Article

Cour d'appel Bruxelles, 23/12/2004, R.D.C.-T.B.H., 2006/4, p. 434-437

Cour d'appel de Bruxelles 23 décembre 2004

ASSOCIATION
ASBL - Activités commerciales - Sanction - Pas de société commerciale
1. Si l'ASBL, qui ne poursuit ni son enrichissement ni ne recherche un gain direct ou indirect pour ses membres, peut exercer une activité accessoire qui produit des bénéfices, c'est à la condition que cette activité soit nécessaire pour permettre la réalisation du but désintéressé que l'association veut atteindre et que celle-ci consacre, à cette fin, l'intégralité des bénéfices ainsi obtenus.
2. S'il s'avère que les activités d'une ASBL sont en réalité des activités commerciales, cette circonstance peut éventuellement entraîner la dissolution de l'association et engager la responsabilité personnelle de ses membres. Cependant, l'association ne peut pas être requalifiée en société commerciale.
VERENIGING
VZW - Commerciële activiteiten - Sanctie - Geen handelsvennootschap
1. De VZW die noch de verrijking, noch een direct of indirect voordeel nastreeft voor haar leden, kan een bijkomende activiteit uitoefenen die winstgevend is, op voorwaarde dat deze activiteit noodzakelijk is om het belangeloze doel te verwezenlijken dat de vereniging nastreeft en dat zij de totaliteit van de gerealiseerde winsten voor dit doel aanwendt.
2. Indien een VZW hoofdzakelijk commerciële activiteiten voert, dan kan dit desgevallend leiden tot de ontbinding van de vereniging en de persoonlijke aansprakelijkheid van de leden. De vereniging kan echter niet geherkwalificeerd worden in een handelsvennootschap.

European Cultural association, ASBL e.a. / Nuove Musiche ASBL

Siég.: H. Mackelbert (conseiller unique)
Pl.: Mes O. Wery en P.-M. Sprockeels

(...)

III. Faits et antécédents de la procédure

1. E.C.A. est une ASBL qui a été constituée le 19 décembre 1990. Elle a pour objet la promotion culturelle et artistique. Dans le dossier de presse qu'elle distribue à l'occasion des concerts qu'elle organise, E.C.A. affirme qu'elle a pour premier objectif le soutien des artistes de musique classique, en leur assurant un certain nombre de concerts, et, pour second objectif la philanthropie, en organisant la plupart de ses concerts au profit d'oeuvres caritatives. Elle met à son programme entre 10 et 20 concerts par an.

MM. Lebbink, Lorquet, Bourguignon et Mme Dufour (dénommés ci-après les consorts Lebbink) en sont les administrateurs.

En 1995, E.C.A. sollicite la collaboration de l'orchestre de musique de chambre Nuove Musiche, dont les musiciens sont regroupés au sein d'une ASBL portant le même nom. Un cachet de 890.000 FB est convenu pour six représentations dans différentes villes du pays (Westerloo, Ooidonk, Modave, La Hulpe et Bruxelles) entre le 9 juin et le 28 novembre 1995.

E.C.A. verse à Nuove Musiche 364.000 FB par différents versements partiels. Le 11 mars 1996, Nuove Musiche met E.C.A. en demeure de payer le solde dû, soit 526.000 FB.

2. Par exploit du 5 avril 1996, Nuove Musiche fait citer E.C.A. devant le tribunal de première instance de Bruxelles en paiement de cette somme, augmentée des intérêts moratoires depuis la mise en demeure. Par jugement du 30 avril 1996, le tribunal fait droit à cette demande.

Le 24 juin 1996, l'assemblée générale d'E.C.A. prend la résolution suivante:

L'assemblée a décidé à l'unanimité, au vu de la constatation que l'actif de l'association ne couvre plus le passif, que de ce fait l'association ne sait plus poursuivre son but, que l'actif devra couvrir au marc le franc tous les créanciers, que le patrimoine de l'association ne compte plus aucun bien mobilier (ou immobilier), que les liquidités disponibles devraient couvrir les frais de dissolution sans plus, de dissoudre l'association et de constater que l'ASBL European Cultural Association a définitivement cessé d'exister.

Cette résolution est déposée au Moniteur belge pour publication le 1er juillet 1996.

3. Par exploit du 25 juin 1996, Nuove Musiche fait citer E.C.A. et les consorts Lebbink devant le tribunal de commerce de Bruxelles, pour s'entendre déclarer que l'activité exercée par E.C.A. est en réalité imputable à une société en nom collectif irrégulière constituée des consorts Lebbink, et s'entendre condamner, cette société et chacun des associés, au paiement de 526.000 FB augmentés des intérêts moratoires.

Le tribunal de commerce de Bruxelles fait droit à cette demande par jugement rendu par défaut le 26 septembre 1996.

Opposition est signifiée, tant par E.C.A. que par les consorts Lebbink par exploit du 20 janvier 1997.

Par le jugement attaqué, le premier juge dit cette opposition non fondée.

4. E.C.A. et les consorts Lebbink interjettent appel de cette décision dont ils postulent la réformation.

En cours d'instance, ils introduisent une demande nouvelle tendant au paiement de 80.000 FB de dommages et intérêts pour réparer le préjudice qu'ils auraient subi en raison d'accusations mensongères dont ils auraient été l'objet de Nuove Musiche, demande portée ensuite, par voie de conclusions additionnelles, à 140.000 FB, sur le double fondement du procès téméraire et vexatoire et de la répétibilité des honoraires d'avocat.

IV. Discussion
1. Sur la recevabilité de l'appel introduit par E.C.A.

5. Il résulte du procès-verbal de l'assemblée générale du 24 juin 1996 qu'E.C.A. est dissoute et liquidée définitivement depuis cette date, avec la conséquence qu'elle ne peut plus se prévaloir d'une quelconque personnalité juridique.

Le fait que l'association formée par les consorts Lebbink soit, le cas échéant, une ASBL ou une société en nom collectif, qualifiée d'irrégulière, n'implique pas que deux êtres juridiques différents aient été créés. La controverse ne porte que sur la forme juridique de l'association ou de la société mais n'affecte pas sa personnalité civile qui demeure distincte de celle de ses associés.

Il s'en déduit que tous les actes juridiques qui ont été posés au nom d'E.C.A. depuis sa liquidation définitive, et notamment l'opposition du 20 janvier 1997 et l'appel du 28 juillet 1998, sont nuls. Pour le même motif, il n'était pas possible de condamner un être moral qui a cessé d'exister.

L'appel introduit par E.C.A. est dès lors non recevable. Le litige se circonscrit en conséquence à la question de savoir si, en constituant E.C.A., les consorts Lebbink ont, en réalité, constitué entre eux une société commerciale.

2. Sur la validité de la citation signifiée à M. Bourguignon.

6. L'exploit originaire de citation des 25 et 26 juin 1996 a été signifié à M. Bourguignon “étant pour lui sur son lieu de travail au siège de la société European Cultural Association ASBL, avenue des Volontaires 270 à Woluwé Saint-Lambert”.

La manière dont l'exploit est rédigé fait croire qu'il a été signifié à personne. L'huissier instrumentant signale cependant que l'exploit n'a pu être signifié comme il est dit aux articles 33 à 35 du Code judiciaire. M. Bourguignon n'a donc pas été touché par l'exploit introductif d'instance et a subi, de ce fait, un préjudice puisqu'il a été condamné par défaut.

La citation doit donc être déclarée nulle en ce qui le concerne.

3. Sur la requalification d'E.C.A.
a. Sur l'autorité de la chose jugée du jugement du tribunal de première instance de Bruxelles du 30 avril 1996

7. S'il est vrai que le jugement du tribunal de première instance de Bruxelles est revêtu de l'autorité de la chose jugée en ce qui concerne E.C.A. - puisqu'une même personne morale ne peut être condamnée deux fois - il n'en est pas de même pour les consorts Lebbink qui n'étaient pas à la cause.

En outre, la demande introduite par Nuove Musiche contre eux n'est pas fondée sur la même cause.

C'est donc à tort que les consorts Lebbink invoquent ce jugement pour prétendre que la demande dirigée contre eux ne serait pas recevable.

b. Au fond

8. Aux termes de l'article 1er de la loi du 27 juin 1921 accordant la personnalité civile aux associations sans but lucratif et aux établissements d'utilité publique, tel qu'il était en vigueur à l'époque des faits, l'association sans but lucratif est celle qui ne se livre pas à des opérations industrielles ou commerciales ou qui ne cherche pas à procurer à ses membres un gain matériel. Ces deux notions doivent se cumuler et non se disjoindre (J. t'Kint, Les ASBL, Rép. not., T. XIV, Livre 9, Larcier, 1999, n° 54, p. 83).

Si l'association, qui ne poursuit ni son enrichissement ni un gain direct ou indirect pour ses membres, peut exercer une activité accessoire qui produit des bénéfices, c'est à la condition que cette activité soit nécessaire pour permettre la réalisation du but désintéressé que l'association veut atteindre et que celle-ci consacre à cette fin l'intégralité des bénéfices ainsi obtenus (Cass. 3 octobre 1996, Pas. 1996, I, 350).

9. Les statuts d'E.C.A. sont conformes aux exigences légales et rien, dans le texte, ne permet de déduire que l'exercice de l'activité sociale aurait pour but la recherche d'enrichissement des membres de l'association.

Par ailleurs, l'examen des comptes annuels, produits dans leur intégralité pour les années 1993 à 1996, ne démontre pas que les associés auraient retiré un profit personnel de l'activité exercée par l'association. Ils ont, au contraire, fait des avances importantes permettant à E.C.A. de disposer de la trésorerie suffisante pour couvrir certains frais. C'est ainsi qu'à la date de la dissolution, le compte courant associé était créditeur de 728.377 FB. Il en est de même du compte d'une association “soeur” établie au Luxembourg, à laquelle E.C.A. restait devoir 923.000 FB à cette même date.

En outre, les comptes de la classe 6 ne font pas apparaître l'existence de dépenses anormales sortant du cadre de l'activité exercée par E.C.A. ou pouvant laisser supposer l'existence d'avantages de toute nature en faveur des associés ou des administrateurs.

Il s'en déduit qu'il n'est pas établi que l'objet d'E.C.A. était susceptible de procurer ou a procuré à ses membres un gain matériel.

10. L'objet social, tel qu'il est défini dans les statuts, ne consiste pas dans la réalisation d'activités commerciales.

Certes, il n'est pas contesté qu'E.C.A. a organisé des concerts de musique classique, soit comme maître d'oeuvre pour compte d'associations philanthropiques, telles la Fondation Yvonne Boël ou Solidarité Libérale Internationale, soit comme organisateur pour son compte propre.

Dès lors qu'E.C.A. a pour objet la promotion de la culture et de l'art, il ne peut être soutenu que l'organisation de concerts ne constituerait pas une activité accessoire et nécessaire à la réalisation du but social, d'autant plus qu'E.C.A. a décidé de soutenir plus particulièrement les artistes de musique classique.

En toute hypothèse, s'il s'avère que les activités d'une ASBL valablement constituée sont en réalité des activités commerciales, cette circonstance peut éventuellement entraîner la dissolution de ladite association et engager la responsabilité personnelle de ses membres, mais ne permet pas de la disqualifier pour la requalifier en société commerciale (Bruxelles 7 mars 1996, n° du rôle 95/AR/2457, www.cass.be ; P. Van Ommeslaghe et X. Dieux, “Les sociétés commerciales. Examen de jurisprudence (1978-1990)”; J. t'Kint, o.c., n° 74, p. 93). Or la cour n'est pas saisie d'une demande fondée sur la responsabilité des associés mais sur la constatation de la constitution d'une société commerciale, ce qui constitue une cause différente que la cour ne peut modifier, sous peine de violer le principe dispositif.

Au demeurant, il résulte de la production des comptes annuels que les charges d'exploitation ont toujours été supérieures aux recettes, ce qui n'a pas permis à E.C.A. de verser une contribution aux associations philanthropiques en faveur desquelles elle avait annoncé au public que les concerts auraient lieu. Quant aux concerts organisés pour le compte de la Fondation Yvonne Boël et Solidarité Libérale Internationale, qui ont généré des recettes dans le chef d'E.C.A., ils peuvent être considérés comme activité d'appoint qui permet à l'association de compléter son budget, tout en restant dans le cadre de l'objet social et philanthropique. En toute hypothèse, il convient de constater que ces recettes n'ont pas permis de générer un bénéfice annuel, chaque exercice se soldant par une perte, ce qui démontre l'absence de lucre.

Si la poursuite d'une activité déficitaire récurrente peut, dans certaines circonstances, engager la responsabilité des administrateurs d'une personne morale à l'égard des tiers qui contractent de bonne foi, cette circonstance ne permet cependant pas de requalifier la forme juridique de cette personne morale.

Par ailleurs, l'examen des comptes ne prouve pas, comme Nuove Musiche le sous-entend, que toutes les recettes n'auraient pas été comptabilisées.

Enfin, le fait que certaines associations philanthropiques n'auraient pas été informées, dans un délai suffisant, qu'elles étaient les éventuelles bénéficiaires des concerts n'implique pas que l'activité réelle d'E.C.A. était d'organiser des concerts à son profit personnel en contradiction avec son objet social. En toute hypothèse, le fait d'avoir éventuellement trompé le public ou les oeuvres de bienfaisance relève du droit pénal ou du droit de la responsabilité, mais ne permet pas de requalifier une ASBL valablement constituée.

En conséquence, il n'est pas établi qu'E.C.A. avait pour objet de se livrer principalement à des activités commerciales.

Il s'en déduit qu'il n'existe aucun motif pour requalifier la forme juridique d'E.C.A. et, partant, que les consorts Lebbink doivent être considérés comme les débiteurs solidaires d'une société en nom collectif.

L'appel est ainsi fondé.

4. Sur la demande nouvelle

11. Une procédure peut revêtir un caractère vexatoire non seulement lorsqu'une partie est animée de l'intention de nuire à l'autre mais aussi lorsqu'elle exerce son droit d'agir en justice d'une manière qui excède manifestement les limites de l'exercice normal de ce droit par une personne prudente et diligente (Cass. 31 octobre 2003, J.T. 2004, 135).

En l'espèce, il ne peut être reproché à Nuove Musiche d'avoir commis une faute en introduisant la présente action et d'avoir persévéré dans ses moyens en appel, et ce d'autant plus qu'elle a obtenu gain de cause, par deux fois, en première instance.

Les propos employés par Nuove Musiche dans ses conclusions ne dépassent pas les limites acceptables dans ce genre de procès. Ils peuvent par ailleurs s'expliquer par son ressentiment de ne pas avoir été honorée pour les prestations musicales effectuées dans le cadre de concerts dont il avait été annoncé au public qu'ils se feraient au bénéfice d'oeuvres philanthropiques.

Quant aux honoraires d'avocat, ils ne sont répétibles que s'ils constituent un élément du dommage en relation causale avec une faute. Comme en l'espèce aucune faute n'a été imputée à Nuove Musiche, cette demande n'est pas fondée.

V. Conclusion

Pour ces motifs, la cour, statuant contradictoirement,

1. Dit l'appel principal irrecevable en ce qu'il est introduit par E.C.A. et recevable et fondé en ce qu'il est introduit par les consorts Lebbink.

2. Met la décision attaquée à néant, sauf en tant qu'elle a reçu la demande dirigée contre M. Lebbink, M. Lorquet et Mme Dufour, et liquide les dépens;

Statuant à nouveau;

Dit la demande originaire non recevable en tant qu'elle a été dirigée contre M. Bourguignon et non fondée en tant qu'elle a été dirigée contre M. Lebbink, M. Lorquet et Mme Dufour, et en déboute Nuove Musiche.

3. Dit la demande nouvelle recevable mais non fondée et en déboute les consorts Lebbink.

4. Met les dépens des deux instances à charge de Nuove Musiche. Les dépens d'appel s'élèvent à 466,04 euros pour elle et à 185,92 + 50,82 + 466,04 euros pour les consorts Lebbink.

(...)

Zie noot Hans De Wulf onder Hof van beroep Antwerpen 17 november 2005, p. 447 .