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Cour d'appel Liège, 29/04/2004, R.D.C.-T.B.H., 2006/1, p. 131-133

Cour d'appel de Liège 29 avril 2004

DROIT BANCAIRE
Responsabilité du banquier - Agents indépendants - Responsabilité de la banque comme principal ou comme mandant - Inapplicabilité de l'article 1384 § 3 du Code civil - Pas de lien de subordination - Théorie de l'apparence
Le contrat d'agent indépendant exclut l'existence d'un lien de subordination, dans la mesure où l'agent dispose d'une très large autonomie dans l'organisation de son travail et où la banque ne s'est pas réservé un pouvoir de direction effective et de contrôle immédiat des activités de l'agent.
Si la responsabilité de l'établissement de crédit mandant peut être engagée sur le fondement du mandat apparent, encore faut-il que soit rapportée la preuve de l'existence d'une situation apparente ne correspondant pas à la situation réelle.
BANK EN KREDIETWEZEN
Aansprakelijkheid van de bankier - Onafhankelijke agenten - Aansprakelijkheid bank als principaal of lastgever - Artikel 1384 § 3 van het Burgerlijk Wetboek niet toepasselijk - Geen band van ondergeschiktheid - Schijnleer
De overeenkomst van onafhankelijke agent sluit het bestaan uit van een band van ondergeschiktheid, voor zover dat de agent over een zeer brede autonomie beschikt in de organisatie van zijn werk en dat de bank zich niet een effectieve leiding en een onmiddellijke controlebevoegdheid over de activiteiten van de agent voorbehoudt.
Indien de aansprakelijkheid van de kredietinstelling als lastgever kan geëngageerd zijn op grond van het schijnmandaat, dan nog moet het bewijs geleverd worden van het bestaan van een schijnsituatie die niet overeenkomt met de werkelijke toestand.

J. Croux et L. Longfils / SA Fortis Banque

Siég.: R. de Francquen (président), M. Ligot et A. Jacquemin (conseillers)
Pl.: Mes R. Balaes et A.D. Lejeune, V. Veriter, M. Houben

(...)

Attendu que les appelants qui ont été victimes des agissements indélicats de Gabriel Henry, agent indépendant de la SNCI actuellement Fortis Banque, recherchent la condamnation de celle-ci au paiement d'une allocation provisionnelle de 55.599,44 euros, le surplus du dommage qu'ils déclarent avoir subi devant être déterminé au moyen d'une mesure d'expertise;

(...)

Attendu que par jugement rendu le 12 octobre 2000 par le tribunal correctionnel de Liège dont il n'est pas contesté qu'il est coulé en force de chose jugée, Gabriel Henry a été condamné à une peine de dix mois d'emprisonnement avec sursis de cinq ans et à une amende de 300 FB du chef d'avoir à Liège entre le 1er janvier 1990 et le 7 juin 1994, détourné au préjudice de différentes personnes du numéraire, des coupons, titres, bons de caisse, obligations, certificats et emprunts d'état pour un montant de “20.647.052 FB (selon la citation) ou de 16.105.484 FB (selon lui)” (jugt., p. 4) et pour, en contravention aux dispositions des articles 1, 2 et 4 de l'arrêté royal n° 71 du 30 novembre 1939, s'être livré, sans autorisation du ministre des Finances, au démarchage de valeurs mobilières en se rendant habituellement auprès d'autrui pour conseiller, offrir ou solliciter l'achat, la vente, la souscription ou l'échange de ces valeurs, ou pour conseiller, offrir ou solliciter une participation à des opérations sur ces valeurs;

Attendu que les faits litigieux peuvent être très simplement résumés à partir de la déclaration faite par Gabriel Henry le 28 mars 1994 à la BSR de Liège:

“J'ai quitté (ma fonction d'inspecteur SNCI) pour aller aider monsieur Schmit à Wandre... dans sa gestion, tout en continuant à travailler pour la SNCI. Avant mon intervention, monsieur Schmit était un correspondant d'agent de change. J'interviens chez monsieur Schmit parce qu'il avait besoin de quelqu'un pour le seconder vu son âge. J'effectuais des opérations bancaires pour la SNCI et des opérations boursières pour le compte de l'agent de change. J'effectuais ce travail en accord avec la SNCI. Au décès de monsieur Schmit, soit en 1983, j'ai repris toutes ses activités. Il n'y a eu aucun changement dans le travail effectué. J'ai continué à avoir des contacts avec les banques luxembourgeoises suite aux demandes des clients. Contrairement au travail bancaire, mon travail d'agent de change était de ma seule responsabilité. Je ne disposais d'aucune agréation et faisais ce travail d'agent de change pour aider mes clients. Suivant la demande des clients, je me rendais environ une fois par mois au Grand-Duché de Luxembourg, soit en train, soit en voiture. Mon travail consistait soit à encaisser les coupons, soit (à) acheter des titres ou obligations pour les clients; pour ma part, je ne percevais aucune commission sur ces transactions.

...

Je dispose d'un compte au Grand-Duché de Luxembourg à la Banque et Caisse d'Épargne de l'État. Ce compte sert aux entrées et sorties d'argent pour les achats de titres. Actuellement, il est exact que ce compte est dépourvu de provisions.”;

Attendu que c'est donc en dehors de son statut d'agent indépendant et en violation de son contrat d'agent qui lui imposait de remettre immédiatement à la SNCI tous ordres d'achat ou de vente de valeurs mobilières (art. 4.2) et lui interdisait d'intervenir comme mandataire de ses clients à quelque titre que ce soit (art. 44.3) que Gabriel Henry se rendait régulièrement au Grand-Duché de Luxembourg pour encaisser des coupons ou valeurs mobilières qui lui étaient confiés par ses clients et procéder, si cela lui était demandé, à l'acquisition de nouvelles valeurs;

Que la raison de ces voyages au Grand-Duché est bien connue de tous les belges et des appelants en particulier: il s'agissait ni plus ni moins d'échapper à la perception du précompte mobilier belge qui était à l'époque de 25%, ce qui ne pouvait se faire à l'intervention de la SNCI puisque, comme c'est le cas pour toutes les banques belges, la loi lui fait obligation de percevoir automatiquement le précompte mobilier sur toute opération sur titres effectuée en Belgique;

Que c'est ainsi que les appelants ont confié à Gabriel Henry les 13 septembre, 4 décembre 1990, 7 janvier, 22 mars et 7 décembre 1991 des titres que les parties qualifient d'“exotiques” avec mandat soit de les encaisser ou de les replacer; qu'à ces occasions, Gabriel Henry leur a remis un simple reçu qui ne porte pas les références de la banque mais son seul cachet, lequel se présente sous la forme d'un encadré contenant les indications suivantes:

“BUREAU CH. SCHMIT

G. HENRY

Agréé de la S.N.C.I.

Rue de Visé, 687

4520 WANDRE

Tél. 82.83.80”;

Que Gabriel Henry remettra encore aux appelants neuf “décomptes de coupons et de titres remboursables” délivrés par la Banque et Caisse d'Épargne de l'État Luxembourg datés des 19 septembre, 19 décembre 1990, 8, 16 et 17 janvier, 10 avril 1991 qui justifient de l'encaissement par lui de fonds pour un montant de 2.242.876 francs luxembourgeois (dossier C.-L., pièces 6 à 14);

Que ces décomptes soit ne portent pas le nom du bénéficiaire soit précisent que l'opération a été effectuée en faveur des époux Henry-Jeanpierre; qu'ils seront remis aux appelants sans que cela ne provoque aucune réaction de leur part avant le 28 janvier 1993 date à laquelle par l'intermédiaire de leur conseil, ils écrivent aux époux Henry ainsi qu'à la SNCI pour se plaindre de ce que les titres remis à échéance n'ont pas été remplacés;,

Que les appelants expliquent que s'ils ont attendu aussi longtemps avant de se manifester, c'est parce qu'ils avaient confiance sachant que derrière Gabriel Henry se trouvait la banque;

Qu'ils soutiennent qu'il ne sera jamais justifié par Gabriel Henry du remboursement ou du remplacement de la somme de 2.242.876 F.Lux.; qu'ils ne fournissent toutefois aucune explication sur le contenu d'une lettre du 10 mars 1993 adressée par la Banque et Caisse d'Épargne de l'État à Luxembourg à Gabriel Henry concernant la souscription d'un emprunt 1992-2000 émis par cette banque au taux de 8,125%, avec un premier coupon le 17 novembre 1993, dans lequel la banque précise qu'elle a pris note de ce que 1.500.000 de ces obligations sont achetées pour compte de Jean Croux qui pourra les retirer lui-même à l'agence dès l'arrivée des titres (dossier Fortis, p. 29);

Attendu que la SNCI soutient qu'elle ignorait tout des opérations réalisées par son agent sur la place de Luxembourg et que la preuve du contraire n'est pas rapportée; que l'on n'aperçoit d'ailleurs pas la raison pour laquelle l'intimée aurait toléré une activité exercée par son agent au détriment de ses propres intérêts;

Attendu que les appelants ne peuvent être suivis lorsqu'ils soutiennent qu'en donnant mandat à G. Henry d'encaisser au Grand-Duché de Luxembourg et de replacer les titres et coupons venus à échéance, c'est en réalité à la SNCI qu'ils s'adressaient;

Que l'on en veut pour preuve que les reçus “à la présentation peu officielle” (conclusions C.L., p. 12, 1ère ligne) qui ont été établis par Gabriel Henry pour les opérations effectuées au Luxembourg sont fondamentalement différents de ceux qui leur ont été remis pour des opérations effectuées à l'intervention de la SNCI, ce qui n'a pu échapper à leur attention; que la même remarque peut être faite à propos des décomptes délivrés par la Banque et Caisse d'Épargne de l'État du Luxembourg qui sont soit anonymes soit au nom des époux Henry-Jeanpierre;

Que l'on ajoutera que les appelants ont une expérience certaine des opérations de bourse puisque figure au dossier de l'intimée copie du mandat donné par Jean Croux le 9 novembre 1972 à Charles Schmit d'exécuter pour son compte tout ordre de bourse par l'intermédiaire d'un agent de change liégeois;

Que l'on peut conclure de manière certaine que dès lors qu'il était question pour eux d'encaisser au Luxembourg le produit d'obligations “exotiques” en éludant le paiement du précompte mobilier, c'est bien à Gabriel Henry à titre personnel qu'ils se sont adressés puisque pour atteindre la fin illicite poursuivie, l'opération devait être réalisée en dehors de l'intervention de la SNCI;

Que celle-ci ne doit dès lors pas répondre de l'inexécution du mandat spécial confié par les appelants à son agent;

Attendu qu'il n'y a pas matière en l'espèce à application de l'article 1384 alinéa 3 du Code civil: “d'une part, par définition, ce type de relation (le contrat d'agent indépendant) exclut l'existence d'un lien de subordination au sens de (cette disposition)... Par ailleurs, la relation est elle-même placée par les parties dans le cadre d'une relative indépendance” (Buyle et Creplet, La responsabilité civile des établissements de crédit, CUP, vol. 51, note 18, p. 94);

Que si le contrat d'agence impose un certain nombre d'obligations précises à l'agent, il reste que celui-ci dispose d'une très large autonomie dans l'organisation de son travail ce qui exclut l'existence d'un lien de subordination; qu'il n'apparaît pas en effet que la banque se soit réservée un pouvoir de direction effective et de contrôle immédiat des activités de son agent en sorte que l'existence d'un lien de préposition doit être exclue;

Attendu qu'il n'y a pas place non plus dans le cas d'espèce pour une application de la théorie de l'apparence ou de la croyance légitime; que “la première condition (qui) est évidemment l'existence d'une situation apparente qui ne correspond pas à la situation réelle fait (en effet) défaut” (Stijns, Van Gerven et Wéry, “Chronique. Les obligations: Les sources”, J.T. 1996, n° 12, p. 694); que les appelants savaient ou devaient savoir en raison de leur expérience qu'en se rendant au Luxembourg afin d'encaisser les obligations qui lui avaient été remises et d'en acheter d'autres, Gabriel Henry agissait hors des limites de ses fonctions d'agent de banque indépendant;

Que l'on ne peut d'ailleurs trouver meilleure preuve de l'embarras des appelants dans le fait qu'ils ont refusé, à l'instigation de leur conseil, d'être entendus par la BSR de Liège dans le cadre de l'instruction ouverte à charge de Gabriel Henry ce qui révèle leur bonne foi plus que relative dans la réclamation qu'ils ont dirigée contre la banque lorsqu'il est apparu qu'il y avait peu d'espoir de récupérer la contrepartie des valeurs confiées à G. Henry;

Par ces motifs

(...)

La cour statuant contradictoirement

(...)

Confirme le jugement entrepris et condamne les appelants aux dépens (...).