel (Bruxelles 9 mars 1995, Ing.-Cons. 1995, p. 376, et les observations précitées de P. De Vroede, note 25; Bruxelles 23 juin 1994, J.T. 1995, p. 8).
[79] Comme cela résulte du deuxième arrêt commenté (n° 6), la cour d'appel de Bruxelles a bien respecté ce principe, puisque l'Exploitant, défendeur originaire, a pu déposer ses observations un mois après le dépôt de celles du Brasseur, demandeur originaire.
[80] E. Paulis et C. Gauer, “La réforme…”, o.c., note 21, pp. 72 et 73, nos 79 à 81; H. Nyssens, “Le règlement 1/2003 CE…”, o.c., note 21, p. 291.
[81] P. Henry, “De la contradiction des avis du ministère public”, observations sous C.E.D.H. 20 février 1996, J.L.M.B. 1996, pp. 911 et s., spéc. p. 911. Voy. également les art. 764 à 768 C. jud.
[82] C.E.D.H. 20 février 1996, J.L.M.B. 1996, p. 904, et les observations précitées de P. Henry; C. Schurmans, “Le rôle du juge…”, o.c., note 20, p. 98, n° 10. Voy. également les art. 766, 767 et 1107 C. jud. Le deuxième arrêt commenté devrait ainsi rassurer les auteurs qui craignent que les avis ne soient demandés à la Commission européenne sans que les parties ne soient entendues au préalable ou a posteriori (voy. D. Waelbroeck, “Le régime des pratiques restrictives…”, o.c., note 21, pp. 29 et 30).
[83] Cass. 20 septembre 2004, R.G. S.04.0009.N, http://www.cass.be .
[84] En effet, les mesures d'instruction peuvent être ordonnées d'office par le juge (M. Storme, “L'activisme du juge dans le domaine de la procédure. Une étude comparative”, in X., Le rôle respectif du juge et des parties dans le procès civil. De respectievelijk rol van rechter en partijen in het burgerlijk geding, Bruxelles, Bruylant, 1999, pp. 1 et s., spéc. pp. 22 et 23). Voy. cependant l'arrêt de la Cour de cassation du 2 juin 2005, aux termes duquel “tant le défendeur que la demanderesse ont, en conclusions, demandé aux juges d'appel de trancher le litige sur la seule base de l'article 319bis du Code des impôts sur les revenus 1992 et ont exclu l'application de l'article 877 [du Code judiciaire]; (…) que les parties ayant expressément entendu limiter le débat à ce point de droit, les juges d'appel ne pouvaient, sans méconnaître le principe dispositif, décider de faire application de l'article 877 du Code judiciaire (Cass. 2 juin 2005, R.G. C.04.0099.F, http://www.cass.be .) Cet arrêt ne nous semble cependant pas remettre en cause le pouvoir du juge d'ordonner d'office des mesures d'instruction, à tout le moins en l'absence d'accord procédural des parties - comme c'était le cas dans l'espèce commentée.
[85] Art. 23 § 1er, f LPCE.
[86] Art. 871 C. jud.
[87] Dans le même sens, voy. H. Viaene, “De prejudiciële vraag…”, o.c., note 17, n° 36.
[88] Exposé des motifso.c., note 51, p. 68.
[89] Lorsque la question préjudicielle est posée par le Conseil de la concurrence. À ce sujet, voy. Exposé des motifsibid.
[90] Mal qualifiée, cette sanction nous semble devoir être comprise comme un écartement des observations déposées hors délai. En effet, il serait absurde de frapper la question préjudicielle d'irrecevabilité en cas de dépôt tardif d'observations par l'une des parties ou l'un des “amici curiae” auxquels un avis non contraignant est demandé. D'ailleurs, il serait nécessaire de préciser si une telle “irrecevabilité” des observations peut ou non être prononcée d'office par la Cour de cassation.
[91] C.E.D.H. 18 mars 1997, J.T. 1997, p. 495 . Ce principe prime donc les dispositions contraires de droit interne (Cass. 27 mai 1971, Pas., I, 888 et les conclusions conformes de W. Ganshof van der Meersch).
[92] L'absence de réponse écrite cause, en soi, un grief aux parties, dans la mesure où le juge n'est tenu de répondre qu'aux conclusions des parties régulièrement déposées, c'est-à-dire aux écrits qu'une partie ou son conseil adresse au juge, dans lesquels des moyens sont invoqués à l'appui d'une demande, d'une défense ou d'une exception, et qui ne sont pas écartés des débats (voy. notamment, Cass. 30 septembre 1975, Pas. 1976, I, 128; J. Linsmeau, “La responsabilité de l'avocat dans la mise en oeuvre du droit judiciaire”, in X., La responsabilité des avocats, Bruxelles, Éd. du Jeune Barreau, 1992, pp. 119 et s., spéc. p. 142, n° 43; B. Maes, De motiveringsverplichting van de rechter, Anvers, Kluwer, 1990, p. 45, n° 35).
[93] En cas d'écartement de l'application du futur art. 74 § 2 al. 2 et § 3 al. 2, il y aurait encore lieu de déterminer si la mise en état de la cause serait régie, mutatis mutandis, par les dispositions relatives à la procédure en cassation (art. 1085 à 1117 C. jud.) ou par le droit commun de la mise en état (art. 735 à 792 C. jud.). Il serait, dès lors, opportun de suivre la suggestion du Conseil d'État de prévoir des dispositions (respectueuses du principe du contradictoire) réglant la procédure à suivre devant la Cour de cassation (avis du Conseil d'État, o.c., note 52, p. 164).
[94] Avis du Conseil d'État, ibid., p. 163.
[95] Expression lapidaire qui insiste, certes, sur l'exigence de célérité dans le jugement de la question préjudicielle, mais qui ne résout pas la question des règles applicables à la mise en état des causes.
[96] L'art. 42bis § 4 al. 2 LPCE permet expressément à la cour d'appel de Bruxelles de reformuler les questions préjudicielles qui lui sont posées. Dans la doctrine, ce pouvoir de reformulation a, d'ailleurs, été invoqué comme argument en faveur du pouvoir de la cour d'appliquer in concreto l'interprétation des LPCE aux faits de la cause (G. Zonnekeyn, “De prejudiciële procedure…”, o.c., note 25, p. 961).
[97] Comme la Cour de justice l'a déjà décidé dans son arrêt du 12 décembre 1967, “les conventions par lesquelles une entreprise s'engage à ne se fournir que dans une entreprise à l'exclusion de toute autre ne réunissent pas, par leur seule nature, les éléments constitutifs de l'incompatibilité avec le Marché Commun, prévus à l'article [81] paragraphe 1 du traité” (C.J.C.E. 12 décembre 1967, aff. 23/67, SA Brasserie de Haecht/Consorts Wilkin-Janssen, Rec., p. 525).
[98] C.J.C.E. 7 décembre 2000, C-214/99, Neste Markkinointi Oy/Yötuuli Ky et autres, Rec., I, p. 11.121, point 25; C.J.C.E. 28 mai 1998, C-7/95, John Deere Ltd/Commission, Rec., 1998, I, p. 3.111, point 75).
[99] M. Chagny, Droit de la concurrence et droit commun des obligations, Paris, Dalloz, 2004, pp. 398 à 400, nos 398 à 400.
[100] En l'espèce, la question litigieuse était donc de savoir si l'Exploitant pouvait se prévaloir de la violation éventuelle par les accords de 1993 du droit communautaire de la concurrence, qui est d'ordre public, pour opposer l'adage “Nemo auditur propriam turpitudinem allegans” à l'action en exécution forcée intentée par le Brasseur.
[101] Soit le 22 juillet 1999. Nous ne partageons pas l'analyse de H. Viaene, selon laquelle la cour aurait pu se limiter à apprécier la validité des accords litigieux au 20 octobre 2000, date de la dénonciation du crédit bancaire par le Brasseur (H. Viaene, “De prejudiciële vraag…”, o.c., note 17, n° 27). En effet, comme le constate le deuxième arrêt commenté (n° 16), l'obligation d'achat exclusif n'a été respectée que jusqu'au 22 juillet 1999, date de la faillite de la Société Exploitante.
[102] Soit le 7 décembre 2000.
[103] C.J.C.E. 20 septembre 2001, C-453/99, Courage Ltd/Bernard Crehan, Rec., I, p. 6.297, point 24. Toutefois, par cet arrêt, la Cour de justice précise que sous réserve des principes d'équivalence et d'effectivité, il appartient au droit national de chaque État membre de régler les modalités procédurales des recours, lequel droit national peut refuser au cocontractant le droit d'obtenir des dommages-intérêts lorsqu'il a une responsabilité significative dans la distorsion de la concurrence (points 29 et 31). Au regard du droit belge, il peut être déduit de cet arrêt que l'adage “In pari causa turpitudinis cessat repetitio” et son application facultative par le juge du fond ne portent pas atteinte à la primauté du droit communautaire. Sur ce principe, voy. infra, note 121.
[104] En réalité, par ces considérations, l'arrêt répond à la deuxième question préjudicielle qui était posée par l'arrêt de la cour d'appel de Liège au sujet des effets d'une éventuelle nullité visée à l'art. 81 § 2 du traité CE, sur les deux contrats du 24 juin 1993 et du 3 juin 1997. À titre préjudiciel, la cour d'appel de Bruxelles y répond que cette nullité ne s'oppose pas à une demande d'exécution forcée des contrats, si l'effet anticoncurrentiel n'existe qu'à un moment où les contrats sont volontairement exécutés par les parties et a disparu au moment de leur exécution forcée.
[105] Dont la doctrine n'a pas manqué de regretter le caractère étonnamment peu fourni (F. Hubeau, “La nullité, au sens de l'article 85 paragraphe 2 du traité CEE, des accords et décisions incompatibles avec le marché commun”, Ann. dr. Liège 1982, pp. 201 et s., spéc. p. 219).
[106] T.P.I.C.E. 27 octobre 1994, T-34/92, Fiatagri UK Ltd et New Holland Ford Ltd/Commission, Rec., II, p. 905, point 39. Comme l'a rappelé la Cour de justice, “l'article [81] constitue une disposition fondamentale indispensable pour l'accomplissement des missions conférées à la Communauté et, en particulier, pour le fonctionnement du marché intérieur” (C.J.C.E. 20 septembre 2001, aff. C-453/99, précité, note 103, point 20; voy. également C.J.C.E. 1er juin 1999, C-126/97, Eco Swiss China Time Ltd/Benetton International NV, Rec., I, p. 3.055, point 36).
[107] C.J.C.E. 20 septembre 2001, aff. C-453/99, précité, note 103, points 22 et 24.
[108] Cette nullité de plein droit ne signifie pas pour autant que l'intervention du juge ne serait pas nécessaire, mais doit plutôt être interprétée en ce sens qu'après avoir constaté qu'un accord viole le traité, le juge ne dispose d'aucun pouvoir d'appréciation au niveau de la sanction (F. Hubeau, “La nullité …”, o.c., note 105, p. 207). La nullité s'impose au juge dès que ses conditions d'application sont réunies (C.J.C.E. 20 septembre 2001, aff. C-453/99, précité, note 103, point 22; C.J.C.E. 9 juillet 1969, aff. 10/69, SA Portelange/SA Smith Corona Marchant International e.a., Rec., p. 309, point 10).
[109] C.J.C.E. 25 novembre 1971, aff. 22/71, Béguelin Import Co./S.A.G.L. Import Export, Rec., p. 949, point 29.
[110] C.J.C.E. 6 février 1973, aff. 48/72, S.A. Brasserie de Haecht/Wilkin-Janssen, Rec., p. 77, point 26.
[111] M. Cienfuegos Mateo, “L'application de l'art. 85, § 2.2 du Traité C.E.E. par les juridictions nationales (avec un examen particulier du domaine des transports aériens). Conséquences dans l'ordre juridique interne”, C.D.E. 1991, pp. 317 et s., spéc. p. 323.
[112] C.J.C.E. 28 février 1991, C-234/89, Stergios Delimitis/Henninger Bräu AG, Rec., I, p. 935, point 40; C.J.C.E. 13 juillet 1966, aff. 56/64 et 58/64, Établissements Consten S.A.R.L. et Grundig-Verkaufs-GmbH/Commission, Rec., I, p. 429; C.J.C.E. 30 juin 1966, aff. 56/65, Société technique minière/Maschinenbau ULM GmbH, Rec., p. 337; T.P.I.C.E. 27 octobre 1994, T-34/92, précité, note 106, point 38.
[113] C.J.C.E. 14 décembre 1983, aff. 319/82, Société de vente de ciments et bétons de l'Est SA/Kerpen & Kerpen GmbH und co. KG, Rec., p. 4.173, point 12.
[114] En particulier, la juridiction nationale doit apprécier selon le droit national applicable les conséquences de la nullité sur les commandes éventuelles passées et les livraisons effectuées sur la base de l'accord, et les obligations de paiement qui en découlent (C.J.C.E. 14 décembre 1983, aff. 319/82, ibid., points 11 et 12), et sur l'obligation éventuelle des parties contractantes d'adapter le contenu de leur contrat afin de le faire échapper à la nullité (C.J.C.E. 18 décembre 1986, VAG France SA/Établissements Magne SA, aff. 10/86, Rec., p. 4.071, points 14 et 15).
[115] En tant que législation assurant la police de l'économie (J. Steenlant, A. Vanderelst et F. Wijckmans, “De gewijzigde wet…”, o.c., note 38, p. 794, n° 132; S. Maquet et A.-P. André-Dumont, observations sous Liège 14 avril 1995, Rev. prat. soc. 1996, n° 6.702, pp. 332 et s., spéc. p. 341, n° 7).
[116] Quand bien même une seule des parties aurait contracté à des fins anticoncurrentielles et que ces fins soient restées inconnues du cocontractant. En effet, conformément à la jurisprudence actuelle de la Cour de cassation en matière de fraude fiscale, “une convention qui a pour but d'organiser une fraude envers des tiers (…) dont les droits sont protégés par une législation d'ordre public, a une cause illicite et est frappée de nullité absolue; que s'agissant de l'intérêt général, il suffit que l'une des parties ait contracté à des fins illicites et qu'il n'est pas nécessaire que ces fins soient connues du co-contractant” (Cass. 7 octobre 2004, R.G. C.03.0144.F, http://www.cass.be; Cass. 12 octobre 2000, R.W. 2002-03, p. 416, et la note de A. Van Oevelen, “Is voor de nietigheid van een overeenkomst wegens een ongeoorloofde oorzaak vereist dat deze gemeen is aan beide partijen?”, pp. 417 et s.). Nous n'apercevons pas de raison de ne pas transposer l'enseignement de cet arrêt à d'autres législations d'ordre public que la loi fiscale.
[117] H. De Page, Traité élémentaire de droit civil belge, t. 1er, 3ème éd., Bruxelles, Bruylant, 1962, p. 146, n° 97. Les parties ne peuvent pas davantage exclure son application par le biais d'un accord procédural (J.-F. van Drooghenbroeck, “Le juge, les parties, le fait et le droit”, in X., Actualités en droit judiciaire, CUP, vol. 83, Bruxelles, Larcier, 2005, pp. 141 et s., spéc. p. 150, n° 9).
[118] Par conséquent, cette sanction peut être invoquée par toutes les personnes intéressées, en ce compris les parties contractantes, et appliquée d'office par le juge. À cet égard, il convient toutefois de préciser que, contrairement à ce que soutient la doctrine civiliste (voy. P. Van Ommeslaghe, “Examen de jurisprudence. Les obligations (1974 à 1982)”, R.C.J.B. 1986, pp. 33 et s., spéc. p. 100, n° 38; dans le même sens, voy. E. Krings, “L'office du juge dans la direction du procès”, discours prononcé à la séance de rentrée de la Cour de cassation du 1er septembre 1983, J.T. 1983, pp. 513 et s., spéc. p. 520, n° 36), ce pouvoir d'application d'office par le juge n'est pas limité aux dispositions d'ordre public et aux nullités absolues. En effet, en l'absence d'accord procédural certain des parties, le juge doit appliquer, même d'office, la règle de droit qu'il estime s'imposer aux faits qui lui sont soumis, sans distinguer selon le caractère d'ordre public, impératif ou supplétif de la règle en cause (Cass. 14 avril 2005, J.L.M.B. 2005, p. 856 , et les observations de G. de Leval; Cass. 18 novembre 2004, J.T. 2005, p. 160 , et les observations de J.-F. van Drooghenbroeck, “La théorie de la cause en voie de dénouement”, pp. 161 et s.; Cass. 27 septembre 1963, Pas. 1964, I, 93; H. Boularbah, “La cause. Le rôle respectif du juge et des parties dans l'allégation des faits et la détermination de la norme juridique applicable à la solution du litige”, in X., Le rôle respectif du juge et des parties dans le procès civil. De respectievelijke rol van rechter en partijen in het burgerlijk geding, Bruxelles, Bruylant, 1999, pp. 91 et s., spéc. p. 100, n° 9; L. du Castillon, “Le rôle du juge par rapport aux exceptions, nullités et fins de non-recevoir”, in X., ibid., pp. 147 et s., spéc. p. 159, n° 19; F. Rigaux, La nature du contrôle de la Cour de cassation, Bruxelles, Bruylant, 1966, pp. 52 et 53, n° 35). Par conséquent, comme l'a remarquablement démontré A. Meeùs, la conception traditionnelle selon laquelle le juge ne pourrait pas soulever des nullités relatives, est inexacte en ce qu'elle ne limite pas cette solution au cas où la partie protégée a valablement renoncé à la protection légale dont elle bénéficie (A. Meeùs, “La notion de loi impérative et son incidence sur la procédure en cassation et sur l'office du juge”, note sous Cass. 17 mars 1986, R.C.J.B. 1988, pp. 498 et s., spéc. p. 525, n° 28). Sur cette question, voy. également J.-F. van Drooghenbroeck, “Le juge…”, o.c., note 117, pp. 186 et 233 à 238, nos 48, 49, 107 et 108; J. Linsmeau et X. Taton, “Le principe dispositif…”, o.c., note 39, pp. 121 à 123, nos 38 à 47. Sur la compatibilité du principe dispositif avec le droit communautaire, voy., C.J.C.E. 1er juin 1999, C-126/97, Eco Swiss China Time, Rec., p. 3055; C.J.C.E. 14 décembre 1995, C-430/93 et C-431/93, van Schijndel, Rec., p. 4705; C. Schurmans, “Le rôle du juge…”, o.c., note 20, pp. 97 et 98, n° 10; Y.S. Delicostopoulos, “L'influence du droit européen quant aux pouvoirs du juge judiciaire national sur le fait et le droit”, Justices 1997, n° 6, pp. 117 et s.
[119] Les parties peuvent invoquer cette nullité en tout état de cause, et même pour la première fois devant la Cour de cassation (P. Gérard et M. Grégoire, “Introduction à la méthode de la Cour de cassation”, Rev. dr. U.L.B. 1999, vol. 2, pp. 101 et s., spéc. pp. 151 et 152).
[120] Cass. 24 septembre 1976, Pas. 1977, I, 101.
[121] En effet, conformément à la jurisprudence de la Cour de cassation, l'adage “In pari causa turpitudinis cessat repetitio” est d'application facultative, de sorte qu'en cas de nullité absolue du contrat pour cause illicite, le juge peut refuser d'ordonner les restitutions s'il considère que l'avantage tiré de la nullité pour l'un des cocontractants compromettrait le rôle préventif de la sanction ou quand l'intérêt social exige que l'un des cocontractants soit plus sévèrement frappé (Cass. (aud. plén.) 8 décembre 1966, Pas. 1967, I, 434, et les conclusions conformes de R. Hayoit de Termicourt, R.C.J.B. 1967, p. 5, et la note de J. Dabin, “'In pari causa turpitudinis cessat repetitio': fondement, conditions et champ d'application de l'adage. 'Quid' pour les choses données en gage?”, pp. 25 et s.). En outre, il est fait exception à la rétroactivité de la nullité pour les contrats à prestations successives, dont la résolution n'opère que pour l'avenir, sous la condition que les prestations effectuées ne soient pas susceptibles d'être restituées (S. Stijns, D. Van Gerven et P. Wéry, “Chronique de jurisprudence. Les obligations: les sources (1985-1995)”, J.T. 1996, pp. 689 et s., spéc. pp. 744 et 745, nos 156 et 157).
[122] Voy. notamment Bruxelles 6 janvier 2006, R.G. 1996/A.R./3955-3957-3959-3960-3961, inédit; Bruxelles 4 mai 1998, J.T. dr. eur. 1998, p. 161 (abrégé); Bruxelles 23 novembre 1995, A.J.T. 1996-97, p. 100, et la note de L. Geelhand et P. L'Ecluse, “'Officieel' distributiesysteem en parallelle handel: een gespannen verhouding met wisselende kansen”, pp. 107 et s.; Comm. Bruxelles 28 novembre 1995, J.T. dr. eur. 1996, p. 138 (abrégé); Prés. Comm. Bruxelles 24 janvier 1995, DAOR 1995, livre 35, p. 65, et la note de J. Billiet, “De billijke schadevergoeding bij beëindiging van automobielconcessies van bepaalde duur herbekeken vanuit een Europese invalshoek”, pp. 69 et s.; Comm. Bruxelles 28 janvier 1994, J.L.M.B. 1994, p. 1262, et les observations de H. Monet, “L'application de l'article 85 du Traité CE par les juges nationaux en coopération avec la Commission”, pp. 1.265 et s.; Prés. Comm. Nivelles 4 novembre 1982, R.D.C. 1983, p. 472, et la note de A. Spiritus-Dassesse, p. 477.
[123] Ou à tout le moins, l'arrêt semble se rallier à une interprétation aujourd'hui abandonnée de l'adage “Nemo auditur”, selon laquelle cet adage interdirait à une partie à une convention illicite de se prévaloir de cette illicéité pour demander la nullité de cette convention et se soustraire ainsi à l'exécution des obligations en résultant (voy. P. Van Ommeslaghe, “Les obligations (1968 à 1973)”, R.C.J.B. 1975, pp. 423 et s., spéc. pp. 466 et 467, n° 28). En toute hypothèse, dans l'affaire précitée Courage/Créhan, la Cour de justice a expressément décidé qu'une telle interprétation serait contraire à l'effet utile du droit communautaire (C.J.C.E. 20 septembre 2001, aff. C-453/99, précité, note 103, point 26; dans le même sens, voy. H. Viaene, “De prejudiciële vraag…”, o.c., note 17, n° 26).
[124] Cass. 30 janvier 1941, Pas., I, 22; H. De Page, Traité élémentaire de droit civil belge, t. 1er, 3ème éd., Bruxelles, Bruylant, 1961, pp. 340, 341 et 343, nos 231quater et 232; P. Roubier, Le droit transitoire. Conflits des lois dans le temps, 2ème éd., Paris, Dalloz, 1993, pp. 185, 190, 191 et 367, nos 41, 42 et 76.
[125] Pour autant qu'elle soit consacrée en droit belge. En effet, dans un arrêt du 14 avril 1994, la Cour de cassation a cassé pour violation de la force obligatoire du contrat, un jugement du tribunal de première instance de Bruxelles qui avait appliqué la théorie de l'imprévision à une convention préalable à un divorce par consentement mutuel (Cass. 14 avril 1994, Pas., I, 365).
[126] Pour que la théorie de l'imprévision trouve à s'appliquer, il faut qu'un événement extraordinaire échappant à toute prévision au moment de la conclusion du contrat - telle une disposition légale postérieure -, altère si profondément l'économie du contrat, qu'il est certain que la partie lésée n'aurait pas consenti à assumer un tel alourdissement de ses obligations si elle avait pu en prévoir la cause (voy. Comm. Bruxelles 16 janvier 1979, et la note de X. Dieux, “Réflexions sur la force obligatoire des contrats et sur la théorie de l'imprévision en droit privé”, pp. 386 et s.).
[127] Bien qu'elle s'imposerait comme la sanction nécessaire et naturelle de la violation de l'ordre public économique, la nullité serait “à la fois la meilleure et la pire des sanctions réparatrices: la meilleure, car elle rétablit autant que possible le 'statu quo ante'; la pire, car une réaction aussi énergique n'est pas sans perturber la sécurité du commerce” (F. Hubeau, “La nullité…”, o.c., note 105, p. 204).
[128] M. Chagny, Droit de la concurrence…, o.c., note 99, pp. 399 et 400, nos 399 et 400.
[129] F. Hubeau, “La nullité…”, o.c., note 105, p. 210; M. Chagny, ibid., p. 401, n° 401.
[130] En quelque sorte, la nullité a été “couverte” par l'évolution du droit de la concurrence.
[131] Sur la possibilité de poser une question préjudicielle à la Cour de justice après avoir déjà interrogé la cour d'appel de Bruxelles, voy. nos développements infra, nos 28 et 29.
[132] Dans le même sens, voy. H. Viaene, “De prejudiciële vraag…”, o.c., note 17, n° 28.
[133] La compétence de la Cour de cassation trouvant son fondement dans les art. 608 à 615 C. jud., l'art. 42bis LPCE peut valablement y déroger.
[134] Art. 42bis § 5 LPCE.
[135] Art. 608 C. jud.
[136] Par le juge de renvoi et, implicitement mais certainement, par la cour d'appel de Bruxelles statuant à titre préjudiciel.
[137] Ce qui signifie, de manière implicite mais certaine, que l'arrêt de la cour d'appel de Bruxelles avait méconnu ces mêmes dispositions.
[138] Dans le même sens, voy. G. Zonnekeyn, “De prejudiciële procedure…”, o.c., note 25, pp. 965 et 966; I. Verougstraete, “Institutionele Aspecten”, in X., Bescherming van de economische mededinging. Protection de la concurrence économique, Bruges, la Charte, 1993, pp. 27 et s., spéc. pp. 40 et 41, n° 35.
[139] Voy. l'art. 74 § 4 du projet de loi (o.c., note 50, p. 217).
[140] De même, en cas de cassation d'un jugement ou d'un arrêt, et dans la mesure de celle-ci, les parties sont replacées devant le juge de renvoi dans la situation où elles se trouvaient devant le juge dont la décision est cassée (Cass. 10 avril 1981, J.T. 1982, p. 279; Cass. 17 mars 1969, Pas., I, 637; E. Krings, “L'étendue de la cassation”, Act. dr. 1995, pp. 907 et s., spéc. p. 911, n° 6; A. Meeùs, “L'étendue de la cassation en matière civile”, note sous Cass. 18 mars 1983, R.C.J.B. 1986, pp. 262 et s., spéc. pp. 266 et 267, n° 9).
[141] Visé par l'art. 19 al. 1er du Code judiciaire, ce dessaisissement touche à l'ordre public (Cass. 29 mai 2000, R.G. C.96.0188.F, http://www.cass.be ). Sur la notion de question définitivement tranchée, voy. notamment, G. Closset-Marchal, “L'autorité de la chose jugée, le principe dispositif et le principe du contradictoire” (note sous Cass. 8 octobre 2001), R.C.J.B. 2002, pp. 236 et s., spéc. pp. 238 à 241, nos 4 à 10; J. Van Compernolle, “Considérations sur la nature et l'étendue de l'autorité de la chose jugée en matière civile” (note sous Cass. 10 septembre 1981), R.C.J.B. 1984, pp. 241 et s., spéc. p. 258, n° 25.
[142] La cour d'appel de Bruxelles ne serait d'ailleurs pas compétente pour statuer, dans le cadre d'une question préjudicielle, sur une telle demande de réparation, qui dépasse la question de la licéité d'une pratique restrictive de concurrence.
[143] En droit communautaire, voy. à cet égard, C.J.C.E. 15 décembre 1994, C-250/92, Gottrup-Klim e.a. Grovvareforninger/Dansk Landbrugs Grovvareselskab AmbA, Rec., I, p. 5.641, point 36. En tant qu'élément influençant l'appréciation de la licéité de la pratique de concurrence en cause, cette éventuelle disproportion aurait pu être examinée d'office par le deuxième arrêt commenté, moyennant réouverture des débats (J. Linsmeau et X. Taton, “Le principe dispositif…”, o.c., note 39, p. 128, n° 56). Cette question présentait cependant un caractère surabondant, dans la mesure où la décision de l'arrêt était déjà légalement justifiée par le motif de l'absence de contribution significative à un effet cumulatif de verrouillage du marché (sur la définition du motif surabondant, voy. B. Maes, Cassatiemiddelen naar Belgisch recht, Gand, Mys & Breesch, 1993, pp. 334 et 335, n° 392).
[144] En effet, pour autant qu'elle soit fondée sur un acte ou un fait invoqué dans la citation, la demande reconventionnelle est recevable en degré d'appel (Cass. 4 décembre 1989, Pas. 1990, I, 414; Cass. 10 avril 1978, Pas., I, 890).
[145] C.J.C.E. 27 juin 1991, C-348/89, Mecanarte - Metalúrgica da Lagoa Lda/Chefe do Serviço da Conferência Final da Alfândega do Porto, Rec., I, p. 3.277, point 44.
[146] B. van de Walle de Ghelcke, “De Belgische wet tot bescherming van de economische mededinging. Is het Europees model werkbaar op Belgische schaal?”, in X., Liber Amicorum Paul De Vroede, vol. 2, Diegem, Kluwer, 1994, pp. 1363 et s., spéc. p. 1380.
[147] Et en particulier, de ses art. 3 et 6 (voy. nos développements supra, n° 13).
[148] Dans cette affaire, la Cour de justice a considéré que lorsqu'il est saisi d'un litige concernant le droit communautaire, le juge portugais n'est pas privé de la faculté ou dispensé de l'obligation de saisir la Cour de justice d'une question préjudicielle, même s'il constate l'inconstitutionnalité d'une disposition nationale, et que cette constatation est soumise à un recours obligatoire devant la Cour constitutionnelle portugaise (C.J.C.E. 27 juin 1991, précité, note 145, points 39, 40 et 46).
[149] Cependant, la Cour de cassation considère parfois qu'il n'y a pas lieu de poser une question préjudicielle à la Cour de justice, au motif que l'application correcte du droit communautaire s'imposerait avec une telle évidence qu'elle ne laisserait place à aucun doute raisonnable sur le sens de la règle applicable (Cass. 11 juin 2004, R.G. C.02.0451.F, http://www.cass.be ). Par contre, la Cour de cassation paraît plus facilement encline à interroger la Cour de justice Benelux à titre préjudiciel (voy. Cass. 13 mai 2004, R.G. C.02.0614.N, http://www.cass.be ; Cass. 27 février 2003, R.G. C.02.0107.F, http://www.cass.be ).
[150] En effet, l'interprétation des dispositions applicables aux faits est inhérente à toute activité judiciaire (B. Frydman, “L'autorité des interprétations de la Cour”, Rev. dr. U.L.B. 2002, vol. 1, pp. 107 et s., spéc. p. 118, n° 8; contra, C. Schurmans, “Le rôle du juge…”, o.c., note 20, p. 107, n° 22).
[151] En France, le décret n° 2005-1756 du 30 décembre 2005 fixant la liste et le ressort des juridictions spécialisées en matière de concurrence, de propriété industrielle et de difficulté des entreprises, confie les litiges relatifs à l'application des règles de concurrence à une liste limitée de tribunaux de grande instance et de tribunaux de commerce, avec un appel porté exclusivement devant la cour d'appel de Paris (http://www.admi.net/jo/20051231/JUSB0510760D.html ). Au Royaume-Uni, une juridiction spécialisée, le Competition Appeal Tribunal, a été créée pour connaître notamment des contentieux en matière de concurrence et de télécommunications (voy. ses rapports annuels 2003-04 et 2004-05 sur le site http://www.catribunal.org.uk/other/Other.asp?Category=16 ).
[152] Avis du Conseil d'État, o.c., note 52, pp. 161 et 162; avis du Conseil de la concurrence, o.c., note 51, p. 275, n° 2.
[153] Au regard de l'espèce commentée, qui ne présentait aucune urgence particulière, nous pouvons également nous interroger sur l'opportunité de statuer sur la question préjudicielle “comme en référé” ou “toutes affaires cessantes”.