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Actualité : Rechtbank van koophandel Dendermonde, 18/08/2005, R.D.C.-T.B.H., 2006/1, p. 145-146

Cour de justice 13 septembre 2005

PROTECTION DE L'ENVIRONNEMENT
Sanctions pénales - Compétences CE-UE - Base juridique

Commission / Conseil

Siég.: V. Skouris (président), P. Jann, C. W. A. Timmermans, A. Rosas, R. Silva de Lapuerta et A. Borg Barthet (présidents de chambre), R. Schintgen (rapporteur), N. Colneric, S. von Bahr, J. N. Cunha Rodrigues, G. Arestis, M. Ilei et J. Malenovsk (juges)
M.P.: D. Ruiz-Jarabo Colomer (avocat général)
Aff.: C-176/03
La Cour de justice reconnaît la compétence de la Communauté européenne d'obliger les États membres à prévoir des sanctions pénales pour la protection de l'environnement.

1. Le 27 janvier 2003, le Conseil de l'Union européenne (“le Conseil”) a adopté, dans le cadre du Titre VI du Traité sur l'Union européenne portant sur la coopération dans les domaines de la justice et des affaires intérieures (ce qu'on appelle le “troisième pilier”), la décision-cadre 2003/80/JAI relative à la protection de l'environnement par le droit pénal (J.O.C.E. L. 29/55). Cette décision-cadre constituait, ainsi qu'il ressort de ses propres considérants, l'instrument par lequel l'Union européenne (“UE”) entendait réagir de façon concertée à l'augmentation préoccupante des infractions commises au détriment de l'environnement. Les Etats membres se proposaient par le biais de celle-ci d'édicter des “sanctions pénales effectives, proportionnées et dissuasives” pour un certain nombre de formes de criminalité environnementale grave, telles que définies dans la décision.

2. La Commission des Communautés européennes (“la Commission”) soutenait pleinement les objectifs de la décision-cadre. Au cours de la procédure, la Commission s'était néanmoins prononcée contre la base juridique qu'avait choisie le Conseil pour obliger les Etats membres à prescrire des sanctions pénales à l'encontre des auteurs d'infractions commises au détriment de l'environnement. Suivant la Commission, la décision-cadre ne réglait pas une matière du troisième pilier, les affaires régies par celle-ci relevant en réalité du premier pilier, à savoir les compétences dont bénéficient les Communautés européennes (“la CE”) dans le cadre du traité CE, et plus particulièrement, leurs compétences en matière d'environnement (art. 175 (1) CE). La Commission avait d'ailleurs déposé, sur base de cette disposition, une proposition de directive du Parlement européen et du Conseil relative à la protection de l'environnement par le droit pénal (COM(2001)139final, 26 juin 2001).

3. Le Parlement européen s'est rallié à la position de la Commission. Il a invité le Conseil à transformer la décision-cadre en un instrument ne concernant que la coopération judiciaire qui serait complémentaire à la directive et à s'abstenir d'adopter la décision-cadre avant l'adoption de la proposition de directive.

4. Une majorité d'Etats membres considérait toutefois que la proposition de directive de la Commission sortait des compétences attribuées à la CE par le traité CE. La majorité requise dans le cadre de la CE pour l'adoption de la directive proposée n'a donc pas été atteinte et les Etats membres ont opté pour l'adoption de la décision-cadre susmentionnée dans le cadre du troisième pilier, contre laquelle la Commission a déposé un recours en annulation auprès de la Cour de justice.

5. Il y a avait donc au centre du litige, d'une part, la thèse de la Commission, soutenue par le Parlement européen, en faveur de la compétence de la CE et, d'autre part, la thèse du Conseil, soutenu par pas moins de onze Etats membres, en faveur de la compétence sur base du troisième pilier. Dans ce qui est généralement considéré comme un arrêt de principe, la Cour, dans sa composition de grande chambre (13 juges), a fait droit au recours de la Commission par son arrêt du 13 septembre 2005. Elle a en cela suivi les conclusions de son avocat général Colomer.

Dans les lignes qui suivent, vous trouverez tout d'abord un bref aperçu des arguments invoqués au cours de la procédure tant en faveur que contre la compétence de la CE et de la position adoptée par la Cour vis-à-vis de ces arguments. Nous terminerons par un certain nombre d'observations.

6. Les arguments en faveur de la compétence de la CE. Suivant la Commission, la CE est compétente, sur base notamment de l'article 175 CE, pour imposer aux États membres l'obligation de prévoir des sanctions pénales en cas d'infraction à la réglementation communautaire en matière de protection de l'environnement, dès lors qu'elle estime que c'est un moyen nécessaire pour garantir l'effectivité de cette réglementation. Bien que la Commission ait dû reconnaître qu'il n'y avait pas de précédent en la matière, elle estimait que sa thèse était soutenue par la jurisprudence de la Cour de justice relative aux principes d'effectivité et d'équivalence. En outre, la Commission affirmait que plusieurs règlements adoptés dans le domaine de la politique de la pêche ou des transports imposeraient également aux Etats membres d'agir par la voie pénale ou apporteraient des limites aux types de sanctions que ces derniers peuvent instituer. La Commission mentionnait, en particulier, deux actes communautaires qui imposaient aux Etats membres d'instaurer des sanctions de nature nécessairement pénale, même si cette qualification n'a pas été expressément utilisée. Il s'agissait plus précisément de la directive (CEE) n° 91/308 du Conseil du 10 juin 1991, relative à la prévention de l'utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux (art. 14) (J.O. L. 166, p. 77) et de la directive (CE) n° 2002/90 du Conseil du 28 novembre 2002, définissant l'aide à l'entrée, au transit et au séjour irréguliers (J.O. L. 328, p. 17) (art. 1 à 3).

7. Les arguments contre la compétence de la CE. Le Conseil, de même que dix des onze États membres qui sont intervenus au litige, ont fait valoir en substance qu'en l'état actuel du droit, la CE ne disposait pas de la compétence nécessaire pour obliger les Etats membres à sanctionner pénalement les comportements visés par la décision-cadre. Non seulement il n'existerait, à cet égard, aucune attribution expresse de compétence, mais, compte tenu de l'importance considérable du droit pénal pour la souveraineté des Etats membres, il ne saurait être admis que cette compétence ait pu être implicitement transférée à la Communauté à l'occasion de l'attribution de compétences matérielles spécifiques (comme les compétences en matière d'environnement). Cette importance est confirmée par les articles 135 et 280 CE, qui réservent explicitement l'application du droit pénal national et l'administration de la justice aux Etats membres (du moins dans le cadre de la coopération douanière et de la lutte contre les atteintes aux intérêts financiers de la Communauté). Celle-ci serait encore confortée par l'existence du troisième pilier en soi, qui porte sur la coopération judiciaire en matière pénale et qui confère à l'UE (plutôt qu'à la CE) une compétence en matière pénale, en particulier en ce qui concerne la détermination des éléments constitutifs des infractions et des sanctions applicables. La jurisprudence de la Cour de justice ou des textes de droit dérivé ne sont pas de nature, selon le Conseil, à y changer quelque chose. La Cour n'a par exemple jamais jugé que la Communauté serait compétente pour harmoniser les règles pénales applicables dans les Etats membres. Or, en l'occurrence, la décision-cadre, eu égard tant à sa finalité qu'à son contenu, concernerait l'harmonisation du droit pénal. Le seul fait qu'elle tend à combattre les infractions au détriment de l'environnement ne suffirait pas à fonder la compétence de la Communauté.

8. L'arrêt de la Cour de justice. Dans le style bref qui caractérise souvent les arrêts de principe, la Cour arrive à la conclusion que la décision-cadre doit être annulée. La Cour débute son analyse en se fondant sur l'article 47 CE, qui prévoit qu'aucune des dispositions du traité CE (premier pilier) ne saurait être affectée par une disposition du traité sur l'Union européenne (deuxième et troisième piliers). Le contrôle de la Cour consiste par conséquent à vérifier si la décision-cadre, dont le Conseil soutient qu'elle relève du troisième pilier, n'empiète pas sur les compétences que les dispositions du traité CE attribuent à la Communauté. À cet égard, il est constant, selon la Cour, que la protection de l'environnement constitue un des objectifs essentiels de la CE. En ce sens, l'article 2 CE énonce par exemple que la CE a notamment pour mission de promouvoir un “niveau élevé de protection et d'amélioration de la qualité de l'environnement” et, à cette fin, l'article 3, (1), sous l) CE prévoit la mise en place d'une “politique dans le domaine de l'environnement” et les articles 174-176 CE énumèrent les objectifs de cette politique environnementale et définissent les procédures à suivre dans l'adoption des dispositions communautaires.

La Cour poursuit en relevant que le choix de la base juridique d'un acte communautaire doit se fonder, suivant une jurisprudence constante de la Cour, sur des éléments objectifs susceptibles de contrôle juridictionnel parmi lesquels figurent, notamment, le but et le contenu de l'acte.

En ce qui concerne la finalité, les considérants de la décision-cadre elle-même précisent que celle-ci poursuit un objectif de protection de l'environnement. Quant au contenu de la décision-cadre, il est incontestable que les dispositions de cette décision comportent une harmonisation partielle des législations pénales des Etats membres, alors que tant la législation pénale que les règles de la procédure pénale ne relèvent en principe pas de la compétence de la CE (voy. déjà antérieurement, aff. 203/80, Casati, 1981, Rec., 2595, point 27 et aff. C-226/97, Lemmens, 1998, Rec., I-3711, point 19).

Pourtant, selon la Cour, cette dernière constatation “ne saurait cependant empêcher le législateur communautaire, lorsque l'application de sanctions pénales effectives, proportionnées et dissuasives par les autorités nationales compétentes constitue une mesure indispensable pour lutter contre les atteintes graves à l'environnement, de prendre des mesures en relation avec le droit pénal des Etats membres et qu'il estime nécessaires pour garantir la pleine effectivité des normes qu'il édicte en matière de protection de l'environnement” (point 48).

Dans la mesure où il ressort des considérants de la décision-cadre elle-même que les sanctions pénales sont indispensables pour lutter contre les atteintes graves à l'environnement, la Cour décide que les dispositions de la décision-cadre, qui ont pour objet principal la protection de l'environnement, peuvent valablement être adoptées sur le fondement de l'article 175 CE.

9. Réflexions. Le fait que la Cour ait fait droit au recours de la Commission est tout d'abord bien évidemment important pour les affaires que la Commission veut conserver avec succès au sein du premier pilier communautaire. Autrement dit, dans cet épisode de la lutte de pouvoir interinstitutionnelle au sujet des compétences respectives de la CE et de l'UE, c'est la Commission qui sort gagnante. Les affaires régies par la décision-cadre relèvent de la compétence de la CE, ce qui implique à son tour (i) que la Commission a un droit d'initiative exclusif en la matière (dans le troisième pilier, elle le partage avec les Etats membres), (ii) que le Parlement européen partage le pouvoir législatif avec le Conseil (dans le troisième pilier, un rôle beaucoup moins important est réservé au Parlement européen) et (iii) last but not least, que le contrôle sur la transposition par les Etats membres des obligations qu'ils contractent le cas échéant dans le cadre de la CE est assuré par la procédure en manquement prévue à l'article 226 CE (les compétences de la Cour dans le cadre du troisième pilier ne s'étendent pas suivant l'article 35 juncto 46 UE à la procédure en manquement).

En deuxième lieu, l'arrêt revêt aussi (et surtout) le caractère d'un arrêt de principe. La Cour affirme pour la première fois de manière explicite que la CE, moyennant le respect de certaines conditions, dispose du pouvoir implicite d'obliger des Etats membres à réprimer pénalement les infractions du droit communautaire (en l'espèce en matière de droit environnemental). C'est le cas lorsque des sanctions pénales effectives, proportionnées et dissuasives (pour un contenu concret de ces notions, voy. par exemple, aff. 68/88, Greek Maise, 1989, Rec., 2965 et aff. C-186/98, Nunes and de Matos, 1999, Rec., I-4883) sont indispensables dans la lutte contre les atteintes graves au bien à protéger et qu'elles sont nécessaires pour assurer la pleine effectivité des normes.

L'arrêt de la Cour ne s'étend du reste pas sur ces deux conditions. Pour plus d'explications, on peut consulter l'opinion de l'avocat général, dont les conclusions (en particulier par. 52-73) contiennent une analyse de la progression de la conscience écologique, au niveau national, européen et mondial, de même que des implications de l'évolution de l'environnement sur la santé humaine. L'avocat général décide que la protection d'une certaine qualité de l'environnement apparaît essentielle au regard de l'existence même de l'homme et que la condition de “biens juridiques d'une importance particulière, dont la protection apparaît essentielle” est remplie en l'espèce. En ce qui concerne la condition de nécessité, l'avocat général (par. 74-75) précise que cette nécessité peut découler de l'intérêt à faire prendre conscience au public du caractère socialement nuisible des atteintes contre la nature, de l'exigence de mettre une pression supplémentaire pour permettre d'assurer le respect des mesures et enfin de la volonté de stigmatiser des atteintes contre la nature comme des actes contraires à l'éthique.

Les implications plus larges de l'arrêt s'expriment clairement dans le communiqué de presse diffusé par la Commission à cette occasion. Dans ce communiqué (intitulé “La Cour de justice renforce la démocratie et l'efficacité du processus législatif de la Communauté européenne”), la Commission insistait en particulier sur la compétence générale de la CE, résultant de l'arrêt, permettant de contraindre les Etats membres à prévoir des sanctions pénales: “Lorsque la Communauté a, sous le Traité CE, une base juridique pour décider de la politique (marché intérieur, protection de l'environnement, protection des données, protection de la propriété intellectuelle, affaires monétaires, etc.), cela inclut si besoin est la compétence d'assurer la mise en oeuvre de cette politique au travers de sanctions pénales” (IP/05/1136, 13 septembre 2005. Voy. aussi “Brussels court victory may mean more criminal cases over breaches of EU law”, Financial Times 14 septembre 2005, p. 2).

Cet impact plus large de l'arrêt n'apparaît pas encore clairement à l'heure actuelle. Le président de la Commission laisse en tout cas entendre qu' “il est clair que dans la lignée de notre nouvelle approche réglementaire, proposer des sanctions pénales sera réservé aux atteintes particulièrement graves. Nous ferons un usage prudent et proportionné de cette possibilité, en conformité avec le principe de mieux légiférer”. Apparemment, la décision de la Cour a incité la Commission à lancer, le 21 septembre 2005, dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, sa propre proposition de directive sur le stockage des données dans le cadre de la fourniture des services publics de communication électronique (la “data retention directive”) (COM (2005) 438final, 21 septembre 2005. Voy. aussi IP/05/1167 et MEMO/05/328 du même jour) sous le premier pilier en concurrence avec la proposition déjà rédigée par le Conseil depuis avril 2004 sous le troisième pilier. De même, en ce qui concerne la proposition récente d'une directive du Parlement européen et du Conseil relative aux mesures pénales visant à assurer le respect des droits de propriété intellectuelle, ainsi que la proposition qui y est liée d'une décision-cadre du Conseil visant le renforcement du cadre pénal pour la répression des atteintes à la propriété intellectuelle (COM (2005) 276final, 12 juillet 2005), la présidence britannique avait annoncé que l'arrêt de la Cour dans l'affaire commentée ici pouvait avoir un impact.

Plus spéculatif est l'impact que cet arrêt pourrait avoir sur la criminalisation de certaines violations du droit de la concurrence. Contrairement aux États-Unis, il n'y a jusqu'à présent au sein de l'UE toujours aucun consensus concernant la nécessité de sanctionner pénalement des violations graves du droit de la concurrence. Les Etats membres ont donc jusqu'à présent le choix d'infliger ou non des sanctions pénales. L'article 5 du règlement (CE) 1/2003 (J.O.C.E. L. 1/1) dispose à cet égard que les Etats membres peuvent infliger “toute autre sanction” prévue par leur droit national (en l'espèce des sanctions pénales). Onze Etats membres (Allemagne, Autriche, Chypre, Danemark, Estonie, France, Grèce, Irlande, Malte, République Slovaque et le Royaume-Uni) le font déjà. Tout comme sur le plan du droit environnemental, un plus grand consensus pourrait peu à peu se former en matière du droit de la concurrence, concernant la nécessité d'obliger les Etats membres à prévoir des sanctions pénales effectives, proportionnelles et dissuasives pour l'implication personnelle dans ce qu'on appelle en anglais des “hardcore cartels” (entente sur les prix, partage du marché ou de la clientèle). De telles sanctions pourraient alors à terme, pour utiliser les termes de la Cour dans l'arrêt commenté ci-dessus, être considérées comme une mesure indispensable pour lutter contre les atteintes graves, au moyen de telles ententes, au marché interne au sein duquel la concurrence ne peut être faussée (voy. art. 3(g) CE) et comme une mesure nécessaire pour garantir la pleine effectivité des normes en matière de concurrence.