Article

Président du tribunal de commerce Charleroi, 25/07/2003, R.D.C.-T.B.H., 2006/4, p. 467-469

Président du tribunal de commerce de Charleroi 25 juillet 2003

SOCIÉTÉS
Contrôle des sociétés - Société mère-fille - Commissaire - Proposition de l'organe de direction de soumettre à l'assemblée générale la candidature du commissaire qui contrôle les comptes de la société mère - Désaccord au conseil d'entreprise - Intervention du tribunal
Le président du tribunal de commerce, siégeant comme en référé, est compétent sur base de l'article 157 C.soc. pour nommer un commissaire lorsque le commissaire présenté par l'organe de direction de la société n'obtient pas la majorité requise au conseil d'entreprise.
Dans le conflit entre l'organe de direction et les membres-travailleurs du conseil d'entreprise relatif à la désignation du commissaire, le tribunal doit trancher entre deux intérêts, qui vu la position de chaque partie, peuvent sembler tous les deux fondés: d'une part, la volonté de rationalisation, pour réaliser des économies d'échelles et pour mieux intégrer la société dans le groupe auquel elle appartient; d'autre part, l'exigence d'indépendance du contrôle externe de la société, une exigence qui est d'autant plus importante que la logique du groupe a désormais l'avantage. C'est cette dernière exigence qui doit l'emporter.
C'est donc à bon droit que les membres-travailleurs du conseil d'entreprise se sont opposés à la nomination du même commissaire que celui qui contrôle l'ensemble du groupe dont la société fait la partie. Le tribunal nomme par conséquent provisoirement un commissaire neutre jusqu'à la nomination d'un nouveau commissaire dans le respect de la loi.


VENNOOTSCHAP
Controle over vennootschappen - Moeder-dochtervennootschap - Commissaris - Voorstel van het bestuursorgaan om aan de algemene vergadering de kandidatuur van de commissaris die de rekeningen van de moedervennootschap controleert voor te dragen - Onenigheid in de ondernemingsraad - Tussenkomst van de rechtbank
De voorzitter van de rechtbank van koophandel, zitting houdend zoals in kort geding, is bevoegd op grond van artikel 157 W.Venn. om een commissaris te benoemen wanneer de door het bestuursorgaan van de vennootschap voorgestelde commissaris niet de vereiste meerderheid behaalt in de ondernemingsraad.
In de behandeling van het conflict tussen het bestuursorgaan en de leden-werknemers van de ondernemingsraad met betrekking tot de benoeming van de commissaris, moet de rechtbank twee belangen tegen elkaar afwegen, die gezien vanuit het standpunt van elke partij, beiden gegrond kunnen lijken: enerzijds, de wil om te rationaliseren, om schaalvoordelen te realiseren en om de vennootschap beter te integreren in de groep waartoe zij behoort; anderzijds, de eis van onafhankelijkheid in de externe controle van de vennootschap, een eis die des te groter is aangezien de logica van de groep voortaan de overhand gaat hebben. Dit laatste belang moet de overhand halen.
Het is dus met recht dat de leden-werknemers van de ondernemingsraad zich hebben verzet tegen de benoeming van dezelfde commissaris als degene die het geheel van de groep waarvan de vennootschap deel uitmaakt, controleert. De rechtbank benoemt bijgevolg voorlopig een neutrale commissaris totdat wordt voorzien in de benoeming van een nieuwe commissaris met inachtneming van de wet.

SA Nouvelles Verreries de Momignies / Oscar Jacquet e.a.

Siég.: J.-Ph. Lebeau (président)
Pl.: Mes C. Guyot en O. Ignace

(...)

Exposé du litige

Depuis 2001, la SA Nouvelles Verreries de Momignies fait partie du groupe international Gerresheimer Glas AG qui détient 99% du capital de la société.

La SCRL Delvaux, Fronville, Servais et Associés exerce la fonction de commissaire de la société, à travers Mr Gérard Delvaux; son mandat expire à la date de l'assemblée annuelle 2003.

Lors d'un conseil d'entreprise convoqué en application de l'article 156 du Code des sociétés, le conseil d'administration a proposé que ledit conseil soumette à l'assemblée générale la désignation en tant que commissaire de la société, la SCCRL Pricewaterhouse Coopers (PWC).

En résumé, les motivations du C.A. sont les suivantes:

- la société PWC contrôle déjà les comptes de la société mère, ce qui permettra une rationalisation, une meilleure intégration dans le processus de consolidation des comptes du groupe et une économie d'échelle;

- la société PWC est connue internationalement; ses références sont excellentes, et en particulier celles de Mr R. Rauw qui la représentera.

Les représentants des travailleurs au sein du conseil d'entreprise ont cependant refusé la proposition du C.A., en raison de la relation de confiance qu'ils entretiennent avec Mr G. Delvaux et parce qu'ils appréhendent un problème d'indépendance du commissaire proposé à l'égard du groupe Gerresheimer Glas AG.

Par procès-verbal de comparution volontaire introduit le 12 mai 2003, la société Nouvelles Verreries De Momignies ainsi que les membres travailleurs du conseil d'entreprise ont soumis au tribunal leur différend; la société demande qu'en application de l'article 157 du Code des sociétés, le tribunal désigne la SCCRL Pricewaterhouse Coopers en qualité de commissaire, représentée par Mr R. Rauw.

Les membres travailleurs du conseil d'entreprise postulent la désignation du commissaire actuellement en place.

Discussion

Le commissaire est un mandataire de la société désigné par l'assemblée générale sur proposition du conseil d'administration (art. 130 du Code des sociétés).

Lorsque la société est pourvue d'un conseil d'entreprise, le conseil d'administration doit d'abord obtenir l'accord de celui-ci sur le nom du commissaire-réviseur qui sera proposé à l'assemblée générale (art. 156 du Code des sociétés).

Si le conseil d'entreprise ne peut dégager les majorités prévues par la loi, tout intéressé peut saisir le président du tribunal de commerce, à qui il appartiendra de désigner lui-même un ou plusieurs réviseurs (art. 157 du Code des sociétés).

En l'occurrence, le désaccord est persistant entre le conseil d'administration de la SA Nouvelles Verreries de Momignies et les représentants des travailleurs au sein du conseil d'entreprise, ceux-ci s'inquiétant d'un problème de confiance à l'égard du commissaire proposé par le conseil d'administration et d'indépendance de celui-ci vis-à-vis du groupe Gerresheimer Glas.

Cet aspect de la désignation d'un commissaire aux comptes est traité à l'article 133 du Code des sociétés suivant lequel: “Ne peuvent être désignés comme commissaires ceux qui se trouvent dans des conditions susceptibles de mettre en cause l'indépendance de l'exercice de leur fonction de commissaire...”.

Confrontés à une imputation de manque d'indépendance du commissaire proposé par le conseil d'administration, deux juridictions ont répondu de manière opposée; le président du tribunal de commerce de Verviers a considéré qu'une société appartenant à un groupe pouvait raisonnablement choisir un réviseur membre de la même société d'audit que celle qui contrôlait les comptes de la société mère, ce qui était de nature à faciliter la consolidation (Comm. Verviers 11 décembre 1998, R.D.C. 1999, p. 588).

Par contre, la cour d'appel d'Anvers a tranché en sens inverse, considérant que le réviseur en charge du contrôle de l'ensemble du groupe pourrait perdre l'indépendance requise par sa mission (Anvers 3 mai 1993, T.R.V. 1996, p. 597).

(Voy. sur ces questions, M. Caluwaerts, Guide juridique de l'entreprise, Livre 25.1, Contrôle externe des SA, SPRL et SC, p. 35, n° 430; D. Leclercq, “Le remplacement du commissaire-réviseur en cas de changement d'actionnariat dans une société ayant un conseil d'entreprise” (note sous Comm. Verviers), o.c., R.D.C. 1999, p. 589 à 592; B. Tilleman, “Nieuwe aandeelhouders, nieuwe commissaris-revisor”, T.R.V. 1996, 328).

Depuis ces décisions, le système de contrôle externe des comptes a été remis en cause au plan mondial, à la suite des faillites qui sur un laps de temps réduit ont frappé des entreprises de dimension internationale (Lernout & Hauspie, Enron, World Com....).

Ces faillites ont effectivement mis en exergue le fait que les sociétés internationales d'audit pouvaient se trouver en situation de dépendance à l'égard des groupes importants qu'elles sont sensées contrôler, ce en raison du poids du chiffre d'affaires que ceux-ci leur permettent de générer, soit en direct soit par le biais de sociétés soeurs actives dans l'analyse financière ou dans le conseil juridique.

Les conséquences de cet état de dépendance se sont avérées néfastes pour le fonctionnement de l'ensemble du système économique, puisqu'en raison notamment d'un contrôle externe laxiste les prémices d'insolvabilité de sociétés majeures n'ont pu être mises à jour, que l'impact de situations prévisibles n'a dès lors pas été amorti et qu'il est résulté de ces faillites retentissantes une perte de confiance des marchés qui influe négativement sur la conjoncture.

Le législateur belge a réagi à ces enseignements par la loi du 2 août 2002 dont l'article 4 renforce l'exigence d'indépendance édictée à l'article 133 du Code des sociétés; il était stipulé que l'entrée en vigueur du nouvel article 133 serait fixée par arrêté royal; c'est chose faite depuis l'arrêté royal du 4 avril 2003 lequel prévoit l'entrée en vigueur de cette disposition au premier jour du cinquième mois qui suit sa publication.

Celle-ci étant intervenue au Moniteur belge du 19 mai 2003, l'article 133 nouveau sera d'application le 1er octobre 2003; de la sorte, dans le cadre de la présente cause, le tribunal se référera à l'article 133 “ancien” du Code des sociétés.

Dans l'examen de la dissension qui oppose le C.A. et les membres travailleurs du conseil d'entreprise, notre tribunal doit balancer deux intérêts qui, considérés du point de vue de chacune des parties, peuvent l'un et l'autre paraître légitimes: d'un côté la volonté de rationaliser, de mieux intégrer la société dans le groupe Gerresheimer, de réaliser des économies d'échelle, de l'autre une exigence d'indépendance dans le contrôle externe de la SA Nouvelles Verreries de Momignies d'autant plus grande que la logique de groupe prédomine dorénavant.

Dans l'idée de départager ces deux positions, l'on admettra que l'intérêt social et l'intérêt du groupe ne concordent pas nécessairement: le commissaire aux comptes d'une société filiale doit le cas échéant pouvoir caractériser des comportements liés à la politique de groupe qui ne sont pas forcément à l'avantage de la société, et ce même s'il appartient à l'actionnaire majoritaire d'imprimer sa ligne de conduite, dans le respect des règles statutaires et légales.

Or, il paraît logique de penser que si le contrôle externe est commun à l'ensemble des sociétés du groupe, certaines opérations éventuellement néfastes à l'une des sociétés pourraient ne pas être mises en valeur avec autant de netteté, parce que le commissaire aux comptes sera plus accessible à la logique de groupe.

Par ailleurs, le tribunal doit rappeler qu'aux termes de l'article 15bis de la loi du 20 septembre 1948 rappelé à l'article 151 du Code des sociétés, le commissaire a pour mission de:

- faire rapport au conseil d'entreprise sur les comptes annuels et sur le rapport de gestion;

- certifier le caractère fidèle et complet des informations économiques et financières que le chef d'entreprise transmet au conseil d'entreprise;

- analyser et expliquer à l'intention particulièrement des membres du conseil d'entreprise les informations économiques et financières qui ont été transmises au conseil d'entreprise;

- saisir le chef d'entreprise s'il estime ne pas pouvoir certifier les écritures ou s'il constate des lacunes, et si celui-ci n'y donne pas suite en informer le conseil d'entreprise.

Sa mission est donc double: le commissaire contrôle les informations comptables, économiques et financières fournies par le conseil d'administration et par ailleurs il exerce un rôle pédagogique en direction du conseil d'entreprise en transcrivant le langage technocratique de ces informations pour le rendre accessible à tous les membres de cette institution; l'exigence d'indépendance est évidemment fondamentale dans ce double rôle, à peine de le rendre fictif.

Par contre, le commissaire n'exerce aucun rôle dans la tenue de la comptabilité; en conséquence, les nécessités de rationalisation, d'intégration et d'économies d'échelle dont il est fait état ne pèsent que d'un poids relatif, en tout cas moindre que si l'on discutait d'une harmonisation dans la tenue de la comptabilité du groupe.

Ayant ainsi balancé les intérêts en présence, à la lumière des expériences récentes de déficit d'indépendance dans le contrôle externe des comptes de société, le tribunal doit convenir qu'à bon droit, les membres travailleurs du conseil d'entreprise font état de leurs appréhensions concernant la désignation du même cabinet d'audit que celui qui contrôle l'ensemble du groupe dont fait partie la SA Nouvelles Verreries de Momignies.

Il n'y a donc pas lieu de désigner le commissaire proposé par ladite société.

L'article 157 du Code des sociétés prévoit que s'il y a blocage dans la nomination du commissaire, celui-ci est désigné par le président du tribunal jusqu'à ce qu'il ait été pourvu à la nomination dans les conditions légales.

En l'occurrence, le tribunal désignera un commissaire neutre afin d'éviter d'inutiles tensions, dans l'attente que conseil d'administration et conseil d'entreprise aient pu s'entendre sur une candidature.

Il sera réservé sur les émoluments de l'intéressé, afin de laisser à la société et au réviseur la latitude de s'accorder sur ceux-ci, quitte à ce qu'en cas de désaccord la cause soit ramenée devant Nous.

Par ces motifs

Nous, Jean-Philippe Lebeau, président du tribunal de commerce séant à Charleroi, assisté de Chantal Ghislain, greffière,

Statuant contradictoirement comme en référé,

Nommons en qualité de commissaire de la SA Nouvelles Verreries de Momignies, Mr Pascal Lambotte, réviseur d'entreprises à 5000 Namur, (...), lequel sera chargé d'exercer les fonctions de commissaire et les missions visées aux articles 151 à 154 du Code des sociétés jusqu'à ce qu'il soit pourvu régulièrement à son remplacement.

Réservons à statuer pour le surplus.

(...)