Article

Cour de cassation, 10/02/2005, R.D.C.-T.B.H., 2005/9, p. 922-924

Cour de cassation 10 février 2005

CONCESSION DE VENTE EXCLUSIVE
Résiliation de la concession à durée indéterminée - Préavis raisonnable - Article 2 de la loi du 27 juillet 1961 - Notion - Limites
Le préavis à accorder en vertu de l'article 2 de la loi du 27 juillet 1961 doit être fixé en équité. L'objectif du législateur fut d'assurer au concessionnaire la disposition du temps nécessaire à la réorientation de ses activités afin que la résiliation de la concession n'entraîne pas sa ruine. Dès lors, afin de satisfaire au but de la loi, le préavis raisonnable doit permettre au concessionnaire de se procurer une source de revenus nets équivalente à celle qu'il a perdue, le cas échéant moyennant reconversion totale ou partielle de ses activités. Le concessionnaire ne peut prétendre à un délai de préavis lui permettant dans tous les cas de retrouver une concession produisant des effets équivalents à la concession perdue et ce, quel que soit l'aléa de cette recherche.
ALLEENVERKOOP
Concessie voor onbepaalde tijd - Beëindiging - Redelijke opzeg - Artikel 2 van de wet van 27 juli 1961 - Begrip - Beperkingen
De opzeggingstermijn van artikel 2 van de wet van 27 juli 1961 wordt in billijkheid bepaald. De wetgever geeft aan de concessiehouder de nodige tijd om zijn activiteiten te her­oriënteren zodat de beëindiging hem niet ruïneert. Bijgevolg, om te voldoen aan het doel van de wet, moet de redelijke opzeggingstermijn aan de concessiehouder de mogelijkheid bieden een bron van netto inkomsten te verwerven gelijkwaardig aan deze die hij verloor, eventueel door middel van een gehele of gedeeltelijke omzetting van zijn activiteiten. De concessiehouder kan geen aanspraak maken op een opzeggingstermijn die hem in ieder geval toelaat een concessie te vinden met een uitwerking die gelijkwaardig is aan deze die hij verloor, en dit wat ook het risico van dit onderzoek is.

D'Ieteren SA / Garage Sebastien SA

Siég.: C. Parmentier (président de section), D. Batselé, D. Plas, Ch. Matray et Ph. Gosseries (conseillers)
M.P.: Ph. de Koster (avocat général)
Pl.: Mes B. Maes et J.-M. Nelissen Grade
I. La décision attaquée

Le pourvoi en cassation est dirigé contre l'arrêt rendu le 21 mars 2003 par la cour d'appel de Bruxelles.

II. La procédure devant la Cour

Le conseiller Christine Matray a fait rapport.

L'avocat général délégué Philippe de Koster a conclu.

III. Les moyens de cassation

La demanderesse présente deux moyens libellés dans les termes suivants:

1. Premier moyen
Disposition légale violée

Article 2 de la loi du 27 juillet 1961 relative à la résiliation unilatérale des concessions de vente exclusive à durée indéterminée, tel qu'il a été modifié par l'article 2 de la loi du 13 avril 1971.

Décisions et motifs critiqués

L'arrêt attaqué:

- dit que la défenderesse a droit à une indemnité compensatoire de préavis de 8 mois et 7 jours, à calculer, pro rata temporis, sur la base du bénéfice net réalisé par la défenderesse entre le 1er janvier 1999 et le 31 août 2000 et des frais généraux incompressibles, relatifs à la concession pendant cette période,

- condamne la demanderesse à payer à la défenderesse une indemnité compensatoire de préavis provisionnelle de 25.000 euros, augmentée des intérêts judiciaires au taux légal à dater de l'arrêt attaqué,

aux motifs suivants:

“a) les principes applicables

(...)

Dès lors, afin de satisfaire au but de la loi, le préavis raisonnable doit permettre au concessionnaire d'exécuter les obligations qu'il a contractées envers les tiers et de se procurer une source de revenus nets équivalente à celle qu'il a perdue, le cas échéant moyennant reconversion totale ou partielle de ses activités. Le préavis doit, au minimum, laisser au concessionnaire le temps de supprimer certains frais fixes ou de retrouver une source de revenus couvrant les frais incompressibles.

Dans certains cas évidemment, la conclusion d'un nouveau contrat de concession constituera la meilleure solution de reconversion pour le concessionnaire évincé. La possibilité de conclure un nouveau contrat de concession devra dès lors être envisagée, parmi d'autres éléments, pour apprécier le délai de préavis à accorder en équité au concessionnaire.

(...)

Le délai doit rester raisonnable pour satisfaire aux exigences de l'équité. Il ne l'est pas s'il est calculé en fonction de la recherche d'une situation économique irréaliste alors qu'il existe une autre solution possible offrant des avantages équivalents au cessionnaire évincé.

(...).

Griefs

L'article 2 de la loi du 27 juillet 1961 dispose ce qui suit:

- lorsqu'une concession de vente soumise à la présente loi est accordée pour une durée indéterminée, il ne peut, hors le manquement grave d'une des parties à ses obligations, y être mis fin que moyennant un préavis raisonnable ou une juste indemnité à déterminer par les parties au moment de la dénonciation du contrat;

- à défaut d'accord des parties, le juge statue en équité et, le cas échéant, en tenant compte des usages.

La loi ne fixe pas de délai de préavis ni de règles d'évaluation du délai de préavis ou de l'indemnité due en raison de l'inobservation de ce délai.

Les travaux préparatoires de la loi du 27 juillet 1961 énoncent de manière expresse que le seul but de la loi est d'organiser le statut du concessionnaire de vente dans le sens d'une plus grande stabilité du contrat par l'effet du préavis (art. 2 de la loi) et par la menace d'indemnités (art. 3 de la loi).

En outre, ils mentionnent que le législateur entend assurer une protection légale au concessionnaire sans nuire pour autant aux intérêts légitimes du concédant.

Il ne ressort ni du texte ni des travaux préparatoires de la loi que le préavis raisonnable devrait permettre au concessionnaire, outre l'exécution des obligations qu'il a contractées envers les tiers, de se procurer une source de revenus nets, équivalente à celle qu'il a perdue.

La règle énoncée à l'article 2, selon laquelle, à défaut d'accord des parties, le juge statue en équité, signifie que le juge, après avoir pris en considération tous les faits de la cause et les modes de calcul proposés par les parties, retient les données qu'il juge pertinentes et en déduit les conséquences qui lui paraissent les plus justes sans devoir observer des règles légales d'évaluation.

En l'espèce, ni la loi ni le but de la loi n'imposent au juge, tenu de déterminer en équité le préavis raisonnable ou la juste indemnité, d'appliquer le critère suivant lequel le délai de préavis doit permettre au concessionnaire de se procurer une source de revenus nets équivalente à celle qu'il a perdue.

Dès lors, l'arrêt attaqué, en décidant qu'afin de satisfaire au but de la loi, le préavis raisonnable doit permettre au concessionnaire d'exécuter les obligations qu'il a contractées envers les tiers et de se procurer une source de revenus nets équivalente à celle qu'il a perdue, ajoute à l'article 2 de la loi du 27 juillet 1961 des critères ou des règles d'évaluation que ni celui-ci ni la ratio legis ne contiennent et méconnaît le concept légal de préavis raisonnable.

Il s'ensuit qu'en l'occurrence, les juges d'appel calculent le délai de préavis de manière illégale “compte tenu des règles rappelées” par l'arrêt attaqué, dont la prétendue règle suivant laquelle le préavis raisonnable doit permettre à la défenderesse, outre d'exécuter les obligations qu'elle a contractées envers les tiers, de se procurer une source de revenus nets équivalente à celle qu'elle a perdue.

En l'occurrence, les critères retenus par l'arrêt attaqué pour calculer le délai de préavis (et, indirectement, l'indemnité compensatoire de préavis) ne sont pas uniquement basés sur l'équité, comme le veut la loi, mais sur une interprétation inexacte du but de la loi.

Par conséquent, les juges d'appel ne déterminent pas le délai de préavis et, indirectement, l'indemnité compensatoire de préavis conformément au prescrit de la loi.

En conclusion, en décidant qu'afin de satisfaire au but de la loi, le préavis raisonnable doit permettre à la défenderesse (concessionnaire), outre l'exécution des obligations qu'elle a contractées envers les tiers, de se procurer une source de revenus nets équivalente à celle qu'elle a perdue, les juges d'appel:

- ajoutent à l'article 2 de la loi du 27 juillet 1961 des critères ou des règles d'évaluation que celui-ci ne contient pas et qui ne découlent pas de la ratio legis;

- méconnaissent le concept légal de préavis raisonnable (violation de l'art. 2 de la loi du 27 juillet 1961 relative à la résiliation unilatérale des concessions de vente exclusive à durée indéterminée, tel qu'il a été modifié par l'art. 2 de la loi du 13 avril 1971).

Les juges d'appel ne déterminent pas le délai de préavis uniquement sur la base de l'équité comme le veut la loi mais également sur la base d'une règle inexactement déduite du but de la loi, à savoir celle suivant laquelle le préavis raisonnable doit permettre à la défenderesse (concessionnaire), outre l'exécution des obligations qu'elle a contractées envers les tiers, de se procurer une source de revenus nets équivalente à celle qu'elle a perdue.

L'arrêt attaqué n'est dès lors pas légalement justifié.

(...).

IV. La décision de la Cour
Sur le premier moyen:

Attendu que l'article 2 de la loi du 27 juillet 1961 relative à la résiliation unilatérale des concessions de vente exclusive à durée indéterminée dispose que, hors le manquement grave d'une des parties à ses obligations, il ne peut être mis fin à une concession de vente soumise à la loi que moyennant un préavis raisonnable ou une juste indemnité à déterminer par les parties au moment de la dénonciation du contrat et qu'à défaut d'accord des parties, le juge statue en équité et, le cas échéant, en tenant compte des usages;

Attendu qu'après avoir énoncé que le préavis raisonnable doit être fixé en équité, l'arrêt considère que l'objectif du législateur fut d'assurer au concessionnaire “la disposition du temps nécessaire à la réorientation de ses activités afin que la résiliation de la concession n'entraîne pas sa ruine; (que), dès lors, afin de satisfaire au but de la loi, le préavis raisonnable doit permettre au concessionnaire (...) de se procurer une source de revenus nets équivalente à celle qu'il a perdue, le cas échéant moyennant reconversion totale ou partielle de ses activités” et que “le concessionnaire ne peut prétendre à un délai de préavis lui permettant dans tous les cas de retrouver une concession produisant des effets équivalents à la concession perdue et ce, quel que soit l'aléa de cette recherche”;

Qu'ainsi, loin d'ajouter à l'article 2 de la loi du 27 juillet 1961 des règles ou des critères d'évaluation que cet article ne prévoit pas, l'arrêt en fait une exacte application;

Que le moyen ne peut être accueilli;

(...)

Par ces motifs,

La Cour

Rejette le pourvoi;

Condamne la demanderesse aux dépens.

Les dépens taxés à la somme de 513,58 euros envers la partie demanderesse et à la somme de 388,87 euros envers la partie défenderesse.

(...)