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DROIT DES SOCIÉTÉS – Titres et titres dématérialisés, R.D.C.-T.B.H., 2006/4, p. 477-479

DROIT DES SOCIÉTÉS

Titres et titres dématérialisés

La loi du 14 décembre 2005 portant sur la suppression des titres au porteur [1]
1. Contexte

1.Les titres [2] peuvent être subdivisés suivant la forme qu'ils adoptent [3], en titres au porteur, nominatifs [4], à ordre [5] et dématérialisés [6].

L'actuel article 460 2ème alinéa C.soc. prévoit pour la SA la possibilité d'émettre des titres nominatifs, au porteur et des titres dématérialisés. Ceci contrairement, par exemple, à la France, où la “dématérialisation” est simplement un mode de cession des titres.

Les titres au porteur se rencontrent beaucoup plus fréquemment en Belgique parce qu'ils garantissent l'anonymat [7] à leur propriétaire et qu'en principe [8] ils peuvent être facilement transférés.

L'anonymat et le caractère matériel de ces titres ont également des conséquences négatives: ils ouvrent la porte à la fraude et aux abus et plus précisément, selon le législateur, à la criminalité financière (c.-à-d. au blanchiment des capitaux) et au financement du terrorisme. L'acheteur de titres au porteur n'est pas connu et les sociétés peuvent également, malgré l'existence d'une législation qui favorise la transparence pour certaines d'entre elles, être contrôlées par des intérêts qui ne peuvent pas non plus être identifiés. Le Groupe d'action financière sur le blanchiment des capitaux (GAFI) institué auprès de l'OCDE, a notamment émis dans ce cadre des recommandations aux États membres en vue de l'adoption par ceux-ci de mesures limitant sérieusement l'utilisation des titres au porteur ou supprimant l'anonymat qui y est attaché [9]. La grande majorité des États membres a déjà approuvé des mesures en vue de prévenir les risques relatifs à l'abus des titres au porteur.

2.En outre, l'évolution dans le paysage des titres, qui est liée à une modernisation du droit en matière de titres, a son influence sur l'utilisation des titres au porteur. Les titres dématérialisés viennent de plus en plus à l'avant-plan vu les risques de perte et de vol, les exigences en matière de garde ainsi que les frais qui y sont afférents. La dématérialisation des titres sans émission de titres matériels mais par l'inscription sur un compte auprès d'un teneur de compte agréé n'entraîne pas seulement une rationalisation en matière de gestion et de frais et un renforcement de la sécurité, mais également un mécanisme de transfert plus efficient.

La loi du 14 décembre 2005 portant suppression des titres au porteur vise par conséquent la suppression des titres au porteur, via un régime d'extinction.

2. La suppression des titres au porteur

3.Les titres qui sont visés par cette loi sont les titres de sociétés visés sous l'article 460 C.soc., les titres de dettes qui sont émis par les émetteurs de droit public belge, et une catégorie résiduelle, parmi lesquels tous les autres titres qui sont émis par un émetteur belge et qui incorporent une créance financière sur l'émetteur. Le projet exclut également un certain nombre de titres, parmi lesquels les effets de commerce (art. 2).

4.À partir du 1er janvier 2008, il est interdit d'effectuer de nouvelles émissions de titres au porteur. À partir de cette date, les émetteurs en droit belge n'ont encore pour seul choix que les titres nominatifs ou les titres dématérialisés (art. 3).

Les titres au porteur qui sont inscrits à cette date sur un compte-titre de même que les titres au porteur émis à l'étranger ou par un émetteur étranger ne peuvent plus à partir de ce moment, être restitués matériellement. Une exception est toutefois prévue pour la livraison d'un titre individuel ou collectif à une institution de liquidation ou à un dépositaire, pour en réaliser l'immobilisation (art. 4).

Certains titres au porteur, comme les titres de sociétés belges qui sont côtés sur un marché réglementé qui se trouvent déjà sur un compte, seront convertis d'office [10] en titres dématérialisés à partir de cette date. Les statuts de ces sociétés devront être adaptés pour le 31 décembre 2007 (art. 5 et 6).

5.Le 1er janvier 2008 est le point de départ de deux périodes de conversion (art. 7 et 8).

La première période applicable à tous les détenteurs de titres au porteur qui ont été émis préalablement à la publication de la loi, court jusqu'au 31 décembre 2013. La seconde période pour les détenteurs de titres au porteur émis après la publication de cette loi, s'arrête un an avant, soit le 31 décembre 2012.

Tous ces détenteurs de titres devront demander, dans le délai qui leur est applicable, la conversion de leurs titres au porteur en titres dématérialisés auprès de l'émetteur (pour la conversion en titres nominatifs) ou auprès d'un teneur de compte agréé (pour la conversion des titres dématérialisés).

6.Si la conversion n'a pas eu lieu dans les délais prévus, les titres sont convertis d'office en titres dématérialisés et les titres concernés sont inscrits en compte à l'intervention de l'émetteur. L'émetteur peut certes décider, au plus tard le jour de l'expiration du délai de conversion applicable aux titres concernés, de convertir les titres qu'il a émis au porteur en titres nominatifs (art. 9).

Aucune des deux sortes d'inscription ne confère à l'émetteur la qualité de propriétaire. Tout droit attaché à un titre au porteur qui n'a pas fait l'objet d'une conversion (comme un droit de vote attaché à l'action) est en effet suspendu jusqu'à ce que le propriétaire demande et obtienne son inscription comme propriétaire (art. 10).

Si le propriétaire reste inconnu, la loi prévoit la possibilité pour l'émetteur d'offrir les titres à la vente à partir du 1er janvier 2015, moyennant le respect d'un certain nombre de conditions (art. 11). Le produit de la vente est versé à la Caisse des Dépôts et Consignations.

Les titres qui n'ont pas été vendus au 30 novembre 2015, sont également déposés à la Caisse des Dépôts et Consignations. Le titulaire des titres qui récupère le produit de la vente de ces titres ou qui récupère ces titres auprès de la Caisse est soumis à une amende administrative.

3. Autres modifications au Code des sociétés

7.Une grande partie des modifications que la loi du 14 décembre 2005 apporte au Code des sociétés sont de simples adaptations suite à la suppression des titres au porteur. La majorité de ces modifications n'entre en vigueur que le 1er janvier 2014 c'est-à-dire au moment où il n'existera plus de titres au porteur.

L'assemblée générale de la société peut décider que le registre nominatif est tenu sous une forme électronique. Le transfert électronique avec signature digitale est possible [11]. Il n'est également plus possible de céder les titres nominatifs via la procédure simplifiée de l'article 1690 C.civ.

8.Lors de l'introduction des titres dématérialisés dans le Code des sociétés par la loi de 1995 [12], le Conseil d'État avait souligné, dans ses observations, suivi en cela par la majorité des commentateurs de cette loi [13], le manque de protection d'un tiers acquéreur de bonne foi de titres dématérialisés, suite à la fraude par le teneur de compte agréé ou de transactions erronées.

La loi déclare désormais que les articles 2279 et 2280 du C.civ. sont applicables aux titres dématérialisés (art. 21), de même qu'aux titres détenus dans le cadre de l'A.R. n° 62 (art. 33). De ce fait, le tiers acquéreur de bonne foi de titres dématérialisés/scripturalisés bénéficie d'une protection contre une action en revendication du titulaire effectif des titres.

4. Arrêté royal du 12 janvier 2006 relatif aux titres dématérialisés de sociétés

9.Onze ans après l'introduction des titres dématérialisés de sociétés dans le Code des sociétés, l'arrêté royal nécessaire pour mettre ces dispositions en vigueur, a enfin été adopté. L'A.R. du 12 janvier 2006 désigne les organismes qui sont habilités à détenir des comptes-titres et ceux qui peuvent agir comme organismes de liquidation. Ensuite, il fixe un nombre de règles pour ces organismes ayant trait entre autres à la comptabilité. Ces dispositions correspondent pour la plupart aux règles équivalentes de l'A.R. n° 62.

Les teneurs de compte sont entre autres les établissements de crédit et les sociétés de bourse de droit belge, les organismes de compensation et les organismes de liquidation, visés aux articles 22 et 23 de la loi du 2 août 2002, et la Banque Nationale de Belgique.

La CIK (EUROCLEAR Belgium) est désignée comme organisme de liquidation pour les titres dématérialisés de sociétés. Pour les obligations visées à l'article 485 du Code des sociétés, la Banque Nationale de Belgique fait fonction de l'organisme de liquidation.

[1] M.B. 23 décembre 2005 (la version correcte est publiée dans le M.B. 6 février 2006; Doc. parl. Chambre (51), 1974/001).
[2] La définition la plus citée des “titres” se trouve dans Van Ryn et Heenen: “[les valeurs mobilières sont] des titres négociables destinés à permettre un placement de capitaux productifs d'un revenu, émis globalement pour un montant fixé à l'avance et conférant des droits identiques dans une même série”; J. Van Ryn et J. Heenen, Principes de droit commercial, Bruxelles, Bruylant, t. III, n° 95.
[3] J. Van Ryn et J. Heenen, Principes de droit commercial, Bruxelles, Bruylant, t. III, n° 79, 95, 100-114.
[4] L. Frédéricq, Traité de droit commercial belge, t. IV, Gand, Rombaut, 1946, nos 332-333.
[5] Selon la majorité de la doctrine, son émission est possible, mais reste purement théorique. J. Cerfontaine, “Commentaar bij artikel 460”, in H. Braeckmans (éd.), Vennootschappen en verenigingen. Artikelsgewijze commentaar met rechtspraak en rechtsleer, Anvers, Kluwer, feuillet mobile, p. 10-11.
[6] Exposé des motifs, Doc. parl. Chambre (51), 1974/001, p. 11.
[7] Cet anonymat doit bien sûr être relativisé, à la lumière de la loi du 2 mars 1989 relative à la publicité des participations importantes dans les sociétés cotées en bourse […], M.B. 24 mai 1989.
[8] Sauf les limitations de cessions statutaires ou conventionnelles (art. 510 C.soc.).
[9] Exposé des motifs, Doc. parl. Chambre (51), 1974/001, p.4-5.
[10] Les frais de cette conversion ne peuvent être mis à charge du teneur de comptes.
[11] L'art. 26 ajoute un nouvel art. 504 C.soc.
[12] Loi du 7 avril 1995 modifiant les lois sur les sociétés commerciales, coordonnées le 30 novembre 1935 et modifiant l'arrêté royal n° 62 du 10 novembre 1967 favorisant la circulation de valeurs mobilières, M.B. 18 mai 1995.
[13] Voy. notamment M. Tison, “De uitgifte van gedematerialiseerde vennootschapseffecten - bemerkingen bij de wet van 7 april 1995”, in X., Het gewijzigd vennootschapsrecht 1995, Anvers, Maklu, 1996, nos 33-35; J. Tyteca, “De dematerialisatie van aandelen en obligaties”, dans X., De nieuwe vennootschapswetten van 7 en 13 april 1995, Kalmthout, Biblo, 1995, p. 80-81.