Article

Cour d'appel Bruxelles, 19/03/2004, R.D.C.-T.B.H., 2006/1, p. 99-104

Cour d'appel de Bruxelles 19 mars 2004

OBLIGATIONS
Effets des conventions - Effets des conventions à l'égard des tiers - Tierce complicité - Contrat de prêt - Clause pari passu
La responsabilité d'un tiers pour le préjudice qu'une partie à un contrat subit du fait de l'inexécution fautive du contrat par le débiteur, peut être engagée lorsque le tiers, même sans avoir l'intention de nuire, prête son concours en connaissance de cause à la violation du contrat.
Le principe de la relativité des contrats s'oppose toutefois, à toute mesure qui ferait des tiers les garants de l'exécution des contrats.
Pour qu'il y ait tierce complicité fautive, il faut qu'au moment où il conclut la convention avec le débiteur, le tiers soit conscient qu'il prête son concours à l'inexécution fautive par son cocontractant d'une obligation contractuelle.

VERBINTENISSEN
Gevolgen van de overeenkomsten - Gevolgen van de overeenkomsten ten aanzien van derden - Derden­medeplichtigheid - Lening - Pari passu clausule
De aansprakelijkheid van een derde voor de schade die een partij bij een overeenkomst ondergaat als gevolg van de door schuldenaar begane foutieve niet-uitvoering van het contract, kan in het gedrang gebracht worden als de derde, met kennis van zaken - zelfs zonder de bedoeling om te schaden - aan de schending van het contract zijn medewerking verleent.
Toch verzet het beginsel van de relativiteit van contracten zich tegen alle maatregelen die van derden de garanten van de uitvoering van een contract zouden maken.
De foutieve derdenmedeplichtigheid impliceert dat de derde, op het ogenblik dat hij de overeenkomst met de schuldenaar opmaakt, bewust was van het feit dat hij aan de foutieve schending van het contract door zijn medecontractant zijn medewerking verleent.

République du Nicaragua / LNC Investments LLC et Euroclear Bank SA

Siég.: M. Regout (conseiller ff. président), Ch. Schurmans et H. Mackelbert (conseillers)
Pl.: Mes J.-L. Joris, E. Hupin et J. Linsmeau, S. Champagne, M. van der Haegen
Faits et antécédents de la procédure
Faits à l'origine du litige

1. Suite à la prise de pouvoir par la Junte Sandiniste en 1979, la République du Nicaragua a conclu, le 11 décembre 1980, un contrat de prêt avec 117 banques internationales, notamment la Drexel Burnham Lambert Inc. et la National Westminster Bank USA.

Ce contrat de prêt est régi par le droit de l'État de New York.

Il contient des clauses dites pari passu et des clauses dites negative pledge sur la portée desquelles la République du Nicaragua et LNC ne s'entendent pas.

Il contient également une clause qui exclut la possibilité pour les banques créancières de poursuivre la récupération de leurs créances sur le territoire de la République du Nicaragua.

2. Suite à des contrats de cession de créances conclus respectivement le 3 octobre 1986 avec Drexel Burnham Lambert Inc. et le 7 août 1987 avec National Westminster Bank USA, LNC est devenu partie au contrat de prêt précité et créancière de la République du Nicaragua à concurrence des montants cédés, soit respectivement 10.933.623,25 USD et 6.178.846,20 USD.

La République du Nicaragua est restée en défaut d'effectuer le moindre remboursement à LNC en vertu du contrat de prêt.

3. Après la chute du régime sandiniste, la République du Nicaragua a fait une offre de rachat de sa dette commerciale extérieure, en ce compris les titres émis dans le cadre du contrat de prêt du 11 décembre 1980, pour un prix correspondant à 8% du montant dû en principal.

Cette offre de rachat, faite le 15 septembre 1995, était soumise à l'accord des créanciers détenant ensemble 70% du montant en principal de la dette commerciale extérieure. Elle fut acceptée par des créanciers représentant plus de 80% de la dette.

LNC la refusa et entama diverses procédures contre le Nicaragua afin de récupérer sa créance.

4. Dans le courant des années 1990, la République du Nicaragua a émis des Bonos de Pago por Indemnizacion, ci-après les “obligations d'indemnisation”, visant à indemniser les victimes des expropriations effectuées sous le régime sandiniste.

Ces obligations ont été dématérialisées en 2001, ce qui permettait leur négociation sur les marchés boursiers internationaux au moyen de transactions électroniques. Elles sont majoritairement détenues par des institutions financières et plus par des particuliers.

Elles sont admises dans le système Euroclear, géré par Euroclear Bank SA, seconde intimée et dans le système concurrent Clearstream, géré par la société Clearstream Banking Luxembourg International.

Les participants au système Euroclear, qui sont des institutions financières, reçoivent les paiements d'intérêts et les remboursements en capital dus sur les “obligations d'indemnisation” qu'ils détiennent, par le crédit de leur compte électronique en espèces auprès d'Euroclear.

La République du Nicaragua a désigné la Trust Bankers Deutsche Bank établie à Londres pour “globaliser les transactions” sur les “obligations d'indemnisation” et assurer le paiement des intérêts dus en vertu de ces obligations.

À cet effet, elle a conclu, le 6 juillet 2001, un Trust Indenture avec la Trust Bankers Deutsche Bank régi par le droit de l'État de New York, qui définit les droits des obligataires.

Le paiement des intérêts dus aux obligataires participant au système Euroclear s'effectue comme suit:

- la République du Nicaragua verse le montant de ces intérêts pour compte des obligataires à la Central American Bank for Economic Integration, laquelle est chargée de convertir les cordobas (monnaie du Nicaragua) remis par le Trésor général de la République du Nicaragua en dollars américains;

- la Central American Bank for Economic Integration transfère ce montant, pour compte des obligataires, à la Trust Bankers Deutsche Bank;

- cette dernière transfère ensuite partie de ce montant sur le compte de Euroclear Bank auprès de la Bank of New York ou de JP Morgan Chase, qui sont les Cash Correspondents désignés par Euroclear Bank pour des paiements en dollars américains;

- le règlement des intérêts est effectué par Euroclear Bank, par le débit de son compte auprès des Cash Correspondents, et le crédit du compte-espèces de chaque participant détenant des “obligations d'indemnisation” en compte-titres dans le système Euroclear.

5. Par décision contradictoire du 2 avril 1999, le tribunal fédéral de première instance de New York a condamné la République du Nicaragua à payer à LNC la somme de 86.885.856,63 USD, en principal et intérêts, en vertu du contrat de prêt du 11 décembre 1980.

Les tentatives de LNC de faire exécuter ce jugement sont restées infructueuses.

6. En outre, par décision par défaut du 20 février 2001, le tribunal de commerce de la Haute Cour de Justice du Royaume-Uni a condamné la République du Nicaragua à payer à LNC une somme en principal de 87.115.856,63 USD.

Le 29 juillet 2003, la Trust Bankers Deutsche Bank à Londres faisait l'objet d'une saisie-arrêt conservatoire pratiquée entre ses mains à charge de la République du Nicaragua, à la requête de LNC qui y avait été autorisée par une décision du 25 juillet 2003.

La saisie visait les montants provenant du Nicaragua et destinés à payer les intérêts des “obligations d'indemnisation” venant à échéance le 1er août 2003.

Cette saisie s'est avérée infructueuse, aucun montant n'ayant été versé par le Nicaragua au tiers saisi.

Antécédents de la procédure
La procédure sur requête unilatérale

7. Parallèlement à la saisie-arrêt pratiquée au Royaume-Uni (supra, point 6), LNC déposait le 25 juillet 2003 une requête unilatérale devant le président du tribunal de commerce de Bruxelles visant à l'obtention d'une série de mesures à l'encontre d'Euroclear Bank.

L'objectif de ces mesures, décrites ci-après (point 8), était, d'une part, de bloquer les fonds entre les mains de la Deutsche Bank à Londres qui faisaient simultanément l'objet d'une saisie-arrêt et, d'autre part, dans l'hypothèse où la Deutsche Bank aurait déjà transféré les fonds, de bloquer ceux-ci entre les mains d'Euroclear Bank et donc de faire obstacle à la liquidation, en faveur des institutions financières qui détiennent des “obligations d'indemnisation” en compte dans le système Euroclear, des intérêts venant à échéance sur ces obligations le 1er août 2003.

Le montant des intérêts dus le 1er août 2003 sur les “obligations d'indemnisation” détenues au travers du système Euroclear s'élevait à 1.812.208,16 USD.

À l'appui de sa demande, LNC faisait valoir, en substance:

- qu'en vertu du contrat de prêt du 11 décembre 1980, la République du Nicaragua ne pouvait émettre les “obligations d'indemnisation”;

- qu'en vertu de ce même contrat de prêt, la République du Nicaragua ne peut privilégier le remboursement de ses autres dettes extérieures au détriment des remboursements qu'elle doit effectuer en exécution de ce contrat de prêt;

- qu'en payant les intérêts des “obligations d'indemnisation”, la République du Nicaragua viole la clause pari passu reprise dans le contrat de prêt, aux termes de laquelle elle se serait engagée, lorsqu'elle rembourse une dette extérieure et quelle que soit l'origine de cette dette extérieure, à rembourser de manière au moins égale ses créanciers signataires du contrat de prêt;

- qu'en utilisant le système Euroclear pour assurer le transfert des sommes dues aux bénéficiaires des “obligations d'indemnisation”, la République du Nicaragua viole le droit de LNC d'être remboursée de manière égalitaire par rapport aux obligataires;

S'agissant de la condition d'absolue nécessité, LNC indiquait qu'un débat contradictoire priverait les mesures sollicitées de toute efficacité, vu l'échéance des intérêts fixée au 1er août 2003 et le risque qu'informée de la demande, la République du Nicaragua changerait de système de paiement des intérêts.

8. Faisant droit à cette demande, l'ordonnance du 25 juillet 2003 ordonne à Euroclear Bank:

(1) de refuser immédiatement tout ordre de transfert de fonds en provenance de la Bankers Trust Deutsche Bank, ou par toute autre institution bancaire, et/ou de refuser toute demande de paiement faite par la Bankers Trust Deutsche Bank, ou de toute autre institution bancaire, qui aurait pour but de payer les montants dont la République du Nicaragua est redevable envers ses créanciers, et notamment les intérêts dus par la République du Nicaragua sur la base des “obligations d'indemnisation”;

(2) de bloquer immédiatement les ordres et montants déjà transmis par la Bankers Trust Deutsche Bank, ou par toute autre institution financière, en vue d'effectuer le remboursement de dettes de la République du Nicaragua, notamment le paiement desdits intérêts;

(3) de ne prendre aucune mesure qui aurait pour but ou pour effet que les montants déjà perçus de la Bankers Trust Deutsche Bank, ou de toute autre institution financière, en vue d'effectuer le remboursement des dettes de la République du Nicaragua - et notamment le paiement desdits intérêts - soient d'une manière ou d'une autre distribués ou réinjectés dans le système Euroclear;

(4) d'informer LNC des ordres et montants qu'elle aurait refusés ou bloqués en application des mesures susvisées;

(5) d'informer LNC de l'identité de chacun de ses Cash Correspondents;

(6) de donner immédiatement instruction à ses Cash Correspondents de refuser tout montant ayant pour objet le remboursement d'une dette de la République du Nicaragua, notamment le paiement desdits intérêts;

(7) de donner immédiatement instruction à ses Cash Correspondents de bloquer et de maintenir en leur possession les montants ayant pour objet le remboursement d'une dette de la République du Nicaragua, notamment le paiement desdits intérêts, qu'ils auraient déjà perçus et qui seraient encore en leur possession, et de ne prendre aucune mesure qui aurait pour but ou pour effet que ces montants soient d'une manière ou d'une autre distribués ou réinjectés dans le système Euroclear.

Chacune de ces mesures est assortie d'une astreinte de 1 ou 2 millions d'euros par infraction commise après la signification de l'ordonnance.

L'exécution réservée par Euroclear à l'ordonnance du 25 juillet 2003

9. L'ordonnance sur requête unilatérale a été signifiée à Euroclear Bank le 29 juillet 2003 et portée à la connaissance de la République du Nicaragua le 31 juillet 2003.

Euroclear Bank a pris les mesures suivantes:

- elle a adressé le 29 juillet 2003 une lettre à la Bankers Trust Deutsche Bank à Londres afin de l'informer qu'elle refusera tout transfert de fonds quelconques, tels que décrits dans l'ordonnance;

- elle a adressé le même jour un message Swift à tous ses Cash Correspondents afin de donner les instructions requises par l'ordonnance;

- par lettre officielle du 30 juillet 2003, le conseil d'Euroclear a communiqué aux conseils de LNC l'identité de chacun de ses Cash Correspondents;

- par lettre officielle du 31 juillet 2003, le conseil d'Euroclear informa les conseils de LNC qu'elle n'avait été amenée à refuser aucun ordre ou montant spécifique en application des mesures ordonnées, aucun ordre n'ayant été donné et aucun montant lui ayant été confié.

Euroclear informa, le 31 juillet 2003, tous les participants du système Euroclear de l'ordonnance qui lui avait été notifiée et de ce qu'en conséquence les paiements des intérêts dus par la République du Nicaragua ne seraient pas disponibles à l'échéance prévue.

Les tierce-oppositions et la décision attaquée

10. Par citation du 8 août 2003 signifiée à LNC et à Euroclear Bank, la République du Nicaragua a formé tierce-opposition en vue d'obtenir la rétractation de l'ordonnance par une décision opposable à Euroclear Bank.

La République du Nicaragua avait déposé à la même date une requête en abréviation du délai de citer et obtenu l'autorisation de citer LNC et Euroclear à l'audience du 11 août 2003, à condition que la citation intervienne le 8 août 2003 avant 16 heures.

Euroclear a formé tierce-opposition incidente, par conclusions déposées le 19 août 2003.

11. Dans le cadre de la procédure sur tierce-opposition, LNC a conclu à la confirmation de l'ordonnance tout en sollicitant que de nouvelles mesures soient prises compte tenu du fait qu'il était entre-temps établi que la République du Nicaragua n'avait procédé à aucun paiement relatif aux intérêts des “obligations d'indemnisation” échus en août et qu'aucune somme n'était entrée dans le système Euroclear.

Elle précisait par ailleurs que l'objectif de son action “n'est pas d'empêcher toute opération visant au paiement par la République du Nicaragua des intérêts et/ou du capital dus en vertu des obligations d'indemnisation via le système Euroclear mais de subordonner chacune de ces transactions à un paiement proportionnel par la république du Nicaragua au profit de LNC” (conclusions devant le premier juge, n° 140).

LNC priait le président du tribunal de prendre, en lieu et place des mesures reprises dans l'ordonnance sur requête unilatérale, des mesures visant à assurer l'exécution de la clause pari passu, au sens où LNC l'entend, c'est-à-dire comme donnant à LNC le droit d'être payée simultanément et proportionnellement avec les autres créanciers de la République du Nicaragua, en

- désignant un tiers avec pour mission de:

- vérifier l'application correcte par la République du Nicaragua vis-à-vis de LNC des clauses pari passu reprises dans le contrat de prêt pour tous les transferts et/ou paiements ayant pour objet le remboursement d'une dette extérieure de la République du Nicaragua via le système Euroclear;

- autoriser Euroclear Bank par écrit à procéder à l'exécution des transferts et/ou paiements pour lesquels l'expert désigné aura pu vérifier l'application correcte des clauses pari passu vis-à-vis de LNC reprises dans le contrat de prêt;

- ordonnant à Euroclear Bank de refuser, à l'exception des ordres de transfert et/ou demandes de paiement pour lesquels Euroclear aura reçu l'autorisation préalable et écrite du tiers désigné, tout ordre de transfert de fonds en provenance de la Deutsche Bank, ou de toute autre institution financière et/ou toute demande de paiement faite par la Deutsche Bank, ou par toute autre institution financière, qui aurait pour but de payer des montants dont la République du Nicaragua est redevable envers ses créanciers du chef de sa dette extérieure, et notamment le paiement des intérêts et du capital dus par la République du Nicaragua sur la base des “obligations d'indemnisation” et ce, sous peine d'une astreinte de 2 millions d'euros par infraction commise après la signification de l'ordonnance à intervenir;

- condamnant la République du Nicaragua à supporter les frais du tiers désigné.

Ces mesures ont pour objectif de contraindre la République du Nicaragua à payer les sommes qu'elle doit à LNC dans la même proportion que celles qu'elle doit à ses autres créanciers.

12. L'ordonnance attaquée, prononcée le 11 septembre 2003, déclare les tierce-oppositions recevables mais non fondées et confirme l'ordonnance du 25 juillet 2003.

Elle remplace les mesures prises par l'ordonnance du 25 juillet 2003 par les mesures précitées et désigne M. Daniel Tondreau, avocat, pour assumer la mission telle que décrite ci-avant.

Conséquences de la décision attaquée pour la République du Nicaragua

13. En application du délai de 30 jours ouvrables prévus par l'article 4.1. du Trust Indenture (supra, point 4), la République du Nicaragua était en défaut de paiement si les intérêts des “obligations d'indemnisation” n'étaient pas payés au plus tard le 17 septembre 2003.

Le défaut de paiement donne aux porteurs des obligations le droit d'en exiger le remboursement anticipé, à la majorité requise par le Trust Indenture.

La République du Nicaragua expose que le défaut de paiement des intérêts des obligations peut également avoir pour conséquence, par le jeu des clauses de “défaut croisé”, de lui faire subir le risque de devoir rembourser d'autres emprunts internationaux dont la totalité représente près de trois milliards de dollars.

Afin de faire patienter les obligataires, la République du Nicaragua s'est engagée, par une notification transmise aux participants du système Euroclear et destinée aux porteurs des obligations, à payer à ces derniers des intérêts de retard.

Elle s'est par ailleurs engagée envers LNC à ne pas payer les intérêts dus sur les “obligations d'indemnisation” qui étaient inscrites sur les comptes-titres dans le système Euroclear à la date de l'ordonnance sur requête unilatérale, que ce soit via le système Euroclear ou un autre système, jusqu'à ce que la cour statue sur les appels.

L'objet des appels

14. Formant appel de l'ordonnance du 11 septembre 2003, la République du Nicaragua et Euroclear Bank demandent à la cour de:

- mettre à néant l'ordonnance attaquée du 11 septembre 2003;

- déclarer les demandes nouvelles formées par LNC devant le premier juge irrecevables et, à tout le moins, non fondées;

- rétracter l'ordonnance du 25 juillet 2003;

- déclarer l'arrêt commun à Euroclear Bank;

- donner acte à la République du Nicaragua qu'elle se réserve de réclamer des dommages et intérêts en réparation du préjudice que lui causent les mesures attaquées.

(...)

Sur le bien-fondé des demandes originaires de LNC

19. Les ordonnances des 25 juillet et 11 septembre 2003 n'ont imposé des mesures qu'à Euroclear Bank et indirectement aux participants au système Euroclear, en imposant à Euroclear Bank une série d'obligations de faire ou de ne pas faire.

Contrairement à ce que LNC prétend, l'ordonnance du 11 septembre 2003 impose bien des obligations à Euroclear Bank puisqu'elle lui ordonne de soumettre tout ordre de transfert de fonds ou demande de paiement ayant pour objet le remboursement d'une dette extérieure de la République du Nicaragua à l'autorisation préalable du mandataire qu'elle désigne et qu'elle lui fait injonction de refuser tout ordre de transfert et/ou demande de paiement qui aurait pour but de payer des montants dont la République du Nicaragua est redevable du chef de sa dette extérieure, à l'exception de ceux pour lesquels elle aurait reçu l'autorisation préalable du mandataire judiciaire. Cette ordonnance soumet en outre Euroclear Bank à l'obligation de subir l'immixtion d'un tiers dans la gestion du système puisque la mission dévolue à Me Tondreau implique nécessairement un accès à celui-ci en vue de vérifier si par ce système, la République du Nicaragua effectue des transferts de fonds.

20. Alors qu'elle sollicitait des mesures à l'encontre d'Euroclear Bank “en sa qualité de gestionnaire du système Euroclear”, LNC n'a fait état dans sa requête unilatérale d'aucun élément pouvant servir de fondement contractuel ou quasi délictuel aux mesures demandées, ni invoqué un texte de loi qui permettrait de justifier qu'il soit mis à charge d'Euroclear des obligations en vertu du contrat de prêt du 11 décembre 1980 auquel elle n'est pas partie.

Elle n'a fait valoir aucun droit à l'égard d'Euroclear.

Elle n'a nullement prétendu qu'Euroclear se rendrait complice de la violation par la République du Nicaragua, des droits qu'elle prétend tirer de la clause pari passu ni invoqué aucun élément de fait qui aurait pu permettre la constatation d'une tierce complicité dans son chef.

Dès lors que l'ordonnance sur requête unilatérale ne justifie en rien l'adoption de mesures à l'encontre de Euroclear Bank, elle doit être mise à néant.

21. S'agissant des mesures énoncées dans l'ordonnance du 11 septembre 2003, LNC soutient qu'elles tendent uniquement à garantir l'opposabilité des effets externes des clauses pari passu contenues dans le contrat de prêt auquel Euroclear n'est pas partie.

Selon l'interprétation que LNC donne de ces clauses, et qui est sérieusement contestée, la République du Nicaragua aurait l'obligation:

- lorsqu'elle affecte des fonds au remboursement de sa dette extérieure, de payer simultanément et au marc le franc, tous les créanciers pouvant revendiquer le bénéfice de la clause, quelle que soit la convention dans laquelle celle-ci est inscrite, comme s'il existait entre ceux-ci un concours;

- lorsqu'elle octroie une sûreté pour garantir le paiement d'une dette extérieure, d'offrir une sûreté au moins proportionnelle à la dette du créancier qui peut valablement invoquer la clause pari passu;

Aux dires de LNC, Euroclear Bank se rendrait fautivement complice de l'inexécution par le Nicaragua de cette obligation en acceptant des fonds en provenance de la République du Nicaragua destinés à payer les créances extérieures de cet État et en exécutant les ordres de paiement de ces créances sans s'assurer que la République du Nicaragua effectue simultanément un paiement proportionnel en faveur de LNC.

LNC souligne à cet égard qu'Euroclear Bank est parfaitement informée depuis la signification de l'ordonnance sur requête unilatérale des obligations contractuelles qui pèsent sur la République du Nicaragua et qu'elle ne peut donc plus se prévaloir de son ignorance.

Dans cette optique, les mesures sollicitées tendraient à prévenir tout risque d'une tierce complicité dans le chef d'Euroclear Bank.

22. La responsabilité d'un tiers pour le préjudice qu'une partie à un contrat subit du fait de l'inexécution fautive du contrat par le débiteur, peut être engagée lorsque le tiers, même sans avoir l'intention de nuire, prête son concours en connaissance de cause à la violation du contrat.

Il n'est nullement établi à suffisance de droit qu'en offrant ses services pour assurer via le système Euroclear le paiement des intérêts dus sur les “obligations d'indemnisation”, admises dans le système Euroclear depuis l'année 2000, ou le paiement d'autres dettes extérieures de la République du Nicaragua, Euroclear Bank se rendrait coupable de tierce complicité fautive à la violation des clauses pari passu telles qu'elles sont interprétées par LNC.

Le respect des clauses pari passu, telles qu'elles sont interprétées par LNC, impose à la République du Nicaragua, lorsqu'elle affecte des fonds au remboursement de sa dette extérieure, de payer simultanément et au marc le franc, tous les créanciers pouvant revendiquer le bénéfice de ladite clause.

Le seul fait que la République du Nicaragua exécute ses obligations résultant des “obligations d'indemnisation”, en transférant via le système Euroclear des fonds destinés à payer les intérêts venus à échéance, ne peut en aucune manière constituer par lui-même la preuve d'une violation par la République du Nicaragua de l'obligation contractuelle dont LNC se prévaut.

La preuve de l'inexécution ne peut en effet être rapportée qu'à l'aide d'autres éléments permettant de constater que la République du Nicaragua resterait en défaut d'affecter des fonds au remboursement de ses autres dettes extérieures de manière à ce que tous les créanciers pouvant revendiquer le bénéfice des clauses pari passu soient remboursés.

Or, pour qu'il y ait tierce complicité fautive, il faut qu'au moment où il conclut la convention avec le débiteur, le tiers soit conscient qu'il prête son concours à l'inexécution fautive par son cocontractant d'une obligation contractuelle.

Le tiers n'engage pas sa responsabilité lorsqu'il ne peut acquérir la connaissance de l'obligation violée et de la violation, qu'en exigeant de son cocontractant avant de s'engager, qu'il lui révèle les obligations contractuelles qui pèsent sur lui et qu'il lui rapporte en outre la preuve de leur exécution.

Le principe de la relativité des contrats s'oppose à toute mesure qui ferait des tiers les garants de l'exécution des contrats.

Or, les mesures sollicitées et ordonnées ont précisément pour objet d'imposer à Euroclear, au motif qu'elle négligerait de s'assurer du respect par la République du Nicaragua des obligations que celle-ci a contractées avec des tiers parmi lesquels LNC, la présence d'un mandataire judiciaire chargé de veiller, de manière active, au respect par la République du Nicaragua de l'égalité de traitement dont se prévaut LNC à l'occasion de tout transfert de fonds provenant de la République du Nicaragua et destiné à payer en capital ou intérêts, via le système Euroclear, une dette extérieure de la République du Nicaragua, au sens défini par le contrat de prêt.

Par ces motifs,

La cour, statuant contradictoirement,

(...)

Dit les appels recevables et fondés,

Met l'ordonnance attaquée à néant,

Dit les tierce-oppositions fondées,

Rétracte l'ordonnance unilatérale du 25 juillet 2003,

(...)