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Observations, R.D.C.-T.B.H., 2006/1, p. 104-105

HYPOTHÈQUES
Hypothèque conventionnelle - Mandat d'hypothéquer - Conversion - Abus de droit - Exécution de bonne foi des conventions
Le principe du droit pour le créancier de convertir un mandat d'hypothéquer en hypothèque ne peut être contesté. Il convient néanmoins d'avoir égard aux circonstances pour déterminer si l'exercice de ce droit n'est pas abusif.
Dans certaines circonstances et en l'absence de tout péril avéré pour ses créances, la conversion d'un mandat d'hypothéquer peut être constitutive d'un manquement à l'obligation d'exécution de bonne foi des conventions et d'un abus de droit.
HYPOTHEKEN
Conventionele hypotheek - Hypothecaire volmacht - Omzetting - Rechtsmisbruik - Uitvoering te goeder trouw van de overeenkomsten
Het recht voor de schuldeiser om zijn hypothecaire volmacht om te zetten in hypotheek mag in principe niet betwist worden. Toch moet men rekening houden met de omstandig­heden om te beslissen of de oefening van dit recht niet abusief is.
In bepaalde omstandigheden en in afwezigheid van enig vaststaand gevaar voor de gegarandeerde schuldvorderingen, zou de omzetting van de hypothecaire volmacht kunnen beschouwd worden als een gebrek in de uitvoering te goeder trouw van de overeenkomsten en als een rechtsmisbruik.

Suite à un divorce, une renégociation globale des crédits consentis aux ex-époux et à la société dont ils étaient actionnaires est envisagée. La reprise de crédit par une banque tierce est en cours de négociation. La banque créancière “d'origine”, bénéficiaire de différents mandats d'hypothéquer, émet certains griefs et pose certaines conditions au niveau de la renégociation des crédits.

Une semaine environ après avoir émis ces griefs, la banque fait savoir aux débiteurs qu'à défaut d'obtenir le jour même confirmation de l'accord de principe d'une autre banque de refinancer les crédits, elle procèdera à la conversion des mandats, ce qu'elle fait effectivement, le lendemain.

Les débiteurs reprochent à la banque une conversion fautive des mandats.

La banque soutient que la conversion tient à l'essence même du mécanisme du mandat hypothécaire et qu'en y procédant, elle n'a fait qu'user de son droit contractuel.

Le mandat hypothécaire irrévocable [1] tel que le connaît, de longue date, la pratique bancaire belge, est un mandat de type particulier qui peut être défini comme “une convention passée devant notaire par laquelle le propriétaire d'un ou plusieurs bien(s) immobilier(s) consent à une ou plusieurs personne(s) déterminée(s) ou à une société [2] un mandat irrévocable de conférer, à concurrence d'un certain montant, hypothèque sur le(s) bien(s) lui appartenant, en faveur d'une banque, en garantie de ses engagements (ou d'engagements de tiers dont il est le garant) envers ladite banque” [3].

Ce mandat est conféré dans l'intérêt commun du client et de la banque.

Pour le client - qui est le plus souvent demandeur du recours à une telle construction en lieu et place d'une hypothèque classique - il présente un avantage évident au niveau des coûts de constitution: le mandat hypothécaire lui-même n'est soumis qu'à un droit d'enregistrement forfaitaire de 25 euros [4] - alors que la constitution d'une hypothèque est soumise à un droit d'enregistrement de 1% [5] augmenté d'un droit d'hypothèque de 0,3% de la valeur du bien [6] - et le salaire du notaire est limité au quart des honoraires perçus pour l'établissement d'une hypothèque [7].

En outre, le mandat ne faisant en principe l'objet d'aucune publicité [8], la “capacité de crédit” du client sur base de l'image de sa situation patrimoniale telle qu'elle apparaît aux yeux des tiers reste intacte.

Du point de vue de la banque, le recours au mandat irrévocable d'hypothéquer permet de rencontrer les souhaits du client - ce qui, dans un contexte de concurrence accrue entre les banques n'est pas négligeable - tout en se ménageant un certain niveau de sûreté dans l'hypothèse où, sans que la constitution immédiate d'une hypothèque ne se justifie au regard de la situation actuelle du débiteur, il n'apparaît cependant pas acceptable de consentir un crédit sur simple notoriété. Par le biais du mandat irrévocable d'hypothéquer, la banque obtient un instrument lui permettant - sans intervention ultérieure du client - de constituer une hypothèque à son profit dès que, selon sa seule appréciation, la situation du débiteur le justifie.

À ce niveau, le mandat d'hypothéquer - qui peut être converti en hypothèque “au premier souhait” de la banque - ne doit pas être confondu avec la promesse d'hypothéquer laquelle n'aboutira à la constitution d'une hypothèque que moyennant l'intervention active du promettant. Si celui-ci refuse de s'exécuter - le cas échéant nonobstant un jugement l'y condamnant sous peine d'astreinte, l'hypothèque ne pourra être constituée et la banque n'aura qu'une créance - chirographaire - en dommage et intérêt.

Du point de vue de la banque, le recours au mandat irrévocable [9] d'hypothéquer en lieu et place d'une hypothèque en bonne et due forme n'est toutefois pas sans danger: le mandat ne vaut pas hypothèque.

Généralement, le mandat s'assortit d'un engagement souscrit par le mandant de ne pas disposer du bien visé par le mandat. Il ne peut dès lors ni aliéner ce bien ni le grever de droit réel ni le donner à bail de longue durée. Néanmoins, cet engagement n'est susceptible d'être sanctionné que d'une manière relativement inefficace au regard du but poursuivi par la banque à savoir d'obtenir un privilège immobilier primant les droits des autres créanciers de son débiteur ou du garant de ce dernier.

La clause comportant un engagement de non-aliénation ou de non-hypothèque n'est en effet sanctionnable que par la dénonciation du crédit assortie de dommages et intérêts qui seront réclamés par la banque au titre de créancier non privilégié.

Du point de vue des tiers, une telle clause ne peut être génératrice d'obligation et la responsabilité du tiers ayant traité avec le mandant en violation de l'engagement souscrit par ce dernier ne pourrait être mise en cause qu'en cas de tierce complicité avérée.

Par ailleurs l'aliénation ou la constitution d'hypothèque elles-mêmes ne pourraient être attaquées par le bénéficiaire de la clause que dans les limites extrêmement étroites de l'action paulienne (art. 1167 C.civ.)

D'autres événements peuvent compromettre la conversion du mandat en hypothèque.

- Le décès du mandant met normalement fin au mandat [10].

Il est toutefois loisible aux parties de déroger à cet article qui n'est pas d'ordre public [11].

En vertu de l'article 82 de la loi hypothécaire, l'inscription de l'hypothèque devra toutefois être faite dans les trois mois de l'ouverture de la succession [12].

Dans la mesure où le bien visé par le mandat d'hypothéquer fait l'objet d'un legs particulier par contre, la conversion du mandat ne pourra être effectuée après le décès du mandant testateur à titre particulier (dans une telle hypothèse, il est impossible de soutenir que le mandataire représente l'ensemble des héritiers du mandant et le mandat est inopposable au légataire particulier en vertu du principe de la relativité des contrats) [13].

- La faillite du mandant met également fin à toute possibilité d'exécution du mandat [14].

On peut également s'interroger sur la valeur d'une conversion du mandat d'hypothéquer opérée en période suspecte précédant la faillite.

À l'encontre de l'application de l'article 17, 3° de la loi sur les faillites qui déclare inopposable à la masse les sûretés constituées en période suspecte pour dette antérieurement contractée, on pourrait songer à argumenter que dans la mesure où le créancier a expressément conditionné l'octroi du crédit par la constitution d'un mandat irrévocable d'hypothéquer, crédit et hypothèque sont dès l'origine étroitement liés. Toutefois, même si on adopte ce point de vue, il faut encore tenir compte de l'article 19 de la loi sur les faillites qui permet au juge de déclarer inopposable à la masse les inscriptions hypothécaires tardives c'est-à-dire prises plus de 15 jours après la constitution de l'hypothèque. Dès lors, même si l'on considérait, que le mandat irrévocable “vaut constitution d'hypothèque”, les conditions de l'article 19 seront rarement respectées et plus de 15 jours se seront vraisemblablement écoulés entre le mandat et l'inscription hypothécaire consécutive à son exécution. Par ailleurs, dans la mesure où la Cour de cassation a décidé que l'hypothèque constituée en exécution d'un mandat irrévocable d'hypothéquer n'opère pas avec effet rétroactif [15], force est bien de considérer que l'article 17, 3° de la loi sur les faillites trouve ici application et que la conversion du mandat en période suspecte sera inopposable à la masse des créanciers.

- La question de savoir si l'octroi d'un concordat dans le cadre de la loi du 17 juillet 1997 crée ou non une situation de concours a fait couler beaucoup d'encre [16], la doctrine apparaissant être partagée sur ce point [17].

Si certains excluent l'existence d'une situation de concours dans la mesure où la loi sur le concordat judiciaire ne se situe pas dans une perspective de liquidation mais au contraire de continuation de l'entreprise concordataire, d'autres estiment qu'il y a bien concours même si certaines conséquences découlant normalement de ce type de situation sont en cas de concordat exclues [18].

Dans la mesure où la constitution d'une hypothèque consécutive à un mandat irrévocable d'hypothéquer ne constitue que l'exécution normale de la convention de mandat telle qu'intervenue entre le mandant et le mandataire [19], le dépôt d'une requête en concordat ne devrait pas - que l'on considère ou non la naissance d'un concours - constituer un obstacle à la conversion du mandat en hypothèque ni à l'inscription de cette hypothèque.

Néanmoins, l'hypothèque ainsi constituée pour des dettes antérieures sera, si on considère que la requête en concordat crée effectivement un concours, inopposable aux autres créanciers pendant la durée de la procédure [20].

En principe, le concordat ne met pas fin à la faculté qu'a le débiteur concordataire de disposer de ses biens. Il se peut toutefois que le tribunal qui accorde le sursis provisoire impose l'intervention du commissaire au sursis pour tout acte de disposition ou d'administration [21] et ce sous peine d'inopposabilité de l'acte aux autres créanciers. En pareille hypothèse, la conversion du mandat en hypothèque nécessitera dès lors également l'intervention du commissaire au sursis puisque le mandataire ne dispose pas de plus de pouvoir que son mandant.

- Une saisie conservatoire pratiquée sur l'immeuble qui fait l'objet du mandat irrévocable d'hypothéquer rend par ailleurs l'hypothèque constituée postérieurement à la transcription de la saisie inopposable à l'égard des créanciers saisissant [22].

S'agissant d'une saisie-exécution immobilière, l'hypothèque constituée (ou transcrite) après la transcription de la saisie ou du commandement préalable sera inopposable tant aux créanciers saisissant qu'à tout autre créancier ayant fait transcrire le commandement préalable, aux créanciers inscrits ou à l'adjudicataire [23].

Compte tenu des nombreux événements dont la survenance peut empêcher la constitution de l'hypothèque ou en diminuer la valeur ou l'efficacité, on comprendra que le banquier n'acceptera de se contenter d'un mandat irrévocable d'hypothéquer qu'à condition de pouvoir en opérer la conversion “à son premier souhait”, dès que selon son appréciation personnelle de la situation de son débiteur la constitution d'une hypothèque “en bonne et due forme” lui paraît nécessaire.

Il nous semble possible d'établir ici un certain parallèle entre la situation du bénéficiaire d'un mandat irrévocable d'hypothéquer et celle du bénéficiaire d'une garantie à première demande [24]: de même que le bénéficiaire de la garantie à première demande renonce à exiger la constitution préalable entre ses mains d'un dépôt de somme garantissant les engagements du débiteur à son égard et se contente de l'engagement irrévocable de l'émetteur de la garantie de “constituer ce dépôt” à première demande de sa part, le bénéficiaire du mandat d'hypothéquer accepte de “différer” la constitution de l'hypothèque jusqu'au moment où, en vertu de son seul jugement, la conversion du mandat lui paraîtra s'imposer.

Le pouvoir du bénéficiaire du mandat irrévocable d'hypothéquer, comme celui du bénéficiaire d'une garantie à première demande, apparaît ainsi comme “discrétionnaire” - sous réserve, d'abus de droit.

En vertu du principe d'exécution de bonne foi des conventions, il serait choquant que le banquier qui a accepté de se contenter d'un mandat d'hypothéquer procède à sa conversion alors qu'aucune circonstance objective ne justifie une appréciation différente de la situation financière du débiteur, de sa solvabilité ou de sa capacité de remboursement ou ne vient altérer la confiance existant entre les parties, alors que la constitution “injustifiée” de l'hypothèque cause au mandant un préjudice sans commune mesure avec l'avantage qu'en tire le bénéficiaire du mandat.

La jurisprudence fournit une liste d'exemples d'événements dont la survenance justifie objectivement la conversion d'un mandat d'hypothéquer:

    • changement objectif de la situation susceptible d'avoir une influence négative sur la notoriété, la solvabilité, la situation patrimoniale et/ou la capacité de remboursement des emprunteurs ou de ses cautions [25];
    • ébranlement de la confiance entre parties en rupture de contact [26];
    • sûretés personnelles dénoncées ou épuisées par d'autres engagements du débiteur envers la banque [27];
    • mise en liquidation précipitée de la société débitrice [28];
    • débiteur violant son engagement de ne pas hypothéquer [29];
    • probabilité que le débiteur contracte d'autres engagements hypothécaires sur le bien faisant l'objet du mandat [30] ou fait que le débiteur négocie des crédits avec une autre banque susceptible de prendre hypothèque [31];
    • dépassements irréguliers de crédit, émission de chèques sans provision [32]

    A par ailleurs été considéré comme dépassant l'exercice normal du droit de conversion et donc comme constitutif d'un abus de droit imposant au débiteur un désavantage disproportionné par rapport à l'avantage retiré par la banque, le fait de convertir un mandat d'hypothéquer pour le montant total du crédit, alors que celui-ci avait été en grande partie remboursé [33].

    Est parfois posée, la question de savoir si la banque qui envisage de convertir le mandat d'hypothéquer consenti en sa faveur a l'obligation d'avertir préalablement le mandant et, le cas échéant, de motiver sa décision.

    Il doit, selon nous, être répondu à cette question par la négative.

    La conversion soudaine et sans avertissement est inhérente au mandat d'hypothéquer [34]. En décider autrement ruinerait cette construction, ce qui en finale se retournerait contre le débiteur [35].

    Si la banque accepte de se contenter, dans un premier temps, d'un simple mandat irrévocable d'hypothéquer, c'est à la demande expresse du débiteur. Ce mandat ne vaut pas hypothèque et de nombreux dangers sont susceptibles de porter atteinte à la sécurité de l'opération.

    Lorsque la banque constate l'existence de circonstances qui induisent une modification de son appréciation de la situation patrimoniale du débiteur et risquent d'affecter sa capacité de remboursement, il n'y a plus de temps à perdre.

    Par ailleurs, nous avons vu que l'efficacité du mandat irrévocable d'hypothéquer tient essentiellement à la bonne volonté du mandant et au respect, par ce dernier de son engagement de ne pas aliéner le bien visé ou de ne pas conférer d'hypothèque sur ce bien.

    On peut craindre qu'un débiteur aux abois, averti de l'intention de la banque d'opérer la conversion du mandat, ne succombe à la tentation de disposer de son bien tant qu'il en est encore temps, ou ne cherche à obtenir du crédit auprès d'un autre banquier en conférant hypothèque en faveur de ce dernier, hypothèque qui primerait les droits du banquier ayant tardé à convertir son mandat.

    Certes, la conversion doit être motivée par un changement de circonstances de nature à modifier l'appréciation du risque crédit opérée par le banquier, encore le contrôle de ces motifs par le juge au regard de l'existence d'un éventuel abus de droit ne peut-il s'opérer qu'a posteriori sous peine d'entraver l'exécution du mandat en privant celui-ci de toute efficacité.

    La cour d'appel de Bruxelles semble toutefois en avoir décidé autrement en décidant que “la banque qui n'informe pas ses clients de son intention de convertir le mandat hypothécaire en hypothèque, qui ne donne pas davantage de motivation au sujet de cette conversion et qui ne peut par ailleurs, se prévaloir d'un quelconque élément relatif à la solvabilité de ses clients pour justifier son initiative, ne remplit pas son obligation contractuelle d'exécuter le contrat de crédit de bonne foi et abuse de son droit qui lui est accordé par le mandat hypothécaire.” [36] (C'est nous qui soulignons).

    On peut toutefois se demander si en l'espèce, ce n'est pas la considération de l'absence d'événement négatif relatif à la solvabilité du débiteur qui a, en fait, emporté la conviction de la cour.

    Dans la mesure où la banque accepte de consentir un crédit en se contentant de la “sûreté imparfaite” que constitue le mandat irrévocable d'hypothéquer, il lui appartient de respecter la règle du jeu et de ne pas opérer la conversion alors que rien ne justifie une appréciation différente du risque crédit. En l'absence de tout élément objectif justifiant une révision de son jugement relatif à la capacité de remboursement de son débiteur, il a paru à la cour particulièrement choquant que la banque opère la conversion sans avertissement préalable du mandant.

    Dans l'espèce annotée également, le tribunal de première instance de Bruxelles semble avoir été sensible à la nécessité d'un avertissement préalable du mandant puisqu'elle relève que le délai (d'à peine plus de 24 heures) accordé au client entre l'avertissement et la conversion du mandat “était particulièrement bref, voire irréaliste”.

    Cette opinion repose toutefois sur une appréciation factuelle des circonstances de l'espèce dont tous les détails ne sont pas exposés.

    Le tribunal relève en tous cas “l'absence de tout péril avéré pour les créances de la banque”.

    En l'espèce, un refinancement des crédits était en négociation avec un autre banquier dont le consentement écrit a été communiqué au banquier le jour même où celui-ci a procédé à la conversion du mandat.

    On ne peut toutefois s'empêcher de se demander si le tribunal n'a pas cédé à la tentation de “refaire l'histoire” à la lumière de la connaissance qu'il avait, au jour du jugement, de la façon dont le refinancement du crédit s'était finalement opéré.

    Nous avons souligné que la circonstance que le débiteur négocie un octroi de crédit avec un autre banquier est précisément de nature à susciter l'inquiétude légitime du banquier bénéficiaire d'un mandat irrévocable d'hypothéquer dont la situation peut être mise en péril par la constitution au profit du second banquier d'une hypothèque en bonne et due forme primant son “droit d'hypothèque encore en germe”. Un tel risque devait-il apparaître comme totalement exclu, en l'espèce, aux yeux du banquier bénéficiaire du mandat? Ne faut-il pas considérer au contraire que la crainte qu'un tel risque se réalise - avec les conséquences graves qui peuvent en résulter au niveau des chances de remboursement de la banque - justifie la conversion du mandat, l'inconvénient pour le mandant d'avoir à en supporter les frais n'étant pas sans commune mesure avec l'avantage retiré par la banque du fait d'avoir réduit son risque?

    Sur le plan des principes, il nous paraît que toute obligation d'avertissement préalable à la conversion du mandat doit être écartée avec la plus grande fermeté sous peine de priver cette construction de l'embryon de sécurité qui en justifie l'acceptation par la banque.

    Il faut s'attendre, en effet, à ce que les banques, si elles craignent de voir le mandat qu'on leur propose privé de toute efficacité au moment où elles souhaitent en faire usage, refusent de s'en contenter et subordonnent l'octroi de crédit à la constitution d'une hypothèque plus sûre pour elles mais plus coûteuse pour le client…

    Les règles du jeu existent pour tout le monde et il appartient au client qui sollicite le recours au mandat irrévocable d'hypothéquer d'en accepter (à supposer qu'il soit suffisamment éclairé à ce sujet) les conséquences, à savoir qu'il pourra en être fait usage à tout moment par la banque si celle-ci estime que son appréciation du risque crédit le justifie.

    De même, la banque n'a pas à motiver sa décision de convertir le mandat - qui relève de sa seule appréciation - même si, dans les strictes limites du contrôle de l'existence d'un éventuel abus de droit, le juge peut exercer un contrôle a posteriori de cette motivation. Si le juge, dans les limites de ce contrôle, constate que la banque s'est effectivement rendue coupable d'un abus de droit, il lui sera toujours loisible d'en imposer la réparation en condamnant cette dernière à rembourser les frais occasionnés par la constitution de l'hypothèque et à en faire opérer à ses frais la mainlevée [37].

    [1] Loi hypothécaire, art. 78.
    [2] Le mandat est généralement conféré à des membres du personnel de confiance de la banque ou à une société distincte, de manière à écarter toute discussion relative à l'existence d'un éventuel conflit d'intérêt entre le mandant (débiteur) et le mandataire (la banque) - voy. A. Cuypers, Commentaire privilège et hypothèques, Kluwer, 2003, Hypothèques - loi hypothécaire, art. 76, n° 59.
    [3] A. Cuypers, o.c., n° 13.
    [4] C. enr., art. 11.
    [5] C. enr., art. 87.
    [6] C. enr., art. 262. L'administration a parfois contesté l'application d'un droit d'enregistrement au tarif réduit lorsque le mandat d'hypothéquer est conféré au dispensateur de crédit lui-même considérant qu'en pareille hypothèse le mandat devait être assimilé à une constitution d'hypothèque - voy. A. Cuypers, o.c., n° 59. Cette position est toutefois battue en brèche notamment par un arrêt de cassation du 24 octobre 2002, T.B.H. 2003, p. 304, note E. Van Den Haute et R.W. 2002-03, p. 1343, note Sagaert. Selon cet arrêt, la constitution d'une hypothèque consécutive à un mandat irrévocable d'hypothéquer ne rétroagit pas à la date du mandat.
    [7] A.R. du 16 septembre 1950 - et ses modifications ultérieures - art. 17.57, 2° et réf. cit. par A. Cuypers, o.c., n° 28, p. 53.
    [8] Voy. cependant A. Cuypers, o.c., n° 44.
    [9] Le droit de révocation ne relève pas de l'essence du mandat et il peut y être dérogé dans le cadre d'un mandat constitué - comme dans le cas du mandat d'hypothéquer - dans l'intérêt des deux parties (ou dans l'intérêt à la fois du mandant et d'un tiers agréé). Voy. H. De Page, Traité élémentaire de droit civil belge, V, n° 469.
    [10] C. civ., art. 2003.
    [11] H. De Page, o.c., V, n° 458. Le mandataire représentera alors les héritiers du mandant: H. De Page, o.c., V, n° 460.
    [12] Cet article vise le cas d'une hypothèque constituée avant le décès mais non encore inscrite. La Cour de cassation en a cependant étendu les effets dans le cadre de l'exécution par des héritiers d'une promesse d'hypothèque consentie par leur ayant droit: Cass. 9 juin 1938, B.J., p. 113. On peut donc également en étendre l'application au cas de la conversion du mandat opéré après le décès du mandant: J. Cattaruzza, Commentaire privilège et hypothèques, Kluwer, 2003, Hypothèques - loi hypothécaire, art. 82, n° 11.
    [13] Voy. A Cuypers, o.c., n° 94 et réf. cit., note 1.
    [14] En vertu de l'art. 16 de la loi sur les faillites, le failli est dessaisi de l'administration de ses biens au jour du jugement déclaratif de faillite, or le mandataire ne dispose pas de plus de droits que n'en a le mandant lui-même.
    [15] Cass. 24 octobre 2002, R.W. 2002-03, p. 1343, note Sagaert.
    [16] O. Poelmans, “Le Concordat et le concours après la loi du 17 juillet 1997”, R.D.C. 1999, p. 144 et s. Également A. Cuypers, o.c., nos 88 et 89.
    [17] Se prononce en faveur de la thèse qui voit dans le concordat une “forme particulière” de concours: Comm. d'Anvers 16 juin 1998, R.D.C. 1999, p. 179 et R.W. 1998-99, pp. 230 et s. avec les commentaires de V. Deckmyn et E. Dernicourt.
    [18] O. Poelmans, o.c.
    [19] Et auquel le dépôt de la requête ne met pas fin: art. 28 al. 1 de la loi du 17 juillet 1997 relative au concordat judiciaire.
    [20] Et même au-delà si l'échec du concordat conduit à la faillite.
    [21] Art. 15 al. 3 de la loi du 17 juillet 1997 relative au concordat judiciaire.
    [22] C. jud., art. 1444. Il en va de même de l'hypothèque constituée avant la transcription de la saisie mais non encore transcrite ou inscrite au jour de la transcription de la saisie.
    [23] C. jud., art. 1577, 1575 et 1565.
    [24] La cour d'appel de Liège dans son arrêt du 26 mars 2002 relève que la convention de mandat irrévocable d'hypothéquer permet la conversion de ce mandat “à première demande” de la banque bénéficiaire (Liège 26 mars 2002, R.D.C. 2004, p. 163 et nos observations, p. 166).
    [25] “Si la conversion du mandat ne suppose pas l'existence d'un manquement de l'emprunteur à ses obligations, il n'en demeure pas moins que l'exécution de la procuration hypothécaire est subordonnée à l'existence d'un changement objectif de la situation susceptible d'avoir une influence négative sur la notoriété, la solvabilité, la situation patrimoniale et/ou la capacité de remboursement des emprunteurs ou de ses cautions” (Bruxelles 22 octobre 1999, De Clercq/CBC Banque, inédit; Liège 26 avril 1999, Willem/C.S.B.R., Lambert et Decamp, inédit).
    [26] “Le fait de consentir un crédit sur base d'un simple mandat d'hypothéquer ou de constituer un gage sur fonds de commerce repose sur la confiance. Lorsque cette confiance est ébranlée (même si le crédit n'est pas encore dénoncé) il n'y a pas abus de droit dans le fait de convertir le mandat” (Anvers 11 avril 2002, British Car Center/KBC Bank, inédit).
    [27] Anvers 11 avril 2002, British Car Center/KBC Bank, inédit; Bruxelles 22 octobre 1999, De Clercq/CBC Banque, inédit.
    [28] Bruxelles 22 octobre 1999, De Clercq/CBC Banque, inédit.
    [29] Liège 26 mars 2002, R.D.C. 2004, p. 163 et nos observations p. 166, J.L.M.B. 2003, p. 971 .
    [30] Bruxelles 22 octobre 1999, De Clercq/CBC Banque, inédit.
    [31] Comm. Bruxelles 25 juin 2001, NV Garage Felix Mol, NV Felix Cars Service, NV Autoverhuur Noordkempen, NV Garage Felix et NV Fenico/KBC Bank, inédit.
    [32] Comm. Malines 16 juin 2000, BVBA Auto Service Center Sels Mechelen/KBC Bank, inédit.
    [33] Anvers 30 juin 1998, R.G.D.C. 1999, p. 81.
    [34] A. Cuypers, o.c., n° 106.
    [35] Comm. Bruxelles (réf.) 9 novembre 1999, R.W. 1999-2000, p. 1379.
    [36] Bruxelles 4 septembre 2002, R.G.A.R. 2003, p. 13740.
    [37] Ce qui n'empêche pas que la banque conserve son droit de conversion dans l'avenir, en cas de changement de circonstances: A. Cuypers, o.c., n° 75 et réf. cit.