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Cour d'appel Liège, 29/04/2004, R.D.C.-T.B.H., 2006/1, p. 86-89

Cour d'appel de Liège 29 avril 2004

DROIT BANCAIRE
Responsablilité du dispensateur de crédit - Contrôle marginal - Erreur sur les chances de succès d'une entreprise
Si le contrôle du comportement du dispensateur de crédit par les tribunaux ne peut être que marginal et fondé sur les éléments contemporains de la décision querellée, il est permis d'avoir égard aux suites de l'acte incriminé pour vérifier s'il était déraisonnable ou non. Une erreur commise sur les chances de succès d'une entreprise à qui un banquier octroie ou maintient un crédit ne constitue pas nécessairement une faute, pour autant que les risques pris n'aient pas été déraisonnables.
Par définition, le crédité et le principal responsable de la société qui possèdent une connaissance parfaite de sa situation financière ne peuvent reprocher à la banque de lui avoir octroyé un crédit nonobstant la situation financière difficile de l'entreprise.
SÛRETÉS
Sûretés personnelles - Cautionnement - Rapport entre le créancier et la caution - Hauteur de la caution personnelle
Le cautionnement “pour toutes sommes” est licite pour autant que les dettes résultent des relations d'affaires entre la banque et le débiteur principal.
BANK EN KREDIETWEZEN
Aansprakelijkheid van de bankier - Marginale toetsing - Dwaling betreffende de slaagkansen van een onderneming
Als het toezicht door de rechtbanken op het gedrag van de kredietverstrekker slechts marginaal kan zijn en gegrond op de actuele elementen van de betwiste beslissing, is het toegelaten rekening te houden met de gevolgen van de gewraakte handeling om na te gaan of zij onredelijk is of niet. Een dwaling, begaan betreffende de slaagkansen van een onderneming aan wie een bankier een krediet toekent of handhaaft, maakt niet noodzakelijk een fout uit, voor zo ver de genomen risico's niet onredelijk waren.
Per definitie kunnen de kredietnemer en de hoofdverantwoordelijke van de vennootschap die perfect op de hoogte zijn van haar financiële situatie de bank niet verwijten haar een krediet te hebben toegekend niettegenstaande de financieel moeilijke situatie van de onderneming.
ZEKERHEDEN
Persoonlijke zekerheden - Borgtocht -Verhouding tussen schuldeiser en de borg - Omvang van de persoonlijke borg
De waarborg “voor alle sommen” is geoorloofd voor zo ver de schulden hun oorsprong vinden in de zakenrelaties tussen de bank en de hoofdschuldenaar.

Ch. Bonhomme / SA ING

Siég.: R. de Francquen (président), M. Ligot et A. Jacquemin (conseillers)
Pl.: Mes L. Firket loco J.-P. Douny, B. Sybille et S. Gothot

(...)

Attendu que l'appelant qui était l'administrateur délégué de la SA Codetem-Connaître déclarée en faillite le 5 janvier 1998 a été poursuivi par la SA ING Belgique anciennement dénommée Banque Bruxelles Lambert en abrégé BBL en exécution de deux actes de cautionnement “pour toutes sommes” de 300.000 FB et 4.000.000 FB consentis les 25 septembre 1984 et 9 septembre 1996;

Attendu que l'appelant a été condamné à honorer ses engagements en tant que caution par jugement du 4 novembre 1998 pour ce qui est du premier cautionnement et par le jugement entrepris pour ce qui concerne le second cautionnement;

Que le premier jugement a été exécuté tandis que le second n'est entrepris par aucune des parties pour ce qui concerne la décision rendue sur l'action principale de la banque tendant à obtenir l'exécution du second cautionnement; que les observations des parties concernant cet aspect de la décision querellée ne doivent dès lors pas être rencontrées;

Que le litige est actuellement circonscrit à la question de la responsabilité de la banque que l'appelant recherche exclusivement, à seule fin d'obtenir compensation avec le montant de sa dette, pour avoir accordé à la société dont il était le principal acteur un crédit de 6.000.000 FB utilisable par dispositions de caisse en septembre 1996;

Que l'appelant précise qu'il ne recherche pas la responsabilité de la banque pour la transformation de ce crédit intervenue en mai 1997 en un crédit de caisse de 3.000.000 FB et un crédit d'investissement du même montant pas plus que pour ce qui concerne les circonstances dans lesquelles ce crédit a été suspendu le 23 décembre 1997 ce qui a entraîné la faillite de la SA Codetem-Connaître quelques jours plus tard;

Attendu qu'en fait, l'appelant reproche à l'intimée d'avoir accordé le crédit de caisse de 6.000.000 FB le 9 septembre 1996 sur base de différentes garanties parmi lesquelles figure son cautionnement alors qu'elle aurait dû se rendre compte à ce moment que la société Codetem-Connaître était irrémédiablement compromise; qu'il souligne que la société présentant un caractère d'intuitu personae fort marqué, le gage sur fonds de commerce de 8.000.000 FB consenti le même jour présentait un caractère volatile puisque les activités de la société étaient essentiellement liées à sa personne; qu'il en veut pour preuve que le fonds de commerce a été réalisé par le curateur pour 250.000 FB correspondant au seul nom de la société faillie (conclusions d'instance, pièce 6, p. 7, dernier par.);

Que sa position consiste donc à prétendre que la BBL aurait dû mettre un terme en juillet 1996 au soutien qu'elle apportait à sa société depuis plusieurs années, ce qui aurait vraisemblablement entraîné la faillite immédiate de Codetem-Connaître, mais lui aurait évité de devoir supporter les conséquences de celle-ci sur ses biens propres;

Attendu que le principe d'une mise en cause de la responsabilité du banquier vis-à-vis de son client pour octroi ou maintien abusif de crédits est maintenant admis (Liège 28 avril 1994, R.D.C. 1995, p. 1032; Mons 26 septembre 1994, R.D.C. 1995, p. 1035; Bruxelles 6 septembre 1999, R.D.C. 2000, p. 703; B. Demonty, Derniers développements en matière de responsabilité du banquier et actualité législative en matières bancaire et cambiaire, CUP, vol. XXIV, mai 1998, pp. 81 et 82);

Attendu que pour apprécier le comportement de l'intimée confrontée au “dilemme du banquier, partagé entre le devoir général de soutien aux entreprises que la communauté attend de lui, son devoir de rupture d'un soutien immérité” et la défense légitime de ses intérêts, “le juge (ne peut) se substituer aux intéressés ni qualifier leur comportement à la lumière d'événements postérieurs qui, au jour de la décision, n'existaient pas, si ce n'est à l'état de risques, de conjectures et de pronostics; que le contrôle des tribunaux ne peut être que marginal et fondé sur des éléments contemporains de la décision querellée” (Comm. Liège 2 juin 1983, R.D.C. 1984, p. 71 et les nombreuses références; Fagnart et Denève, “La responsabilité civile”, Chronique de jurisprudence J.T. 1986, n° 71, p. 311);

Qu'il faut ici rappeler qu'“une erreur commise sur les chances de succès d'une entreprise à qui un banquier octroie ou maintient un crédit ne constitue pas nécessairement une faute pour autant que les risques pris n'aient pas été déraisonnables” (Liège 12 janvier 1990, J.L.M.B. 1990, p. 1269);

Que “toute erreur ne constitue pas une faute contractuelle; qu'une erreur d'appréciation qu'aurait commise tout banquier normalement prudent et diligent, placé dans les mêmes conditions, ne peut être qualifiée de faute” (Bruxelles 6 septembre 1999, déjà cité);

Qu'il doit encore être tenu compte de ce que “par définition, le crédité - auquel il est permis d'assimiler le principal responsable de la société - possède une connaissance parfaite de sa situation financière” ce qui permet à certains auteurs d'écrire “qu'il ne saurait reprocher à la banque de lui avoir octroyé un crédit nonobstant sa situation financière difficile” (Buyle et Creplet, La responsabilité civile des établissements de crédit, CUP, novembre 2001, vol. 50, n° 48, p. 204);

Attendu qu'il faut donc examiner quel a été le comportement de la BBL et de Christian Bonhomme dans le courant de l'été 1996;

Qu'il faut savoir que

- la BBL était depuis plusieurs années le banquier de Codetem-Connaître dont C. Bonhomme est le principal responsable depuis sa fondation sous forme d'une société coopérative en 1978;

- Codetem-Connaître était un opérateur économique important dans le domaine de l'organisation de voyages et du développement des techniques de marketing puisque son chiffre d'affaires qui était de 121.431.902 FB en 1994 était encore de 95.225.623 FB au 31 décembre 1995 (conclusions ppales C.B., p. 4);

- si Codetem-Connaître ne disposait pas d'un crédit structurel dans les livres de la BBL, il reste que les relations de confiance entre parties étaient excellentes et qu'à plusieurs reprises déjà, la banque avait autorisé des paiements à découvert qui avaient toujours fait l'objet d'une régularisation rapide; c'est dans cet esprit que l'intimée, à la demande expresse de l'appelant a encore autorisé en juin 1996, un versement de 3.700.773 FB en faveur de l'IATA ce qui a certes porté le découvert du compte à 5.961.548 FB mais a permis à Codetem-Connaître de pouvoir continuer à émettre des billets d'avion et donc de maintenir son activité;

Attendu qu'il est exact que dans le courant du premier semestre 1996, Codetem-Connaître a rencontré de graves difficultés puisqu'une assemblée générale extraordinaire a dû être tenue le 30 août 1996 en application de l'article 103 des lois coordonnées sur les sociétés commerciales; qu'à cette assemblée qui décidera de la poursuite des activités de la société sera soumis le rapport suivant préparé le 14 août 1996 par le conseil d'administration:

“... il est apparu de la situation active et passive de la société arrêtée au 31 mai dernier que son actif net était réduit à un montant inférieur au capital minimum légal de 1.250.000 francs.

En effet, ainsi que vous pourrez le constater à l'examen de cette situation la perte cumulée s'élève à 3.480.583 FB. La perte accusée sur les 5 premiers mois de l'exercice en cours s'est donc élevée à 3.087.589 FB.

Ce résultat résulte d'un manque de chiffre d'affaires porteur ainsi que de commandes relativement importantes qui nous ont échappé. Elles sont passées à la concurrence qui pratique des prix que nous estimons, après analyse, inférieurs à notre prix de revient pour le même type d'opération.

Toutefois, malgré le résultat enregistré et malgré la conjoncture économique difficile, nous estimons pouvoir redresser cette situation pour les raisons suivantes:

- tout d'abord, votre société bénéficie d'une excellente réputation dans son secteur d'activité. Vous vous souviendrez que nous avons organisé plusieurs missions à l'étranger auxquelles participaient nos princes;

- elle bénéficie, déjà, du soutien financier d'un d'entre vous à concurrence de 1.850.000 FB;

- elle n'a jusqu'à présent pas disposé de lignes de crédit bancaire et nous sommes en négociation avec la Banque Bruxelles Lambert, siège de Liège, en vue de la mise en place d'un crédit de l'ordre de 6 millions de francs qui, sauf imprévu, devrait entrer en vigueur dans les tout prochains mois;

- d'ici à la fin de l'année, nous espérons bien pouvoir renforcer nos fonds propres de l'ordre de 3 millions de francs. Cette augmentation de capital aurait comme effet d'élargir l'actionnariat ainsi que le conseil d'administration;

- de plus, pour 1997, nous recherchons un partenaire supplémentaire également susceptible de participer au capital;

- enfin, compte tenu des contacts commerciaux que nous avons actuellement (offres remises et missions promises, ces dernières en fonction de la difficulté à les réaliser, notamment en Bosnie), le second semestre ne devrait pas être supérieur au premier en ce qui concerne le chiffre d'affaires mais plus porteur au niveau des marges bénéficiaires.”

Que c'est dans ces conditions que la demande de crédit litigieuse a été introduite; qu'il n'était pas possible en effet de poursuivre les activités avec un découvert de l'ordre de 6.000.000 FB en compte courant;

Attendu qu'il ne s'agissait donc pas d'un “nouveau crédit” mais de la régularisation dans l'intérêt des deux parties d'un découvert en compte courant qui n'était plus admissible ni supportable en raison des taux appliqués à ce type de financement;

Que c'est ainsi que la BBL et sa cliente ont négocié un crédit à court terme; que la proposition du 15 juillet 1996 fait état d'une date d'échéance du crédit au 31 octobre 1996; qu'il était question d'un crédit limité au temps nécessaire pour permettre à la société d'augmenter ses fonds propres et de repartir sur les bases nouvelles annoncées dans le rapport du 14 août 1996;

Que le crédit étant de facto entièrement utilisé au moment où il a été consenti, l'intimée n'avait pas l'obligation de procéder à de plus amples investigations puisqu'il n'était plus question pour elle d'effectuer de nouveaux décaissements allant au-delà de ce qu'elle avait déjà admis à la demande expresse de C. Bonhomme en raison de la confiance existant entre les parties;

Que s'agissant d'un crédit momentané qui ne devait être consolidé que “si au 31 octobre prochain, nous étions encore en utilisation de crédit” (voy. lettre du 26 juillet 1996 de C. Bonhomme à la BBL, dossier ING, pièce 5), il ne peut être reproché à l'intimée de n'avoir pas demandé l'élaboration d'un plan de restructuration sur le long terme et d'avoir accédé à la demande d'un client qui avait toujours fait face à ses obligations depuis de nombreuses années tout comme il ne peut lui être fait grief d'avoir demandé au principal responsable de la société de s'engager en tant que caution, ce qui dans le chef de ce dernier constituait la preuve évidente de ce qu'il croyait au redressement de celle-ci;

Attendu que s'il est bien exact que le comportement du banquier doit s'apprécier au jour de l'acte incriminé, il reste qu'il est permis d'avoir égard aux suites de cet acte pour vérifier s'il était déraisonnable ou non; qu'ainsi, il s'observe qu'après que le crédit ait été mis en force par la signature du client le 9 septembre 1996, le capital de Codetem-Connaître a été augmenté de 4.000.000 FB le 18 février 1997 et que la société enregistre en février 1997 des remises de fonds importantes pour plus de 8.700.000 FB ce qui aura pour effet de replacer son compte en position créditrice à hauteur de 1.790.459 FB le 18 février 1997;

Que c'est dans ces conditions que l'octroi d'un crédit à plus long terme sera négocié à partir du 13 février 1997, crédit qui ne fait l'objet d'aucune critique de la part de l'appelant;

Que les faits démontrent donc que l'intimée n'a pas commis une erreur d'appréciation qu'un banquier normalement prudent ne commettrait pas en accordant en septembre 1996 un crédit qui devait être de courte durée et garanti par l'appelant;

Attendu que la preuve n'est pas faite que la seule fin poursuivie par la banque lorsqu'elle a proposé un crédit à court terme en juillet 1996 était d'obtenir l'engagement de l'appelant en tant que caution; qu'il s'agissait de mettre un terme

au découvert en compte courant trop important qui était préjudiciable à Codetem-Connaître;

Que la banque pouvait croire au redressement de sa cliente dès lors que l'injection de fonds propres était annoncée;

Attendu que l'appelant se plaint encore de ce qu'à cette occasion, il lui a été demandé de consentir un cautionnement “pour toutes sommes” allant au-delà de la portée de ce premier crédit puisqu'il portait également sur les différentes garanties bancaires émises antérieurement par la BBL au profit de différents organismes et créanciers de Codetem-Connaître;

Attendu que la pratique du cautionnement “pour toutes sommes” “à condition que ces dettes résultent des relations d'affaires entre la banque et le débiteur principal” est licite et bien connue dans la vie des affaires;

Qu'il n'y a là rien de fautif dès lors que l'intimée a attiré spécialement l'attention de l'appelant sur la portée de son engagement par lettre du 23 août 1996:

“Nous vous signalons que l'acte de cautionnement de 4.000.000 FB à souscrire par monsieur Ch. Bonhomme en votre faveur et au profit de notre banque ne sera libéré qu'après remboursement de tous vos engagements à notre égard et libération, par les bénéficiaires, des garanties que nous avons émises pour votre compte.”;

Que le banquier a rempli l'obligation d'information qui était la sienne et que l'appelant ne peut prétendre qu'il aurait été trompé;

Attendu que c'est donc à bon droit que le premier juge a considéré que la responsabilité de l'intimée ne pouvait être retenue;

Par ces motifs

(...)

La cour statuant contradictoirement;

Reçoit l'appel

Confirme le jugement entrepris (...).