Article

Cour d'arbitrage, 26/10/2005, R.D.C.-T.B.H., 2006/2, p. 208-215

Cour d'arbitrage 26 octobre 2005

PRATIQUES DU COMMERCE
Général - Champ d'application - Clauses abusives - Principe d'égalité et de non-discrimination - Entreprise publique autonome - SNCB - Prestations de service public
Le législateur a donné à la loi sur les pratiques du commerce un champ d'application très large en vue de protéger le consommateur et, dans ce but, a étendu le champ d'application de la loi à des personnes qui ne sont pas commerçants ou artisans et à des personnes qui ne poursuivent pas un but de lucre. Ce champ d'application a encore été étendu en 1998 pour protéger le consommateur contre les clauses abusives.
Interprétés comme excluant du champ d'application de la loi la SNCB, pour ses prestations de service public, les articles 1.6.b), 31, 32 et 33 de la LPCC, lus conjointement, violent les articles 10 et 11 de la Constitution.
Interprétés comme n'excluant pas du champ d'application de la loi la SNCB, pour ses prestations de service public, ces mêmes articles, lus conjointement, ne violent pas les articles 10 et 11 de la Constitution.
HANDELSPRAKTIJKEN
Algemeen - Toepassingssfeer - Onrechtmatige bedingen - Beginsel van gelijkheid en niet-discriminatie - Autonoom overheidsbedrijf - NMBS - Openbare dienstverlening
De wetgever heeft aan de wet op de handelspraktijken een zeer ruime toepassingssfeer gegeven teneinde de consument te beschermen. Die bekommernis heeft hem ertoe gebracht de toepassingssfeer van de wet uit te breiden tot personen die geen handelaar of ambachtsman zijn en tot personen die geen winstoogmerk nastreven. De toepassingssfeer van de wet is in 1998 nog verder uitgebreid teneinde de consument te beschermen tegen de onrechtmatige bedingen.
Zo geïnterpreteerd dat ze de NMBS, wat haar openbare dienstverlening betreft, uitsluiten van de toepassingssfeer van de wet, schenden de artikelen 1.6.b), 31, 32 en 33 van de WHPC, in samenhang gelezen, de artikelen 10 en 11 van de Grondwet.
Zo geïnterpreteerd dat ze de NMBS, wat haar openbare dienstverlening betreft, niet uitsluiten van de toepassingssfeer van de wet, schenden dezelfde artikelen, in samenhang gelezen, de artikelen 10 en 11 van de Grondwet niet.

M. Loumaye / SA de droit public Société nationale des chemins de fer belges (SNCB)

Siég.: M. Melchior et A. Arts (présidents), P. Martens, E. De Groot, L. Lavrysen, A. Alen et J.-P. Moerman (juges)
Pl.: Mes K. Lemmens loco P. Hofströssler, H. Gilliams et E. Balate

En cause: la question préjudicielle relative aux articles 1.6.b), 31, 32 et 33 de la loi du 14 juillet 1991 sur les pratiques du commerce et sur l'information et la protection du consommateur, posée par le tribunal de police de Huy.

(...)

I. Objet de la question préjudicielle et procédure

Par jugement du 14 décembre 2004 en cause du ministère public contre M. Loumaye, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour d'arbitrage le 23 décembre 2004, le tribunal de police de Huy a posé la question préjudicielle suivante:

“Les articles 1.6.b), 31, 32 et 33 de la loi du 14 juillet 1991 sur les pratiques du commerce, lus conjointement, violent-ils les articles 10 et 11 de la Constitution en ce que interprétés comme excluant du champ d'application de la loi la SNCB, entreprise publique autonome, pour ses prestations de service public, ils sont susceptibles de créer une situation discriminatoire à l'égard des consommateurs de services offerts par d'autres entreprises, et plus particulièrement en ce que cette interprétation conduit à exclure du contrôle du juge l'application des pénalités prévues en cas d'inexécution fautive du contrat dans le chef du consommateur?”.

(...)

II. Les faits et la procédure antérieure

Il est reproché au prévenu devant le tribunal de police de Huy d'avoir, comme voyageur, pris place dans un train sans s'être muni d'un billet régulier. La SNCB postule au titre de dommages et intérêts 193,90 euros.

Le tribunal rappelle tout d'abord qu'il a déjà eu antérieurement à connaître de réclamations civiles de la SNCB dans des espèces similaires. Il rappelle également le contenu de jugements des tribunaux correctionnels de Huy et de Namur, siégeant en degré d'appel, sur la même problématique.

Ces tribunaux considèrent que la loi du 14 juillet 1991 sur les pratiques du commerce n'est pas applicable aux missions de service public de la SNCB, telles que le transport de personnes en service intérieur. Or, l'application du règlement général pour le transport des voyageurs et des bagages impose au voyageur démuni d'un titre de transport, qui n'informe pas le personnel d'accompagnement avant son embarquement, de verser, outre le prix du billet, un montant forfaitaire. Si ce montant n'est pas payé dans un délai de 14 jours calendrier, il a l'obligation de verser une surtaxe forfaitaire complémentaire. Le tribunal relève ensuite que l'application des articles 32.21 et 33 de la loi du 14 juillet 1991 précitée pourrait conduire à l'annulation de la clause litigieuse. Il n'aperçoit donc pas la justification d'une différence de traitement entre les usagers de la SNCB et d'autres consommateurs soumis au droit commun et pose dès lors la question préjudicielle mentionnée ci-dessus.

III. En droit
- A -
Position du prévenu devant le juge a quo

A.1.1. Le prévenu devant le juge a quo précise tout d'abord que la jurisprudence du tribunal de police de Huy, constante en la matière, considère la majoration fixée par la SNCB en application de son règlement comme une clause abusive au sens de la loi du 14 juillet 1991. Le tribunal annule dès lors cette clause et condamne le prévenu à une somme nettement inférieure, qui constitue selon le tribunal le préjudice subi par la partie civile. La SNCB fait systématiquement appel de cette décision et le tribunal correctionnel de Huy adopte une jurisprudence constante différente, qui admet cette majoration et refuse d'appliquer la loi du 14 juillet 1991 parce qu'il considère que le transport des navetteurs constitue une mission de service public et que les relations entre la SNCB et ses usagers sont de nature réglementaire. On retrouve ces jurisprudences différenciées à Namur.

Le prévenu devant le juge a quo estime que pour répondre à la question préjudicielle, il faut répondre à deux questions juridiques majeures, l'une concernant la place de la SNCB dans la summa divisio opposant le droit public et le droit privé et l'autre concernant les relations, contractuelles ou réglementaires, entre la SNCB et ses usagers. Les réponses à ces questions ont des répercussions importantes sur la compétence du juge et sur le droit applicable. La partie relève que la réponse à ces questions est complexe en raison de la nature hybride de la SNCB. Des divergences importantes sont apparues dans la jurisprudence: concernant la première question, la Cour de cassation et le Conseil d'État ont adopté des positions diamétralement opposées; concernant la seconde question, la jurisprudence des tribunaux correctionnels de Huy et de Namur fait une analyse incorrecte du droit, qui conduit à une discrimination.

A.1.2. Le prévenu devant le juge a quo considère que la SNCB présente une nature hybride, se situant dans un domaine intermédiaire entre le droit privé et le droit public. Il en résulte l'application à cette entreprise publique tantôt des législations issues du droit privé et du droit commercial, comme la loi sur les pratiques du commerce, tantôt de législations issues du droit public et administratif. La SNCB est une administration décentralisée qui bénéficie de la personnalité juridique et, à ce titre, peut revendiquer une autonomie de gestion. L'appartenance de la SNCB au droit public se justifie également par le fait qu'elle doit accomplir plusieurs missions de service public expressément énumérées dans la loi du 21 mars 1991. Toutefois, le droit administratif s'embarrasse de contraintes qui s'adaptent mal aux réalités économiques de plus en plus rudes que la SNCB doit affronter quotidiennement. C'est pour cette raison que le législateur a adopté en 1991 une loi sur les entreprises publiques autonomes qui introduit un équilibre entre une gestion commerciale autonome et les contraintes administratives liées aux missions de service public. Le législateur a fourni de précieux indices dans ses lois et dans les travaux préparatoires qui permettent d'identifier clairement sa volonté de soumettre la SNCB à la loi sur les pratiques du commerce, comme cela apparaît d'une analyse de la loi du 21 mars 1991 et de la loi du 14 juillet 1991. Selon la partie, la jurisprudence du tribunal correctionnel de Huy ne tient pas compte de cette volonté. En réputant commerciaux les actes de la SNCB, le législateur a voulu appliquer à cette entreprise publique autonome la loi sur les pratiques du commerce. Une autre entreprise publique autonome, à savoir Belgacom, a été à plusieurs reprises qualifiée de vendeur dans de nombreuses décisions.

A.1.3. Il reste encore à déterminer ce qu'est une clause abusive au sens des articles 31 à 34 de la loi du 14 juillet 1991. Selon la partie, il y a lieu de viser non seulement les clauses à caractère contractuel sensu stricto mais également les clauses à caractère réglementaire. Le règlement général de la SNCB est donc incontestablement visé et le montant élevé qui peut être réclamé, qui est 48 fois plus élevé que le coût du titre de transport impayé, après seulement deux rappels, conduit à un déséquilibre manifeste entre le droit de la SNCB et l'obligation du voyageur. Il s'agit donc d'une clause abusive.

A.1.4. La partie réfute ensuite les arguments qui permettraient de justifier la discrimination dénoncée. Invoquer la mission de service public pour refuser l'application de la loi du 14 juillet 1991 va à l'encontre de la volonté du législateur. Il y a en outre une confusion entre service public et droit public. La poursuite d'une mission de service public n'emporte pas ipso facto la qualité d'administration et l'application du droit public. La mission de service public de la SNCB dépend en grande partie de la conjoncture économique, ce qui démontre son caractère relatif. La nature juridique du règlement applicable aux voyageurs n'est pas davantage un argument permettant de conclure à l'absence de discrimination. Ce règlement général ne saurait avoir la qualité d'une loi puisqu'il émane de la seule SNCB qui s'est vu attribuer ce “pouvoir normatif” en vertu d'un contrat de gestion qu'elle a conclu avec l'État belge. Il y a en outre un paradoxe à vouloir donner un caractère réglementaire et même la qualité de loi à un texte dont l'origine est typiquement contractuelle. La partie rappelle enfin que la loi sur les pratiques du commerce a pour vocation de régir la situation où le consommateur est confronté à des conditions qu'il ne peut négocier, par exemple un contrat d'adhésion. C'est précisément pour éviter les abus générés par de tels contrats que le législateur a adopté la loi sur les pratiques du commerce.

A.1.5. La partie précise enfin que le litige met en évidence un autre problème, à savoir la possibilité pour les cours et tribunaux de l'ordre judiciaire de connaître des contestations relatives aux entreprises publiques. Il y a lieu à cet égard, selon elle, de se référer à l'article 144 de la Constitution. La Cour de cassation a rendu un arrêt intéressant sur cette question dans un litige qui opposait la SNCB à certains de ses employés et elle a conclu que le différend portait sur des droits civils.

Position de la société anonyme de droit public SNCB-Holding, partie devant le juge a quo

A.2.1. La SNCB rappelle tout d'abord que les “conditions générales pour le transport des voyageurs, des bagages accompagnés et pour d'autres prestations en service intérieur” de la SNCB ont valeur réglementaire. Le législateur a délégué à la SNCB le pouvoir de réglementer ce transport. Ces règlements peuvent être attaqués selon les procédures prévues à cet effet. Ceci implique la possibilité de recours au Conseil d'État et l'application de l'article 159 de la Constitution par le juge ordinaire. Par ailleurs, l'article 31 de la loi soumise au contrôle de la Cour qui précise ce qu'il faut entendre par “clause abusive” a voulu protéger la position du consommateur dans le cadre des contrats standard. L'élément clé de cette approche protectrice est la notion de l'équilibre contractuel. L'article 32 de la même loi énumère de façon limitative les clauses abusives.

A.2.2. La SNCB considère que la différence de traitement dénoncée est raisonnablement justifiée et qu'il n'y a pas de violation du principe d'égalité. Deux critères objectifs, pertinents et raisonnables peuvent justifier que la disposition concernant les clauses abusives ne s'applique pas à l'indemnité forfaitaire imposée par la SNCB.

Tout d'abord, la différence de traitement est fondée sur la qualité et la nature du service public. Il ressort du champ d'application de la loi en cause, notamment de l'article 1.6.b), que la loi ne s'applique qu'aux organismes publics ou personnes morales dans lesquels les pouvoirs publics détiennent un intérêt prépondérant à condition qu'ils exercent une activité à caractère commercial, financier ou industriel et qu'ils offrent en vente ou vendent des produits ou des services. La loi sur les pratiques du commerce ne peut donc être applicable à la SNCB que pour autant qu'elle offre des services commerciaux. Or, selon la loi du 21 mars 1991 portant réforme de certaines entreprises publiques économiques, telle qu'elle était en vigueur à l'époque des faits, le transport des voyageurs est considéré comme une mission de service public. Dans la mesure où le législateur a souhaité qualifier ainsi cette activité, il a fait un choix d'opportunité qu'il n'incombe pas à la Cour de juger. Ce choix implique une soumission de l'activité au droit administratif et aux règles du service public. La mission de service public ainsi confiée à la SNCB satisfait à un besoin collectif de mobilité, qu'un service commercial ne peut offrir à tous les citoyens aux mêmes conditions. Il n'en résulte pas que la SNCB serait, à la différence des entreprises privées, entièrement libre de déterminer les conditions régissant la mise en oeuvre du service public, puisqu'elle est tenue de respecter, en vertu de l'article 11 de la loi du 25 août 1891, le contrat de gestion. Ses actes unilatéraux sont en outre soumis au contrôle juridictionnel exercé par le Conseil d'État ou par le juge ordinaire en application de l'article 159 de la Constitution. Il n'est donc pas exact de prétendre que l'usager d'un service public ne disposerait pas de recours en cas de contestation en matière de pénalités prétendument excessives. La différence est donc fondée sur un critère pertinent et objectif; il n'y a pas davantage atteinte au principe de proportionnalité puisque l'exclusion dénoncée ne vaut que pour les services publics offerts par la SNCB et pas pour les services de nature commerciale.

La partie estime par ailleurs que la différence est fondée sur la relation entre le consommateur et le fournisseur du service et qu'elle est donc objective et pertinente. Cette relation est en effet de nature réglementaire parce que le législateur a considéré un tel service comme une mission de service public que la SNCB a l'obligation d'exécuter. Les conditions de ce service ne peuvent être négociées par les parties. L'usager bénéficie du régime juridique régissant le service public, dont le principe d'égalité des usagers et la continuité du service sont les éléments capitaux. Il en résulte que la surtaxe ne doit pas s'analyser comme une clause pénale susceptible de réduction en application de la loi sur les pratiques du commerce, car elle ne relève pas de la sphère contractuelle. Il s'agit d'une mesure de nature administrative. En revanche, d'autres services sont de nature commerciale et établissent un lien contractuel entre le fournisseur et le consommateur. La différence de traitement repose donc sur un critère objectif et pertinent et est justifiée dès lors qu'il n'y a pas d'équilibre contractuel à vouloir préserver. Le traitement différencié est enfin proportionné dès lors que la majoration forfaitaire n'est imposée que si le voyageur a, à deux reprises, refusé de régulariser sa situation et dès lors que le montant de cette majoration est plus que raisonnable, eu égard aux frais auxquels la SNCB doit faire face (dressement d'un procès-verbal, constitution de partie civile). Il va de soi que le coût de la violation des conditions d'usage du service et du recouvrement judiciaire qui en découle n'est certainement pas inférieur à la majoration appliquée.

Position du Conseil des ministres

A.3.1. Le Conseil des ministres relève tout d'abord qu'il réserve exclusivement sa réponse quant à l'applicabilité des articles 1.6.b) et 31 de la loi en cause étant entendu que manifestement, les articles 32 et 33 doivent être appliqués exclusivement par le juge du fond dès lors qu'une solution n'excluant pas la SNCB du champ d'application de la loi du 14 juillet 1991, en ses articles 1.6.b) et 31, sera retenue.

Le Conseil des ministres estime que la bonne compréhension des textes soumis au contrôle de la Cour requiert de prendre en considération la directive du 5 avril 1993 concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs (directive 93/13/CEE). Les articles 31 et suivants de la loi litigieuse transposent en effet en droit national cette directive.

Le Conseil des ministres considère que les dispositions soumises au contrôle de la Cour, et plus particulièrement l'article 1.6.b) de la loi du 14 juillet 1991, ne contiennent aucune distinction liée à la qualité de la société anonyme de droit public SNCB, comme le soutient le tribunal de police de Huy. Se fondant sur la doctrine, sur un arrêt de la Cour de cassation du 13 septembre 2002, sur la directive européenne précitée, sur un avis de la Commission des clauses abusives du 6 juin 2000 et sur le texte clair des dispositions en cause, le Conseil des ministres conclut que les articles 1.6.b) et 31 de la loi en cause ne violent pas les articles 10 et 11 de la Constitution, en ce qu'ils ne peuvent être interprétés comme excluant du champ d'application de la loi la SNCB, entreprise publique autonome, pour ses prestations de service public. Comme les autres organismes publics ou assimilés, cette société est soumise à la loi lorsqu'elle offre des produits ou des services dans le cadre d'une activité à caractère commercial, financier ou industriel.

A.3.2. À titre subsidiaire, le Conseil des ministres soutient que si la thèse selon laquelle la SNCB n'est pas un vendeur au sens de la loi du 14 juillet 1991 ne peut être retenue, il faut encore constater que le règlement général, en particulier les tarifs applicables au transport de personnes en service intérieur au sens de l'article 13 de la loi du 25 août 1891, tel que modifié par l'article 165, 2° de la loi du 21 mars 1991, doit être interprété conformément à la directive du 5 avril 1993 précitée, en ce sens que le juge peut manifestement contrôler l'indemnité forfaitaire fixée dans ledit règlement en cas d'inexécution par le voyageur de ses obligations au regard des dispositions de ladite directive.

A.3.3. Le Conseil des ministres conclut dès lors à titre principal que la question est dépourvue de toute pertinence en ce qu'elle tend à demander à la Cour d'interpréter les articles 32 et 33 de la loi du 14 juillet 1991; et qu'il n'y a pas de violation des articles 10 et 11 de la Constitution par les articles 1.6.b) et 31 de cette loi, en ce qu'ils n'excluent pas de leur champ d'application la SNCB, entreprise publique autonome, pour ses prestations de service public.

Il invite la Cour, à titre subsidiaire, à dire pour droit que si les articles 1.6.b) et 31 de la loi en cause ne peuvent conduire à faire entrer dans leur champ d'application la SNCB, aucune discrimination ne devrait être constatée en ce que l'interprétation qu'il convient de donner au règlement général applicable aux voyageurs et aux personnes présentes dans les installations de chemin de fer doit être conforme aux dispositions de la directive 93/13/CEE du 5 avril 1993.

Réponse de la société anonyme de droit public SNCB

A.4.1. La SNCB répond que c'est à tort que le prévenu entend déduire de l'article 8 de la loi du 21 mars 1991 que même les missions de service public seraient réputées commerciales. Une telle affirmation ne trouve de fondement ni dans la loi, ni dans les travaux préparatoires et porterait atteinte à l'économie générale de la loi du 21 mars 1991. En adoptant cette loi, le législateur a voulu un compromis entre la tendance administrative favorable au service public traditionnel et la tendance commercialiste favorable à une libéralisation et une démarche d'entreprise. L'activité des entreprises publiques est donc scindée en une partie “service public” dont les tâches sont organisées par le contrat de gestion et une partie “commerciale” dont la gestion sera poursuivie en pleine autonomie. Les activités de service public devront s'exercer dans le respect des principes de droit administratif dont l'application est liée à un critère fonctionnel.

A.4.2. Concernant la différence fondée sur la relation entre le consommateur et le fournisseur du service, la partie précise encore qu'en cas de conclusion d'un contrat de transport, les conditions réglementaires n'en font pas partie mais viennent s'y ajouter. Par contre, en cas d'absence de contrat de transport, comme en l'espèce, ces conditions fixent le montant de l'indemnité qui, de ce fait, est une indemnité administrative. On peut d'ailleurs se demander si la question préjudicielle n'est pas complètement dénuée de pertinence, encore que l'application même desdites conditions dans ce cas-là, qui n'est point contestée, constitue la preuve suffisante de leur caractère réglementaire. L'on ne s'étonnera donc pas du fait que le législateur ait jugé utile de faire publier, fût-ce par extrait, les conditions du service fourni par la SNCB au Moniteur belge ni du fait que ce même législateur ait jugé utile de renforcer la force contraignante des conditions du service fourni par la SNCB en cas de leur non-respect par l'application concomitante du droit pénal, alors que cela n'est pas prévu en cas de non-respect des conditions régissant des services fournis par d'autres entreprises. Dans ce contexte, il est peu pertinent de se référer, comme le fait le prévenu, à la nature prétendument contractuelle du contrat de gestion. Le règlement portant les conditions générales trouve sa base juridique, non pas dans le contrat de gestion, mais dans la loi du 25 août 1891 et la nature du contrat de gestion n'est pas sans poser problème. Même s'il s'agit d'un contrat conclu entre la SNCB et l'État, il doit être approuvé par arrêté royal. En outre, la loi du 21 mars 1991 exclut l'application de l'article 1184 du Code civil au contrat de gestion. Ce contrat de gestion est donc considéré comme un contrat sui generis de nature semi-réglementaire.

Réponse du Conseil des ministres

A.5.1. Le Conseil des ministres répond à la SNCB que la distinction entre les activités de service public et les activités ordinaires ne signifie pas que l'activité exercée en tant que service public ne présente pas un caractère commercial, financier ou industriel, dès lors qu'il s'agit d'un transport intérieur. L'analyse faite par la SNCB conduit à vider de sa substance l'article 1.6.b) de la loi en cause, en ce que toute activité à caractère commercial, financier ou industriel qui serait exercée par un organisme public ou une personne morale et dans laquelle les pouvoirs publics détiennent un intérêt prépondérant serait immédiatement soustraite à l'application de la loi. Tel ne peut être le sens donné à la loi du 14 juillet 1991; le critère retenu vise à assurer l'égalité de traitement entre les vendeurs. La finalité de l'activité du vendeur ne peut éliminer la circonstance que les services présentent un caractère commercial. Il est faux de considérer que la Cour serait amenée à faire un choix d'opportunité.

A.5.2. Concernant la différence entre les usagers, le Conseil des ministres conteste l'analyse de la SNCB dans la mesure où l'article 8 de la loi du 21 mars 1991 conduit à considérer que les actes et les engagements des entreprises publiques autonomes sont réputés commerciaux. Les travaux préparatoires confirment que ces entreprises sont soumises à la loi du 14 juillet 1991. Ainsi, à côté des clauses à caractère strictement contractuel, sont également visées les conditions de fournitures à caractère réglementaire.

A.5.3. Concernant la justification de la différence de traitement, le Conseil des ministres considère que les arguments invoqués par la SNCB pour soutenir la proportionnalité du traitement différencié doivent être soustraits à l'examen de la Cour dans la mesure où la question préjudicielle posée conduit simplement à voir si les dispositions soumises au contrôle de la Cour peuvent conduire à exclure du contrôle du juge l'application des pénalités prévues en cas d'inexécution fautive du contrat dans le chef du consommateur. La Cour ne peut se prononcer sur ce contrôle des pénalités. Il convient simplement de vérifier si la SNCB entre dans le champ d'application de l'article 1.6.b) de la loi en cause. Toute autre interprétation relève de l'appréciation du juge du fond.

Mémoires complémentaires

A.6.1. Par ordonnance du 13 juillet 2005, la Cour a invité les parties à s'exprimer dans un mémoire complémentaire sur la question suivante:

“Quelle est l'incidence de la directive 93/13/CEE du Conseil des Communautés européennes du 5 avril 1993 'concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs' sur le problème de constitutionnalité soumis à la Cour d'arbitrage?”.

A.6.2. Le Conseil des ministres considère que la primauté du droit communautaire et de son application uniforme dans les États membres conduit à une position de supériorité dans la hiérarchie des sources avec l'obligation pour tout organe juridictionnel ou administratif de ne pas appliquer les dispositions internes contraires ou à tout le moins de les appliquer ou de les interpréter de manière conforme aux directives. Le Conseil des ministres estime donc qu'il faut d'abord vérifier dans le cas d'espèce si les articles 31 et suivants de la loi en cause correspondent à une transposition correcte de la directive.

Se fondant sur une étude de la Commission européenne relative à un appel d'offre, le Conseil des ministres relève que toute personne publique ou privée peut être considérée comme entrant dans la définition du “professionnel” au sens de la directive. S'il est vrai que l'article 1 paragraphe 2 de la directive exclut du champ d'application les clauses contractuelles qui reflètent des dispositions législatives ou réglementaires impératives, il faut relever que, dans son considérant 13, cette directive indique que l'exclusion de ces clauses est justifiée par le fait que de telles dispositions sont censées ne pas contenir de clauses abusives. Le Conseil des ministres rappelle par ailleurs que lors de l'adoption de la loi du 14 juillet 1991, la question de l'applicabilité de l'article 31 aux conditions générales présentées aux usagers sous la forme d'acte administratif réglementaire a été anticipée.

Le Conseil des ministres fait valoir que, dès lors que la directive doit être interprétée comme étant applicable aux services publics, il convient que l'interprétation qui sera donnée par la Cour d'arbitrage dans l'examen de constitutionnalité ne méconnaisse pas le résultat à atteindre par la directive. Puisqu'il apparaît de manière certaine que le législateur a entendu anticiper sur la transposition, il est important de vérifier s'il a adopté pour toutes les hypothèses visées des dispositions qui ont une efficience comparable. Or, tel n'est pas le cas des recours qui seraient ouverts aux consommateurs, si l'on suit la thèse de la SNCB. Si certes, il peut être théoriquement soutenu que l'interprétation qui serait faite par les juridictions judiciaires et administratives du règlement général de la SNCB pourrait conduire à des résultats identiques à ceux obtenus par les articles 31 et suivants de la loi en cause, il faut encore rappeler que le principe de sécurité juridique doit conduire à donner pleine et entière application à la directive. La Cour de justice des Communautés européennes se fonde d'ailleurs sur ce principe de sécurité juridique pour évaluer la qualité de la transposition des obligations communautaires.

Le Conseil des ministres conclut que le respect dû à la directive impose une interprétation non discriminante qui permette à la fois de rencontrer les résultats à atteindre par la directive et le principe d'égalité de traitement des articles 10 et 11 de la Constitution.

A.6.3. La SNCB considère à titre principal que la directive en cause n'a pas d'incidence sur le cas d'espèce. Il ne peut être sérieusement mis en doute que la SNCB doit être considérée comme un professionnel au sens de la directive, mais cette constatation n'implique nullement que la directive s'applique également aux conditions générales de la SNCB. La partie se fonde à cet égard sur l'article 1 paragraphe 2 de la directive ainsi que sur le considérant 13 qui permettent de conclure à l'existence d'une présomption quant à la conformité des clauses réglementaires à la directive. Ce point de vue est partagé par l'Institut national de la consommation dans une étude commanditée par la Commission européenne. Puisque la nature réglementaire des conditions générales de la SNCB ressort de l'article 16 de la loi du 25 août 1891 “portant révision du titre du Code de commerce concernant les contrats de transport” et de la jurisprudence de la Cour de cassation, les conditions générales de la SNCB échappent à l'application de la directive. Cette directive n'a donc pas d'incidence sur la question de constitutionnalité faisant l'objet de la question préjudicielle.

La SNCB considère à titre subsidiaire que l'ordre juridique belge respecte la directive. Le droit belge offre, en effet, toutes les garanties requises à cet égard. La directive laisse aux États membres le choix d'organiser la protection requise, soit par une procédure judiciaire, soit pas une procédure administrative. Dans la sphère contractuelle, la loi sur les pratiques du commerce assure la protection voulue. Pour les relations réglementaires, en l'occurrence celles qui existent entre le fournisseur d'un service public et son utilisateur, la protection est assurée d'une autre manière. Le consommateur dispose de deux voies s'il veut faire cesser l'utilisation de “clauses abusives”: un recours direct devant le Conseil d'État qui peut mener à la suspension ou à l'annulation de l'acte en cause et la possibilité de demander, dans le cadre d'une procédure devant le juge de l'ordre judiciaire, que ce juge n'applique pas l'acte en cause, s'il est contraire à la loi, sur la base de l'article 159 de la Constitution. Le juge saisi pourra se fonder sur le principe de proportionnalité comme principe général de bonne administration pour éventuellement sanctionner une clause qui serait abusive. Si la protection du consommateur d'un service public n'est pas assurée par la mise en oeuvre de la loi sur les pratiques du commerce, elle se concrétise donc par un autre mécanisme, par le biais du principe de proportionnalité. La SNCB souligne enfin que la protection des intérêts du consommateur est en outre assurée par l'existence de mécanismes de contrôle préventif prévus par la loi du 21 mars 1991 portant réforme de certaines entreprises publiques économiques. Un commissaire du Gouvernement veille, en effet, à ce que les décisions des organes de la SNCB respectent la loi et donc le principe de proportionnalité.

La SNCB conclut donc que la directive n'a pas d'incidence sur la question de constitutionnalité. En effet, ses buts sont atteints, même dans des hypothèses qu'elle ne viserait pas, aussi bien dans la sphère contractuelle que dans la sphère réglementaire.

- B -

B.1. La question préjudicielle posée par le tribunal de police de Huy invite la Cour à se prononcer sur la compatibilité, avec les articles 10 et 11 de la Constitution, des articles 1.6.b), 31, 32 et 33 de la loi du 14 juillet 1991 sur les pratiques du commerce et sur l'information et la protection du consommateur, lus conjointement, en ce que, interprétés comme excluant du champ d'application de la loi la SNCB, entreprise publique autonome, pour ses prestations de service public, ils sont susceptibles de créer une situation discriminatoire par rapport à des consommateurs de services offerts par d'autres entreprises, et plus particulièrement en ce que cette interprétation conduit à exclure du contrôle du juge l'application des pénalités prévues en cas d'inexécution fautive du contrat dans le chef du consommateur.

B.2. L'article 1.6. de la loi du 14 juillet 1991 précitée dispose:

“Article 1. Pour l'application de la présente loi, il faut entendre par:

[…]

6. Vendeur:

a) tout commerçant ou artisan ainsi que toute personne physique ou morale qui offrent en vente ou vendent des produits ou des services, dans le cadre d'une activité professionnelle ou en vue de la réalisation de leur objet statutaire;

b) les organismes publics ou les personnes morales dans lesquelles les pouvoirs publics détiennent un intérêt prépondérant qui exercent une activité à caractère commercial, financier ou industriel et qui offrent en vente ou vendent des produits ou des services;

c) les personnes qui exercent avec ou sans but de lucre une activité à caractère commercial, financier ou industriel, soit en leur nom propre, soit au nom ou pour le compte d'un tiers doté ou non de la personnalité juridique et qui offrent en vente ou vendent des produits ou des services;

[…]”.

L'article 31 de la même loi dispose:

“§ 1. Pour l'application de la présente loi, il faut entendre par clause abusive, toute clause ou condition qui, à elle seule ou combinée avec une ou plusieurs autres clauses ou conditions, crée un déséquilibre manifeste entre les droits et les obligations des parties.

§ 2. Pour l'application de la présente section, il faut entendre par:

1° produits: non seulement les biens meubles corporels, mais aussi les biens immeubles, les droits et les obligations;

2° vendeur: non seulement les personnes visées à l'article 1er, 6, mais aussi toute autre personne physique ou morale, à l'exception des titulaires d'une profession libérale telle que définie à l'article 2, 1° de la loi du 3 avril 1997 relative aux clauses abusives dans les contrats conclus avec leurs clients par les titulaires de professions libérales, qui, dans un contrat conclu avec un consommateur, agit dans le cadre de son activité professionnelle.

§ 3. Le caractère abusif d'une clause contractuelle est apprécié en tenant compte de la nature des produits ou services qui font l'objet du contrat et en se référant, au moment de la conclusion du contrat, à toutes les circonstances qui entourent sa conclusion, de même qu'à toutes les autres clauses du contrat, ou d'un autre contrat dont il dépend. L'appréciation du caractère abusif des clauses ne porte ni sur la définition de l'objet principal du contrat, ni sur l'adéquation entre le prix et la rémunération, d'une part, et les produits ou services à fournir en contrepartie, d'autre part, pour autant que ces clauses soient rédigées de manière claire et compréhensible.

§ 4. Lorsque toutes ou certaines clauses du contrat sont écrites, ces clauses doivent être rédigées de manière claire et compréhensible.

En cas de doute sur le sens d'une clause, l'interprétation la plus favorable au consommateur prévaut. Cette règle d'interprétation n'est pas d'application dans le cadre de l'action en cessation prévue à l'article 95.”.

L'article 32 de la même loi énumère les clauses et conditions contenues dans les contrats conclus entre vendeur et consommateur qui sont considérées comme abusives.

L'article 33 de la même loi dispose:

“§ 1er. Toute clause abusive au sens des dispositions de la présente section, est interdite et nulle.

Le contrat reste contraignant pour les parties, s'il peut subsister sans les clauses abusives.

Le consommateur ne peut renoncer au bénéfice des droits qui lui sont conférés par la présente section.

§ 2. Une clause déclarant applicable au contrat la loi d'un État tiers à l'Union européenne est réputée non écrite en ce qui concerne les matières régies par la présente section lorsque, en l'absence de cette clause, la loi d'un État, membre de l'Union européenne, serait applicable et que cette loi procure une protection plus élevée au consommateur dans lesdites matières.”.

B.3. La Cour est interrogée sur la compatibilité avec les articles 10 et 11 de la Constitution des dispositions en cause en ce qu'elles sont interprétées comme excluant du champ d'application de la loi la SNCB, entreprise publique autonome, pour ses prestations de service public.

Dans son mémoire, le Conseil des ministres conteste cette interprétation en se fondant sur la directive européenne du 5 avril 1993 concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs (directive 93/13/CEE). Il invite la Cour à faire une interprétation conforme au droit européen des articles 1.6.b) et 31 de la loi en cause.

C'est en règle au juge a quo qu'il appartient de déterminer et d'interpréter les normes applicables au litige qui lui est soumis.

La Cour est interrogée sur la compatibilité de la différence de traitement que créeraient les dispositions en cause, telles qu'elles sont interprétées par le juge a quo, avec les articles 10 et 11 de la Constitution. Elle n'est pas compétente pour exercer un contrôle direct au regard des règles du droit communautaire mais elle devra, le cas échéant, tenir compte de celles-ci pour interpréter les dispositions en cause.

B.4. Il ressort des travaux préparatoires de la loi sur les pratiques du commerce que le législateur a, en utilisant la notion de “vendeur”, entendu étendre “considérablement le champ d'application de la loi, dans une perception plus réaliste des rapports concurrentiels. Sont ainsi également visés les organismes publics et les associations sans but lucratif” (Doc. parl. Sénat 1986-87, n° 464/2, p. 9).

De manière plus générale, le législateur a voulu “parfaire les mesures prises dans la loi du 14 juillet 1971 sur les pratiques du commerce tant en vue de garantir une concurrence loyale dans les transactions commerciales, que d'assurer l'information et la protection du consommateur à l'occasion de ses opérations commerciales les plus courantes” (Doc. parl. Sénat 1984-85, n° 947/1, p. 1).

Le législateur a encore étendu par la suite le champ d'application de certaines des dispositions relatives aux pratiques du commerce et plus particulièrement les règles relatives aux clauses abusives. Il a ainsi voulu “donner au consommateur une protection juridique accrue en décrétant l'interdiction d'insérer, dans les conventions entre vendeurs et consommateurs, des clauses abusives, rompant l'équilibre normal entre les droits et les obligations des parties” (Doc. parl. Chambre 1997-98, n° 1565/1, p. 1), par la loi du 7 décembre 1998 modifiant la loi du 14 juillet 1991 sur les pratiques du commerce et sur l'information et la protection du consommateur. Il a entendu à cet égard prendre les mesures indispensables pour assurer la transposition de la directive 93/13/CEE du Conseil concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, tout en conservant les dispositions plus favorables pour le consommateur, comme le permet l'article 8 de la directive (idem, pp. 2 et 3). Il ressort des travaux préparatoires de cette loi que le législateur a souhaité utiliser à l'article 31 § 1er, le terme “condition” à côté du terme “clause” “afin de viser non seulement les clauses à caractère contractuel sensu stricto, mais également les conditions de fourniture à caractère réglementaire qui sont utilisées par les vendeurs qui font partie de la catégorie des services publics […]” (Doc. parl. Chambre 1997-98, n° 1565/1, p. 4).

Il apparaît encore des travaux préparatoires de cette loi que:

“Afin de mettre un terme aux controverses sur ce point, le projet étend, pour l'application de la présente section, la définition de vendeur, afin de viser de la façon la plus large possible toute personne physique ou morale qui, dans des contrats conclus avec les consommateurs, agit dans le cadre de son activité professionnelle” (ibid., p. 5).

B.5.1. Telles qu'elles sont interprétées par le juge a quo, les dispositions en cause créent une différence de traitement entre la SNCB, entreprise publique autonome, pour ses prestations de service public, qui serait exclue du champ d'application des articles 1.6.b) et 31 § 2, 2° de la loi sur les pratiques du commerce, et les autres opérateurs économiques.

Ce critère objectif n'est pas pertinent au regard de l'objectif poursuivi par le législateur. Il apparaît en effet des travaux préparatoires rappelés en B.4. que le législateur a donné à la loi sur les pratiques du commerce un champ d'application très large en vue de protéger le consommateur. Ce souci l'a amené à étendre le champ d'application de la loi à des personnes qui ne sont pas commerçants ou artisans (art. 1.6.a)) ou à des personnes qui ne poursuivent pas un but de lucre (art. 1.6.c)). Le champ d'application de la loi a du reste été encore étendu en 1998 pour protéger le consommateur contre les clauses abusives.

Par ailleurs, il n'apparaît à aucun moment dans les travaux préparatoires que le législateur ait voulu restreindre le champ d'application de la loi de manière à exclure les personnes morales de droit public lorsqu'elles effectuent des prestations de service public.

Interprétés comme excluant du champ d'application de la loi la SNCB, entreprise publique autonome, pour ses prestations de service public, les articles 1.6.b), 31, 32 et 33 de la loi du 14 juillet 1991 sur les pratiques du commerce et sur l'information et la protection du consommateur, lus conjointement, sont incompatibles avec les articles 10 et 11 de la Constitution.

B.5.2. Dès lors que l'interprétation retenue par le juge a quo est inconstitutionnelle, il n'y a pas lieu d'examiner si, comme le soutient le Conseil des ministres, cette interprétation est également incompatible avec la directive 93/13/CEE.

B.6. Toutefois, comme le fait observer le Conseil des ministres, les dispositions en cause peuvent également être interprétées comme n'excluant pas du champ d'application de la loi la SNCB, pour ses prestations de service public. En effet, l'article 1.6.b) de la loi litigieuse vise les organismes publics ou les personnes morales dans lesquels les pouvoirs publics détiennent un intérêt prépondérant qui exercent une activité commerciale, financière ou industrielle et qui offrent en vente ou vendent des produits ou des services. Cette disposition n'opère pas de distinction suivant que l'activité visée correspond ou non à une mission de service public. Par ailleurs, l'article 8 de la loi du 21 mars 1991 portant réforme de certaines entreprises publiques économiques dispose que les actes des entreprises publiques autonomes sont réputés commerciaux. Cette disposition n'opère pas davantage de distinction suivant que l'activité exercée est une activité de service public ou une autre activité.

Dans cette interprétation, les articles 1.6.b), 31, 32 et 33 de la loi du 14 juillet 1991 sur les pratiques du commerce et sur l'information et la protection du consommateur, lus conjointement, sont compatibles avec les articles 10 et 11 de la Constitution.

Par ces motifs,

la Cour

dit pour droit:

- interprétés comme excluant du champ d'application de la loi la SNCB, pour ses prestations de service public, les articles 1.6.b), 31, 32 et 33 de la loi du 14 juillet 1991 sur les pratiques du commerce et sur l'information et la protection du consommateur, lus conjointement, violent les articles 10 et 11 de la Constitution;

- interprétés comme n'excluant pas du champ d'application de la loi la SNCB, pour ses prestations de service public, les articles 1.6.b), 31, 32 et 33 de la loi du 14 juillet 1991 sur les pratiques du commerce et sur l'information et la protection du consommateur, lus conjointement, ne violent pas les articles 10 et 11 de la Constitution.

(...)