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Commentaire sur les trois arrêts rendus par la cour d'appel de Bruxelles dans le cadre de l'offre publique d'acquisition de Suez sur les actions Electrabel, R.D.C.-T.B.H., 2006/2, p. 246-248

ACTION EN JUSTICE
Intérêt (art. 17 du Code judiciaire) - Intérêt purement théorique - Intérêt fonctionnel (absence) - Intérêt général - Capacité (art. 17 du Code judiciaire) - Syndicat - Absence de personnalité juridique - Absence d'habilitation légale expresse pour agir en justice
En vertu de l'article 17 du Code judiciaire, l'action ne peut être admise si le demandeur n'a pas qualité et intérêt pour la former. L'intérêt doit être personnel et direct. Le litige doit présenter une effectivité suffisante pour le demandeur; un intérêt purement théorique ne répond pas aux exigences de l'article 18 du Code judiciaire et ne suffit pas à rendre une action recevable.
Une association de fait dépourvue de la personnalité juridique n'est pas recevable à agir en justice, sauf dans les cas expressément prévus par la loi qui ne peuvent être étendus par analogie.
DROIT DES SOCIÉTÉS
Offre publique d'acquisition - Article 18ter de la loi du 2 mars 1989 - Règle de compétence
L'article 18ter de la loi du 2 mars 1989 est une règle de compétence qui ne peut, en soi, servir de fondement à une demande.

RECHTSVORDERING
Belang (art. 17 van het Gerechtelijk Wetboek) - Zuiver theoretisch belang - Functioneel belang (afwezigheid) - Algemeen belang - Hoedanigheid (art. 17 van het Gerechtelijk Wetboek) - Vakbond - Ontbreken van rechtspersoonlijkheid - Ontbreken van uitdrukkelijke wettelijke machtiging om op te treden in rechte
Krachtens artikel 17 van het Gerechtelijk Wetboek is de rechtsvordering niet toelaatbaar indien de eiser geen hoedanigheid en belang heeft om de vordering in te stellen. Het belang dient persoonlijk en rechtstreeks te zijn. Het geschil dient een voldoende nut te hebben voor de eiser; een zuiver theoretisch belang beantwoordt niet aan de eisen van artikel 18 van het Gerechtelijk Wetboek en is niet voldoende om een vordering ontvankelijk te verklaren.
Een feitelijke vereniging zonder rechtspersoonlijkheid kan niet optreden in rechte, tenzij in de gevallen uitdrukkelijk door de wet voorzien. Deze gevallen mogen niet worden uitgebreid via analogie.
VENNOOTSCHAPSRECHT
Openbaar overnamebod - Artikel 18ter van de wet van 2 maart 1989 - Bevoegdheidsregel
Artikel 18ter van de wet van 2 maart 1989 is een bevoegdheidsregel die op zich niet kan dienen als basis van een vordering.
Commentaire sur les trois arrêts rendus par la cour d'appel de Bruxelles dans le cadre
de l'offre publique d'acquisition de Suez sur les actions Electrabel
D. H.

L'offre publique d'acquisition lancée par Suez sur les actions Electrabel a, comme toute opération de cette ampleur, donné lieu à des recours par des actionnaires minoritaires ou des acteurs du monde économique. Trois décisions jugées dignes d'intérêt sont publiées ci-dessus. Il s'agit des recours intentés par, dans l'ordre chronologique des décisions rendues, E.G. et consorts, par Ph.D. ainsi que par la FGTB et son secrétaire général R.D. Ces décisions sont parmi les premières rendues dans le cadre des nouvelles compétences de la cour d'appel de Bruxelles en matière d'offre publique.

1.L'arrêt de la cour d'appel de Bruxelles du 7 novembre 2005, rendu dans l'affaire E.G. et consorts contre Suez, comporte un enseignement intéressant car il explique comment déterminer le point de départ du délai prévu à l'article 18ter § 2 de la loi du 2 mars 1989 relative à la publicité des participations importantes dans les sociétés cotées en bourse et réglementant les offres publiques d'acquisition. Cette disposition prévoit en effet qu'à peine de déchéance, toute demande susceptible d'avoir une incidence sur une offre publique doit être introduite dans un délai de 15 jours à compter de la connaissance, par le demandeur, du fait fondant sa demande. La doctrine avait craint que le choix de la connaissance d'un fait par le demandeur, comme point de départ d'un délai, donne lieu à des incertitudes. De manière très heureuse, cet arrêt décide que, vu la philosophie de la réforme introduite par la loi du 2 août 2002, le moment de la connaissance du fait fondant la demande doit être déterminé sur la base de données objectives lorsque les faits de la cause le permettent. En l'espèce, la cour en déduit que ce moment doit être celui où le fait a reçu une vaste publicité, et non celui où le demandeur en a effectivement pris connaissance. Le délai commence donc à courir dès que le demandeur a ou aurait dû avoir connaissance du fait fondant sa demande. Nous ne suivons toutefois plus le raisonnement de la cour lorsque, appliquant ces principes, elle décide qu'il faut utiliser comme point de départ du délai de 15 jours non la date de publication du prospectus, qui contenait les informations sur la base desquelles les demandeurs avaient introduit leur action, mais celle de la publication du complément de prospectus, qui traitait de questions étrangères à l'action. Il eut été plus logique, selon nous, de retenir la première de ces deux dates.

2.L'arrêt de la cour d'appel de Bruxelles du 8 novembre 2005, rendu dans l'affaire Ph.D. contre Suez, est intéressant à plus d'un titre. Il confirme tout d'abord que l'article 21 de la loi du 22 avril 2003 interdit tout recours à l'encontre d'une décision de la Commission bancaire, financière et des assurances approuvant un prospectus. Cette exclusion des recours n'est contraire ni à notre Constitution, ni au droit communautaire [1], ni à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme [2].

Cet arrêt confirme également l'interprétation prévalant largement en doctrine contemporaine [3] selon laquelle la Commission bancaire, financière et des assurances est seule chargée de veiller à l'application de l'arrêté royal du 8 novembre 1989 relatif aux offres publiques d'acquisitions et aux modifications du contrôle des sociétés, ce qui implique qu'elle soit seule habilitée à apprécier la qualité de l'information que doit contenir un prospectus. Ce faisant, la cour a confirmé la jurisprudence qu'elle avait adoptée lors d'un des litiges engendrés par l'offre publique d'échange sur Tractebel [4] et qui fut très largement approuvée par la doctrine de l'époque [5]. Cette interprétation est en outre conforme au passage de l'exposé des motifs de la loi du 2 août 2002 commentant l'introduction de l'adjectif “seule” dans l'article 18 § 3 de la loi du 2 mars 1989 [6].

Enfin, l'arrêt du 8 novembre 2005 précise que l'article 121 § 6 de la loi du 2 août 2002 a un caractère purement accessoire. Cette disposition prévoit en effet que certains recours en annulation sont suspensifs de la décision de la Commission bancaire, financière et des assurances et que d'autres ne le sont que si le demandeur en fait la demande expresse et établit qu'il dispose de moyens sérieux susceptibles de justifier la réformation de la décision et lorsque l'exécution immédiate de celle-ci risque de causer un préjudice grave et difficilement réparable. La cour en déduit que l'on ne peut introduire une demande en suspension des effets d'une décision de la Commission bancaire, financière et des assurances sans simultanément en demander l'annulation. Ceci relève du bon sens car l'on n'aperçoit pas l'utilité d'une demande en suspension qui serait introduite indépendamment d'une demande en annulation.

3.L'enseignement de l'arrêt du 10 novembre 2005 est plus classique. La cour rejette tout d'abord l'action en ce qu'elle est introduite par R.D. pour défaut d'intérêt personnel et direct. Sa qualité de secrétaire général de la FGTB, laquelle ne sera pas affectée par l'offre publique, ne lui procure pas d'intérêt particulier en vue de l'introduction d'une action en demande d'informations complémentaires: un intérêt purement fonctionnel ne suffit pas. La cour ne le suit pas davantage quand il invoque sa qualité de citoyen belge et de consommateur d'électricité pour intenter cette action contre l'offrant. Dans le premier cas, il défend en réalité l'intérêt général et dans le second, une fois encore, il demeure en défaut d'établir l'incidence concrète de l'offre sur sa qualité de consommateur et client de la société cible.

La cour d'appel de Bruxelles rappelle également que les organisations syndicales sont des organisations de fait dépourvues de la personnalité juridique et qu'elles ne sont recevables à agir en justice que dans les cas expressément prévus par la loi qui ne peuvent être étendus par analogie [7], [8]. La cour constate ensuite qu'aucune des dispositions spéciales invoquées par la FGTB n'est de nature à lui permettre, en l'espèce, d'introduire son action à l'encontre de Suez.

Enfin, la cour relève, fort utilement, que l'article 18ter de la loi du 2 mars 1989 est une règle de compétence qui ne peut, en elle-même, servir de fondement à une demande en justice. Cette disposition ne consacre donc aucun droit subjectif.

[1] La transposition de la directive 2004/25/CE du 21 avril 2004 concernant les offres publiques d'acquisition, en principe avant le 20 mai 2006, ne modifiera pas cette donnée. L'art. 4.6. de cette directive prévoit en effet que “la présente directive n'affecte pas le pouvoir des États membres de désigner les autorités judiciaires ou autres, chargées de connaître des litiges et de se prononcer sur les irrégularités commises lors de l'offre, ni le pouvoir des États membres d'arrêter des dispositions précisant si et dans quelles circonstances les parties à l'offre ont le droit d'entamer une procédure administrative ou judiciaire. En particulier, la présente directive n'affecte pas le pouvoir que peuvent avoir les juridictions d'un État membre de refuser de connaître d'un recours et de se prononcer sur le point de savoir si celui-ci affecte ou non le résultat de l'offre.” (nous soulignons).
[2] M. Leroy, Contentieux administratif, Bruxelles, Bruylant, 2ème éd., 2000, p. 230; P. Lewalle, Contentieux administratif, 2ème éd., 2002, n° 312; X. Dieux, “Examen de jurisprudence. Droit financier (1990-2003)” et spéc. n° 14, p. 254.
[3] P.-A. Foriers et C. de Potter, “La protection des actionnaires minoritaires en cas de modification de contrôle”, in Séminaire Vanham “Les actionnaires de référence”, 13 octobre 2005, p. 36, n° 41; X. Dieux, “Examen de jurisprudence. Droit financier (1990-2003)” et spéc. n° 14, p. 254 et n° 15, pp. 259 et s.; J.-M. Nelissen Grade, “Kroniek van de openbare overnamebiedingen (1996-2003)”, Dr. banc. fin. 2004, p. 30 et spéc. p. 35, n° 9; H.-P. Lemaître, “La Commission bancaire et financière après les lois du 2 août 2002: structure et compétences”, J.T. 2003, p. 449 et spéc. p. 452, n° 13; J.-F. Tossens, “Réforme de l'organisation des voies de recours contre les décisions prises notamment par la Commission bancaire et financière et par l'OCA”, in Séminaire Vanham “La réforme du contrôle des marchés financiers”, 9 octobre 2002, p. 10, n° 5.5; A. Bruyneel, “Les prospectus financiers: quelques réflexions”, in Mélanges John Kirkpatrick, Bruxelles, Bruylant, 2004, p. 111 et spéc. p. 133.
[4] Bruxelles 19 janvier 2001, Dr. banc. fin. 2001, p. 121.
[5] D. Willermain, “Conflits d'intérêts et droit à l'information dans le cadre d'une offre publique d'acquisition: quelques observations sur l'arrêt de la cour d'appel de Bruxelles dans l'affaire 'Tractebel'”, Dr. banc. fin. 2001, p. 127 et spéc. p. 133, n° 20; J.-M. Gollier, o.c., pp. 60 et s.; R. Prioux, “La transparence, principe général de droit en matière d'information des actionnaires et du marché?”, J.T. 1994, p. 117 et spéc. nos 18 et s.; X. Dieux, “La société anonyme: armature juridique de l'entreprise ou 'produit financier'?”, in Het vernieuwd juridisch kader van de ondernemingen: financieel, vennootschaps- en boekhoudrecht, die Keure, 1993, p. 83 et spéc. nos 85 et s.
[6] Doc. parl. Chambre 2001-02, 50-1842/01, p. 121.
[7] Cass. 28 avril 1966; Cass. 3 mai 1968, Pas. 1968, I, p. 1035; Bruxelles 4 février 1994, J.L.M.B. 1994, p. 657.
[8]  L. Peltzer, “La capacité des organisations représentatives à agir en personne - Une étude de l'article 4 de la loi du 5 décembre 1968”, Chron. D.S. 2002, p. 1 et spéc. p. 3 et note infrapaginale 32; V. Simonart, La personnalité morale en droit privé comparé, Bruxelles, Bruylant, 1995, p. 295, n° 339.