Article

Cour d'appel Bruxelles, 05/10/2004, R.D.C.-T.B.H., 2006/1, p. 41-43

Cour d'appel de Bruxelles 5 octobre 2004

DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ
Loi applicable - Privilège mobilier - Privilège général des travailleurs - Contrat de travail soumis au droit étranger - Procédure de concours ouverte en Belgique - Cumul des lois applicables
Pour déterminer, en droit international privé, la loi applicable au privilège général des travailleurs, il convient dans un premier temps de vérifier si le privilège invoqué par le créancier existe dans la loi applicable au contrat, ensuite de procéder à la même vérification dans la loi régissant le concours, et enfin de déterminer l'étendue et le rang du privilège, donc ses effets, en fonction de la loi du concours.
DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ
Loi applicable - Privilèges mobiliers - Privilèges généraux - Travailleurs occupés au Congo en vertu de contrats de droit congolais - Saisie-arrêt entre les mains d'une banque belge à charge de l'employeur congolais - Privilège des travailleurs - Créance privilégiée à concurrence du plafond prévu par l'article 19, 3bis de la loi hypothécaire belge
En cas de saisie-arrêt entre les mains d'une banque belge à charge d'un employeur domicilié au Congo, la créance des travailleurs, occupés au Congo dans le cadre de contrats soumis au droit de ce pays, est privilégiée à concurrence du montant prévu par l'article 19, 3bis de la loi hypothécaire belge, à savoir 300.000 FB (7.436,81 euros), et non de celui prévu par la loi du Congo (400 zaïres).


INTERNATIONAAL PRIVAATRECHT
Toepasselijk recht - Voorrechten op roerende goederen - Algemeen voorrecht van de werknemers - Arbeidsovereenkomst naar buitenlands recht - Procedure van samenloop geopend in België - Cumulatie van de toepasselijke wetten
Teneinde in het internationaal privaatrecht te bepalen welke de toepasselijke wet is op het algemeen voorrecht van de werknemers, volstaat het in eerste instantie na te gaan of het door de schuldeiser ingeroepen voorrecht aanwezig is in het recht dat op de overeenkomst van toepassing is, dit vervolgens eveneens na te zien in de wetgeving houdende de samenloop, en uiteindelijk de draagwijdte en de rang van het voorrecht, met andere woorden de uitwerking ervan, te bepalen overeenkomstig de wet van de samenloop.
INTERNATIONAAL PRIVAATRECHT
Toepasselijk recht - Voorrechten op roerende goederen - Algemeen voorrecht van de werknemers - Werknemers tewerkgesteld in Kongo op grond van overeenkomsten naar Kongolees recht - Derdenbeslag in handen van een Belgische bank ten laste van de Kongolese werkgever - Voorrecht van de werknemers - Bevoorrechte schuldvordering binnen het plafond bepaald in artikel 19, 3bis, van de Belgische Hypotheekwet
In geval van derdenbeslag in handen van een Belgische bank ten laste van een werkgever die in Kongo gedomicilieerd is, is de schuldvordering van de werknemers die in Kongo tewerkgesteld zijn in het kader van overeenkomsten die aan de wetgeving van dit land onderhevig zijn, bevoorrecht tot een bedrag bepaald in artikel 19, 3bis van de Belgische Hypotheekwet, namelijk 300.000 BEF (7.436,81 euro), en niet tot het bedrag bepaald in de Kongolese wetgeving (400 zaïres).

La Générale des Carrières et des Mines (Gécamines) / H. Durr

Siég.: G. Delvoie (président), I. Diercxsens et M. Bosmans (conseillers)
Pl.: Mes M. Demeur, Berwette et Ch. Unikowski, A. Theunissen, Claeys loco M. Van Boeckel

Vu les pièces de la procédure, notamment:

(...)

- Le jugement attaqué, prononcé le 25 juin 2003 (...) par le juge des saisies du tribunal de première instance de Bruxelles, (...)

Faits et antécédents de la procédure

Les intimés ont été occupés au Congo au service de la Générale des Carrières et des Mines, société de droit public congolais, ci-après dénommée la Gécamines, en qualité de travailleurs salariés et sont créanciers d'arriérés de rémunération payables en Belgique.

Par jugement du 15 décembre 2000, le tribunal de première instance de Bruxelles a condamné la Gécamines à payer divers montants à son ex-agent, l'intimé Hanspeter Durr.

Le 22 février 2002, ce dernier a fait pratiquer une saisie-arrêt à charge de la Gécamines entre les mains de la BBL.

Le 22 août 2002, l'huissier de justice Lombaert a adressé un projet de répartition à la Gécamines et à ses différents créanciers.

La Gécamines a formé un contredit à ce projet par exploit signifié le 5 septembre 2002. Le projet établi par l'huissier répartit le produit de la saisie en 35 parts égales, soit 5.375,38 euros par personne, entre les 35 créanciers ayant fait valoir un privilège fondé sur l'article 19, 3° de la loi hypothécaire, ici intimés. (...)

Suite à la signification du contredit, survenue le 5 septembre 2002, l'huissier de justice Lombaert a versé la somme de 188.138,24 euros à la Caisse des dépôts et consignations.

Par son jugement du 25 juin 2003, le premier juge a décidé que les 33 premiers intimés, créanciers de la Gécamines, bénéficient du privilège énoncé à l'article 19, 3° de la loi hypothécaire belge. (...)

La Gécamines a relevé appel de cette décision et postule sa réformation partielle. Elle demande à la cour de dire que les 33 premiers intimés ne peuvent prétendre à ce privilège et subsidiairement, de dire que leur créance ne peut être privilégiée qu'à concurrence de 400 zaïres. (...)

Discussion
1. Quant à la loi applicable au privilège invoqué par les intimés

Les contrats de travail sur la base desquels les intimés fondent leur réclamation à l'égard de la Gécamines prévoient expressément l'application de la loi congolaise.

Les biens de la Gécamines sur lesquels les intimés entendent exercer le privilège reconnu aux travailleurs par l'article 19, 3° de la loi hypothécaire belge sont situés en Belgique.

Il en résulte que la situation litigieuse présente un élément d'extranéité et qu'il y a lieu de rechercher la loi applicable à la détermination et à l'exercice du privilège invoqué.

Il n'est pas contesté qu'en l'occurrence le privilège invoqué par les intimés est un privilège général qui s'exerce sur l'ensemble du patrimoine mobilier du débiteur.

Pour déterminer, en droit international privé, la loi applicable à ce privilège, il convient dans un premier temps de vérifier si le privilège invoqué par le créancier existe dans la loi applicable au contrat (en l'espèce la loi congolaise), ensuite de procéder à la même vérification dans la loi régissant le concours (en l'espèce la loi belge), et enfin de déterminer l'étendue et le rang du privilège, donc ses effets, en fonction de la loi du concours.

1.1. Vérification des conditions d'existence du privilège dans la loi qui régit la créance

En droit congolais, deux dispositions assortissent les créances de rémunération des travailleurs salariés d'un privilège général sur les meubles de leur employeur.

Il s'agit d'une part de l'article 91 du Code de travail congolais qui prévoit qu'en cas de faillite ou de liquidation judiciaire d'une entreprise, les travailleurs employés dans celle-ci ont rang de créanciers privilégiés pour les salaires qui leur sont dus pour les services fournis antérieurement à la faillite ou la liquidation.

Cette disposition n'est cependant pas applicable au cas d'espèce, la Gécamines ne se trouvant pas en situation de faillite ou de liquidation, un éventuel état virtuel de faillite, comme le soutiennent certains intimés, étant sans incidence pour l'application de cette disposition.

La seconde disposition qui octroie un privilège sur les rémunérations dans tous les cas d'insolvabilité, est l'article 249, 6° du Code des biens congolais qui dispose que “les créances privilégiées sur la généralité des meubles sont celles ci-après exprimées (...) 6° Les sommes et la contre-valeur des avantages dues par l'employeur à l'engagé, pour lui-même ou pour sa famille, en vertu du contrat d'emploi ou du contrat de travail ou des dispositions légales qui sont applicables à ces contrats, pour les six derniers mois de service, ainsi que les sommes et la contre-valeur des avantages qui leur sont dues pour cessation du contrat. Le montant du privilège ou gage ne peut excéder 400 zaïres”.

C'est à tort que la Gécamines fait valoir que la limitation prévue par l'article 249, 6° du Code des biens congolais, en vertu de laquelle le travailleur ne bénéficie d'un privilège que pour sa créance de salaire des six derniers mois et pour son indemnité de rupture et qu'à concurrence de 400 zaïres seulement, serait une condition d'existence du privilège et non une question d'étendue de celui-ci au sens de la troisième étape du raisonnement.

Si pour l'application de l'article 91 du Code du travail la faillite ou la liquidation judiciaire sont des événements qui conditionnent l'existence même du privilège, à l'inverse l'article 249, 6° du Code des biens congolais se contente, à tout le moins au stade de la vérification de l'existence de la sûreté, de prévoir un privilège en faveur des travailleurs, en dehors de toute exigence de situation de faillite ou de liquidation. Après avoir posé le principe de l'existence même du privilège, l'article 249, 6° du Code des biens congolais en précise l'étendue. En conséquence, la loi congolaise crée un privilège en faveur des travailleurs, privilège qui s'étend aux six derniers mois de rémunération avec un maximum de 400 zaïres. Ces deux dernières précisions sont cependant sans incidence sur la solution du litige soumis à la cour dès lors qu'elles conditionnent l'étendue que la loi congolaise confère au privilège, alors que la loi qu'il convient d'appliquer en l'espèce aux effets du privilège est la loi belge.

Les créances des intimés étant des créances de salaire, elles bénéficient en application de la loi congolaise d'un privilège général sur les meubles de leur employeur.

1.2. Vérification des conditions d'existence du privilège dans la loi qui régit le concours

La loi belge reconnaît le même privilège pour les travailleurs, l'article 19, 3bis de la loi hypothécaire disposant à ce sujet:

“Art. 19. Les créances privilégiées sur la généralité des meubles sont celles-ci après exprimées, et s'exercent dans l'ordre suivant:

(...)

3° bis - pour les travailleurs visés à l'article 1er de la loi du 12 avril 1965 concernant la protection de la rémunération des travailleurs, la rémunération telle qu'elle est définie à l'article 2 de ladite loi, sans que ce montant puisse excéder 300.000 FB; cette limitation ne s'applique pas aux indemnités comprises dans la rémunération et qui sont dues aux mêmes personnes pour rupture de leur engagement. Le montant prévu ci-dessus est adapté tous les deux ans par le Roi, après avis du Conseil national du travail. (...)”.

La Gécamines soutient à tort que la seconde étape du raisonnement permet de conclure à l'absence de reconnaissance du privilège des travailleurs en droit belge dans la mesure où l'article 19, 3bis de la loi hypothécaire n'accorde un privilège qu'aux travailleurs visés à l'article 1er de la loi du 12 avril 1965, cette dernière loi n'étant, d'après elle, pas applicable aux intimés à défaut pour eux d'avoir exécuté leur contrat de travail en Belgique pour un employeur belge.

L'article 19, 3bis de la loi hypothécaire belge octroie un privilège général aux travailleurs visés par l'article 1er de la loi du 12 avril 1965.

L'article 1er de la loi du 12 avril 1965 stipule que la loi s'applique aux travailleurs et aux employeurs, sans précision quant au lieu d'occupation.

Les intimés qui ont conclu un contrat d'engagement avec la Gécamines sont incontestablement des travailleurs au sens de l'article 1er de la loi du 12 avril 1965.

Or, compte tenu des règles de droit international privé exposées ci-avant, qui trouvent à s'appliquer au litige soumis à la cour, il importe seulement de vérifier l'existence dans le droit belge d'un privilège équivalent à celui existant au profit des travailleurs en droit congolais. Il n'est donc pas requis de vérifier si les créanciers qui revendiquent le bénéfice de ce privilège remplissent les conditions de la loi belge dans son application territoriale sous peine de vider de tout intérêt les règles de conflit de lois en droit international privé.

En conséquence, les intimés sont en droit de se prévaloir du bénéfice du privilège édicté par l'article 19, 3°bis de la loi hypothécaire belge.

1.3. Quant à la détermination de l'étendue et du rang du privilège

Bien que la Gécamines ne conteste pas que les effets du privilège des travailleurs, à savoir l'étendue et le rang, doivent être déterminés au moyen de la loi du concours, elle soutient néanmoins que le privilège accordé par la loi congolaise ne pourrait être admis en Belgique qu'à la condition et dans les limites fixées par la loi qui régit la créance, soit la créance relative aux six derniers mois de salaire et les sommes dues pour la cessation du contrat à concurrence seulement pour ces deux postes de 400 zaïres, ce qui représente un montant insignifiant.

C'est la loi du concours (en l'occurrence la loi belge) qui déterminera s'il échet de distribuer le prix par contribution, et dans quelle mesure, c'est-à-dire, s'il y a des privilèges, leur étendue et leur rang (Battifol et Lagarde, Droit international privé, t. II, p. 215, n° 540; R. Vander Elst, “Les sûretés réelles traditionnelles en droit international privé”, in Les Sûretés, Colloque de Bruxelles des 20 et 21 octobre 1983, Feduci, p. 423).

C'est donc en conséquence à la loi belge qu'il faut se référer pour déterminer les effets du privilège, soit son étendue, et son rang.

En vertu de l'article 19, 3bis de la loi hypothécaire, le privilège des intimés est limité à 300.000 FB soit 7.436,81 euros en ce qui concerne la rémunération, à l'exception des indemnités comprises dans la rémunération et qui sont dues aux mêmes personnes pour rupture de leur engagement.

(...)

Par ces motifs,

La cour, (...)

Reçoit l'appel et les appels incidents et les dit non fondés;

(...)