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L'application aux services publics de la loi sur les pratiques du commerce et la protection du consommateur, R.D.C.-T.B.H., 2006/2, p. 216-217

PRATIQUES DU COMMERCE
Général - Champ d'application - Clauses abusives - Principe d'égalité et de non-discrimination - Entreprise publique autonome - SNCB - Prestations de service public
Le législateur a donné à la loi sur les pratiques du commerce un champ d'application très large en vue de protéger le consommateur et, dans ce but, a étendu le champ d'application de la loi à des personnes qui ne sont pas commerçants ou artisans et à des personnes qui ne poursuivent pas un but de lucre. Ce champ d'application a encore été étendu en 1998 pour protéger le consommateur contre les clauses abusives.
Interprétés comme excluant du champ d'application de la loi la SNCB, pour ses prestations de service public, les articles 1.6.b), 31, 32 et 33 de la LPCC, lus conjointement, violent les articles 10 et 11 de la Constitution.
Interprétés comme n'excluant pas du champ d'application de la loi la SNCB, pour ses prestations de service public, ces mêmes articles, lus conjointement, ne violent pas les articles 10 et 11 de la Constitution.
HANDELSPRAKTIJKEN
Algemeen - Toepassingssfeer - Onrechtmatige bedingen - Beginsel van gelijkheid en niet-discriminatie - Autonoom overheidsbedrijf - NMBS - Openbare dienstverlening
De wetgever heeft aan de wet op de handelspraktijken een zeer ruime toepassingssfeer gegeven teneinde de consument te beschermen. Die bekommernis heeft hem ertoe gebracht de toepassingssfeer van de wet uit te breiden tot personen die geen handelaar of ambachtsman zijn en tot personen die geen winstoogmerk nastreven. De toepassingssfeer van de wet is in 1998 nog verder uitgebreid teneinde de consument te beschermen tegen de onrechtmatige bedingen.
Zo geïnterpreteerd dat ze de NMBS, wat haar openbare dienstverlening betreft, uitsluiten van de toepassingssfeer van de wet, schenden de artikelen 1.6.b), 31, 32 en 33 van de WHPC, in samenhang gelezen, de artikelen 10 en 11 van de Grondwet.
Zo geïnterpreteerd dat ze de NMBS, wat haar openbare dienstverlening betreft, niet uitsluiten van de toepassingssfeer van de wet, schenden dezelfde artikelen, in samenhang gelezen, de artikelen 10 en 11 van de Grondwet niet.
L'application aux services publics de la loi sur les pratiques du commerce
et la protection du consommateur
Andrée Puttemans [1]

La loi du 14 juillet 1991 sur l'information et la protection du consommateur (LPCC) comprend, en son article 1.6, une définition très alambiquée du “vendeur”, personnage central dans le champ d'application de cette loi [2].

La Cour de cassation a eu l'occasion d'interpréter, largement, les points a) et c) de cette disposition, en particulier dans l'affaire Elektroboot/Gent Watertoerist, relative à des activités de tourisme aquatique. L'association sans but lucratif Elektroboot organisait sur les cours d'eau de la ville de Gand un service gratuit de transport par taxi et par bus; pour la SPRL Gent Watertoerist, active dans le secteur du tourisme aquatique à Gand, il s'agissait là d'une forme de concurrence déloyale dont elle a demandé la cessation sur le fondement de l'article 93 de la LPCC. La cour d'appel de Gand a repoussé sa demande, considérant que l'ASBL Elektroboot n'était un vendeur ni au sens de l'article 1.6.a) parce qu'elle ne poursuivait aucun but lucratif en exerçant l'activité incriminée, ni au sens de l'article 1.6.c) parce qu'elle ne demandait aucune contrepartie au service de transport qu'elle offrait. La Cour de cassation [3] a cassé cet arrêt pour deux motifs. Tout d'abord parce que, contrairement à ce qu'a décidé la cour de Gand, il n'est pas requis qu'une personne offre en vente ou vende un service dans un esprit de lucre pour être considérée comme un vendeur au sens de l'article 1.6.a) de la LPCC - c'est la nature même de son activité ou de son acte qui est déterminante à cet égard [4]. Or tous les actes de transport par terre, par eau ou par air sont des actes de commerce au sens de l'article 2 du Code de commerce. Ensuite, parce qu'il ressort du rapprochement des articles 1.2. (définition du service) et 1.6.a) et c) de la LPCC, que quiconque offre en vente ou vend un service qui constitue, en soi, un acte de commerce au sens des articles 2 et 3 du Code de commerce peut être considéré comme un vendeur même si le bénéficiaire du service n'est pas tenu à une contrepartie.

L'arrêt reproduit ci-dessus permet à la Cour d'arbitrage de compléter le portrait du vendeur puisqu'il est relatif au maillon non traité par la Cour de cassation: le point b) de l'article 1.6. Cette catégorie de vendeurs concerne les personnes publiques au sens très large (personnes de droit public ou dans lesquelles un pouvoir public détient un intérêt prépondérant, telles une entreprise publique autonome - Belgacom, La Poste, la SNCB - une intercommunale, l'Institut Géographique National, etc.).

En l'espèce, la question était d'autant plus intéressante qu'elle concernait la qualité de vendeur des personnes morales de droit public lorsqu'elles effectuent des prestations de service public.

Un voyageur ayant pris place dans un train sans s'être muni d'un billet régulier et sans en avoir informé le personnel d'accompagnement avant son embarquement, s'était vu réclamer par la SNCB près de 200 euros au titre de dommages et intérêts, en application du règlement général pour le transport des voyageurs et des bagages de la SNCB.

Selon la jurisprudence constante du tribunal de police de Huy, cette disposition du règlement de la SNCB constitue une clause abusive, ce qui la rend nulle et interdite, au sens de la LPCC. Mais, selon la jurisprudence tout aussi constante du tribunal correctionnel de Huy, statuant en degré d'appel, la LPCC ne serait pas applicable au transport des navetteurs au motif que celui-ci constitue une mission de service public et que les relations entre la SNCB et ses usagers sont de nature réglementaire. Cette divergence de vues a incité le juge de police de Huy à poser à la Cour d'arbitrage la question préjudicielle reproduite en tête de l'arrêt.

Le Conseil des ministres, se fondant en particulier sur l'arrêt Elektroboot de la Cour de cassation et sur la loi du 21 mars 1991 portant réforme de certaines entreprises publiques économiques (qui répute commerciaux les actes des entreprises publiques autonomes), soutenait que l'article 1.6.b) ne peut être interprété comme excluant la SNCB, entreprise publique autonome, pour ses prestations de service public. Il invitait aussi la Cour à faire une interprétation conforme au droit européen (directive sur les clauses abusives [5]) des articles 1.6.b) et 31 de la LPCC.

À cette dernière observation, la Cour répond que c'est en règle au juge a quo qu'il appartient de déterminer et d'interpréter les normes applicables au litige qui lui est soumis [6]. En foi de quoi, la Cour a donc examiné les deux interprétations possibles.

Si les dispositions de la LPCC doivent être interprétées comme n'excluant pas de son champ d'application la SNCB pour les prestations de service public de celle-ci, ces dispositions ne créent évidemment aucune discrimination inconstitutionnelle.

Dans le cas inverse, la Cour d'arbitrage considère que la différence de traitement entre la SNCB, pour ses prestations de service public, et les autres opérateurs économiques repose sur un critère certes objectif mais non pertinent compte tenu du but poursuivi par le législateur. La Cour appuie son raisonnement sur les travaux préparatoires de la LPCC, dont il apparaît que le législateur a donné à celle-ci un champ d'application très large, s'étendant bien au-delà de la sphère purement commerciale, en vue de protéger le consommateur. La Cour ajoute que le champ d'application de la loi a du reste été encore étendu en 1998 pour protéger le consommateur contre les clauses abusives [7]. Je mets en évidence les mots “du reste” (dans la version néerlandaise de l'arrêt, il est fait usage du terme bovendien) dont la présence atteste que, pour la Cour, l'extension supplémentaire réalisée en 1998 n'est pas un élément nécessaire à sa démonstration mais seulement un renforcement de celle-ci. En d'autres mots, l'exclusion des entreprises publiques du champ d'application de la LPCC n'était pas pertinente dès avant l'élargissement de la notion de vendeur pour la seule application de la réglementation des clauses abusives, en 1998. La Cour relève en ce sens qu'il n'apparaît à aucun moment dans les travaux préparatoires que le législateur ait voulu restreindre le champ d'application de la loi de manière à exclure les personnes morales de droit public lorsqu'elles effectuent des prestations de service public.

Du caractère général des termes ainsi utilisés par la Cour d'arbitrage, il me paraît pouvoir être déduit que celle-ci a jugé inconstitutionnelle l'exclusion de toute personne morale de droit public exerçant une activité commerciale et offrant en vente des produits ou des services (sans limitation aux seules entreprises publiques autonomes) du champ d'application de l'ensemble de la LPCC (et non seulement de la partie de celle-ci relative aux clauses abusives).

Ainsi, l'enseignement combiné de la jurisprudence de la Cour de cassation et de la Cour d'arbitrage permet-il à présent de proposer une synthèse de la définition légale du vendeur: au sens de l'article 1.6. de la LPCC, la notion de vendeur comprend tous les commerçants, artisans et autres professionnels (à l'exception des titulaires de professions libérales) qui mettent sur le marché des produits ou des services, ainsi que les organismes publics, et toutes les personnes (privées ou publiques) qui, exerçant une activité à caractère soit commercial, soit financier, soit industriel, vendent des produits ou des services (en ce compris des services publics), pour leur compte ou au nom ou pour le compte d'un tiers. L'existence ou l'absence d'un but lucratif et/ou d'une contrepartie sont sans incidence pour déterminer cette qualité de vendeur.

Toutefois, comme J. Stuyck l'a bien montré dans cette revue [8], il est douteux que cette définition puisse survivre à la transposition en droit belge de la directive 2005/29 relative aux pratiques commerciales déloyales envers les consommateurs [9].

SAMENVATTING
Het geannoteerde arrest van het Arbitragehof, samen te lezen met de rechtspraak van het Hof van cassatie, laten toe een synthese voor te stellen van het begrip “verkoper” in de zin van artikel 1.6. WHPC: het begrip verkoper omvat alle handelaars, ambachtslui en anderen die in het kader van hun beroepsactiviteit (uitgezonderd de titularissen van een vrij beroep) producten en diensten op de markt brengen, evenals de overheidsinstellingen en alle (private of openbare) personen die een commerciële, financiële of industriële activiteit aan de dag leggen en die producten of diensten (met inbegrip van de openbare diensten) te koop aanbieden of verkopen, hetzij in eigen naam, hetzij in naam of voor rekening van een derde. Het bestaan of de afwezigheid van een lucratief doel of van een tegenprestatie zijn zonder belang voor de hoedanigheid van verkoper.
[1] Chargée de cours à l'ULB, avocate (De Corte & Puttemans).
[2] J. Stuyck, Handelspraktijken, in Beginselen van Belgisch Privaatrecht - Handels- en economisch recht, II.A, E.Story-Scientia, 2004, pp. 22 et s.; “'Consommateurs' et 'vendeurs' dans la loi sur les pratiques du commerce”, in J. Gillardin et D. Putzeys (eds.), Les pratiques du commerce. Autours et alentours, F.U.S.L., 1997, pp. 17-37; A. Puttemans, “Professeur = vendeur? Où il sera question d'enseignement hôtelier, d'artisanat, d'autorégulation et de concurrence déloyale”, Annuaire des pratiques du commerce 1995, pp. 508-514.
[3] Cass. 13 septembre 2002, www.cass.be ; G. Straetmans, “Verkoperbegrip uit de Wet op de Handelspraktijken; de daden van koophandel ontgroeid?”, R.D.C. 2004, p. 462 .
[4] La Cour de cassation ajoute, très étrangement, que la cour d'appel n'a pu légalement décider que l'ASBL en cause n'est pas une commerçante au sens de la loi du 14 juillet 1991 sur les pratiques du commerce et sur l'information et la protection du consommateur. Il doit s'agir ici d'un lapsus de la cour qui a employé à cet endroit de son arrêt le mot “commerçant” en lieu et place du mot “vendeur” (on trouve la même erreur dans la version originaire de l'arrêt, en néerlandais).
[5] Directive 93/13/CEE du 5 avril 1993 concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs.
[6] Une règle que la Cour ne suit pas toujours, sans que l'on sache très bien dans quels cas elle estime devoir y déroger.
[7] Pour l'application de la section de la LPCC relative aux clauses abusives (section 2 du chapitre V, art. 31 à 34), il faut entendre par “vendeurs” non seulement les personnes visées à l'art. 1.6. de la même loi, mais aussi toute autre personne physique ou morale, à l'exception des titulaires d'une profession libérale, qui, dans un contrat conclu avec un consommateur, agit dans le cadre de son activité professionnelle.
[8] “De nieuwe richtlijn oneerlijke handelspraktijken. Gevolgen voor de wet op de handelspraktijken”, R.D.C. 2005, pp. 901 et s. (spéc. n° 4.2.1).
[9] Directive 2005/29/CE du Parlement européen et du Conseil du 11 mai 2005 “relative aux pratiques commerciales déloyales des entreprises vis-à-vis des consommateurs dans le marché intérieur et modifiant la directive 84/450/CEE du Conseil et les directives 97/7/CE, 98/27/CE et 2002/65/CE du Parlement européen et du Conseil et le règlement (CE) n° 2006/2004 du Parlement européen et du Conseil”, J.O. L. 149/22 du 11 juin 2005.