Article

Tribunal de commerce Bruxelles, 30/09/2004, R.D.C.-T.B.H., 2006/1, p. 81-83

Tribunal de commerce de Bruxelles 30 septembre 2004

DROIT BANCAIRE
Opérations bancaires - Virement - Virement faux ou falsifié - Article 1239 C.civ. - Règlement général des opérations - Responsabilité
L'article 1239 C.civ. signifie, dans son sens large, exécuter une obligation, en l'espèce, celle d'exécuter correctement les ordres de virement du client.
Au-delà des termes exprimés dans une convention, il convient de rechercher la commune intention des parties.
Une clause contractuelle qui tend à convenir des ordres de virement qui seront exécutés par la banque n'a pas comme telle pour objet de limiter sa responsabilité.


BANK EN KREDIETWEZEN
Bankverrichtingen - Overschrijving - Valse of vervalste overschrijving - Artikel 1239 B.W. - Algemeen reglement van de verrichtingen - Aansprakelijkheid
Betalen in de zin van artikel 1239 B.W. betekent - ruim gelezen - een verbintenis uitvoeren. In onderhavig geval gaat het over de correcte uitvoering van de overschrijvingsorders van de cliënt.
Verder dan de bij de overeenkomst uitgedrukte termen, moet men de gemeenschappelijke bedoeling van de partijen opzoeken.
Een contractuele clausule die ertoe strekt overeen te komen welke overschrijvingsorders door de bank uitgevoerd zullen worden, heeft niet op zich als voorwerp de aansprakelijkheid van die laatste te beperken.

K.T. Duga / SA Banque Belgolaise

Siég.: Hody (juge-président), Fielz et Hardy (juges consulaires)
Pl.: Mes R. Himpler et A.-P. André-Dumont loco J.-P. Buyle

(...)

II. Les faits

Attendu que les faits utiles de la cause peuvent être résumés comme suit:

M. Duga est titulaire, dans les livres de la Belgolaise, des comptes nos 603-4565504-49 en euro et 603-4765504-35 en USD;

Le 19 mars 2001, la Belgolaise reçoit par fax un ordre d'une part, de réduire un dépôt à terme et d'autre part de transférer 580.000 USD en faveur de Monsieur Donacien Kabeya Kapuya auprès de la Banque de Commerce et de Développement à Kinshasa (pièce 4 de la Belgolaise);

La Belgolaise soutient avoir invité par fax du même jour, Monsieur Duga, à lui téléphoner;

Un entretien téléphonique aurait eu lieu ensuite entre la Belgolaise et un sieur se présentant comme étant Mr. Duga, à qui il est demandé soit de faire confirmer son ordre auprès de la Cellule Remise Courrier du banquier correspondant - la Banque Commerciale du Congo à Kinshasa - soit de le lui envoyer par DHL;

Le 23 mars 2001, la Belgolaise reçoit par DHL un ordre signé en original, de sorte que la Belgolaise exécute l'ordre donné;

Le 29 mars 2001, Monsieur Duga adresse à la Belgolaise, une copie d'une lettre, destinée à la Banque de Commerce et de Développement à Kinshasa, dans laquelle il affirme qu'il “s'agit bel et bien d'une escroquerie et d'un usage de faux dont je suis victime. Je vous informe que je n'ai jamais connu ni entretenu une quelconque relation, fût-elle d'affaires, avec ce monsieur”;

Il dépose également une lettre destinée à la Belgolaise dans laquelle il affirme que l'ordre litigieux n'émane pas de lui, qu'il ne connaît pas le bénéficiaire de cet ordre et que “pour un montant aussi important, et à partir d'un compte à terme, donc même pas un compte à vue, la Belgolaise aurait dû, c'est un devoir élémentaire de bonne gestion, contacter au préalable le titulaire du compte que je suis pour obtenir confirmation” et que c'est un faux au motif qu'il ne dispose pas d'un fax (pièces 1 et 2 de M. Duga);

Début avril 2001, la Belgolaise est informée que malheureusement le bénéficiaire de l'ordre auprès de la Banque Commerciale du Congo à Kinshasa avait déjà retiré une partie des fonds et qu'en conséquence la Banque de Commerce et de Développement n'avait pu bloquer que le solde du compte qui était alors créditeur de 374.140,83 USD;

Le 27 avril 2001, Monsieur Duga adresse à la Belgolaise une nouvelle lettre, dans laquelle il prétend qu'un “million de dollars américain sera exigé au titre de dommages et intérêts” (pièce 10 de la Belgolaise);

La Belgolaise répond le 9 mai 2001, indiquant qu'elle ne peut donner suite à la demande de Monsieur Duga au motif que la signature apposée au pied de l'ordre est conforme au spécimen de signature. Elle précise également qu'elle est prête à prendre contact avec la Banque de Commerce et de Développement à Kinshasa pour tâcher d'obtenir le retour des fonds (pièce 11 de la Belgolaise );

Finalement, la Banque de Commerce et de Développement à Kinshasa retournera à la Belgolaise, la somme de 368.838 USD qui sera portée au crédit du compte de Monsieur Duga fin septembre 2001 (pièce 11 de la Belgolaise);

Le 31 août 2001, le conseil de Monsieur Duga met en demeure la Belgolaise de virer au crédit du compte à terme de son client, la somme de 580.000 USD, majorée des intérêts créditeurs que ce montant aurait produits (pièce 12 de la Belgolaise);

La Belgolaise répond à cette lettre par courriers des 12 et 25 septembre 2001 (pièces 13 et 14 de la Belgolaise);

Le 18 mars 2003, le nouveau conseil de Monsieur Duga met en demeure la Belgolaise de lui payer la somme de 211.162 USD, les intérêts créditeurs que le montant de 580.000 USD aurait produits du 23 mars 2001 au 29 septembre 2001 et les intérêts légaux à 7% sur 211.162 USD du 29 septembre 2001 au jour du paiement effectif de cette somme (pièce 16 de la Belgolaise);

Le conseil de la Belgolaise y répond par courrier du 22 avril 2003 (pièce 17 de son dossier);

Le 5 mai 2003, Monsieur Duga lance citation.

III. Discussion

(...)

1. L'article 1239 C.civ.

Attendu que Mr. Duga fonde sa demande sur l'article 1239 C.civ., suivant lequel le paiement doit être fait au créancier; que selon lui, cet article imposerait au banquier une obligation de résultat de restitution à son client des fonds déposés sur son compte;

Que selon lui, à défaut pour la banque de prouver qu'il serait l'auteur et le signataire des ordres litigieux, l'obligation de restituer les fonds déposés s'imposerait à elle;

Attendu que la banque conteste l'interprétation ainsi donnée de l'article 1239 C.civ., et oppose par ailleurs au demandeur l'article 11 du règlement général des opérations, suivant lequel “le client déclare ratifier tous les ordres revêtus d'une signature qui ne comporte pas de discordance flagrante avec le spécimen déposé à la Banque et supporter seul toutes les conséquences de leur exécution” (pièce 3 de la Belgolaise);

Attendu que le fait de payer au sens de l'article 1239 C.civ. signifie, dans son sens large, exécuter une obligation; que, contrairement à ce que soutient le demandeur, l'obligation ici en cause est, non pas celle incombant au banquier de restituer le solde du compte à sa clôture, mais celle d'exécuter correctement les ordres de virement du client, et de ne pas exécuter ceux n'émanant pas de lui (O. Poelmans et A. Deome, “Les relations entre le banquier et son client titulaire d'un compte en banque après l'arrêt de la Cour de cassation du 16 septembre 1993”, Rev. banque 1994, p. 412, nos 3 et 4; Bruxelles 18 novembre 1999, R.D.C. 2000, p. 680);

Que la preuve de l'inexécution de cette obligation incombe au créancier de celle-ci;

Attendu qu'en l'espèce, il incombe donc au demandeur d'établir que l'ordre de virement litigieux n'émane pas de lui;

Attendu que celui-ci soutient qu'il ne peut être l'auteur du fax du 19 mars 2001 dès lors qu'il ne dispose pas de télécopieur; qu'il conteste pareillement être l'auteur du courrier de confirmation du virement reçu via DHL le 23 mars 2001 (pièce 5 de la Belgolaise);

Attendu qu'à supposer que le demandeur ne dispose par de télécopieur, il reste possible que celui-ci ait pu avoir accès à celui d'un tiers; que le bordereau DHL relatif au courrier reçu le 23 mars 2001 paraît confirmer que son expéditeur est bien le demandeur (pièce 5 de la Belgolaise);

Qu'il est certes étonnant que la banque ne produise pas la télécopie qu'elle dit avoir envoyée au demandeur le 19 mars 2001; que cette incertitude ne fait pas pour autant preuve d'un faux commis;

Que l'on peut également relever avec le demandeur que le fax reçu le 19 mars par la Belgolaise, comme le courrier reçu de DHL, mentionne les prénoms du demandeur sans tiret intermédiaire, contrairement aux autres; que toutefois, cette circonstance ne peut constituer - au mieux - qu'un indice de faux;

Que le fait que la lettre contenant l'ordre de virement soit dactylographiée, et non manuscrite comme les courriers ultérieurs du demandeur n'est guère probant, rien n'interdisant à celui-ci de le faire occasionnellement;

Attendu qu'il faut d'autre part constater une extrême similitude entre la signature de l'ordre de virement litigieux, et le spécimen de signature figurant sur la fiche d'identification de la défenderesse (pièce 1 de son dossier), voire celle apposée sur les divers courriers émanant du demandeur;

Attendu que l'attitude du demandeur ne manque par ailleurs pas d'étonner; qu'ainsi, après sa mise en demeure du 31 août 2001, il restera apparemment sans réaction pendant plus d'un an, ne lançant citation que deux ans après les faits; qu'il ne paraît pas avoir déposé plainte au pénal pour les faits qu'il dénonce; qu'il n'a pas davantage estimé utile d'introduire de demande en faux civil ni de solliciter une quelconque expertise; qu'il n'a apparemment pas non plus estimé utile d'agir au civil à l'encontre du titulaire du compte bénéficiaire du virement litigieux, que ce soit en Belgique ou au Congo;

Attendu que les circonstances troubles dans lesquelles les faits litigieux se sont déroulés ne permettent pas de dire que la preuve serait faite que le virement litigieux serait un faux;

Attendu qu'en toute hypothèse, l'article 11 du règlement général des opérations (version de 1998 comme de 1999 - pièces 3 et 18 de la Belgolaise) stipule expressément que “le Client déclare ratifier tous les ordres revêtus d'une signature qui ne comporte pas de discordance flagrante avec le spécimen déposé à la Banque et supporter seul toutes les conséquences de leur exécution”;

Attendu que le demandeur y voit une clause d'exonération de responsabilité qui ne pourrait trouver application, d'une part au motif que l'article 1239 C.civ., auquel la clause litigieuse ne déroge pas explicitement, serait étranger à la problématique de la responsabilité du banquier, et d'autre part parce qu'il ne pourrait par définition “ratifier” un acte avant qu'il ne soit commis, de sorte que ladite clause n'aurait pas de sens;

Attendu que par ailleurs, au-delà des termes exprimés dans la convention, il convient de rechercher la commune intention des parties; qu'entre deux interprétations, il convient de préférer celle qui donne un sens à la clause; qu'en l'occurrence, la clause litigieuse, telle que libellée, tend à convenir des ordres qui devront ou non être exécutés par la banque; qu'il s'agissait manifestement d'exprimer l'accord du client sur la validité des ordres exécutés sur base d'une signature qui ne comporte pas de discordance flagrante avec le spécimen; que réduire le sens du terme “ratification” visé dans cet article aux seules confirmations postérieures aux actes qui en sont l'objet priverait la clause de tout sens, comme le demandeur le reconnaît lui-même;

Attendu qu'en ce qu'il tend à convenir des ordres qui devront être exécutés par la banque, cet article n'a pas comme tel pour objet de limiter la responsabilité de la banque; qu'il n'existe en l'espèce aucun motif de réduire la portée de la clause litigieuse au seul sens souhaité par le demandeur;

Que l'ordre litigieux était revêtu d'une signature sans discordance flagrante avec le spécimen de sorte que la banque se devait de l'exécuter;

Que la demande n'est pas valablement fondée sur la base de l'article 1239 C.civ.

2. L'obligation de contrôle de la banque

Attendu que, selon le demandeur, les différentes circonstances évoquées ci-dessus démontreraient à tout le moins que le contrôle de la banque aurait été déficient et fautif;

Attendu que la défenderesse a en l'occurrence pris la précaution de ne pas exécuter le virement litigieux sur la seule base de la télécopie du 19 mars 2001;

Qu'elle attendra de recevoir l'ordre de virement en original, dûment signé, avant de s'exécuter; que l'extrême similitude entre la signature au bas de ce document et le spécimen de signature repris sur la fiche d'identification a déjà été soulignée; que le devoir de prudence pesant sur le banquier ne lui impose pas, au-delà de la vérification de la concordance de la signature du client, de reprendre la correspondance reçue de celui-ci afin de s'assurer que l'ordre de virement ne présente pas de divergence anormale dans sa rédaction, son style, son orthographe,...; que tel est précisément le sens de l'article 11 du règlement général des opérations précité;

Que partant, il n'est pas établi que la banque aurait manqué à son obligation de contrôle;

Attendu qu'à défaut pour le demandeur de démontrer que la banque aurait ainsi failli à l'une de ses obligations contractuelles, sa demande doit être déclarée non fondée.

(...)

Par ces motifs,

(...)

Dit la demande principale et reconventionnelle recevable mais non fondée.

(...)