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Les sûretés et privilèges en droit international privé: le cas du privilège général des travailleurs, R.D.C.-T.B.H., 2006/1, p. 44-56

DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ
Loi applicable - Privilège mobilier - Privilège général des travailleurs - Contrat de travail soumis au droit étranger - Procédure de concours ouverte en Belgique - Cumul des lois applicables
Pour déterminer, en droit international privé, la loi applicable au privilège général des travailleurs, il convient dans un premier temps de vérifier si le privilège invoqué par le créancier existe dans la loi applicable au contrat, ensuite de procéder à la même vérification dans la loi régissant le concours, et enfin de déterminer l'étendue et le rang du privilège, donc ses effets, en fonction de la loi du concours.
DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ
Loi applicable - Privilèges mobiliers - Privilèges généraux - Travailleurs occupés au Congo en vertu de contrats de droit congolais - Saisie-arrêt entre les mains d'une banque belge à charge de l'employeur congolais - Privilège des travailleurs - Créance privilégiée à concurrence du plafond prévu par l'article 19, 3bis de la loi hypothécaire belge
En cas de saisie-arrêt entre les mains d'une banque belge à charge d'un employeur domicilié au Congo, la créance des travailleurs, occupés au Congo dans le cadre de contrats soumis au droit de ce pays, est privilégiée à concurrence du montant prévu par l'article 19, 3bis de la loi hypothécaire belge, à savoir 300.000 FB (7.436,81 euros), et non de celui prévu par la loi du Congo (400 zaïres).


INTERNATIONAAL PRIVAATRECHT
Toepasselijk recht - Voorrechten op roerende goederen - Algemeen voorrecht van de werknemers - Arbeidsovereenkomst naar buitenlands recht - Procedure van samenloop geopend in België - Cumulatie van de toepasselijke wetten
Teneinde in het internationaal privaatrecht te bepalen welke de toepasselijke wet is op het algemeen voorrecht van de werknemers, volstaat het in eerste instantie na te gaan of het door de schuldeiser ingeroepen voorrecht aanwezig is in het recht dat op de overeenkomst van toepassing is, dit vervolgens eveneens na te zien in de wetgeving houdende de samenloop, en uiteindelijk de draagwijdte en de rang van het voorrecht, met andere woorden de uitwerking ervan, te bepalen overeenkomstig de wet van de samenloop.
INTERNATIONAAL PRIVAATRECHT
Toepasselijk recht - Voorrechten op roerende goederen - Algemeen voorrecht van de werknemers - Werknemers tewerkgesteld in Kongo op grond van overeenkomsten naar Kongolees recht - Derdenbeslag in handen van een Belgische bank ten laste van de Kongolese werkgever - Voorrecht van de werknemers - Bevoorrechte schuldvordering binnen het plafond bepaald in artikel 19, 3bis, van de Belgische Hypotheekwet
In geval van derdenbeslag in handen van een Belgische bank ten laste van een werkgever die in Kongo gedomicilieerd is, is de schuldvordering van de werknemers die in Kongo tewerkgesteld zijn in het kader van overeenkomsten die aan de wetgeving van dit land onderhevig zijn, bevoorrecht tot een bedrag bepaald in artikel 19, 3bis van de Belgische Hypotheekwet, namelijk 300.000 BEF (7.436,81 euro), en niet tot het bedrag bepaald in de Kongolese wetgeving (400 zaïres).
Les sûretés et privilèges en droit international privé: le cas du privilège général des travailleurs
Arnaud Nuyts [1]
I. Introduction

1.S'il a été prononcé quatre jours après l'entrée en vigueur, le 1er octobre 2004, du Code de droit international privé (“le Code”), l'arrêt annoté applique encore les anciennes règles de conflit de lois, d'origine essentiellement jurisprudentielle. La décision de la cour d'appel de Bruxelles conserve néanmoins tout son intérêt aujourd'hui car elle concerne une question - celle de la loi applicable aux sûretés et privilèges - qui ne fait pas l'objet d'un règlement spécifique dans le Code.

En l'espèce, le litige portait sur l'application du privilège des travailleurs, qui constitue un privilège général mobilier garantissant le paiement des sommes dues aux travailleurs sur l'ensemble des biens meubles de l'employeur.

Les faits sont simples. Des travailleurs de diverses nationalités avaient été occupés pendant plusieurs années sur le territoire du Congo par une entreprise de droit public congolais, la Générale des Carrières et des Mines (en abrégé Gécamines). Le 22 février 2002, l'un des travailleurs fit procéder à une saisie-arrêt exécution à charge de la Gécamines, entre les mains de la BBL en Belgique. Cette saisie-arrêt fut effectuée en exécution d'un jugement du tribunal de première instance de Bruxelles ayant condamné la Gécamines à payer divers montants à ce travailleur au titre notamment d'arriérés de rémunérations.

Le 22 août 2002, l'huissier de justice adressa aux parties un projet de répartition des sommes saisie-arrêtées entre divers créanciers de Gécamines, en ce compris une trentaine de travailleurs qui avaient été occupés au Congo. Appliquant l'article 19, 3bis de la loi hypothécaire belge, le produit de la saisie-arrêt est réparti dans ce projet par part égale entre l'ensemble des travailleurs.

Par exploit du 5 septembre 2002, la Gécamines forma un contredit à ce projet de répartition en faisant valoir, notamment, que les travailleurs occupés au Congo pour le compte d'une société congolaise, en vertu de contrats soumis au droit du Congo, ne peuvent se prévaloir de l'article 19, 3°bis de la loi hypothécaire belge, et qu'il y a lieu d'appliquer dans cette matière le droit du Congo.

Confirmant la décision de la chambre des saisies du tribunal de première instance de Bruxelles, l'arrêt annoté a rejeté ce moyen et a accordé aux travailleurs le bénéfice du privilège prévu par le droit belge.

Avant d'examiner les motifs invoqués par la cour d'appel pour justifier cette solution, il est utile de rappeler brièvement les dispositions matérielles du droit belge et du droit congolais relatives au privilège des travailleurs, dont l'application a été discutée devant la cour.

II. Les dispositions matérielles du droit belge et du droit congolais relatives au privilège des travailleurs

2.Les créanciers, anciens travailleurs de la Gécamines, ont invoqué l'application de l'article 19, 3bis de la loi hypothécaire belge. Selon cette disposition, “(l)es créances privilégiées sur la généralité des meubles sont… (p)our les travailleurs visés à l'article 1er de la loi du 12 avril 1965 concernant la protection de la rémunération des travailleurs, la rémunération telle qu'elle est définie à l'article 2 de ladite loi, sans que son montant puisse excéder 300.000 francs”, étant entendu que “cette limitation ne s'applique pas aux indemnités comprises dans la rémunération et qui sont dues aux mêmes personnes pour rupture de leur engagement”.

Pour définir son champ d'application, l'article 1er de la loi du 12 avril 1965 concernant la protection de la rémunération des travailleurs se borne à indiquer qu'elle “s'applique aux travailleurs et aux employeurs”, sans plus de précision.

La Gécamines a invoqué, quant à elle, le droit congolais, et plus particulièrement l'article 249, 6° du Code des biens congolais. Selon cette disposition, “(l)Les créances privilégiées sur la généralité des meubles sont… (l)es sommes et la contre-valeur des avantages dues par l'employeur à l'engagé, pour lui-même ou pour sa famille, en vertu du contrat d'emploi ou du contrat de travail ou des dispositions légales qui sont applicables à ces contrats, pour les six derniers mois de service, ainsi que les sommes et la contre-valeur des avantages qui leur sont dues pour cessation du contrat. Le montant du privilège ou gage ne peut excéder 400 zaïres”.

Ainsi qu'on peut le constater, les droits belge et congolais instaurent chacun un privilège général au profit des travailleurs, mais fixent différemment le plafond des créances privilégiées: tandis qu'en Belgique le privilège porte sur la rémunération à concurrence de 300.000 francs, soit 7.436,81 euros, au Congo le plafond est très largement inférieur puisqu'il est fixé à 400 zaïres, et est en outre limité à la rémunération des six derniers mois de service.

La question de la loi applicable devenait donc essentielle, et c'est celle-ci qui a été tranchée par cour d'appel de Bruxelles au terme d'une motivation qui fait appel aux techniques classiques du raisonnement conflictualiste en droit commun.

III. Le raisonnement en trois étapes retenu par l'arrêt annoté

3.En l'espèce, les travailleurs entendaient exercer leur privilège sur les sommes saisies-arrêtées entre les mains d'une banque belge. Les biens visés étaient donc situés en Belgique, pays d'ouverture de la procédure de concours. Par contre, les créances dont les travailleurs demandaient le paiement étaient fondées sur des contrats de travail dont il n'était pas contesté qu'ils étaient régis par le droit du Congo. Les contrats eux-mêmes contenaient d'ailleurs une clause désignant expressément ce droit.

Après avoir relevé ces éléments, l'arrêt annoté en déduit logiquement que la situation litigieuse présente un élément d'extranéité, de sorte “qu'il y a lieu de rechercher la loi applicable à la détermination et à l'exercice du privilège invoqué”.

4.En vue de résoudre cette question de droit international privé, la cour a mis en oeuvre un raisonnement relativement élaboré en trois étapes successives qui, selon elle, devrait permettre de déterminer la loi applicable aux privilèges généraux mobiliers.

Selon la cour, “il convient dans un premier temps de vérifier si le privilège invoqué par le créancier existe dans la loi applicable au contrat (en l'espèce la loi congolaise), ensuite de procéder à la même vérification dans la loi régissant le concours (en l'espèce la loi belge), et enfin de déterminer l'étendue et le rang du privilège, donc ses effets, en fonction de la loi du concours”.

Appliquant cette méthode au cas d'espèce, la cour est parvenue aux conclusions suivantes: 1° l'existence du privilège en droit congolais résulte de l'article 249, 6° du Code des biens congolais (précité), sans qu'il faille avoir égard à la limitation prévue par cette disposition aux six derniers mois de service à concurrence de 400 zaïres; 2° l'existence du privilège en droit belge résulte de l'article 19, 3°bis de la loi hypothécaire (précité également); 3° l'étendue et le rang du privilège sont fixés par le droit belge qui régit le concours en vertu de l'article 19, 3bis de la loi hypothécaire.

On examinera, dans la suite de cette note, le bien-fondé de chacune de ces solutions, en suivant l'ordre adopté par la cour. L'analyse des principes du droit international privé commun qui étaient applicables dans cette affaire sera suivie, chaque fois, d'un examen de l'impact des nouvelles règles du Code.

IV. Première étape: vérification de l'existence du privilège dans la lex contractus

5.Selon l'arrêt annoté, pour qu'un privilège puisse être reconnu en Belgique, il faut, premièrement, vérifier ses “conditions d'existence” au regard de la loi régissant la créance. En l'espèce, la créance trouvait sa source dans des contrats de travail soumis au droit du Congo, de sorte que la cour a examiné dans ce droit le respect de la condition.

Aux yeux de la cour, la condition était en l'espèce remplie car l'article 249, 6° du Code des biens congolais, précité, instaure un privilège général pour les travailleurs. La cour a considéré qu'il n'y avait pas lieu d'avoir égard, pour le surplus, aux dispositions du droit du Congo prévoyant que le privilège n'est accordé que pour les six derniers mois de rémunération et à concurrence de 400 zaïres. Pour la cour, ces éléments ne constituent pas “une condition d'existence du privilège” mais “conditionnent l'étendue que la loi congolaise confère au privilège”.

Après avoir examiné le principe du contrôle de l'existence du privilège dans la lex contractus (1), on s'interrogera sur l'étendue de ce contrôle (2).

(1) Faut-il vérifier l'existence du privilège général dans la lex contractus?

6.Selon la doctrine classique de droit international privé [2], les sûretés et garanties relèvent de l'application combinée de la loi régissant la source de la sûreté et de la loi locale (du lieu de situation de la chose et/ou d'ouverture du concours).

Cette approche conduit - toujours selon l'enseignement traditionnel - à un partage de la compétence des lois en présence: de manière schématique, la loi de la source s'applique pour ce qui touche à la création ou à l'existence de la sûreté, tandis que la loi locale détermine son contenu ou ses effets, notamment à l'égard des autres créanciers [3].

La méthode est appliquée peu ou prou dans diverses matières, ainsi que l'indique un bref tour d'horizon des solutions classiques préconisées par la doctrine à propos des principaux types de sûretés et privilèges. Prenons tout d'abord le cas des sûretés réelles. Ainsi que le résume fort bien le Professeur N. Watté, la loi applicable dans cette matière “repose sur la distinction entre la création de la sûreté et son contenu, ce qui conduit à un partage de compétence de la lex rei sitae et à un cumul des lois applicables. Pour connaître les conditions d'existence d'une sûreté, il faut… consulter, d'abord la loi qui gouverne le rapport ou le fait dont dérive la garantie, par exemple la loi d'autonomie si la source du droit réel est une convention. Il faut, ensuite, vérifier si ce droit est admis par la loi de la situation du bien sur lequel porte le droit… (P)our ce qui est des effets de la sûreté… la loi de la situation… s'applique presqu'exclusivement, car ce qui est en cause ce ne sont pas uniquement les droits des créanciers, mais aussi les répercussions sur les droits des tiers et le principe de l'égalité des créanciers” [4].

La même analyse est retenue pour les sûretés légales, qui peuvent ou non être par ailleurs des sûretés réelles. Selon Fr. t'Kint, “pour les sûretés légales, on vérifiera d'abord si la loi applicable à la créance attache à celle-ci la sûreté considérée. Le rôle créateur de la sûreté revient ainsi à la lex contractus s'il s'agit d'une créance contractuelle, à la lex loci delicti s'il s'agit d'une créance aquilienne… Si la sûreté porte sur des biens situés hors du pays dont la loi règle la création, on doit alors vérifier quelle(s) loi(s) sont applicables pour en régler les effets, c'est-à-dire l'existence, l'étendue et le rang de préférence qu'elle accorde à son titulaire” [5]. Selon l'auteur, ces lois sont celles soit de situation du bien soit du lieu de naissance du concours [6].

On applique aussi traditionnellement la même méthode en matière de sûretés conventionnelles, même s'il existe ici une nuance: “(le) caractère accessoire (des sûretés conventionnelles) incitera naturellement à les rattacher, pour vérifier les conditions de leur création, à la loi applicable à la créance garantie. Mais le principe n'est pas absolu car il peut être entamé par la loi d'autonomie: la sûreté conventionnelle naît d'un contrat et il n'est donc pas interdit aux parties, de façon expresse ou implicite, de rattacher ce contrat à une autre loi qu'à la loi gouvernant la créance” [7].

La clause de réserve de propriété suit globalement, selon l'enseignement traditionnel, le même régime: “pour la réserve de propriété, comme pour le gage par exemple, en raison de sa source contractuelle, la loi qui régit la convention possède un titre d'application pour la création et les modalités du droit entre parties. Mais dès qu'il s'agit de l'opposabilité aux tiers de cette création et de ces modalités, c'est la loi réelle qui l'emporte” [8].

Les privilèges spéciaux obéissent également au même régime: leur existence relève de la loi de la source de la créance, c'est-à-dire l'acte juridique ou le fait juridique dont elle découle, tandis que l'opposabilité du privilège aux tiers relève de la loi de situation des biens [9].

7.La situation est à première vue plus délicate en ce qui concerne les privilèges généraux, dont on souligne qu'ils obéissent à un régime particulier, dérogatoire des autres sûretés et garanties [10].

Ainsi, R. Vander Elst, après avoir considéré que les privilèges spéciaux et les sûretés réelles font l'objet d'un cumul de la loi de la source et de la loi de situation, estime que “les privilèges généraux ne sont en rien assimilables aux droits réels, puisqu'ils portent sur l'ensemble du patrimoine du débiteur, ou du moins de son patrimoine mobilier, et non sur un bien déterminé. De tels privilèges se rattachent aux règles qui fixent les modalités de répartition d'un patrimoine entre ses créanciers … C'est donc la loi qui régit cette répartition qui s'applique, par exemple la loi qui régit la liquidation de la masse successorale pour les frais funéraires et de dernière maladie, la loi de procédure en cas de distribution par contribution, et évidemment en cas de faillite (ou liquidation judiciaire) la loi qui régit celle-ci, seule compétence pour déterminer quels sont les privilèges dont l'on tiendra compte ainsi que le rang des privilèges en cas de concours entre eux” [11].

De même, selon H. Batiffol et P. Lagarde, “il existe des privilèges qui, dans l'opinion la plus répandue, ne constituent pas des droits réels, ce sont les privilèges généraux. La compétence de la loi du lieu de distribution comme loi de la situation du bien saisi ne s'impose donc plus au même titre; et, bien que la question puisse paraître d'intérêt passablement théorique, il semble préférable d'appliquer cette loi comme loi du for. En effet, la nécessité de son application provient de ce qu'on ne peut répartir le produit de la saisie entre les divers ayants droit en respectant les différentes lois sous l'empire desquelles ont pu naître leurs créances. Une répartition, quelque ordre qu'elle suive, suppose un plan qui ne peut être qu'unique. Et puisqu'il s'agit là d'un ordre des opérations la loi de la procédure paraît compétente comme telle” [12].

Cette doctrine postule la soumission des privilèges généraux à la loi de procédure. Mais faut-il en déduire que cette loi s'applique exclusivement, à l'exception de toute autre loi? Les termes utilisés par les auteurs ne permettent pas, semble-t-il, d'exclure la compétence concurrente de la loi de la source. D'ailleurs, tout en insistant, par le passage précité, sur l'importance de la loi de la procédure dans cette matière, Batiffol et Lagarde admettent, en note, que l'application de cette loi “n'empêcherait pas d'accueillir la suggestion, apparue en droit maritime, de n'admettre un privilège qu'autant qu'il est prévu par la loi de la créance garantie” [13].

Cette suggestion est approuvée plus nettement par d'autres auteurs, qui soumettent les privilèges généraux à la distinction classique entre loi de la source et loi locale. Ainsi, selon J. Deruppé, “pour les privilèges généraux, il faudra… se référer à la loi de la créance. Ainsi l'on consultera la loi du contrat de travail pour le privilège garantissant le paiement des salaires… Mais il demeure bien entendu que le privilège devra être autorisé par la lex rei sitae [14].

Cette dernière approche a été retenue par un arrêt ancien de la cour d'appel de Bruxelles du 15 juin 1932, qui a jugé que “pour qu'un privilège puisse, en droit international privé, être attribué à une créance”, il faut tout d'abord que “la loi qui régit la créance lui confère privilège” et ensuite que “la loi de la situation du bien… porte reconnaissance de celui-ci” [15].

Ainsi qu'on peut le constater, dans la doctrine classique du droit international privé, les hésitations, dans la matière des privilèges généraux, portent sur la question de savoir s'il y a lieu d'appliquer, au titre de loi locale, celle du lieu de situation des biens ou celle d'ouverture de la procédure [16]. Il ne semble pas y avoir de contestation en revanche sur l'opportunité de reconnaître, par ailleurs, une certaine compétence à la loi de la source de la créance bénéficiant du privilège général.

8.La compétence de la loi de la source de la créance trouve d'ailleurs un fondement, pour les créances d'origine contractuelle, dans la Convention de Rome de 1980 sur la loi applicable aux obligations contractuelles (“la Convention”).

Fixant le domaine d'application de la loi applicable au contrat, l'article 10, 1° (c) de cette Convention prévoit qu'elle régit notamment “dans les limites des pouvoirs attribués au tribunal par sa loi de procédure, les conséquences de l'inexécution totale ou partielle de ces obligations”.

Dans un arrêt du 20 mai 1997 [17], la Cour de cassation de France a déduit de cette disposition, combinée à l'article 3 de la Convention qui fonde le libre choix par les parties de la loi applicable, que “l'institution d'une sûreté” relève de “la loi applicable au contrat”, même si les biens qui font l'objet de la sûreté sont situés en France. La Cour a par conséquent dû considérer que la réserve de l'application de la loi de procédure, visée par la disposition précitée, ne faisait pas obstacle à l'application de la loi du contrat pour déterminer la création de la sûreté.

En l'espèce, la sûreté en cause était celle du privilège du frêteur sur la cargaison à bord d'un navire. Il s'agissait donc d'un privilège spécial. Il ne fait aucun doute que la même solution - celle de la compétence de la loi contractuelle pour “l'institution” du privilège - vaut également pour les privilèges généraux qui sont instaurés pour remédier à l'inexécution totale ou partielle d'obligations contractuelles, comme c'est le cas du privilège du travailleur.

L'application par la haute juridiction française de la Convention de Rome pour déterminer la loi applicable dans cette matière doit être approuvée. Certes, cette Convention ne s'applique qu'aux “obligations contractuelles”, de sorte que, comme le précise le rapport Giuliano-Lagarde, “la matière relative aux droits réels… n'est pas couverte” [18]. Mais il n'en résulte nullement que les sûretés et privilèges échapperaient globalement à la Convention de Rome. En effet, seuls les aspects réels proprement dits, ceux qui touchent au statut des biens, sont exclus. Les aspects contractuels, tels que délimités à l'article 10 de la Convention de Rome, sont en revanche visés, même s'ils concernent une sûreté réelle ou un privilège portant sur des biens meubles ou immeubles.

9.Quel est l'impact du Code de droit international privé sur ces solutions?

Le Code ne comporte pas de règle de conflit de lois spécifique pour les sûretés et privilèges. On trouve cependant dans le chapitre VIII du Code relatif aux “biens” une disposition qui touche à cette matière. Il s'agit de l'article 94, qui fixe le domaine du droit applicable au régime des biens. Après avoir énuméré, au § 1er de cette disposition, une série de questions qui relèvent de la loi locale, le § 2 précise qu'“aux fins de réalisation du bien d'un débiteur, le droit applicable en vertu de la présente section détermine également l'existence de causes de préférence et leur rang, ainsi que la distribution du produit de la réalisation, sans préjudice de l'article 119”.

Ainsi qu'on peut le constater, cette disposition soumet à la loi locale “l'existence” même des causes de préférence, parmi lesquelles il faut certainement ranger les sûretés et privilèges [19]. Faut-il en déduire que les questions liées à l'existence des sûretés et privilèges échappent, avec l'entrée en vigueur du Code, à la loi de la source de la créance?

À notre avis, la réponse est négative, et ce pour plusieurs raisons. Tout d'abord, si le texte indique que l'existence des causes de préférence relève de la loi locale, il n'est nullement précisé que l'application de cette loi est exclusive de celle de toute autre loi qui pourrait intervenir à un autre titre.

Ensuite, il ressort des travaux préparatoires du Code que le § 2 de l'article 94 a été introduit en remplacement d'une disposition qui stipulait que la loi locale s'applique à “la hiérarchie entre les sûretés”. Il a été fait observer lors des discussions en Commission de la justice au Sénat que la disposition, ainsi rédigée, ne pourrait “par définition” concerner que les “sûretés réelles”, puisque le texte se rapporte à l'article 87 du Code qui concerne le droit applicable aux droits réels. Or, il a été estimé qu'il serait opportun de comprendre également les autres sûretés, notamment les sûretés personnelles et les privilèges. C'est pourquoi la disposition a été modifiée de manière à indiquer que la loi locale “s'applique aussi à la hiérarchie entre sûretés réelles et personnelles” [20]. La réalisation de cet objectif d'application d'une loi unique pour déterminer la hiérarchie entre les différentes causes de préférence qui peuvent entrer en concurrence n'implique pas, à notre sens, que soit remise en cause la compétence normale de la loi de la source de la créance pour déterminer, individuellement, l'existence de chacune des causes de préférence.

Enfin, même s'il fallait considérer que les auteurs du Code ont entendu soumettre la question de l'existence des sûretés et privilèges à l'application de la seule loi locale, cette règle devrait être écartée lorsque le privilège trouve sa source dans un contrat soumis à la Convention de Rome. En effet, comme l'a très justement décidé la Cour de cassation de France dans l'arrêt précité du 20 mai 1997, il ressort de cette Convention que la loi contractuelle désignée par cette Convention régit “l'institution” des sûretés et privilèges. La solution prime toute disposition éventuelle en sens contraire prévue dans une législation nationale [21]. La seule question qui subsiste est alors celle de savoir si le Code requiert que l'existence des sûretés et autre causes de préférence soit en outre subordonnée à la loi locale, au titre de loi régissant le régime des biens, question sur laquelle on reviendra plus bas [22].

(2) Que faut-il entendre par “existence” du privilège dans la lex contractus?

10.Tout en admettant qu'il y a lieu de vérifier les conditions d'existence du privilège dans la loi du contrat, l'arrêt annoté a considéré que cette vérification avait une portée très limitée. Selon l'arrêt, la lex contractus devait être consultée uniquement pour contrôler “le principe de l'existence” du privilège. Cette condition était remplie en l'espèce puisque l'article 249, 6° du Code des biens congolais reconnaît en principe l'existence d'un privilège en faveur des travailleurs.

En revanche, selon l'arrêt annoté, il n'y avait pas lieu d'avoir égard aux deux conditions du Code des biens congolais destinées à plafonner le privilège, à savoir la limitation aux six derniers mois de rémunération avec un maximum de 400 zaïres. Selon la cour, ces deux précisions “sont sans incidence sur la solution du litige soumis à la Cour dès lors qu'elles conditionnent l'étendue que la loi congolaise confère au privilège”. Bref, pour la cour, les deux conditions ne concernent pas l'existence du privilège mais son étendue, qui dans le raisonnement adopté devait être analysée séparément, au stade de la troisième étape [23].

11.On est ici confronté à un problème de frontière, classique en droit international privé: dès lors qu'une même matière relève de plusieurs lois, applicables à des titres différents, quel est le domaine d'application respectif de chacune d'entre elles?

Dans la matière des sûretés et garanties, le problème est particulièrement aigu, comme le confirme le manque d'uniformité dans la terminologie utilisée pour viser les questions soumises à la lex contractus. On parle tantôt d'“existence” de la sûreté [24], tantôt de sa “reconnaissance”, tantôt encore de sa “création”, qui s'opposerait à son “contenu” [25]. On demande parfois aussi que la sûreté soit “admise” dans la loi de la source [26] ou que la créance “présente la qualité voulue pour être douée d'un privilège” au regard de cette loi [27].

La question du domaine de la lex contractus dans cette matière a fait l'objet de développements plus concrets dans l'arrêt précité du 20 mai 1997 de la Cour de cassation de France. Dans cette affaire, comme on l'a vu, il s'agissait de savoir si le privilège du fréteur prévu par le droit français pouvait être invoqué par un créancier sur la cargaison à bord d'un navire ayant fait escale dans un port français. La cour d'appel avait accordé le bénéfice du privilège par application du droit français, sans avoir égard au droit anglais qui régissait le contrat d'affrètement maritime.

La décision a été cassée par la plus haute juridiction française, au motif que “pour le paiement de son fret, le fréteur ne peut faire consigner en mains tierces les marchandises chargées à bord de son navire, puis les faire vendre suivant les modalités d'exécution prévues par (le droit français), que si la loi applicable au contrat international d'affrètement maritime, déterminée conformément aux dispositions du Traité (de Rome de 1980 sur la loi applicable aux obligations contractuelles), lui reconnaît, aux conditions qu'elle fixe, par l'institution d'une sûreté ou par une autre voie, des droits équivalents, dans leurs effets à ceux qu'il tiendrait du privilège du fréteur, tel qu'il est réglementé par le droit français” [28].

Dans son rapport précédent cet arrêt, M. le Conseiller Rémery a souligné que “la créance de fret, en l'espèce, est née du contrat d'affrètement. La loi qui gouverne celle-ci devait donc être consultée. Certes, le privilège se manifeste à l'occasion de l'appréhension des biens qui en sont grevés, mais la prise en considération de la loi de la situation de ces biens à ce moment n'exclut pas que les conditions d'existence du privilège dépendent aussi du contrat qui engendre la créance. Décider le contraire encouragerait d'ailleurs le forum shopping car n'est-il pas choquant, en fin de compte, qu'à l'occasion de l'escale, qui peut être purement fortuite, d'un navire en France, un fréteur puisse, au bénéfice de la loi française, applicable de ce seul fait, obtenir ce qu'aucune des autres lois ayant vocation à s'appliquer ne lui accorderait, et notamment pas celle qui gouverne le contrat d'affrètement qu'il a pourtant lui-même choisie” [29].

Ainsi, selon cette jurisprudence, la loi de la source du privilège, en l'espèce celle régissant le contrat, doit être appliquée non seulement pour vérifier qu'elle connaît le privilège en cause, mais aussi pour déterminer les conditions auxquelles cette reconnaissance est subordonnée.

Appliquée à l'espèce annotée, la solution devrait conduire à considérer que le privilège des travailleurs ne peut être admis en Belgique que dans les conditions prévues par la loi applicable au contrat de travail. Ainsi, les conditions fixées par la loi congolaise pour que joue le privilège des travailleurs devraient être respectées: le privilège ne vaut que pour les six derniers mois de salaire, à concurrence de 400 zaïres [30]. Transposant la justification avancée par M. le conseiller Reméry, l'on n'aperçoit pas pourquoi, du seul fait que des avoirs appartenant à l'employeur étranger aient été saisis-arrêtés en Belgique, l'on pourrait échapper aux conditions d'application du privilège telles que prévues par la loi régissant les contrats.

Cette approche large du domaine de la lex contractus dans la matière des sûretés et garanties doit être approuvée. On peut d'ailleurs se demander s'il est utile de maintenir la distinction classique entre existence et effets des sûretés et privilèges. À notre sens, la loi contractuelle est susceptible de régir chacun de ces deux aspects, sans préjudice de l'application de la loi locale lorsque l'intervention de cette loi est nécessaire pour préserver les droits des tiers. Ce point sera développé ci-après, lors de l'analyse de la loi applicable aux effets des privilèges, qui dans le raisonnement adopté par l'arrêt annoté constitue la troisième et dernière étape du raisonnement. Avant d'arriver à ce stade, il convient d'examiner la question de l'application de la loi locale à l'existence du privilège.

V. Deuxième étape: vérification de l'existence du privilège dans la loi locale

12.Selon l'arrêt annoté, la deuxième étape revient à vérifier dans la loi régissant le concours l'existence du privilège. Celle-ci est donc soumise, dans ce système, à l'application cumulative de deux lois: le privilège n'est admis qu'autant que son existence soit reconnue, premièrement, dans la loi régissant la source et, deuxièmement, dans la loi locale de la procédure ayant donné naissance au concours.

Selon la cour d'appel, cette deuxième condition était remplie en l'espèce dès lors que le droit belge reconnaît le privilège des travailleurs à l'article 19, 3bis de la loi hypothécaire. La cour a rejeté le moyen selon lequel cette disposition était inapplicable en l'espèce car visant uniquement les travailleurs occupés en Belgique, critère territorial qui n'était pas rencontré en l'espèce. Selon la cour, il suffisait de constater que la disposition accorde aux travailleurs “un privilège équivalent à celui existant au profit des travailleurs congolais”.

Suivant la même grille d'analyse que celle retenue à la première étape du raisonnement, on commencera par examiner le principe du contrôle de l'existence du privilège dans la loi locale (1), pour s'interroger ensuite sur l'étendue de ce contrôle (2).

(1) Faut-il vérifier l'existence du privilège dans la loi locale?

13.La doctrine classique de droit international privé est divisée sur le point de savoir s'il y a lieu de vérifier l'existence des sûretés et privilèges dans la loi locale.

Selon une première thèse, la loi locale n'a ici aucun rôle à jouer. Cette thèse est défendue par les partisans d'une application strictement distributive des lois en présence: la loi de la source de la créance régit l'existence des sûretés, tandis que la loi locale (celle du lieu de situation de la chose ou d'ouverture du concours) s'applique aux effets des sûretés [31]. Il y a donc un partage des rôles, chaque question étant soumise soit à la loi de la source, soit à la loi locale, jamais aux deux conjointement.

Selon une autre thèse, l'existence des sûretés et privilèges est soumise à l'application cumulative de la loi de la source et de la loi locale [32]. C'est la solution retenue par l'arrêt du 15 juin 1932 de la cour d'appel de Bruxelles, déjà cité [33], qui a décidé que “pour qu'un privilège puisse, en droit international privé, être attribué à une créance, une double condition est requise: il faut d'abord que la loi qui régit la créance lui confère privilège; il faut, ensuite, que la loi de la situation du bien sur lequel porte le privilège doit porter reconnaisse celui-ci”(sic).

Le Code de droit international privé paraît avoir tranché cette controverse. L'article 94 § 2 du Code prévoit en effet, comme on l'a déjà souligné, que la loi locale détermine notamment “l'existence de causes de préférence et leur rang”. C'est la deuxième thèse précitée qui semble donc avoir été consacrée: une créance ne peut bénéficier d'un privilège si celui-ci n'existe pas dans la loi locale de situation de la chose ou d'ouverture du concours.

(2) Que faut-il entendre par “existence” du privilège dans la loi locale?

14.Devant la cour d'appel, l'employeur avait soutenu que la condition d'existence du privilège dans la loi locale n'était pas remplie en l'espèce, au motif que le privilège des travailleurs visé à l'article 19, 3bis de la loi hypothécaire ne s'appliquerait qu'à un travail exécuté en Belgique pour un employeur belge.

L'arrêt annoté a rejeté ce moyen pour des motifs qu'il est utile, pour les suites de l'analyse, de reproduire intégralement: selon la cour, “l'article 19, 3°bis de la loi hypothécaire belge octroie un privilège général aux travailleurs visés par l'article 1er de la loi du 12 avril 1965. L'article 1er de la loi du 12 avril 1965 stipule que la loi s'applique aux travailleurs et aux employeurs, sans précision quant au lieu d'occupation. Les intimés qui ont conclu un contrat d'engagement avec la Gécamines sont incontestablement des travailleurs au sens de l'article 1er de la loi du 12 avril 1965. Or, compte tenu des règles de droit international privé exposées ci-avant, qui trouvent à s'appliquer au litige soumis à la cour, il importe seulement de vérifier l'existence dans le droit belge d'un privilège équivalent à celui existant au profit des travailleurs congolais. Il n'est donc pas requis de vérifier si les créanciers qui revendiquent le bénéfice de ce privilège remplissent les conditions de la loi belge dans son application territoriale sous peine de vider de tout intérêt les règles de conflit de lois en droit international privé”.

Il ressort de ces motifs que la cour d'appel a considéré que, même si la loi du 12 avril 1965 devait présenter un caractère territorial, en ce sens qu'elle subordonnerait son application à l'existence d'un rattachement territorial avec la Belgique, cette condition de territorialité ne devait pas être remplie pour les besoins de la vérification l'existence en droit belge du privilège des travailleurs.

15.La solution paraît à première vue appeler la même critique que celle formulée à l'encontre de la décision de la cour de ne pas vérifier pleinement les conditions de reconnaissance du privilège en droit congolais [34]. Dès lors que, au stade de la vérification de l'existence du privilège dans la loi congolaise, l'ensemble des conditions auxquelles cette loi subordonne la reconnaissance doit faire l'objet d'un contrôle, pourquoi ne faudrait-il pas procéder à la même vérification pleine et entière dans la loi belge puisque celle-ci régit, elle aussi, l'existence du privilège?

En tout cas, l'on n'aperçoit pas pourquoi il faudrait exclure en particulier du contrôle la condition portant sur l'existence d'un lien territorial avec la Belgique. La vérification de l'existence du rattachement territorial avec la Belgique n'aurait pas nécessairement pour effet, contrairement à ce que décide la cour d'appel, de vider de tout intérêt les règles de conflit de lois en droit international privé. Certaines lois présentent, en effet, un caractère dit “auto-limité”, en ce sens qu'elles ne peuvent trouver à s'appliquer que lorsqu'elles présentent en l'espèce le rattachement territorial exigé avec l'État qui les a édictées [35]. Lorsqu'une loi est auto-limitée, il n'est pas question de l'appliquer en dehors de son champ d'application territorial, même si la loi normalement applicable en vertu des règles de conflits désignent le droit de l'État en cause [36].

On trouve une application de ces principes dans l'arrêt du 15 juin 1932 de la cour d'appel de Bruxelles, déjà cité [37]. En l'espèce, le demandeur, subrogé aux droits du fisc français pour la récupération de droits de douanes payés à la suite de l'expédition de marchandises de la Belgique vers la France, entendait faire jouer sur des biens situés en Belgique le privilège général du fisc pour le paiement de droits de douanes. Après avoir relevé que le droit français régissant la créance lui confère ce privilège, la cour d'appel a procédé à la même vérification dans le droit belge du lieu de situation des biens. Constatant qu'il existe en droit belge un privilège pour les droits de douanes, la cour a jugé que “ces dispositions créent un privilège uniquement pour les droits payés au fisc belge”. Par conséquent, la cour a considéré que le demandeur ne pouvait se prévaloir du privilège sur les biens situés en Belgique, à défaut de remplir la condition de reconnaissance du privilège prévue en droit belge relative à la “nationalité” belge du créancier.

À transposer cet enseignement à l'affaire annotée, il semble que l'on devrait conclure qu'en l'espèce, le privilège des travailleurs n'est pas admis en droit belge, à défaut pour les travailleurs concernés d'avoir été occupés en Belgique pour le compte d'un employeur belge.

16.À la réflexion, pourtant, cette solution ne saurait être acceptée. Il nous paraît en fait que la cour d'appel a eu raison, ici, de conclure que la condition d'existence du privilège en droit belge était remplie. Deux ordres de considérations permettent de l'expliquer.

Tout d'abord, il est douteux que la loi du 12 avril 1965 concernant la protection de la rémunération des travailleurs exclut son application aux travailleurs exerçant leurs activités à l'étranger pour le compte d'un travailleur étranger. Certes, par un arrêt du 4 décembre 1989 [38], la Cour de cassation a jugé que cette loi est une “loi de police” qui “est applicable au travailleur qui effectue habituellement son travail en Belgique”. Mais la Cour ne s'est pas prononcée sur l'application de la loi lorsque le travailleur est habituellement occupé à l'étranger.

Certains auteurs soutiennent que les lois de police en matière de contrat de travail ne peuvent trouver à s'appliquer aux travailleurs occupés à l'étranger car ces lois “ne peuvent être mises en oeuvre au-delà du champ d'application qu'elles se sont elles-mêmes fixées” [39]. Dans cette approche, les lois de police protectrice des travailleurs seraient des lois auto-limitées au sens indiqué ci-avant.

Cependant, il est douteux que cette thèse, même si elle devait être acceptée dans son principe [40], puisse être défendue à propos de la loi du 12 avril 1965. Il ressort en effet explicitement de l'article 4 deuxième phrase de cette loi qu'elle est susceptible de viser des travailleurs occupés à l'étranger. En effet, selon cette disposition, “la rémunération en espèces doit être payée en monnaie ayant cours légal en Belgique, lorsque le travailleur y exerce son activité. Lorsque cette activité est exercée à l'étranger, la rémunération en espèces doit être payée, selon la demande du travailleur, en totalité ou en partie soit en monnaie ayant cours légal en Belgique, soit en monnaie ayant cours légal dans le pays où le travailleur exerce son activité”.

Lorsque le travail est exercé exclusivement à l'étranger, la doctrine et la jurisprudence subordonnent l'application de l'article 4 de la loi à l'existence d'un rattachement avec la Belgique, à savoir en principe que l'employeur soit domicilié en Belgique [41]. Mais cette exigence d'un lien territorial avec la Belgique paraît concerner uniquement la question de l'applicabilité de la loi du 12 avril 1965 lorsque le droit normalement applicable en vertu des règles de conflits de lois est un droit étranger.

Or, la question ici discutée est celle de savoir si la loi du 12 avril 1965 s'applique aux travailleurs occupés à l'étranger pour le compte d'un employeur étranger lorsque le droit applicable est le droit belge. En effet, selon la cour d'appel, les conditions d'existence du privilège relèvent, au second stade du raisonnement, du droit belge. L'application de la loi du 12 avril 1965 dans ce cas ne pourrait être exclue que si l'on devait estimer qu'elle présente un caractère auto-limité au sens indiqué ci-dessus. Or, l'article 4 précité de la loi fait obstacle à une telle qualification puisqu'il vise les activités du travailleur exercées à l'étranger. La loi du 12 avril 1965 se distingue sur ce point du privilège du fisc, qui ne peut jamais être reconnu au fisc étranger sur des biens situés dans le for, comme l'a décidé l'arrêt précité du 15 juin 1932.

17.Ensuite, même s'il fallait considérer que le privilège des travailleurs prévu par le droit belge est une règle auto-limitée d'application strictement territoriale, cette condition ne devrait pas faire obstacle à la reconnaissance du privilège des travailleurs lorsque le contrat de travail est soumis à un droit étranger.

En effet, la vérification de l'existence des sûretés et privilèges dans la loi locale, au titre de loi régissant le régime des biens, n'implique pas un contrôle aussi étendu que celui qui doit être effectué au regard de la lex contractus.

La doctrine classique de droit international privé est en ce sens. Ainsi, selon J. Deruppé, “il ne faut pas pousser trop loin cette exigence (de reconnaissance de la sûreté dans la loi locale) et, pourvu que la sûreté soit connue et acceptée par la loi de la situation, il n'est pas nécessaire d'en cantonner l'application aux seules causes prévues par cette loi. Ainsi, pour l'hypothèque, voire pour les privilèges spéciaux immobiliers, il suffirait de constater que la lex rei sitae connaît l'institution hypothécaire peu importe qu'elle ne la fasse pas jouer pour les mêmes causes que le droit étranger qui accorde cette sûreté” [42].

De même, on devrait considérer, dans notre matière, qu'il suffit de constater que la loi locale belge connaît le privilège des travailleurs, sans avoir égard à la condition éventuelle prévue par cette loi selon laquelle le privilège serait subordonné à la localisation en Belgique des activités du travailleur.

C'est ainsi qu'il faut en définitive approuver, à notre avis, le motif de l'arrêt annoté selon lequel “il importe seulement de vérifier l'existence dans le droit belge d'un privilège équivalent à celui existant (dans le droit du Congo) au profit des travailleurs congolais”.

18.Ces solutions traditionnelles ne sont, à notre avis, pas remise en cause par l'entrée en vigueur du Code de droit international privé. Certes, l'article 94 § 2 précité du Code soumet à la loi locale “l'existence” des privilèges, sans plus de précision sur cette notion.

Cependant, la même disposition stipule par ailleurs qu'elle ne s'applique qu'“aux fins de réalisation du bien d'un débiteur”. Deux conséquences en découlent. Tout d'abord, la vérification de l'existence des sûretés et privilèges dans la loi locale ne doit avoir lieu qu'en vue de la mise en oeuvre de cet objectif de réalisation de l'actif et de sa répartition entre les créanciers. Il n'y a pas lieu d'appliquer la loi locale lorsque la question de l'existence de la sûreté ou du privilège se pose uniquement dans les rapports entre parties [43].

Ensuite, et ce second point est lié au premier, on ne retrouve pas ici les motifs qui justifient de retenir un domaine aussi large d'application de la loi que celui qui s'impose pour la lex contractus. L'objectif n'est pas de donner effet au choix de la loi par les parties quant aux conséquences de l'inexécution de leurs obligations contractuelles, comme le prévoit l'article 10, 1° (c) de la Convention de Rome [44]. Il s'agit uniquement d'assurer que les créanciers ne seront pas surpris par des sûretés et privilèges qui n'ont aucun équivalent dans la loi locale. Compte tenu de cette finalité bien précise, il nous paraît qu'il suffit, au regard de l'article 94 § 2 du Code, de vérifier que la sûreté soit d'un type connu par la loi locale, sans qu'il soit nécessaire d'en cantonner l'application aux seules causes prévues par cette loi.

VI. Troisième étape: détermination des effets du privilège dans la loi locale

19.Selon l'arrêt annoté, la troisième et dernière étape du processus de détermination de la loi applicable aux privilèges porte sur la fixation de “l'étendue et du rang du privilège, donc ses effets”. Pour l'arrêt, il y a lieu ici d'appliquer exclusivement la loi locale, qui est identifiée par la cour comme celle du concours.

On suivra à nouveau la même grille d'analyse. Après avoir examiné le principe de la soumission des effets des sûretés et privilèges à la loi locale (1), on examinera le domaine de cette compétence (2).

(1) Faut-il déterminer les effets des sûretés et privilèges dans la loi locale et si oui, cette loi est-elle celle de situation des biens ou du concours?

20.L'arrêt annoté a jugé que “c'est la loi du concours (en l'occurrence la loi belge) qui déterminera s'il échet de distribuer le prix par contribution, et dans quelle mesure, c'est-à-dire, s'il y a des privilèges, leur étendue et leur rang”.

La solution est classique dans la mesure où la cour affirme la compétence de la loi locale pour la détermination de l'étendue et du rang des privilèges, mais elle l'est peut-être moins dans la mesure où elle désigne la loi du concours plutôt que de la loi de situation des biens.

Reprenons ces deux points tour à tour. La soumission des effets des sûretés et privilèges à la loi locale est conforme à l'enseignement traditionnel [45]. Cette compétence est justifiée par la préoccupation d'assurer la sécurité du crédit et la protection des créanciers. La solution est bien établie dans son principe [46], la difficulté se situant plutôt au niveau de la détermination du domaine de cette loi et de la question de savoir si celle-ci est exclusive de l'application de la loi de la source de la créance. Ces questions sont examinées ci-après.

La désignation de la loi du concours au titre de loi locale est peut-être plus originale. Ainsi qu'on l'a vu, la question fait l'objet de certaines hésitations, une partie importante de la doctrine et de la jurisprudence affirmant la compétence dans cette matière de la loi du lieu de situation de la chose. Il est vrai qu'en pratique, la situation de la chose coïncide souvent avec le lieu d'ouverture de la procédure de concours. Il demeure que tel n'est pas nécessairement le cas, puisque la procédure de concours peut couvrir des biens situés à l'étranger. Dans ce cas, quelle loi faut-il appliquer au titre de loi locale protectrice de la sécurité du crédit et des tiers? Doit-on privilégier la lex rei sitae ou la lex concursus, ou encore combiner les deux?

C'est ici que la distinction entre deux catégories de garanties, selon qu'elles portent sur un bien identifié en particulier (sûretés réelles et privilèges spéciaux) ou sur un ensemble de biens appartenant au débiteur (privilèges généraux) semble devoir prendre tout son intérêt. La première catégorie appelle logiquement l'application au titre de loi locale de la loi de situation des biens concernés, qui est celle auxquels les tiers ont pu se fier [47]. La loi du concours aura également vocation à s'appliquer, mais uniquement pour ce qui touche à la procédure proprement dite [48].

Par contre, en ce qui concerne les privilèges généraux, la loi du lieu de situation des biens ne paraît pas devoir intervenir puisque ces privilèges ne portent pas sur un bien déterminé localisé dans un pays en particulier, mais sur la généralité des biens du débiteur [49]. Il ne paraît pas possible ici d'appliquer à chaque bien la loi du lieu où il se trouverait au moment d'une saisie puisque, par définition, la garantie porte sur l'ensemble des biens qui doivent être répartis entre les créanciers selon une loi qui doit nécessairement être unique. Cette loi ne peut être que celle d'ouverture du concours [50].

21.L'entrée en vigueur du Code modifie-t-elle ces solutions traditionnelles? On reprendra tour à tour les deux points qui viennent d'être examinés.

Tout d'abord, rien ne change quant au principe de la compétence de la loi locale dans cette matière. Les dispositions du Code prévues aux articles 87 et 94 indiquent en effet que la loi locale est compétente pour ce qui touche au “régime des biens”, en ce compris l'opposabilité aux tiers des droits réels, la détermination du rang des causes de préférence, et la distribution du produit de la réalisation (art. 94 § 1er, 6° et § 2). Comme en droit commun, la question se pose cependant de savoir quel est le domaine exact de la loi locale dans cette matière, question sur laquelle on reviendra dans un instant.

Ensuite, en ce qui concerne le critère pour définir la loi locale, le rattachement de base retenu par le Code est, classiquement, celui du lieu de situation du bien (art. 87 § 1er). Cependant, deux critères complémentaires sont instaurés [51]. Tout d'abord, lorsqu'un patrimoine est composé d'un “ensemble de biens affectés à une destination particulière”, on a égard au critère des liens les plus étroits (art. 87 § 2). Ensuite, pour les droits réels sur une créance et certains effets de la cession de créance ou de la subrogation, le Code retient comme critère la résidence habituelle, celle du cédant ou du subrogeant (art. 87 § 3).

Le Code ne formule aucune règle complémentaire quant au rattachement à prendre en compte pour les sûretés et privilèges. L'article 94 § 2 relatif aux causes de préférence se borne à renvoyer au “droit applicable en vertu de la présente section”.

Pour les sûretés réelles et les privilèges spéciaux, il n'y aura aucune difficulté à avoir égard au critère de base du lieu de situation du bien, prévu à l'article 87 § 1er (voire au critère complémentaire du lieu d'inscription en compte pour les sûretés et privilèges spéciaux portant sur des titres faisant l'objet d'un enregistrement, comme prévu à l'art. 91 du Code).

La question est plus délicate pour les privilèges généraux. À première vue, on pourrait penser que la compétence de la loi du concours est, comme en droit commun, préservée par l'article 94 § 2 du Code, qui prévoit que l'application dans cette matière du droit local “sans préjudice de l'article 119”, lequel concerne la compétence de la lex concursus. En réalité, cependant, cette disposition ne fournit pas de réponse à la question ici examinée. D'une part, l'article 119 ne couvre pas toutes les procédures de concours, mais seulement celles où il y a insolvabilité du débiteur [52]. Ensuite, la disposition se borne, en ce qui concerne les “droits réels”, à renvoyer “au droit applicable à ces droits”, c'est-à-dire aux règles de conflit des articles 87 et suivants.

Faut-il en déduire qu'il y a lieu d'appliquer dans la matière des privilèges généraux, comme dans celle des sûretés réelles et privilèges spéciaux, la loi du lieu de situation du bien (art. 87 § 1er), le Code ayant dès lors ici pour effet d'écarter l'application de la loi du concours? La solution serait assurément malheureuse, pour les raisons exposées ci-dessus. On peut se demander s'il n'y aurait pas lieu ici de faire jouer le § 2 précité de l'article 87, et de considérer que pour la mise en oeuvre des privilèges généraux, le patrimoine du débiteur doit être considéré comme un “ensemble de biens affecté à une destination particulière” (celle de garantir la créance bénéficiant du privilège). La loi applicable au titre de loi locale serait alors celle présentant les liens les plus étroits avec le patrimoine, ce qui permettrait le cas échéant de désigner la loi du pays d'ouverture du concours. L'interprétation proposée permettrait en tout cas de parvenir à la désignation d'une loi unique, élément qui paraît essentiel en cette matière. Si l'article 87 § 2 du Code n'a certainement pas été conçu à cette fin (le seul exemple de patrimoine à finalité particulière mentionné dans la disposition est celui du fond de commerce), l'interprétation proposée ne paraît pas aller à l'encontre du texte même de la disposition.

(2) Les effets des sûretés et privilèges relèvent-ils intégralement et exclusivement de la loi locale?

22.Lors de la procédure devant la cour d'appel, l'employeur avait reconnu qu'en principe les effets du privilège des travailleurs relève de la loi locale belge. Mais il avait aussi soutenu que le privilège ne pourrait être admis que “dans les limites fixées par la loi qui régit la créance, soit la créance relative aux six derniers mois de salaire et les sommes dues pour la cessation du contrat à concurrence seulement pour ces deux postes de 400 zaïres”. Bref, l'employeur soutenait que, même si ces dernières limites ne devaient pas être prises en compte au stade de l'examen de l'existence du privilège dans la loi de la source [53], elles devaient jouer à tout le moins au stade de l'examen des effets du privilège.

La cour a écarté cet argument. Selon elle, les effets des privilèges relèvent exclusivement de la loi du concours, à l'exclusion de la loi régissant la créance. Ainsi, la cour a considéré que c'est uniquement “à la loi belge qu'il faut se référer pour déterminer les effets du privilège, soit son étendue, et son rang”.

L'application exclusive de la loi locale aux effets des sûretés trouve un appui dans la doctrine dominante [54]. Selon l'opinion souvent citée de J. Deruppé, “si l'acquisition du droit réel peut être subordonnée à la concordance de la loi qui gouverne la chose et de celle qui gouverne le titre d'acquisition, il n'en est pas de même de son régime dont il n'est pas discuté qu'il doit être régi exclusivement par la loi de la situation. La loi du titre peut dire si le droit existera ou non, se transmettra ou non, mais elle n'a pas compétence pour dire quel sera le contenu du droit dont elle admet l'existence” [55].

Certains auteurs se prononcent autrement. Ainsi, selon P. Mayer et V. Heuzé, qui discutent de la loi applicable au contenu et aux effets des droits réels démembrés ou accessoires, “l'accord des parties - pour se limiter au contrat - a porté sur la création ou l'organisation d'un certain droit, comportant des prérogatives précises qu'elles ont envisagées, et on peut difficilement concevoir de soustraire cet effet de l'acte à la loi d'autonomie. Ce serait d'ailleurs tenter une scission délicate entre les effets réels de l'acte et ses effets personnels, incontestablement soumis à la loi d'autonomie” [56].

Citant ces auteurs, N. Watté souligne qu'“il a parfois été soutenu que la loi de la situation ne peut procurer au créancier une prérogative que la loi de son titre lui refuse. Dans cette perspective, les prérogatives du créancier ne sont plus envisagées globalement, mais comme des droits distincts et indépendants” [57].

À notre avis, cette dernière thèse est celle qui est la plus en harmonie avec les principes qui régissent la matière. L'intervention de la loi locale (de situation de la chose ou du concours) dans la matière des sûretés et privilèges remplit, dans la théorie du droit international privé, une fonction bien particulière: celle d'assurer la protection des tiers et la sécurité du crédit [58]. La loi locale doit donc intervenir dans toute la mesure nécessaire à la réalisation de ces objectifs. Mais elle n'a pas vocation à aller au-delà, et ne peut prétendre se substituer entièrement à la loi normalement applicable pour déterminer les droits du créancier et les obligations corrélatives du débiteur. Ces droits et obligations se déduisent de la créance, et relèvent normalement de la loi qui régit celle-ci.

Il est donc inopportun, à notre sens, de soutenir de manière générale que les “effets” des sûretés et garanties sont soumis à la loi locale. Au contraire, les effets des sûretés et privilèges, en tant qu'ils procurent des droits au créancier et génèrent des obligations pour le débiteur, sont normalement soumis à la loi de la créance. Mais l'exercice de ces droits et prérogatives selon la loi de la source ne pourra nuire aux tiers, qui pourront se prévaloir de la loi locale dans toute la mesure, mais seulement dans cette mesure, où leurs droits sont affectés, par exemple en raison du non-respect d'une formalité locale, de l'atteinte à une cause de préférence douée d'un rang supérieur, ou plus généralement de la mise en cause du principe d'égalité entre créanciers [59].

Pour les créances de nature contractuelle, ces principes trouvent à notre avis un appui dans la Convention de Rome. Ainsi qu'on l'a vu, l'article 10 de cette Convention prévoit que la loi du contrat régit notamment “dans les limites des pouvoirs attribués au tribunal par sa loi de procédure, les conséquences de l'inexécution totale ou partielle de ces obligations”. Les droits et prérogatives du créancier invoqués en raison d'une sûreté ou d'un privilège se rattachent logiquement, aux conséquences de l'inexécution des obligations. Certes, la Convention de Rome a trait uniquement aux obligations contractuelles, et non à la matière des droits réels [60]. Mais justement, il nous paraît que les droits et prérogatives du créancier déduits d'une sûreté ou d'un privilège relèvent de la matière des obligations contractuelles. Il est possible que la matière des droits réels soit également concernée, parce que les droits de tiers sont affectés, mais cette constatation ne suffit pas à énerver la constatation que les effets des sûretés entre parties relèvent du domaine de la Convention de Rome.

L'espèce annotée fournit une illustration particulièrement nette des implications concrètes de ces principes. La loi congolaise applicable à la source de la créance prévoit, on l'a vu, que sont privilégiées les créances de rémunération à concurrence des six derniers mois, avec un maximum de 400 zaïres. Ces précisions, même s'il fallait considérer qu'elles n'affectent pas les conditions d'existence du privilège mais uniquement ses effets [61], sont à tout le moins des restrictions apportées aux droits du créancier. Contrairement à ce qu'a décidé la cour d'appel de Bruxelles, il nous paraît dès lors que ces restrictions, prévues par la lex contractus, trouvent à s'appliquer. La loi locale belge ne pouvait conférer aux travailleurs des droits à l'égard de leur employeur d'une étendue supérieure à ceux prévus par la loi contractuelle normalement applicable.

23.À nouveau, on doit s'interroger sur l'impact de l'entrée en vigueur du Code de droit international privé.

À notre sens, le Code ne modifie pas les solutions du droit commun précitées, et tend même à conforter la dernière approche défendue ci-avant.

Le domaine de la loi applicable aux biens est défini par l'article 94 § 2 du Code de manière classique comme visant diverses questions touchant directement au statut des biens et à “l'opposabilité aux tiers” des droits réels. L'article 94 § 2 du Code prévoit en outre, comme on l'a vu, qu'“aux fins de la réalisation du bien d'un débiteur”, la loi locale “détermine également l'existence de causes de préférence et leur rang, ainsi que la distribution du produit de la réalisation”.

Cette dernière disposition indique explicitement que la loi locale n'intervient dans le domaine des causes de préférence qu'“aux fins de la réalisation du bien”, ce par quoi il faut entendre à notre sens que l'on se situe dans la perspective du processus de distribution du bien entre les créanciers. Mais avant d'appliquer cette loi locale commune à toutes les créances invoquées, qui permettra de décider d'un plan de répartition unique, il faudra avoir vérifié quels sont les droits et les prérogatives de chaque créancier conformément à la loi normalement applicable à chaque créance.

On relèvera par ailleurs qu'au vu de la rédaction de l'article 94 § 2 du Code, la fixation du “rang” et de la “distribution du produit de la réalisation” sont placés sur un même pied que la détermination de “l'existence” de ces causes de préférence. On tend donc à nier toute distinction entre existence et effets des sûretés et privilèges. Ces deux aspects sont soumis, au même titre, à la loi locale, et ce “aux fins de la réalisation du bien”. Ce régime commun devrait logiquement valoir aussi pour le domaine de la loi de la source de la créance.

24.En guise de conclusion, on peut retenir que l'entrée en vigueur du Code de droit international privé n'apporte pas de modification fondamentale des règles traditionnelles quant à la détermination de la loi applicable aux sûretés et privilèges.

Le Code, qui ne comporte pas de disposition traitant de manière spécifique de la matière, paraît renforcer l'approche consistant à limiter l'intervention de la loi locale aux questions touchant à l'opposabilité des sûretés aux tiers et à la répartition du produit entre les créanciers. L'existence et les effets des sûretés et privilèges devraient, pour le surplus, relever de la loi régissant la créance, c'est-à-dire celle du contrat pour les garanties assortissant des créances de nature contractuelle.

Que ce soit en droit international privé commun ou au regard du Code, l'arrêt annoté ne peut par conséquent être approuvé en tant qu'il déclare inapplicables les dispositions de la lex contractus qui prévoient que le privilège des travailleurs ne vaut qu'à concurrence des six derniers mois de rémunération avec un maximum fixé, en l'espèce, à 400 zaïres.

Sans doute la cour d'appel a été influencée par la constatation que ce plafond de 400 zaïres représentait, pour les travailleurs, un montant dont elle a relevé qu'il était “insignifiant”. Cependant, le débat aurait alors dû être envisagé sous l'angle de l'exception d'ordre public international, qui est reconnue tant en droit international privé commun [62] que dans le Code [63] ou dans la Convention de Rome de 1980 sur la loi applicable aux obligations contractuelles [64]. On aurait alors dû vérifier si la loi congolaise, désignée par la règle de conflit, produisait concrètement des effets choquants pour l'ordre juridique belge, compte tenu notamment de l'intensité du rattachement des rapports de travail concernés et des autres éléments de la situation avec la Belgique.

[1] Chargé de cours à l'Université Libre de Bruxelles et à la Vrije Universiteit Brussel. Avocat au barreau de Bruxelles.
[2] La littérature consacrée à la matière des sûretés en droit international privé est relativement riche. Voy. notam. J. Deruppé, “Sûretés personnelles et réelles”, Jurisclasseur, Droit international, Fasc. 555; G. Kairallah, Les sûretés mobilières en droit international privé, Paris, Economica, 1984; K. Kreuzer, “La reconnaissance des sûretés mobilières conventionnelles étrangères”, Rev. crit. DIP 1995, pp. 479 et s.; V. Marquette, “La mise en oeuvre des sûretés dans le cadre d'une faillite internationale”, E.P.R. 1999, pp. 300 et s.; “Code de DIP: droits réels et compensation”, R.D.C.. 2005 pp. 656 s., spéc. p. 659, n° 2; A. Nuyts, “Le droit de rétention en droit international privé: quelques observations sur le rôle de la loi de l'obligation, de la loi réelle et de la loi du lieu d'exécution”, R.G.D.C. 1992, pp. 30 et s.; F. T'Kint, “La mise en oeuvre des sûretés dans le cadre d'une faillite internationale en droit belge”, Liber Amicorum Guy Horsmans, Bruylant, 2004, pp. 1073 et s.; R. Vander Elst, “Les sûretés traditionnelles en droit international privé”, in Les sûretés, Colloque de Bruxelles des 20 et 21 octobre 1983, Feduci, pp. 409 et s.; M. van der Haegen, “Les sûretés financières: bouleversement du droit des sûretés? Nouvelles règles de droit matériel relatives ou gage et nouvelles règles de droit international privé”, AEDBF/EVBFR 2004-2005, pp. 9 s.; N. Watté, “Questions de droit international privé des sûretés”, in Le droit des sûretés, Éd. du Jeune Barreau, 1992, pp. 305 et s.; “L'opposabilité des sûretés dans le nouveau règlement européen des procédures d'insolvabilité”, Rev. dr. U.L.B. 2001, pp. 7 et s.
[3] Ce principe général de solution doit être affiné et nuancé, ainsi qu'on le verra tout au long de cette note.
[4] “Questions de droit international privé des sûretés”, in Le droit des sûretés, Éd. du Jeune Barreau, 1992, pp. 305 et s., spéc. p. 325, n° 67. Voy. aussi, du même auteur, “L'opposabilité des sûretés dans le nouveau règlement européen des procédures d'insolvabilité”, Rev. dr. U.L.B. 2001, pp. 7 et s., spéc. p. 21, n° 19.
[5] “La mise en oeuvre des sûretés dans le cadre d'une faillite internationale en droit belge”, Liber Amicorum Guy Horsmans, Bruylant, 2004, pp. 1073 et s., spéc. pp. 1081 et 1082, nos 17 à 19; voy. aussi F. T'Kint, Sûretés et principes généraux du droit de poursuite des créanciers, 3e éd., nos 228 et s.
[6] On reviendra sur le choix entre ces lois infra, nos 20 et 21.
[7] F. T'Kint, “La mise en oeuvre des sûretés dans le cadre d'une faillite internationale en droit belge”, Liber Amicorum Guy Horsmans, Bruylant, 2004, pp. 1073 et s., spéc. p. 1081, n° 16.
[8] R. Vander Elst, “Les sûretés traditionnelles en droit international privé”, in Les sûretés, Colloque de Bruxelles des 20 et 21 octobre 1983, Feduci, pp. 409 et s., spéc. p. 421. La mise en oeuvre de ce principe général de solution soulève cependant des difficultés particulièrement épineuses propres à la matière des clauses de réserve de propriété. Voy. notam. N. Watté, “Questions de droit international privé des sûretés”, in Le droit des sûretés, Éd. du Jeune Barreau, 1992, pp. 305 et s., spéc. pp. 326 et s., nos 72 et s.
[9] R. Vander Elst, “Les sûretés traditionnelles en droit international privé”, in Les sûretés, Colloque de Bruxelles des 20 et 21 octobre 1983, Feduci, pp. 409 et s., spéc. p. 423.
[10] Voy. H. Batiffol et P. Lagarde, Droit international privé, t. II, LGDJ, 7e éd., 1983, nos 517 et 540.
[11] R. Vander Elst, “Les sûretés traditionnelles en droit international privé”, in Les sûretés, Colloque de Bruxelles des 20 et 21 octobre 1983, Feduci, pp. 409 et s., spéc. p. 423.
[12] Droit international privé, t. II, LGDJ, 7e éd., 1983, n° 540.
[13] H. Batiffol et P. Lagarde, Droit international privé, t. II, LGDJ, 7e éd., 1983, n° 540, p. 216, note 4.
[14] “Sûretés personnelles et réelles”, Jurisclasseur, Droit international, Fasc. 555, p. 19, n° 119; voy. aussi B. Audit, Droit international privé, 3e éd., n° 747.
[15] Clunet 1934, p. 457. On reviendra sur cet arrêt infra, n° 15.
[16] On reviendra sur cette question infra, n° 13.
[17] Rev. crit. DIP 1997, p. 545.
[18] J.O.C.E. n° C. 282 du 31 octobre 1980, p. 10.
[19] Les travaux préparatoires précisent en ce sens que, si “en ce qui concerne la constitution volontaire d'une sûreté, l'opération même relève du rattachement de la matière contractuelle”, en revanche (mis en gras par nous), “l'existence et l'étendue d'un droit réel relèvent du présent chapitre (relatif au régime des biens)” (Proposition de loi portant le Code de droit international privé, Doc. parl. Sénat 2003, nos 3-27/1, pp. 120-121).
[20] Rapport fait au nom de la Commission de la justice, Doc. parl. Sénat, sess. 2003-04, nos 3-27/7, pp. 162-163.
[21] Comme le rappelle l'art. 2 du Code, qui réserve l'application des traités internationaux et du droit de l'Union européenne.
[22] Infra, n° 18.
[23] Voy. infra, nos 19 et s.
[24] F. Rigaux et M. Fallon, Droit international privé, t. II, 2e éd., n° 1262.
[25] N. Watté, “Questions de droit international privé des sûretés”, in Le droit des sûretés, Éd. du Jeune Barreau, 1992, pp. 305 et s., spéc. p. 325, n° 67; F. T'Kint, “La mise en oeuvre des sûretés dans le cadre d'une faillite internationale en droit belge”, Liber Amicorum Guy Horsmans, Bruylant, 2004, pp. 1073 et s., spéc. p. 1081, n° 17.
[26] J. Deruppé, “Sûretés personnelles et réelles”, Jurisclasseur, Droit international, Fasc. 555, p. 9, n° 53.
[27] Voy. l'arrêt du 15 juin 1932 de la cour d'appel de Bruxelles, cité supra, n° 7.
[28] Rev. crit. DIP 1997, p. 545.
[29] Ibid.
[30] Sauf à considérer que ces limitations doivent être écartées en vertu de l'exception d'ordre public international: sur ce point, voy. infra, n° 24.
[31] Voy. F. Rigaux et M. Fallon, Droit international privé, t. II, 2e éd., n° 1262; B. Audit, Droit international privé, 3e éd., n° 747.
[32] Voy. H. Batiffol et P. Lagarde, Droit international privé, t. II, LGDJ, 7e éd., 1983, n° 519; N. Watté, “Questions de droit international privé des sûretés”, in Le droit des sûretés, Éd. du Jeune Barreau, 1992, pp. 305 et s., spéc. p. 325, n° 67.
[33] Supra, n° 7.
[34] Supra, n° 11.
[35] Voy. P. Mayer, “Les lois de police étrangères”, Clunet 1981, pp. 534 et s.; A. Nuyts, “L'application des lois de police dans l'espace”, Rev. crit. DIP 1999, pp. 54 et s. et 67 et s.
[36] A. Nuyts, o.c.
[37] Supra, n° 7.
[38] Pas. 1990, I, p. 410.
[39] V. Marquette, (note sous Cass. 17 janvier 1994), R.G.D.C. 1995, p. 495; Verbraeken et de Schoutheete, Le contrat de travail d'employé, Créadif, 1994, p. 393, n° 321.
[40] À notre sens, les lois de police en matière de contrat de travail ne sont pas normalement des lois auto-limitées (à l'exception des lois visant l'organisation du travail, comme celles relatives à la sécurité et à l'hygiène sur les lieux de travail), car si leur application aux activités déployées en Belgique constitue un minimum, il ne s'agit pas d'un maximum car il n'apparaît pas que le législateur a entendu exclure leur application à des activités qui se déploient à l'étranger. Sur cette question, voy. A. Nuyts, o.c., pp. 68 et s.
[41] Comme le relève J. Schelekens, “une des conséquences pour le moins inattendues des dispositions contenues dans l'article 4 alinéa 2 est qu'elle donne à tout travailleur actuellement occupé pour le compte d'un employeur belge dans un pays en voie de développement, comme par exemple le Congo, le droit d'exiger que la totalité de sa rémunération soit payée en francs belges” (La protection de la rémunération - Commentaire de la loi du 12 avril 1965, EDICODE, Bruxelles, p. 36).
[42] Comp. J. Deruppé, “Sûretés personnelles et réelles”, Jurisclasseur, Droit international, Fasc. 555, n° 54.
[43] On aura l'occasion d'approfondir ce point infra, nos 22 et 23.
[44] Cité supra, n° 8.
[45] N. Watté, “Questions de droit international privé des sûretés”, in Le droit des sûretés, Éd. du Jeune Barreau, 1992, pp. 305 et s., spéc. p. 325, n° 67; H. Batiffol et P. Lagarde, Droit international privé, LGDJ, t. II, 7e éd., n° 520.
[46] Les propositions de certains auteurs de soumettre les sûretés et privilèges à la compétence exclusive de la loi d'autonomie (voy. surtout G. Kairallah, Les sûretés mobilières en droit international privé, Paris, Economica, 1984) n'ont pas été suivie dans la pratique.
[47] Ainsi que le relève J. Deruppé, “le rattachement à la loi de situation est un facteur de sécurité pour les tiers en leur faisant connaître par un élément concret la loi applicable et par là les droits qui leur seront opposables” (“Sûretés personnelles et réelles”, Jurisclasseur, Droit international, Fasc. 555, p. 12, n° 71).
[48] En outre, lorsque la procédure de concours est fondée sur l'insolvabilité du débiteur, il faudra tenir compte des règles de conflit spéciales relatives aux procédures d'insolvabilité, telles qu'elles sont maintenant prévues par le règlement CE 1346/2000 du 29 mai 2000 relatif aux procédures d'insolvabilité et le chap. XI du Code. Comp. cependant infra, n° 21.
[49] Voy. H. Batiffol et P. Lagarde, Droit international privé, LGDJ, t. II, 7e éd., n° 540; R. Vander Elst, “Les sûretés traditionnelles en droit international privé”, in Les sûretés, Colloque de Bruxelles des 20 et 21 octobre 1983, Feduci, pp. 409 et s., spéc. p. 423. Des passages de ces études ont déjà été cités supra, n° 7.
[50] Voy. supra, n° 7.
[51] Outre les critères complémentaires jouant pour des matières particulières comme les moyens de transport (lieu d'inscription dans un registre public), les titres faisant l'objet d'une inscription (lieu de situation du registre), les droits de propriété intellectuelle (lieu où la protection est demandée, en principe).
[52] Même si la définition des procédures collectives d'insolvabilité donnée par le Code est large (voy. V. Marquette, “Actualités du droit international privé en matière de droit bancaire, financier et des assurances: Aperçu global et questions choisies”, in J.-L. Fagnart (dir.), Bancassurfinance, Bruylant, 2005, pp. 291 et s., spéc. p. 328, n° 41), et que son domaine ratione materae dépasse semble-t-il celui du règlement CE 1346/2000 du 29 mai 2000 relatif aux procédures d'insolvabilité, il demeure que ne sont pas visées les procédures de concours qui ne sont pas fondées sur l'insolvabilité du débiteur, par exemple celle qui était en cause en l'espèce dans l'arrêt annoté.
[53] Supra, n° 11.
[54] J. Deruppé, “Sûretés personnelles et réelles”, Jurisclasseur, Droit international, Fasc. 555, nos 56 et s., et les références; N. Watté, “Questions de droit international privé des sûretés”, in Le droit des sûretés, Éd. du Jeune Barreau, 1992, pp. 305 et s., spéc. p. 325, n° 67; “L'opposabilité des sûretés dans le nouveau règlement européen des procédures d'insolvabilité”, Rev. dr. U.L.B. 2001, pp. 7 et s., spec. p. 23, n° 21.
[55] J. Deruppé, “Sûretés personnelles et réelles”, Jurisclasseur, Droit international, Fasc. 555, pp. 9, nos 57 et s.
[56] Droit international privé, t. II, 7e éd., LGDJ, n° 654.
[57] “Questions de droit international privé des sûretés”, in Le droit des sûretés, Éd. du Jeune Barreau, 1992, pp. 305 et s., spéc. p. 325, n° 67.
[58] Voy. P. Mayer et V. Heuzé, Droit international privé, 8e éd., Montchrestien, n° 654; H. Gaudemet-Tallon, note au J.C.P. 1970, II, 16182; A. Nuyts, “Le droit de rétention en droit international privé: quelques observations sur le rôle de la loi de l'obligation, de la loi réelle et de la loi du lieu d'exécution”, R.G.D.C. 1992, pp. 30 et s., spéc. p. 45, n° 32.
[59] La solution que nous défendons est proche de celle dégagée par P. Mayer et V. Heuzé, qui proposent de reconnaître une application large à la loi d'autonomie et de réserver l'intervention de la lex rei sitae aux cas où l'intérêt des tiers est en cause, auquel cas la loi réelle interviendrait en tant que loi de police (Droit international privé, 8e éd., Montchrestien, nos 649 et 654, et aussi, à propos de la clause de réserve de propriété, P. Mayer, “Les conflits de lois en matière de réserve de propriété après la loi du 12 mai 1980”, J.C.P. 1981, 3019, nos 13 à 15). Il nous semble cependant inutile et inadéquat de recourir à la théorie des lois de police pour justifier la compétence de la lex rei sitae dans cette matière. Inutile d'abord, parce que la loi réelle (ou, plus généralement, la loi locale) est, en principe, légitimement compétente pour régir le régime des biens en matière de sûretés et privilèges. Aucune justification spécifique supplémentaire n'est nécessaire quand la protection des tiers est en jeu. Inadéquat ensuite, dans la mesure où les règles qui organisent le régime des sûretés et privilèges, si elles sont souvent impératives, n'ont pas nécessairement, de manière globale, le caractère de loi de police. Le caractère de loi de police se détermine de manière individuelle, lorsqu'il apparaît, en fonction de la nature de la disposition en cause et de son but, qu'elle doit nécessairement s'appliquer dans les relations internationales, aux situations visées. D'ailleurs, la théorie qui préconise le dépeçage entre les dispositions impératives de la lex rei sitae - applicable d'office à l'institution - et les autres dispositions - qui seules peuvent être éludées par la lex contractus - n'est plus défendue aujourd'hui (sur cette théorie, voy. P. Arminjon, Précis de droit international privé, 2e éd., 1934, p. 109, n° 26bis).
[60] Voy. supra, n° 8.
[61] Voy. supra, n° 11.
[62] Voy. notam. Cass. 4 mai 1950, Pas. 1950, I, p. 624.
[63] Art. 21.
[64] Art. 16.