Article

Cour d'appel Liège, 13/12/2004, R.D.C.-T.B.H., 2005/9, p. 969-971

Cour d'appel de Liège 13 décembre 2004

CONTRAT D'AGENCE COMMERCIALE
Résiliation pour motif grave - Incompatible avec l'octroi d'un préavis - Indemnité d'éviction - Clause de non-concurrence - Nullité - Absence de présomption
La résiliation pour manquement grave est incompatible avec l'octroi d'un préavis, fût-il bref et accordé dans l'intérêt exclusif de l'agent.
Une clause de non-concurrence doit, pour être valable, c­oncerner le type d'affaires dont l'agent était chargé. Lorsque son objet est plus vaste, elle doit être annulée pour le tout.
La nullité de la clause de non-concurrence fait perdre à l'agent le bénéfice de la présomption légale d'apport de clientèle.
HANDELSAGENTUUROVEREENKOMST
Beëindiging voor grove fout - Onverenigbaar met opzeg - Uitwinningsvergoeding - Beding van niet-mededinging - Nietigheid - Geen vermoeden
De beëindiging ingevolge grove fout is onverenigbaar met het toekennen van een opzeg, zelfs indien deze kort is en enkel wordt gegeven in het exclusieve belang van de agent.
Opdat een niet-mededingingsbeding geldig zou zijn, moet het betrekking hebben op hetzelfde soort zaken als deze waarmee de agent werd gelast. De clausule is nietig in zijn geheel wanneer het voorwerp ruim wordt omschreven.
De nietigheid van het niet-mededingingsbeding impliceert dat de agent het voordeel verliest van het wettelijke vermoeden van aanbreng van cliënteel.

T. Molitor / Dru Verwarming

Siég.: R. de Francquen (président), M. Ligot et A. Jacquemin (conseillers)
Pl.: Mes J. Vanneste, Rey Quinten et Y. Van Couter, S. Kinart, I. Verhaert

Vu les appels du jugement rendu le 8 décembre 2003 par le tribunal de commerce de Namur interjetés le 23 février 2004 par Thierry Molitor et le 15 octobre 2004 par la société de droit néerlandais Dru Verwarming;

Vu la demande nouvelle introduite par la société Dru Verwarming dans ses conclusions de synthèse du 15 octobre 2004 tendant à ce que l'appelant soit condamné à rembourser à concurrence de 12.500 euros les frais et honoraires de ses avocats;

Attendu que cette demande introduite par l'intimée dans ses derniers écrits déposés au greffe de la cour le 15 octobre 2004 soit le dernier jour fixé par l'ordonnance rendue le 22 avril 2004 sur pied de l'article 747 § 2 du Code judiciaire à un moment où l'appelant n'était plus autorisé à conclure ne peut être reçue car elle viole les droits de défense de celui-ci; qu'à l'audience de plaidoiries le conseil de l'intimée y a renoncé.

Éléments essentiels du litige

1. Les parties ont été liées par un contrat d'agence commerciale ayant pris cours le 1er juillet 2001 pour une durée indéterminée; ce contrat avait pour objet “la prospection, la promotion et la conclusion d'affaires (traduction libre du contrat du 1er juillet 2001 figurant au dossier des parties) portant sur les convecteurs au gaz, cheminées au gaz, cheminées encastrables de la marque Dru ainsi que sur les poêles à bois des marques DK Flame, Jydepesjen et Varde”.

2. Ce contrat portait sur les territoires des provinces du Luxembourg, du Brabant Wallon, du Hainaut, de Namur, de Liège et sur le Grand-Duché de Luxembourg et contenait une clause de non-concurrence suivant laquelle “il est défendu à l'agent commercial, pendant la durée de ce contrat et pendant six mois après qu'il y ait été mis fin, d'intervenir dans la vente ou dans la fabrication d'articles qui peuvent directement concurrencer ceux vendus ou fabriqués par le principal, que ce soit en tant qu'indépendant ou en tant que salarié d'une entreprise concurrente” (art. 20 du contrat, traduction libre non contestée) à l'exception des activités exercées par l'agent pour compte de la firme Franco Belge.

3. Le 15 mai 2001, un premier accord était intervenu entre les parties suivant lequel Dru Verwarming reprenait pour son compte l'importation en Belgique des poêles à bois des sociétés danoises Varde, Jydepejsen et DK Flame qui était assurée depuis avril 2000 par Thierry Molitor (conclusions T.M., pt. 3, p. 3).

La reprise de ces contrats d'importation était intimement liée au contrat d'agence du 1er juillet 2001 puisqu'il avait été convenu que “du 1er juillet 2001 au 1er janvier 2003, Dru verser(ait) un montant de 1.000 FB par poêle livré et facturé par Dru sur le territoire de vente sur lequel vous avez été désigné représentant indépendant de Dru” (traduction libre de la lettre du 15 mai 2001 de Dru Verwarming).

4. Par lettre recommandée du 25 mars 2002, Dru Verwarming mettra fin au contrat pour manquements graves de l'agent à ses obligations, les reproches formulés consistant dans la prospection insuffisante sinon inexistante de la clientèle, le non-respect des engagements pris par l'agent lors d'une réunion “de la dernière chance” qui se serait tenue le 18 janvier 2002, le non-respect des prévisions de vente en matière de poêles à bois et le défaut de vente des cuisinières à bois de marque Lincar et des produits Gaskomfor que l'agent aurait suggéré au distributeur d'ajouter à sa gamme de produits.

De manière paradoxale, Dru Verwarming accorde néanmoins à son agent un préavis d'une durée d'un peu plus d'un mois conforme à l'article 13 du contrat et à l'article 18 § 1er alinéa 2 de la loi du 13 avril 1995 relative au contrat d'agence commerciale.

Les demandes respectives

Thierry Molitor, se fondant sur les articles 16 du contrat et 20 de la loi précitée réclame la condamnation de Dru Verwarming au paiement d'une indemnité d'éviction de 31.607,65 euros correspondant à une année de rémunération tandis que Dru Verwarming soulignant que Thierry Molitor, qui est actif dans le secteur des appareils de chauffage depuis de nombreuses années, a poursuivi ses activités au profit de sociétés concurrentes autres que la société Franco Belge, postule sa condamnation au paiement d'une indemnité forfaitaire de 30.683,47 euros pour avoir violé la clause de non-concurrence prévue par l'article 20 du contrat tant pendant l'exécution de celui-ci qu'au cours des six mois qui ont suivi son expiration.

Discussion

Attendu que “le manquement grave (dont l'une des parties se prévaut pour mettre un terme aux relations contractuelles) doit être d'une telle gravité que les relations contractuelles ne puissent plus se poursuivre, même temporairement, jusqu'à l'expiration d'un préavis ou l'échéance du terme” (P. Crahay, “La loi relative au contrat d'agence commerciale, résiliation et indemnité d'éviction”, R.D.C. 1995, n° 34, pt. 2; C. Verbraeken et A. de Schoutheete, “La loi du 13 avril 1995 relative au contrat d'agence commerciale”, J.T. 1995, p. 466, n° 20, § 2);

Que c'est pour les besoins de la cause que Dru Verwarming soutient que “s'il est vrai que le manquement grave de monsieur Molitor a rendu définitivement impossible toute collaboration professionnelle entre les parties, (elle) se devait notamment pour limiter au maximum son dommage, d'octroyer un délai de préavis d'un mois à monsieur Molitor afin d'avoir le temps de lui trouver un successeur pour la représentation des produits Dru en Wallonie et au Luxembourg” (conclusions de synthèse, pt. 5, § 3, p. 24);

Que cette explication manque tant en fait qu'en droit; qu'il s'observe en effet que c'est dès le 5 avril 2002 alors que le préavis expire le 30 avril qu'un nouveau contrat est signé avec l'agent Bonaldo qui succède à Thierry Molitor tandis qu'il doit être souligné que l'invocation d'un manquement dont la gravité doit être telle qu'elle empêche la poursuite même momentanée des relations contractuelles est incompatible avec l'octroi d'un préavis, fût-il accordé dans l'intérêt exclusif du distributeur;

Que celui-ci ne peut donc se prévaloir de l'article 20 alinéa 5, 1° de la loi du 13 avril 1995 pour s'opposer au paiement de l'indemnité d'éviction;

Attendu que de manière totalement contradictoire, Thierry Molitor se prévaut d'une part de la clause de non-concurrence qui lui permet de se prévaloir de la double présomption réfragable prévue par les articles 20 alinéa 2 et 24 § 3 de la loi du 13 avril 1995, soit “celle d'avoir apporté une clientèle et celle que l'activité continue à procurer des avantages substantiels au commettant après la cessation du contrat” (C. Verbraeken et A. de Schoutheete, déjà cités, n° 30, p. 468; A. de Theux, La fin du contrat d'agence commerciale, n° 106, p. 125), tout en concluant dans le cadre de la demande reconventionnelle dirigée contre lui par Dru Verwarming que “l'ensemble de la clause de non-concurrence doit être réputée nulle et non avenue” (conclusions pt. V.1.1.1., p. 5, pt. V.2, p. 24) ce qui lui fait perdre le bénéfice de cette présomption alors qu'il suffisait, pour que la demande reconventionnelle doive être rejetée, de constater qu'aucun manquement grave n'étant démontré, la clause de non-concurrence invoquée par le commettant ne pouvait produire d'effet, étant inefficace en application de l'article 24 § 2 de la loi (A. de Theux, n° 55, p. 76, nos 102 et 103, pp. 122 et 123);

Que Dru Verwarming conclut quant à elle à la validité de la clause (conclusions de synthèse, p. 34);

Que la question étant ainsi posée par les parties, elle doit être résolue;

Attendu que pour être valable, la clause de non-concurrence doit, entre autres conditions, “concerner le type d'affaires dont l'agent était chargé” (art. 24 § 1er al. 2, 2°); que les prestations dont l'agent était chargé ont été décrites plus haut; qu'il s'observe que la clause de non-concurrence interdit à l'agent commercial, en sus des activités de vente, “d'intervenir dans la fabrication d'articles qui peuvent directement concurrencer ceux vendus ou fabriqués par le (commettant)...”;

Que l'objet de la clause de non-concurrence est donc plus vaste et que celle-ci doit être annulée dans son ensemble, n'étant pas au pouvoir du juge de donner un effet limité à une clause de non-concurrence qu'il estime en partie illicite (A. de Theux, n° 101, p. 122 et les références);

Que l'exception de nullité soulevée de manière intempestive par Thierry Molitor est donc fondée; qu'elle a pour effet de lui faire perdre le bénéfice de la présomption évoquée plus haut et qu'il lui appartient dès lors “d'établir que par ses efforts personnels, il a réussi à apporter, créer ou développer une clientèle significative susceptible de renouveler ses commandes” (A. de Theux, n° 54, p. 75);

Que sur ce plan, le dossier de l'appelant est particulièrement indigent; que Thierry Molitor se contente de critiquer le caractère unilatéral des relevés des affaires réalisées par l'agent qui lui a succédé et par l'agent chargé de la partie Nord du pays que l'intimée invoque pour démontrer l'insuffisance du travail de prospection qu'elle lui reproche et de contester l'existence de listes de clients qui lui auraient été remises lors du début des relations contractuelles; que Thierry Molitor ne produit aucune pièce accréditant l'existence d'un apport de clientèle résultant de son travail et ne sollicite la réalisation d'aucune mesure d'instruction;

Qu'il ne peut être déduit du fait qu'il était prévu que, pendant les six premiers mois du contrat, l'agent serait rémunéré exclusivement par une rémunération fixe, qu'il n'existait à la date du 1er juillet 2001 aucune clientèle pour les produits fabriqués par l'intimée; que l'on sait en effet que ces produits étaient présents sur le marché belge depuis de nombreuses années et qu'ils étaient distribués par une firme qui en assurait l'importation;

Qu'il convient d'ajouter qu'alors que le contrat prévoyait en son article 9 l'obligation pour l'agent d'établir un rapport trimestriel à l'intention du commettant, l'appelant ne produit aucune pièce justifiant du détail des démarches par lui effectuées et prétend, contre toute vraisemblance, que l'intimée aurait accepté de se contenter de rapports verbaux, ce que contredisent l'existence des rapports détaillés établis par les agents Bonaldo et Reichert;

Que Thierry Molitor ne fait donc pas la preuve de l'apport de nouveaux clients ou du développement sensible des affaires pour ce qui concerne les produits Dru;

Attendu que le marché des poêles à bois fabriqués au Danemark a fait l'objet d'une première convention intervenue entre parties le 15 mai 2001; que l'appelant la commente abondamment en ce sens qu'il estime avoir été “court-circuité” par l'intimée mais qu'il ne la remet pas en question;

Que le prix de la reprise par l'intimée de ces contrats d'importation a été fixé de commun accord; que plus aucune réclamation ne peut être fondée de ce chef, “la clientèle pour les poêles danois” existant au 1er juillet 2001 ayant été acquise par l'intimée et la preuve n'étant pas faite qu'elle aurait été développée par la suite;

Par ces motifs,

(...)

La cour statuant contradictoirement,

Reçoit les appels et statuant dans leurs limites,

Confirme le jugement entrepris et compense les dépens d'appel.

(…)