Cour d'appel de Bruxelles 21 avril 2006
SOCIÉTÉS
Vie sociale - Retrait - Justes motifs - Imputabilité au défendeur
Le juste motif en vue du retrait, tel qu'il est fixé à l'article 340 du Code des sociétés, peut consister en un désaccord profond et permanent qui empêche en fait définitivement toute collaboration ultérieure entre associés. Il n'est pas requis qu'il procède d'un comportement fautif: il suffit qu'il soit imputable à l'associé auquel il est demandé de racheter les parts.
SOCIÉTÉS
Vie sociale - Retrait - Prix d'achat des actions - Date de référence - Caractère non-indemnitaire
Les principes du droit commun impliquent que le juge détermine la valeur des titres à transférer au moment où il statue. Il ne résulte ni du Code des sociétés, ni des travaux préparatoires de la loi du 13 avril 1995, que l'exclusion ou le retrait d'un associé pourrait conduire à une évaluation des titres qui tienne compte de l'influence qu'auraient eue les comportements constitutifs de justes motifs sur la valeur des titres.
EXPERTISE
Honoraires de l'expert - Provision - Fixation par le juge
S'il appartient au juge, en vertu de l'article 990 du Code judiciaire, de fixer le montant de la provision d'un expert, il ne peut rendre cette décision exécutoire à la charge d'une partie, à moins que celle-ci ne soit légalement obligée à la consignation de cette provision, conformément à l'alinéa 3 de cet article. D'une manière plus générale, et sous cette seule réserve, le juge ne peut contraindre une partie à consigner une provision. Cette règle se justifie par le caractère exécutoire de la procédure, qui implique qu'il appartient aux parties de diligenter ou non une mesure d'instruction qui a été ordonnée.
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VENNOOTSCHAP
Maatschappelijk leven - Uittreding - Gegronde redenen - Toerekenbaarheid aan de verweerder
De gegronde reden met het oog op de uittreding, zoals bepaald in artikel 340 van het Wetboek van Vennootschappen, kan bestaan in een onenigheid die op een definitieve wijze elke verdere samenwerking tussen de vennoten onmogelijk maakt. Het is niet vereist dat de gegronde reden voortvloeit uit een foutieve gedraging: het volstaat dat zij toerekenbaar is aan de vennoot aan wie gevraagd wordt de aandelen terug te kopen.
VENNOOTSCHAP
Maatschappelijk leven - Uittreding - Aankoopprijs van de aandelen - Peildatum - Niet-vergoedend karakter
De beginselen van het gemeen recht brengen met zich mee dat de rechter de waarde van de over te dragen effecten bepaalt op tijdstip van zijn uitspraak. Noch uit het Wetboek van Vennootschappen, noch uit de voorbereidende werken van de wet van 13 april 1995 vloeit voort dat de uitsluiting of de uittreding zou kunnen leiden tot een waardering van de effecten die rekening houdt met de invloed van de gedragingen die de gegronde redenen uitmaken op de waarde van de effecten.
DESKUNDIGENONDERZOEK
Ereloon van de deskundige - Provisie - Bepaling door de rechter
Hoewel het aan de rechter toekomt om, op grond van artikel 990 van het Gerechtelijk Wetboek, het bedrag van de provisie van een deskundige te bepalen, kan hij dergelijke beslissing slechts uitvoerbaar verklaren lastens een partij indien deze wettelijk verplicht is om deze provisie te consigneren, overeenkomstig de derde alinea van dit artikel. Op een meer algemene wijze, en onder dit enkele voorbehoud, kan de rechter een partij niet verplichten om een provisie te consigneren. Deze regel wordt gerechtvaardigd door het uitvoerend karakter van de procedure, dat met zich mee brengt dat het aan de partijen toekomt om een instructiemaatregel die bevolen werd al dan niet te bewerkstelligen.
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François Detandt et MACFI / Brigitte Feys
Siég.: M. Regout (conseiller f.f. président), H. Mackelbert et E. Herregodts (conseillers) |
Pl.: B. Cartuyvels, P. Leduc et Ph. Malherbe, C. Coun |
(...)
5. | Sur les justes motifs |
15. La procédure de retrait, ou de rachat forcé, tend à protéger un associé lésé dans ses droits ou intérêts par le comportement d'un ou plusieurs associés au point que le maintien de sa qualité d'associé ne puisse plus raisonnablement être exigé (Doc. Parl. Ch. repr., sess. ord. 1992-93, n° 1005-1, p. 44).
Le juste motif en vue du retrait, tel qu'il est visé à l'article 340 du Code des sociétés, peut consister en un désaccord profond et permanent qui empêche en fait définitivement toute collaboration ultérieure entre associés. Il n'est pas requis qu'il procède d'un comportement fautif (A. Coibion, “Du détournement de procédure en matière de retrait forcé”, R.D.C. 2005, p. 415 , n° 10 et les références citées). Il suffit qu'il soit imputable à l'associé auquel il est demandé de racheter les parts.
Une mesure de retrait entraînant la cession forcée des titres ne peut toutefois se justifier lorsqu'il est établi que nonobstant la restructuration de l'actionnariat, la poursuite de l'exploitation n'est pas envisagée.
Les parties reconnaissent l'une et l'autre que le conflit conjugal s'est étendu à leurs relations d'associés. Devant le premier juge, elles ont même été jusqu'à solliciter, à titre subsidiaire, la dissolution de la société.
Mais en acceptant le principe de la reprise par lui des parts de son ex-épouse - il est vrai sauf pour justes motifs - M. Detandt a démontré que la poursuite de l'activité de la société par lui seul était possible. On rappellera que MACFI est une société patrimoniale au travers de laquelle M. Detandt exerçait ses activités professionnelles.
Il s'en déduit que l'action intentée par Mme Feys, si elle est fondée, est susceptible de résoudre le conflit entre les associés et de mettre fin au péril qui menace les intérêts de la société.
16. Mme Feys reproche notamment à M. Detandt la cession à Strateco de la participation de MACFI dans Pax Affaires.
L'article 259 § 1er du Code des sociétés dispose que le membre d'un collège de gestion qui a, directement ou indirectement, un intérêt opposé de nature patrimoniale à une décision ou à une opération soumise au collège de gestion, est tenu de le communiquer aux autres gérants avant la délibération du collège. Sa déclaration, ainsi que les raisons justifiant l'intérêt opposé qui existe dans le chef du gérant concerné, doivent figurer dans le procès-verbal du collège de gestion qui devra prendre la décision.
L'article 260 prévoit, quant à lui, que s'il n'y a pas de collège de gestion et qu'un gérant se trouve placé devant l'opposition d'intérêts visée à l'article 259 § 1er, il en réfère aux associés et la décision ne pourra être prise ou l'opération ne pourra être effectuée pour le compte de la société que par un mandataire ad hoc.
En l'espèce, il n'est pas contesté que M. Detandt possède 124 des 125 actions de la société Strateco (cf. rapport de l'expert Van der Herten, p. 15, pièce 2 du dossier de Mme Feys).
Les parties sont en désaccord sur l'existence d'un collège de gestion.
La cour constate qu'en tout état de cause, M. Detandt était tenu de respecter, à tout le moins, l'article 260 du Code des sociétés à l'occasion de la cession par MACFI à Strateco de la participation qu'elle détenait dans Pax Affaires, ce qu'il n'a pas fait.
En s'abstenant de tenir Mme Feys informée de cette transaction qui a eu pour effet de modifier la consistance active de la société, M. Detandt est à l'origine de la mésintelligence profonde entre les associés et a fait naître un sentiment de suspicion dans le chef de Mme Feys.
Le fait que cette opération ait été annulée, deux ans et demi plus tard, est sans incidence sur l'appréciation du juste motif puisque la rétrocession n'est intervenue qu'après l'intentement de l'action et qu'elle est en outre contestée par Mme Feys.
17. Mme Feys invoque également d'autres prétendus justes motifs à l'appui de sa demande.
Comme il suffit qu'un juste motif soit établi pour qu'il puisse être fait droit à la demande originaire - ce qui est le cas pour la cession de la participation dans Pax Affaires - il est sans utilité d'examiner les autres justes motifs invoqués. Il est précisé, pour autant que de besoin, que la cour ne se prononce donc pas sur le bien ou le mal fondé des autres justes motifs retenus par le premier juge.
L'appel de M. Detandt, en ce qu'il tend à réformer le jugement attaqué qui l'a condamné à racheter les parts sociales de Mme Feys pour justes motifs, n'est donc pas fondé.
6. | Sur la date à prendre en considération pour évaluer les parts et la mission de l'expert |
18. Les principes de droit commun impliquent que le juge détermine la valeur des titres à transférer au moment où il statue (M. Caluwaerts, “L'exclusion ou le retrait forcé comme solution aux litiges entre associes”, in Les conflits au sein des sociétés commerciales ou à forme commerciale, Ed. Jeune Barreau de Bruxelles, 2004, p. 185).
Par ailleurs, il ne résulte ni du Code des sociétés, ni des travaux préparatoires de la loi du 13 avril 1995, que l'exclusion ou le retrait d'un associé, impliquant l'une comme l'autre une cession forcée, pourrait conduire à une évaluation des titres qui tienne compte de l'influence qu'auraient eue les comportements constitutifs de justes motifs sur la valeur des titres (Bruxelles 13 mai 2004, R.D.C. 2005, p. 408 ). Le président du tribunal n'est pas compétent pour condamner le défendeur au paiement de dommages et intérêts; il n'est pas saisi d'une action en responsabilité du défendeur et ne pourrait dès lors adapter le prix à titre de sanction (Pottier et De Roeck, “Le divorce entre actionnaires: premières applications jurisprudentielles des procédures d'exclusion et de retrait”, R.D.C. 1998, p. 578).
19. C'est donc à tort que le premier juge a demandé à l'expert Cats de déterminer la valeur des parts sociales au 1er septembre 2002 et de donner son avis quant à l'incidence négative sur la valeur de ces parts de tous actes ou décisions de M. Detandt dans MACFI depuis le 1er septembre 2002, ainsi que de tous actes antérieurs comportant un conflit d'intérêts ou la volonté d'avantager un tiers.
Il y a dès lors lieu de modifier la mission de l'expert en ce sens.
20. Comme les parties sont en désaccord sur l'estimation des postes du bilan, notamment sur la valeur des participations - e.a. Pax Affaires - et des comptes courants des associés - que M. Detandt considère comme une non-valeur - l'expert devra recueillir tous les renseignements utiles et s'entourer de tous les avis nécessaires pour procéder, le cas échéant, à un redressement de la valeur comptable de MACFI, soit par réductions de valeur ou moins-values soit par prise en compte de plus-values non actées.
Eu égard à ce qui a été dit au point 15, et contrairement à ce que soutient M. Detandt, il n'y a pas lieu de déterminer la valeur des parts sociales dans une perspective de liquidation de la société.
7. | Sur les honoraires de l'expert |
21. S'il appartient au juge, en vertu de l'article 990 du Code judiciaire, de fixer le montant de la provision d'un expert, il ne peut rendre cette décision exécutoire à la charge d'une partie, à moins que celle-ci ne soit légalement obligée à la consignation de cette provision, conformément à l'alinéa 3 de cet article, d'une manière plus générale, et sous cette seule réserve, le juge ne peut contraindre une partie à consigner une provision; cette règle se justifie par le caractère exécutoire de la procédure qui implique qu'il appartient aux parties de diligenter ou non une mesure d'instruction qui a été ordonnée (Bruxelles 14 novembre 1997, R.G. 1997/AR/3175).
C'est donc à tort que le premier juge a condamné MACFI à payer la provision et l'état final de l'expert.
Dès lors que la valeur des parts doit être fixée à la date du jugement attaqué, il ne peut être tenu compte d'événements postérieurs comme le paiement des frais et honoraires de l'expert. Il ne convient donc pas de dire pour droit que ceux-ci pourraient néanmoins être pris en charge par la société s'ils entrent en ligne de compte pour la détermination de la valeur des parts.
L'appel introduit par MACFI est fondé.
Il y a donc lieu de dire pour droit que la provision versée par MACFI, actuellement consignée au greffe du tribunal de commerce de Bruxelles, doit lui être remboursée.
22. En revanche, l'appel introduit par M. Detandt, en ce que le premier juge a mis à charge de MACFI les honoraires de l'expert, n'est pas recevable puisqu'il n'a fait l'objet d'aucune condamnation personnelle.
8. | Sur la demande de paiement d'un prix provisoire |
23. Mme Feys considère comme acquis que, en tout état de cause, la valeur de ses parts sera évaluée entre € 500.000 et € 2.074.538, raison pour laquelle elle sollicite la condamnation de M. Detandt à payer un prix provisoire dans l'attente du dépôt du rapport de l'expert.
Sur la base d'un rapport qu'il a fait établir par le réviseur André Delvaux (farde V de son dossier), M. Detandt considère, quant à lui, qu'eu égard au risque que le compte courant des associés ne puisse être remboursé et doive faire l'objet d'une réduction de valeur, la société présente, au 30 juin 2005, des fonds propres négatifs.
24. La cour n'est actuellement pas suffisamment informée sur la consistance active et passive réelle de la société.
Elle constate qu'au 31 décembre 2004, les capitaux propres de la société s'élevaient à € 4.149.075 dont € 3.976.152 de créances sur les associés eux-mêmes.
Si l'expert devait arriver à la conclusion que cette créance représente une non-valeur, les fonds propres en seraient gravement affectés.
Par ailleurs, il y aura lieu de tenir compte de l'annulation de la cession de la participation dans Pax Affaires et de l'incidence sur les fonds propres de l'annulation de la plus-value qui avait été actée en 2002.
La demande de Mme Feys est donc prématurée et son appel incident n'est pas fondé.
V. | Conclusion |
Pour ces motifs, la cour,
(...)