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Cour de cassation, 30/09/2005, R.D.C.-T.B.H., 2006/10, p. 1028-1029

Cour de cassation 30 septembre 2005

SOCIÉTÉS
Personnalité morale - Spécialité
La capacité de la société et le pouvoir de ses organes de l'engager valablement se limitent aux actes qui comportent, pour les associés, un bénéfice patrimonial direct ou indirect.
VENNOOTSCHAP
Rechtspersoonlijkheid - Specialiteitsbeginsel
De bekwaamheid van de vennootschap en de bevoegdheid van haar organen om haar rechtsgeldig te verbinden zijn beperkt tot de handelingen die de vennoten een rechtstreeks of onrechtstreeks vermogensvoordeel bezorgen.

Ascott Investissements SA / Brasseries Alken-Maes Brouwerijen Alken-Maes SA

Siég.: Ph. Echement (président de section), Ch. Storck, D. Batselé, Ch. Matray et Ph. Gosseries (conseillers)
M.P.: J.-M. Genicot (avocat général)
Pl.: Me C. Draps
I. La décision attaquée

Le pourvoi en cassation est dirigé contre l'arrêt rendu le 22 mars 2004 par la cour d'appel de Liège.

II. La procédure devant la Cour

Le conseiller Christine Matray a fait rapport.

L'avocat général Jean-Marie Genicot a conclu.

III. Les moyens de cassation

La demanderesse présente deux moyens dont le second est libellé dans les termes suivants:

Dispositions légales violées

- article 1er alinéa 1er du Code des sociétés (ancien art. 1832 C. civ.);

- articles 1349 et 1353 du Code civil.

Décisions et motifs critiqués

L'arrêt attaqué rejette le moyen que la demanderesse déduisait de la circonstance que l'acte de cautionnement litigieux avait été souscrit par elle sans aucune contrepartie et sans qu'elle ait eu un intérêt quelconque dans la société cautionnée, de sorte qu'il s'agissait d'un acte purement gratuit dans son chef qui lui était dès lors inopposable en raison du principe de la spécialité légale applicable aux sociétés commerciales, au motif:

“Que cet acte n'a pas été souscrit sans contrepartie puisqu'il n'est pas contesté que X.D. était aussi l'administrateur-délégué d'une société anonyme Espace Lulay, bailleresse de la SPRL Les Messes de minuit”.

Griefs

En vertu de l'article 1er alinéa 1er du Code des sociétés (ancien art. 1832 C. civ.), une société vise à l'exercice d'une ou plusieurs activités déterminées et a pour but de procurer aux associés un bénéfice patrimonial direct ou indirect. Cette disposition constitue le siège du principe de la spécialité légale, qui emporte une restriction générale à la capacité des personnes morales, ou plus exactement au pouvoir de leurs organes, en ce sens que les sociétés commerciales ne peuvent être constituées qu'en vue de l'exploitation d'une activité dans un but de lucre.

La violation du principe de la spécialité légale implique l'absence de tout engagement de la société envers les tiers qui voudraient profiter de l'acte accompli irrégulièrement.

L'exigence que les sociétés commerciales poursuivent un but de lucre implique que les actes qu'elles accomplissent doivent comporter pour les associés une contrepartie patrimoniale directe ou indirecte.

L'arrêt attaqué, qui se borne à déduire l'existence de pareille contrepartie de la seule circonstance que M. X.D., administrateur-délégué de la demanderesse, est également l'administrateur-délégué de la société anonyme Espace Lulay, bailleresse de la SPRL Messes de Minuit, société cautionnée, alors que la SA Espace Lulay est totalement étrangère aux obligations résultant du crédit garanti et constituant la base du litige, méconnaît le principe de la spécialité légale portée par l'article 1er alinéa 1er du Code des sociétés.

Ce faisant, l'arrêt déduit en outre de la circonstance que M. X.D., administrateur-délégué de la demanderesse, était également administrateur-délégué de la société anonyme Espace Lulay une conséquence qui n'est, sur son fondement, susceptible d'aucune justification, à savoir que l'acte de cautionnement litigieux comportait bien une contrepartie dans le chef de la demanderesse, de sorte qu'il méconnaît la notion légale de présomption de l'homme et viole, partant, les articles 1349 et 1353 du Code civil.

IV. La décision de la Cour
Sur le second moyen

Attendu que l'article 1er alinéa 1er du Code des sociétés dispose qu'une société est constituée par un contrat aux termes duquel deux ou plusieurs personnes mettent quelque chose en commun, pour exercer une ou plusieurs activités déterminées et dans le but de procurer aux associés un bénéfice patrimonial direct ou indirect;

Qu'en vertu de cette disposition, la capacité de la société et le pouvoir de ses organes de l'engager valablement se limitent aux actes qui comportent, pour les associés, un tel bénéfice;

Attendu que l'arrêt attaqué constate qu'un crédit de 6.447.800 francs a été accordé à la SPRL Les Messes de Minuit par la SA Société commerciale et de crédit, que la défenderesse s'est portée caution des engagements de la société Les Messes de Minuit et que l'administrateur-délégué de la demanderesse a accepté, pour celle-ci, un cautionnement des obligations de caution de la défenderesse, la demanderesse contestant être engagée par cet acte;

Attendu que l'arrêt qui, pour considérer que l'acte n'a pas été souscrit sans contrepartie, se borne à énoncer que l'administrateur-délégué de la demanderesse “était aussi l'administrateur-délégué d'une société anonyme Espace Lulay, bailleresse de la société Les Messes de Minuit”, alors qu'il ne constate par ailleurs aucune obligation, dans le chef de la SA Espace Lulay, résultant du crédit garanti, ne justifie pas légalement sa décision;

Que, dans cette mesure, le moyen est fondé.

Sur les autres griefs

Attendu qu'il n'y a pas lieu d'examiner le premier moyen qui ne saurait entraîner une cassation plus étendue;

Attendu qu'il y a lieu de déclarer l'arrêt commun aux parties appelées à la cause devant la Cour à cette fin.

Par ces motifs,

La Cour

Casse l'arrêt attaqué en tant qu'il condamne la demanderesse à payer à la défenderesse 101.574,90 euros majorés des intérêts au taux légal depuis le 16 décembre 1999 et qu'il la condamne aux dépens;

Déclare l'arrêt commun à C.L. et à X.D.;

Ordonne que mention du présent arrêt sera faite en marge de l'arrêt partiellement cassé;

Réserve les dépens pour qu'il soit statué sur ceux-ci par le juge du fond;

Renvoie la cause, ainsi limitée, devant la cour d'appel de Mons.

(...)