Cour d'appel de Liège 19 octobre 2004
SOCIÉTÉS
Société privée à responsabilité limitée - Gestion - Responsabilité du gérant - Faillite - Article 332 du Code des sociétés - Poursuite fautive d'une activité déficitaire - Rapport spécial
1. Les gérants d'une SPRL qui, année après année, accumule des pertes et tombe finalement en faillite sont fautifs en ce qu'ils n'ont pas proposé de mesures de redressement sérieuses et ont poursuivi, sans souci des intérêts des tiers, une activité irrémédiablement condamnée. Ils sont donc responsables de l'aggravation du passif social entre le moment où ils auraient dû mettre fin à l'activité sociale et celui de la déclaration de faillite.
2. Le fait d'avoir, trois années de suite, soulevé à l'assemblée générale ordinaire la question de la dissolution ou de la poursuite des activités à raison des graves pertes enregistrées ne permet pas de faire jouer la présomption de lien causal prévue aux articles 103 et 140 des LCSC (reformulés à l'art. 332 C.soc.) relatifs à la procédure d'alarme.
3. De brèves considérations dans les procès-verbaux de ces assemblées sur les raisons de la poursuite de l'activité et sur les remèdes envisagés ne peuvent remplacer le rapport spécial prévu par le texte légal, d'autant qu'il n'y a pas eu de mesures de redressement sérieuses. Cette absence de rapport engage la responsabilité des gérants.
4. Plus généralement, la poursuite déraisonnable d'une activité irrémédiablement condamnée constitue un manquement à l'obligation générale de prudence qui engage la responsabilité quasi-délictuelle des gérants envers les tiers.
5. L'arrêt de la Cour de cassation du 7 novembre 1997 qui assimile les organes d'administration des sociétés à des agents d'exécution des contrats conclus par la société ne s'oppose pas à ce que la responsabilité aquilienne des gérants soit retenue dès lors que le préjudice invoqué par le curateur qui met en cause cette responsabilité est distinct de celui des créanciers contractuels, lors même que les droits de ceux-ci seraient cumulés. En effet, le curateur agit au nom de la masse et invoque un préjudice, à savoir l'augmentation du passif, qui est commun à l'ensemble des créanciers sociaux, contractuels et non contractuels.
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VENNOOTSCHAP
Besloten vennootschap met beperkte aansprakelijkheid - Bestuur -Aansprakelijkheid van de zaakvoerder - Faillissement - Artikel 332 van het Wetboek van Vennootschappen - Foutieve voortzetting van een deficitaire activiteit - Bijzonder verslag
1. De zaakvoerders van een BVBA die jaar na jaar de verliezen opstapelt en uiteindelijk failliet gaat, begaan een fout in die zin dat zij geen ernstige herstelmaatregelen hebben voorgesteld en een hopeloos verloren activiteit hebben voortgezet, zonder zich zorgen te maken over belangen van derden. Zij zijn dus aansprakelijk voor de verzwaring van het passief van de vennootschap voor de periode tussen het tijdstip waarop zij de activiteit van de vennootschap hadden moeten beëindigen en dat van de faillietverklaring.
2. Het feit dat de vraag tot ontbinding of voortzetting van de activiteiten met betrekking tot zware opgetekende verliezen gedurende drie opeenvolgende jaren op de agenda van de gewone algemene vergadering stond, laat niet toe om het vermoeden van het oorzakelijk verband zoals voorzien in de artikelen 103 en 140 Venn.W. (geherformuleerd in het art. 332 W.Venn.) met betrekking tot de alarmbelprocedure te laten spelen.
3. Korte overwegingen in de notulen van die vergaderingen met betrekking tot de voortzetting van de activiteit en over de beoogde remedies kunnen het bijzonder verslag voorzien in de wet niet vervangen, te meer omdat er geen ernstige herstelmaatregelen zijn geweest. Dit gebrek aan verslag brengt de aansprakelijkheid van de zaakvoerders in gedrang.
4. Meer in het algemeen vormt de onredelijke voortzetting van een hopeloos verloren activiteit een verzuim van de algemene zorgvuldigheidsverplichting die de quasi-delictuele aansprakelijkheid van de zaakvoerders tegenover derden in het gedrang brengt.
5. Het arrest van het Hof van Cassatie van 7 november 1997 dat de bestuursorganen van vennootschappen gelijkstelt aan uitvoeringsagenten van overeenkomsten gesloten door de vennootschap, verzet zich niet tegen het feit dat de buitencontractuele aansprakelijkheid van zaakvoerders behouden blijft zodra de schade die wordt ingeroepen door de curator die deze aansprakelijkheid inroept, onderscheiden is van de schade van de contractuele schuldeisers, zelfs wanneer de rechten van deze laatsten zouden gecumuleerd zijn. Inderdaad, de curator handelt in naam van de massa en roept een schade, met name de vermeerdering van het passief, in die gemeenschappelijk is aan het geheel van de vennootschapsschuldeisers, contractuele en niet contractuele, en onderscheiden aan de individuele schade van de contractuele schuldeisers.
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Thierry Toussaint en Anita Fourrier / Baudhuin Rase et Christophe Lefevre
Siég.: R. de Francquen (président), M. Ligot et A. Jacquemin (conseillers) |
Pl.: Mes Parmentier loco P.-F. Nyst |
Après en avoir délibéré
Vu l'appel des jugements rendus les 30 mai 2000 et 5 juin 2001 par le tribunal de commerce de Namur interjeté le 11 février 2002 par les époux Thierry Toussaint-Anita Fourrier associés, fondateurs et gérants statutaires de la SPRL Boulangerie-Pâtisserie Thierry Toussaint constituée le 19 janvier 1993 avec pour objet de reprendre et poursuivre l'exploitation du fonds de commerce ayant appartenu aux parents de Thierry Toussaint situé avenue Cardinal Mercier 71-73 à 5000 Namur, adresse où sera fixé le siège social de la société;
Vu l'appel incident formé par conclusions du 25 novembre 2002 par Mes Baudhuin Rase et Christophe Lefèvre en leur qualité de curateurs à la SPRL Boulangerie-Pâtisserie Thierry Toussaint déclarée en faillite par jugement rendu le 2 juillet 1997 par le tribunal de commerce de Namur, appel dirigé contre le jugement rendu le 30 mai 2000 par le même tribunal;
Attendu que l'action diligentée par les curateurs tend à obtenir la condamnation des appelants au paiement de la somme de € 91.334,71 majorée des intérêts judiciaires correspondant à l'aggravation du passif “entre le mois de janvier 1995 (date à laquelle la cessation d'activités aurait dû intervenir) et juillet 1997 (date de la faillite)” (conclusions principales, p. 15);
Qu'elle est fondée à titre principal sur les dispositions des articles 103 et 140 des lois coordonnées sur les sociétés commerciales reprises par l'article 332 du Code des sociétés, sur l'article 26 des statuts de la société qui n'est autre que la transposition de l'article 103 des LCSC et à titre subsidiaire sur les articles 1382 et 1383 du Code civil.
Antécédents |
1. Les appelants sont les seuls associés de la SPRL Boulangerie-Pâtisserie Thierry Toussaint, société au capital de 750.000 FB qui a racheté le 31 mars 1993 le fonds de commerce appartenant aux parents du premier appelant pour le prix de 6.000.000 FB payable en 25 ans moyennant un intérêt de 4,5% l'an (premières conclusions d'instance des appelants, dernier par., p. 1):
2. Le même jour, un bail d'une durée de 25 ans sera signé entre les parents Toussaint et les appelants. Le loyer est fixé à 32.500 FB par mois pour l'ensemble de l'immeuble; la partie commerciale du loyer estimée à 25.000 FB sera donnée en location par les appelants à la SPRL pour un loyer mensuel de 40.000 FB (dossier T.F., pièce 22, p. 37/40; dossier R.-L., pièce 14).
3. Les activités qui débuteront le 1er avril 1993 n'atteindront jamais le seuil de rentabilité.
4. Ainsi, le premier exercice qui se termine le 31 décembre 1993 enregistre des pertes à concurrence de 1.265.049 FB. Le chiffre d'affaires est de 6.561.133 FB, l'endettement de 8.795.504 FB et l'actif net de -515.049 FB.
5. Le procès verbal de l'assemblée générale du 27 juin 1994 à laquelle la question de la dissolution est posée conformément aux articles 103 et 140 des LCSC porte que
“La reprise du fonds de commerce n'ayant eu lieu qu'au 1er avril, l'exploitation n'a porté que sur 9 mois. Le fonds de commerce comprenant également le personnel, la société a dû supporter, malgré elle, un coût du personnel trop important. Une révision de la masse salariale a débuté fin de l'année mais les conséquences financières ne se marqueront qu'au cours du présent exercice.
Par manque de données objectives de la situation antérieure, il est difficile de pouvoir effectuer une comparaison et une analyse de l'évolution.
La question de poursuite des activités est posée mais compte tenu des décisions qui ont été prises, l'avenir devrait voir un rétablissement de la rentabilité intrinsèque de la société.”
6. Le deuxième exercice (1994) n'est cependant pas meilleur puisqu'il enregistre des nouvelles pertes pour un montant de 1.603.404 FB. Le chiffre d'affaires est de 9.466.933 FB, l'endettement de 9.527.068 FB et l'actif net de -853.404 FB. Il faut observer qu'alors qu'il était question dans le PV du 27 juin 1994 d'une révision de la masse salariale qui devait produire ses effets dans le courant de cet exercice, le montant des rémunérations et charges sociales passe de 3.652.454 FB à 5.202.890 FB.
7. L'assemblée générale du 17 mai 1995 à laquelle la question de la poursuite des activités est à nouveau posée relève que
“La société a réalisé un chiffre d'affaires de 9,339 millions contre 6,556 millions pour 9 mois en 1993. Tous les efforts ont été portés sur une compression des frais généraux. Cela devrait porter ses fruits sur les chiffres de 1995.
Le cash drain a été sensiblement réduit (de 451.538 FB à 277.650 FB). Le seuil O sera l'objectif à atteindre en 1995.
Le personnel a été réduit. Ne subsiste que le personnel rentable.
Le futur proche devrait permettre de stopper l'hémorragie des pertes. Toute la confiance doit donc rester de mise.”
8. Le troisième exercice (1995) n'est toujours pas meilleur. Les pertes de l'exercice atteignent 2.583.990 FB. Le poste “Approvisionnements, marchandises, services et biens divers” a bien été réduit comme annoncé puisqu'il passe de 4.246.432 FB à 3.985.566 FB mais le chiffre d'affaires a régressé plus encore puisqu'il est de 8.492.616 FB tandis que l'endettement atteint 10.973.244 FB et l'actif net -1.833.990 FB.
Le poste rémunérations et charges sociales progresse encore, contrairement à ce qui était annoncé, puisqu'il atteint 5.396.871 FB.
9. Toujours avec le même optimisme béat, l'assemblée générale décide le 29 juin 1996 de la poursuite des activités:
“Le chiffre d'affaires a légèrement régressé... Par suite d'un 'nettoyage' (sic) au sein du personnel, la société devrait réaliser quelques économies substantielles, les charges de licenciement n'étant pas récurrentes.
Après le compte-rendu des activités de l'année 1995, la gérance expose les différentes options qu'elle compte adopter afin de redresser la société de manière significative.
La fabrication sera focalisée sur les produits à forte rentabilité: des nouveaux marchés vont être développés afin de pouvoir faire progresser le chiffre 'ventes de pain'.
Sur le plan de la trésorerie, la société sera recapitalisée.”
10. Les comptes relatifs à l'exercice 1996 paraissent avoir été établis même s'ils ne sont pas produits. La société ayant été assignée en faillite le 16 mai 1997 par l'ONSS, l'assemblée générale ordinaire qui, selon les statuts, doit se tenir le dernier mercredi du mois de mai n'aura pas lieu, la société étant virtuellement en faillite. Celle-ci interviendra sur aveu le 2 juillet 1997 après que l'ensemble du personnel ait été licencié.
Suivant une situation comptable au 15 juin 1997 dressée par les appelants, l'endettement est passé à 11.175.527 FB, la perte reportée atteignant 8.092.850 FB.
11. Dès le 15 juillet 1997, les appelants font offre à la Gesbanque créancier gagiste sur fonds de commerce de reprendre le fonds de commerce et les deux véhicules faisant partie de celui-ci pour le montant de 800.000 FB qui doit permettre de désintéresser ce créancier et mettent en demeure les curateurs de payer le loyer de 40.000 FB ou de quitter les lieux au plus tôt à défaut pour eux de marquer endéans les huit jours leur accord sur l'offre faite à Gesbanque.
12. Cet accord sera donné et dès le 4 août 1997, le commerce sera rouvert par Thierry Toussaint agissant en personne physique qui réengagera, selon le curateur, tout ou partie du personnel de la société faillie.
13. La recapitalisation annoncée le 29 juin 1996 n'aura jamais lieu. Au contraire, un premier litige opposera les curateurs aux appelants concernant la libération du capital de la SPRL qui n'avait été libéré qu'à concurrence d'un tiers au jour de la constitution de la société. En instance, les appelants seront condamnés à payer au curateur l'un 300.000 FB et l'autre 200.000 FB. Suivant arrêt rendu par la cour d'appel de céans le 27 mars 2001 (non produit par les parties), il est décidé que “le capital fut valablement libéré à concurrence de 640.000 FB” (conclusions additionnelles sur r.o.d. déposées par les appelants le 11 avril 2001, dossier de la procédure d'instance, pièce 23, p. 2, dernier par.).
En toute hypothèse, cette question ne fait pas problème dès lors que les curateurs dans leurs décomptes (voy. plus loin) prennent en considération le capital social dans sa totalité.
14. Suivant les conclusions prises en instance par les curateurs (conclusions du 9 septembre 1999, p. 14; conclusions du 28 mars 2001, p. 2), le passif de la société faillie est de l'ordre de 7.000.000 FB. Les curateurs récupéreront en tout et pour tout 1.000.265 FB.
15. Les appelants pour tenter d'expliquer l'évolution défavorable des affaires de la SPRL font état d'importants travaux de voirie effectués dans le voisinage de leur commerce. Ils ne fournissent cependant aucune indication précise quant à la durée de ceux-ci. En toute hypothèse, ces travaux n'ont certainement pas duré quatre ans et trois mois; l'évolution linéaire des pertes durant la période d'activités de la société faillie permet d'exclure toute influence décisive de ces travaux sur l'évolution des affaires de celle-ci.
16. Les chiffres qui viennent d'être cités émanent de la citation, des conclusions et du dossier des intimés. Ils ne sont pas contestés par les appelants notamment en ce qui concerne le calcul de l'actif net.
Discussion |
Attendu que trois assemblées générales successives ayant été convoquées par les gérants avec pour objet de délibérer sur l'application de l'article 103 des lois coordonnées sur les sociétés commerciales, disposition actuellement reprise par l'article 332 du Code des sociétés, le tribunal a décidé à bon droit dans son jugement du 30 mai 2000 qu'il n'y avait pas matière à application de la présomption prévue par cette disposition;
Que, par contre, son opinion ne peut être suivie lorsqu'il décide que “l'absence de rapport spécial” (...) est couverte par la rédaction, brève mais suffisamment explicite, les considérations exprimées dans les procès-verbaux des assemblées générales (des 27 juin 1994, 17 mai 1995 et 29 juin 1996)”;
Qu'en effet, “si le conseil d'administration propose de poursuivre les activités - et donc de ne pas procéder à la mise en liquidation - il doit exposer dans son rapport 'les mesures qu'il compte adopter en vue de redresser la situation financière de la société'. Comme le rappelle à juste titre la cour d'appel de Mons dans son arrêt du 17 novembre 1997 (R.D.C. 1999, p. 31) la loi 'ne prévoit aucune condition de forme ou de fond pour l'établissement du rapport spécial prévu par l'article 633 C.soc.'. Dès lors, au reproche fait au rapport spécial d'être extrêmement court et imprécis, la cour d'appel répond qu'il a été rédigé à la suite d'une analyse faite par une fiduciaire 'dont les parties ont reconnu la compétence et le sérieux' et qu' 'il énumère, entre autres, les orientations préconisées par cette dernière en vue d'aboutir au redressement de la société'. Nous pensons comme la cour qu'il convient de privilégier le contenu à la forme, l'essentiel étant que le conseil d'administration fasse des propositions de redressement consistantes à l'assemblée générale des actionnaires.” (J.-F. Goffin, Responsabilités des dirigeants de société, 2ème édition de l'ouvrage de O. Ralet, n° 116 e, p. 196);
Qu'en l'espèce, il n'y a pas eu de propositions de redressement consistantes et sérieuses, que non seulement, à aucun moment, la cause des pertes importantes enregistrées n'a été analysée de manière sérieuse mais qu'ont simplement été énumérées pour les besoins de la cause des propositions vagues et imprécises dont il n'apparaît pas au demeurant qu'elles aient été mises en oeuvre;
Qu'il n'y a donc pas eu de rapport spécial au sens de l'article 103 alinéa 2 des LCSC ce qui engage la responsabilité des appelants;
Attendu que cette question de l'absence d'élaboration de mesures sérieuses de redressement est intimement liée à celle de la poursuite déraisonnable d'une activité irrémédiablement condamnée;
Qu'à cet égard, les appelants se prévalent de la jurisprudence récente de la Cour de cassation (Cass. 7 novembre 1997) qui a étendu aux organes de personnes morales sa jurisprudence sur l'immunité des agents d'exécution en ce sens que “lorsqu'un organe de société agit dans le cadre de l'exécution d'un contrat conclu entre la société qu'il représente et un tiers, il ne peut être déclaré responsable sur le plan extracontractuel qu'à une double condition:
- la faute mise à sa charge doit constituer un manquement à l'obligation générale de prudence, ce qui, (…), était également le cas sous la jurisprudence antérieure;
- la faute doit avoir causé un dommage distinct de celui résultant de la mauvaise exécution du contrat, ce qui constitue sans conteste une nouvelle condition à la mise en cause de la responsabilité extracontractuelle des organes de sociétés.”;
Attendu que pour ce qui est de la poursuite fautive d'une activité déficitaire, la faute est constituée par “un manquement à l'obligation générale de prudence qui aurait commandé de mettre un terme aux activités sociales. (Il y va) d'une faute quasi-délictuelle distincte de la faute contractuelle qui consiste dans le non-paiement de la dette contractuelle”;
Que lorsque l'action en responsabilité pour poursuite d'une activité déficitaire est intentée par le curateur, “(celui-ci) agit alors 'au nom de la masse' et 'il exerce les droits qui sont communs à l'ensemble des créanciers, mais non les droits individuels de ceux-ci, lors même que ces droits seraient cumulés'. Le préjudice collectif dont le curateur poursuit l'indemnisation consiste dans l'aggravation du passif résultant de la poursuite de l'activité. Il est commun à l'ensemble des créanciers (contractuels et non contractuels) et est donc distinct du préjudice individuel des créanciers contractuels. La condition du dommage distinct nous semble donc rencontrée lorsque le curateur agit sur cette base” (J.-F. Goffin, o.c., n° 75, p. 127 et s.);
Que tel est bien le cas en l'espèce et que l'action diligentée par les intimés est recevable;
“'Attendu qu'un homme normalement prudent et vigilant, lorsqu'il est investi d'une fonction d'administrateur d'une société, se doit de tirer les conclusions qui s'imposent à la lecture des bilans des exercices antérieurs et de ne point répéter les mêmes erreurs; que la faute apparaît précisément lorsqu'il devient certain que l'erreur d'appréciation initialement excusable se perpétue, se répète, s'amplifie' (Mons 20 mai 1985, Rev. prat. soc. 1985, p. 282). La mise en oeuvre de mesures de redressement nécessite dans un premier temps la constatation et l'identification des difficultés.
Il s'impose dès lors que les dirigeants mettent en place les procédés de gestion et d'analyse comptable et financière appropriés à la taille et à l'activité de la société pour permettre de suivre d'une façon suffisante l'évolution des affaires de la société et de déceler les difficultés.
Par la suite, il incombe aux dirigeants de rechercher les moyens de remédier aux problèmes ainsi constatés, d'évaluer les chances de redressement de l'entreprise (…), d'identifier les forces et les faiblesses de la société, et de mettre au point - selon les nécessités - certaines mesures de redressement ou un plan de restructuration d'ensemble” (J.-F. Goffin, même référence, n° 119, p. 203).
Attendu que force est bien de constater, ainsi qu'il a déjà été dit, qu'à aucun moment, les appelants n'ont procédé ou fait procéder à une analyse sérieuse des causes du déficit des activités de la société qu'ils avaient constituée; que de même, aucune mesure visant à réduire les pertes de la société ne sera sérieusement envisagée; que les mesures annoncées lors des assemblées générales des 27 juin 1994, 17 mai 1995 et 29 juin 1996 qui n'ont jamais été sérieusement mises en oeuvre ne sont rien d'autre qu'un leurre destiné à donner l'apparence du respect de l'article 103 alinéa 2 des LCSC;
Que l'on en trouve une preuve éclatante dans le fait qu'au jour où les comptes annuels de l'exercice 1995 qui constatent que la perte reportée a atteint 5.452.443 FB sont approuvés et où la recapitalisation de la société est annoncée, le capital n'a toujours été libéré qu'à concurrence de 250.000 FB (voy. bilan 1995)...;
Que les appelants ne peuvent se réfugier derrière la confiance qui leur a été conservée par leur banquier gagiste sur fonds de commerce dans la mesure où ils ont veillé à ce que les obligations de la société à son égard soient respectées et où la poursuite des activités de celle-ci a été “financée”, comme c'est fréquemment le cas lorsque l'on se trouve en présence de dirigeants incompétents et peu scrupuleux, par les créanciers institutionnels;
Que l'appréciation émise par les premiers juges qui relèvent au terme de constatations précises que la cour fait siennes (jugt. du 30 mai 2000, 10ème feuillet) que “poursuivre son activité dans de telles conditions relevait dans la meilleure des hypothèses de l'incompétence ou de l'inconscience” doit être entièrement approuvée;
Que “selon les principes généraux de la responsabilité civile, celui qui assume un rôle déterminé dans la société et se charge ainsi de remplir une certaine fonction sociale, doit en effet posséder les connaissances et les qualités requises pour l'exercice normal de cette fonction. Les tiers ont le droit de compter que cette exigence sera respectée, ce qui signifie essentiellement que leur confiance légitime ne peut être trompée par des agissements qui sont susceptibles de leur nuire et qui témoignent d'une ignorance, d'une insouciance voire même d'une déloyauté incompatible avec l'exercice normal d'une activité déterminée” (Van Ryn et Dieux, “La responsabilité des administrateurs ou gérants d'une personne morale à l'égard des tiers - Observations complémentaires”, Rev. prat. soc. 1989, p. 95);
Que la passivité des dirigeants dans une situation critique est constitutive de faute (Liège 8 juin 1999, J.T. 2000, p. 581);
Que des mesures drastiques devaient être prises dès le début de l'année 1995 puisqu'à ce moment l'actif net était inférieur à la totalité du capital social; qu'elles ne l'ont pas été;
Que les appelants devront donc répondre de l'aggravation du passif net de la société à partir du jour où les activités auraient dû être arrêtées à défaut d'avoir mis en oeuvre des mesures permettant d'obtenir son redressement; que c'est à tort que les appelants soutiennent que “la date de prise en compte du passif devrait se situer au 17 mai 1995, date anticipée de l'assemblée générale” (conclusions, p. 7); que la société étant en péril dès la fin du premier exercice, il appartenait aux appelants, s'ils s'étaient comportés en dirigeants normalement prudents ce qu'ils ne sont pas, de suivre au plus près l'évolution des résultats de la société et non d'attendre plus de cinq mois après la fin de l'exercice avant de constater que la situation s'était encore dégradée;
Attendu que les curateurs ont procédé à l'analyse de l'incidence de la poursuite fautive de l'activité à partir du 1er janvier 1995 pour chacun des créanciers;
Qu'ils retiennent les montants suivants:
a. | pour l'administration fiscale: un préjudice de | 18.785,95 € |
b. | pour l'administration de la TVA: | 899,78 € |
c. | pour l'ONSS: | 68.655,92 € |
d. | passif résultant du licenciement du personnel | 39.714,62 € |
e. | passif chirographaire: | 6.666,38 € |
Que les trois premiers postes sont admis par les appelants (conclusions, p. 11); qu'à bon droit, ceux-ci font observer que s'il avait été mis fin aux activités de l'entreprise au début de l'année 1995, le passif lié au licenciement du personnel eût été le même; que ce chef doit être écarté;
Que pour ce qui est du passif chirographaire ou fournisseurs, les curateurs réclament € 6.666,38 tandis que les appelants admettent € 8.959,84; que l'on s'en tiendra aux chiffres avancés par les curateurs puisqu'ils sont plus favorables aux appelants;
Que l'on aboutit ainsi à un total de € 95.008,03 dont les curateurs estiment, pour des raisons qu'il n'appartient pas à la cour de contester, les parties étant d'accord sur ce point, qu'il convient de déduire
- | le montant du capital social | 18.592,01 € |
- | l'actif récupéré ou réalisé | 24.795,92 € |
ce qui dégage un solde de | 51.620,10 € |
Par ces motifs
(...)
La cour, (...)
Reçoit les appels;
Confirme les jugements entrepris sous l'émendation que le montant de la condamnation prononcé à charge des appelants est portée à titre définitif à € 51.620,10 majorés des intérêts judiciaires;
(...)