Article

Cour d'appel Bruxelles, 15/10/2004, R.D.C.-T.B.H., 2005/8

Cour d'appel de Bruxelles 15 octobre 2004

POSTES ET TÉLÉCOMMUNICATIONS
Décisions de l'Institut belge des Services Postaux et des Télécommunications - Recours - Cour d'appel de Bruxelles - Recours de pleine juridiction - Compétence
POST EN TELECOMMUNICATIE
Beslissingen van het Belgisch Instituut voor postdiensten en telecommunicatie - Beroep - Hof van Beroep te Brussel - Volledige toegang tot de rechtsmacht - Bevoegdheid

Belgacom / Institut belge des Services Postaux et des Communications

Siég.: C. Schurmans (conseiller ff. président), H. Mackelbert (conseiller) et A. Duval (conseiller suppléant)
Pl.: Mes L. Cornelis, J. Windey, T. Hurner et S. Depré
I. Antécédents de la procédure

1. Par requête déposée au greffe de la cour le 3 juillet 2003, Belgacom a formé un recours contre la décision du Conseil de l'IBPT adoptée le 2 juin 2003 et intitulée: Complément à l'avis BROBA 2003 relatif aux aspects "Guaranteed positions and related migrations rules".

(...)

II. Les services concernés

2. La décision attaquée est relative aux conditions de la fourniture en gros d'accès à large bande qui recouvre les accès à haut débit ("bit stream") permettant la transmission bidirectionnelle de données en large bande.

Le marché de l'accès spécial au réseau est l'un des marchés visés, dans le nouveau cadre réglementaire européen sur les communications électroniques, par la directive 2002/19/CE du 7 mars 2002 (directive "accès").

Il est visé dans le cadre réglementaire antérieur par les directives 97/33/CEE et 98/10/CEE (voy. annexe 1 de la directive 2002/21/CE du Parlement et du Conseil du 7 mars 2002 relative à un cadre réglementaire commun pour les réseaux et services de communications électroniques (directive "cadre")) qui définissent des règles applicables à certains types d'accès.

3. Dans le cadre de l'accès à un débit binaire qui constitue un type d'accès à la boucle locale (la boucle locale est une infrastructure permettant la fourniture de services de télécommunications de détail (voy. Communication 2000/C 272/10 de la Commission sur le dégroupage de l'accès à la boucle locale, J.O. 23 septembre 2000, p. 55, point 3.2)), Belgacom met à la disposition des autres opérateurs des positions sur des Multiplexeurs d'accès appelés DSLAM's (un DSLAM (Digital Suscribter Line Multiplexer) est un élément d'un réseau de télécommunications qui reçoit des signaux en provenance d'utilisateurs bénéficiant de connexions ADSL ou SDSL, et qui délivre ces signaux sur un réseau haute vitesse en utilisant des techniques de multiplexing) qui sont des éléments de l'infrastructure de son réseau, pour permettre à ceux-ci de fournir aux utilisateurs finals des services ADSL ou SDSL qui permettent la transmission des données à haute vitesse, et donc de lui livrer concurrence sur le marché de détail de ces services.

Les opérateurs alternatifs, actifs sur le marché de détail de la fourniture des services ADSL ou SDSL, soit achètent à Belgacom ces services pour les revendre tels quels à l'utilisateur final (offre wholesale), soit offrent eux-mêmes ces services dont ils définissent alors les caractéristiques.

Dans ce dernier cas, la position mise à la disposition de l'utilisateur final sur le DSLAM doit passer du mode "wholesale" au mode "BROBA", ce qui exige une opération de migration.

Une migration est également nécessaire lorsqu'un utilisateur final qui dispose déjà d'une connexion, change de fournisseur.

La migration est virtuelle lorsqu'elle est effectuée à distance, ce qui n'est possible que lorsque la position sur le DSLAM est conservée. Elle est physique lorsqu'elle exige une intervention technique, ce qui est le cas lorsque la position de l'utilisateur final sur le DSLAM est modifiée.

Le nombre de positions pouvant être occupées par DSLAM est limité.

Chaque DSLAM est raccordé à un VP ("Virtual Paths"), par lequel le trafic de données en provenance de l'utilisateur final est acheminé vers l'opérateur avec lequel celui-ci a contracté.

La fourniture du VP par Belgacom étant un service payant, l'opérateur alternatif a intérêt à ce que les positions de ses clients connectés en mode BROBA soient concentrées sur un nombre limité de DSLAM's afin de réaliser des économies d'échelle.

Lorsque les connexions des utilisateurs finals d'un opérateur, situées au niveau de plusieurs DSLAM's, sont regroupées sur un même DSLAM, il y a opération de concentration, qui implique toujours des migrations physiques.

L'opérateur alternatif a également intérêt à ce que Belgacom garantisse un certain nombre de positions sur les DSLAM's dont au moins une position est mise à sa disposition, soit en les maintenant libres, soit en libérant des positions.

Le présent litige concerne les obligations tarifaires imposées à Belgacom, par l'Institut, pour la réalisation des opérations de migration et pour la garantie de disponibilité d'un certain nombre de positions sur les DSLAM's.

(...)

IV. La décision attaquée de l'IBPT du 2 juin 2003, relative à l'offre de référence 2003 pour l'accès à un débit binaire
- L'offre de référence 2003 et le premier "avis" de l'IBPT du 16 janvier 2003

14. Le 30 septembre 2002, Belgacom qui est un opérateur désigné comme étant puissant sur le marché du réseau téléphonique public fixe, a communiqué à l'IBPT son offre de référence 2003 pour l'accès à un débit binaire, appelée BROBA II (Belgacom Reference Offer to provide Bilstream Access), concernant différents types de services d'accès à un débit binaire.

15. Un premier avis relatif à cette offre de référence a été adopté par l'IBPT à une date non précisée. Il a été approuvé par le ministre des Télécommunications le 16 janvier 2003 et notifié par ce dernier à Belgacom le 17 janvier 2003. Il enjoint à Belgacom de modifier l'offre de référence en tenant compte des remarques qui y sont formulées.

L'Institut indique dans cet avis qu'il a force contraignante et que, sauf dispositions contraires, Belgacom dispose d'un délai de 10 jours ouvrables à compter de la date de publication de l'avis, pour lui faire parvenir un projet remanié, et qu'elle devra publier au plus tard un mois après cette date, une version de BROBA 2003 qui répondra intégralement aux dispositions de l'avis.

Il souligne par ailleurs que l'avis est susceptible d'être modifié à l'avenir et que "ces modifications peuvent être dictées par des évolutions techniques, des développements sur le marché, des adaptations réglementaires, des adaptations à des coûts et des prix, etc.".

(...)

16. L'avis du 16 janvier 2003 contient toute une série de précisions à apporter quant aux obligations qui pèsent sur Belgacom en ce qui concerne les conditions d'accès au débit binaire.

(...)

17. Belgacom a déposé une requête en annulation de l'avis du 16 janvier 2003 devant le Conseil d'État.

(...)

18. Sur la base de l'avis du 16 janvier 2003, Belgacom a publié une offre de référence pour l'accès à un débit binaire (version du 3 février 2003), qui contient en annexe un document intitulé "BROBA 2003 Guaranted Positions & Migrations Rules".

Après cette publication, des discussions se sont poursuivies entre l'Institut et Belgacom sur les conditions d'exécution par Belgacom des demandes de migration ou de concentration émanant des autres opérateurs, lesquelles ont fait l'objet d'une correspondance entre les parties.

Belgacom a communiqué à l'IBPT une nouvelle proposition relative au nombre de positions garanties et aux migrations, intitulée "BROBA 2003 Guaranted Positions & Migrations Rules", version du 23 avril 2003, qui est une version amendée d'une proposition antérieure du 17 avril 2003.

(...)

- L'acte attaqué

19. Le complément d'avis adopté par le Conseil de l'IBPT le 2 juin 2003 et notifié à Belgacom le 4 juin 2003, intitulé "complément à l'avis BROBA 2003 relatif aux aspects `Guaranted Positions and related Migrations Rules'" constitue la décision attaquée. Il porte sur le document "BROBA 2003 Guaranted Positions and Migrations Rules" du 23 avril 2003, précité, qui est joint au complément d'avis.

Il y est indiqué que ledit complément d'avis fait intégralement partie de l'avis du 16 janvier 2003 et qu'il est contraignant pour Belgacom. Aux termes de l'acte attaqué, Belgacom dispose d'un délai de dix jours pour intégrer les modifications requises, sous peine de mise en uvre de la procédure de mise en demeure visée à l'article 21 de la loi du 17 janvier 2003 relative au statut du régulateur des secteurs des postes et des télécommunications belges (M.B. 24 janvier 2003).

Le texte précise que "de toute manière, chacun peut lire les offres de Belgacom comme si chaque clause en question avait effectivement été modifiée, ajoutée ou supprimée dès la parution du présent complément d'avis".

Belgacom s'est conformée à cette décision.

V. Objet du recours

20. Belgacom conteste la décision précitée en ce que celle-ci impose à Belgacom l'obligation de modifier sur différents points le document intitulé "BROBA 2003 Guaranted Positions and related Migrations Rules".

(...)

21. À titre principal, Belgacom demande à la cour de dire pour droit que cette décision est nulle en raison de l'illégalité de l'arrêté royal du 12 décembre 2000, de sorte que les relations entre les opérateurs alternatifs et Belgacom sont régies par les principes applicables en matière contractuelle, et, subsidiairement, en raison du non-respect par l'IBPT du délai imparti pour la prendre.

Dans cette seconde hypothèse, mais également dans l'hypothèse où la cour accueillerait les moyens au fond qu'elle présente, Belgacom poursuit la mise à néant de la décision attaquée et demande à la cour de décider que:

- la rémunération qui doit être versée à Belgacom par les opérateurs alternatifs qui sollicitent une migration ou une concentration de leurs positions, doit être orientée vers les coûts correspondants pour Belgacom d'une part, et être fonction de la nature réelle (virtuelle ou physique) des travaux nécessaires pour répondre à la demande de migration ou de concentration, d'autre part;

- dans l'attente de l'issue du recours en annulation qui a été introduit par Belgacom contre l'avis de l'IBPT du 16 janvier 2003, Belgacom est tenue de garantir en tout temps et pour tout DSLAM sur lequel au moins un utilisateur d'un opérateur alternatif est connecté en mode BROBA, la disponibilité de 36 positions, et dans le cadre de "migration importante" de 108 positions, sur ce DSLAM et ce à titre gratuit pour les 36 premières positions garanties et au tarif "migration virtuelle" de la 37ème à la 108ème position garantie;

- par conséquent, lorsque pour répondre à une demande de migration ou de concentration, Belgacom doit au préalable libérer une position sur le DSLAM considéré, cette modification est gratuite jusqu'à la 36ème position garantie, doit être rémunérée au tarif "migration virtuelle" de la 37ème à la 108ème position et au tarif "migration physique" à partir de la 109ème position;

- le premier principe énoncé par l'IBPT dans la décision attaquée doit être remplacé par la mention suivante: "le principe de bonne foi s'applique tant aux négociations BROBA II, qu'à l'exécution des conventions BROBA II, de sorte qu'il n'incombe pas aux opérateurs alternatifs d'exiger et à Belgacom d'obéir, mais à l'ensemble des parties de collaborer de bonne foi, dans le cadre des demandes de migration ou de concentration, et de leur exécution";

- Belgacom ne doit exécuter une demande de migration ou de concentration de positions SDSL que pour autant qu'au moment de la demande de migration ou de concentration, il reste une position SDSL libre sur le DSLAM envisagé;

- à cet égard, à titre subsidiaire, prendre acte des déclarations de l'IBPT et dire pour droit que lorsqu'un DSLAM est dépourvu de carte en mode SDSL VP Schitching, l'obligation de garantir la disponibilité de 8 positions SDSL n'est pas applicable.

VI. Discussion
A. Sur les moyens de procédure

(...)

2. Sur le moyen tiré du défaut d'urgence, présenté par l'IBPT

24. L'IBPT invoque l'irrecevabilité du recours en faisant valoir le défaut d'urgence. L'Institut déduit le défaut d'urgence du fait que Belgacom aurait tardé à introduire son recours alors que, selon lui, en énonçant que la cour statue comme en référé, l'article 2 § 1er de la loi du 17 janvier 2003 concernant les recours et le traitement des litiges à l'occasion de la loi du 17 janvier sur le statut du régulateur des postes et télécommunications belges, entrée en vigueur le 23 avril 2003, aurait pour effet de priver les intéressés de la possibilité d'introduire un recours s'ils n'agissent pas avec célérité.

25. Le moyen manque en droit. En précisant que la cour statue comme en référé, le législateur a entendu renforcer l'efficacité du recours, conformément à l'obligation qui pèse sur les États membres de mettre en place des mécanismes de recours efficaces en vertu de l'article 4 de la directive 2002/21/CE (directive "cadre"), et non introduire une cause de déchéance du droit d'agir en justice.

3. Sur le moyen présenté par l'IBPT et tiré du défaut d'intérêt

26. Au jour où l'affaire a été prise en délibéré, l'offre de Belgacom telle qu'elle a été modifiée en exécution de la décision attaquée, était encore applicable. L'IBPT indique en effet qu'il n'a pas encore pris de décision en ce qui concerne l'offre de référence pour l'année 2004.

C'est cependant à tort que l'IBPT qui ne conteste pas que Belgacom avait un intérêt à agir au jour du dépôt de sa requête, prétend que Belgacom ne pourrait plus justifier d'un intérêt au recours dans l'hypothèse où, dans l'intervalle, la décision attaquée aurait été remplacée par une nouvelle décision de l'IBPT sur les conditions de migration et de garantie de disponibilité des positions.

27. Un recours en annulation n'est pas irrecevable pour défaut d'intérêt du seul fait que la décision attaquée porte sur un acte valant pour une période déterminée qui serait écoulée au jour où la cour statue ni du seul fait que le destinataire s'y est conformé.

L'intérêt à voir annuler l'acte attaqué suppose que l'annulation totale ou partielle de l'acte soit susceptible, par elle-même, d'avoir des conséquences juridiques, ce qu'on ne saurait exclure dans le cas d'un acte exécuté, ou d'un acte remplacé par un autre qui ne produit des effets que pour l'avenir.

Le recours conserve un intérêt notamment dans la mesure où une annulation de l'acte modifie la situation juridique de Belgacom vis-à-vis de l'IBPT qui ne pourrait fonder une éventuelle constatation d'infraction sur l'acte annulé, ou encore vis-à-vis des tiers, bénéficiaires de l'offre, qui ne pourraient plus se prévaloir du caractère contraignant de l'acte annulé dans le cadre des éventuels litiges relatifs aux modalités de l'accès au débit binaire applicables pendant la période concernée par l'acte.

Contrairement à ce que prétend l'IBPT, l'annulation d'une décision de l'IBPT produit des effets rétroactifs puisqu'elle suppose la reconnaissance de son illégalité.

L'annulation peut en outre avoir pour effet que l'IBPT qui est lié par la décision sur le recours, renonce soit à adopter un acte identique, soit à exiger le respect d'un acte identique.

Enfin, le recours conserve également un intérêt à tout le moins comme base d'une éventuelle action en indemnité puisqu'en cas d'annulation de l'acte, Belgacom n'aurait plus à démontrer son illégalité.

L'existence éventuelle d'une action de droit commun en responsabilité ne saurait donc être exclusive de la possibilité de contester directement devant la cour d'appel de Bruxelles la légalité d'un acte adopté par l'IBPT, sur le fondement de l'article 2 de la loi du 17 janvier 2003 concernant les recours et le traitement des litiges à l'occasion de la loi du 17 janvier 2003 sur le statut du régulateur des postes et télécommunications belges.

28. La décision attaquée n'a pas un caractère purement confirmatif de l'avis de l'IBPT du 16 janvier 2003, non attaqué dans le cadre du présent recours, ce qui n'est pas contesté.

B. Sur le moyen de nullité de Belgacom tiré de l'illégalité des dispositions de l'arrêté royal du 12 décembre 2000 relatives à l'accès à un débit binaire

(...)

33. (...) Le Roi n'a pas excédé les limites de ses compétences et que le moyen de nullité de la décision attaquée, fondé sur la prétendue illégalité des dispositions de l'arrêté royal du 22 juin 1998 relatives à l'accès au débit binaire, ne peut être accueilli.

(...)

L'obligation de publier une offre de référence et de la soumettre au contrôle de l'IBPT a été introduite en vue d'exécuter l'article 16 de la directive 98/10/CE, qu'elle contribue à la réalisation du résultat recherché par la directive et qu'elle n'est pas contraire au droit communautaire.

(...)

C. Sur le moyen de nullité de la décision tiré de l'expiration du délai imparti pour la prendre

34. L'article 6nonies § 1er de l'arrêté royal du 22 juin 1998 dispose que l'offre de référence est remise au plus tard le 30 septembre de chaque année à l'Institut par l'opérateur en question et que l'Institut dispose d'un délai de deux mois pour formuler ses remarques et indiquer les modifications à y apporter.

Aux termes de l'article 6septies § 1er alinéa 1, l'offre de référence doit être publiée au plus tard le 31 décembre de chaque année.

(...)

37. Il s'impose de distinguer, dans l'arrêté royal du 22 juin 1998, les dispositions qui créent directement des obligations dans le chef des organismes puissants, et celles qui organisent l'intervention de l'IBPT en ce qui concerne l'offre de référence.

Les obligations qui pèsent sur l'opérateur puissant de répondre aux demandes d'accès, de respecter les principes de non-discrimination, de transparence et d'orientation des prix en fonction des coûts, et de tenir l'offre à jour, ont un caractère permanent.

En conséquence, la publication d'une offre de référence, même approuvée, ne saurait avoir pour effet de dispenser l'opérateur puissant du respect de ces obligations lors de la conclusion de contrats portant sur l'accès au débit binaire ou dans le cadre de l'exécution de contrats déjà conclus.

De même, la publication d'une offre de référence, même approuvée, ne saurait limiter le pouvoir que l'IBPT peut exercer, sur le fondement de l'article 21 de la loi du 17 janvier 2003 et dans le respect des règles de procédure - notamment des droits de la défense - de contraindre l'opérateur puissant à les respecter, pouvoir dont il disposait déjà avant l'entrée en vigueur de cette disposition (les art. 1er et 2, 13 à 44 de la loi du 17 janvier 2003 relative au statut du régulateur des secteurs des postes et des télécommunications sont entrés en vigueur le jour de la publication de l'arrêté visé à l'art. 17 § 2 de cette loi, soit le 23 avril 2003) en vertu de l'article 109quater de la loi du 21 mars 1991.

Considérer que le délai de deux mois qui est imparti à l'IBPT pour exiger des modifications à l'offre de référence est un délai de rigueur ne revient donc pas à constater qu'au jour de la décision attaquée, l'IBPT n'avait aucun moyen d'exiger de Belgacom qu'elle applique d'autres conditions que celles prévues dans le document "BROBA 2003 Guaranted Positions & Migrations Rules".

En l'espèce, ce n'est cependant pas sur le fondement de l'article 21 de la loi du 17 janvier 2003 que l'IBPT a, par la décision attaquée, mit Belgacom en demeure de modifier son offre de référence et en outre décidé que les opérateurs, bénéficiaires de l'offre, pouvaient se prévaloir à l'égard de Belgacom des modifications imposées dès la parution du complément d'avis.

38. S'agissant du pouvoir d'intervention spécifique de l'IBPT dans le cadre de l'offre de référence concernant les modalités de l'accès au débit binaire, les dispositions de l'arrêté royal du 22 juin 1998 arrêtent un calendrier précis, en fixant avant la date de prise d'effet de l'offre de référence, les dates auxquelles celle-ci doit être communiquée à l'Institut, examinée par celui-ci et publiée en tenant compte des modifications imposées par l'Institut.

Eu égard à la nature de l'acte soumis au contrôle de l'IBPT, et à l'objectif de ce contrôle, il y lieu de considérer que le délai de deux mois imparti à l'IBPT pour indiquer les modifications qui doivent y être apportées est un délai impératif.

Le contrôle que doit exercer l'IBPT porte sur une proposition d'offre de référence, puisque l'offre remise à l'Institut ne produira d'effets juridiques qu'à compter du 1er janvier de l'année qui suit celle au cours de laquelle elle doit être soumise à son approbation.

Il a pour objet l'examen préalable de la conformité des conditions techniques et commerciales que l'opérateur puissant envisage d'offrir pour l'accès au débit binaire avec les critères énoncés dans l'arrêté royal de manière à ce que les bénéficiaires de l'offre soient informés en temps utiles des conditions de l'accès, en ce compris des conditions qui auraient été imposées par l'IBPT à l'opérateur au terme de cet examen.

Si l'IBPT peut à tout moment, même au-delà du délai de deux mois, notifier une décision d'approbation de l'offre de référence, ou une décision de refus d'approbation portant sur tout ou partie de l'offre, il ne saurait en revanche lui être reconnu le pouvoir de contraindre à tout moment l'opérateur puissant à apporter des modifications à l'offre de référence.

Un acte par lequel l'IBPT notifie qu'il approuve l'offre de référence ou qu'il refuse de l'approuver n'est pas, par lui-même, créateur de droits ou d'obligations et il n'est pas susceptible de causer grief. Il peut donc intervenir à tout moment. En adoptant un tel acte, l'IBPT se borne en effet à informer l'opérateur puissant et les bénéficiaires de l'offre, de sa position au terme du contrôle qu'il doit effectuer. C'est donc à bon droit que l'IBPT fait observer qu'il ne pourrait éluder sa responsabilité d'examiner l'offre de référence en laissant s'écouler le délai de deux mois.

En revanche, une décision par laquelle l'IBPT impose à l'opérateur puissant de modifier l'offre de référence, sans constater préalablement une infraction aux obligations qui pèsent sur lui et sans lui avoir donné l'occasion de se défendre sur les griefs retenus à sa charge, et accorde aux bénéficiaires de l'offre le bénéfice de nouvelles clauses dès la publication de la décision, ne peut pas intervenir à tout moment à défaut d'une habilitation de l'IBPT en ce sens.

Comme l'indique Belgacom, une telle décision cause grief puisqu'elle s'applique aux négociations de contrats en cours, et en vertu du principe de non-discrimination que l'opérateur puissant doit respecter, aux contrats déjà conclus. Elle ne pourrait dès lors être adoptée que si le législateur avait expressément habilité l'IBPT d'un tel pouvoir.

L'arrêté royal prévoit que l'offre de référence doit être soumise à l'IBPT pour approbation, et que l'offre qui ne tiendrait pas compte des modifications jugées nécessaires par l'Institut est considérée comme n'ayant pas été publiée. Il ne prévoit pas que l'examen auquel l'IBPT procède doit nécessairement aboutir à la publication d'une offre de référence dûment approuvée par l'Institut.

En outre, l'offre de référence qui doit être publiée au plus tard le 31 décembre lie l'opérateur puissant pendant un an et celui-ci peut également valablement se prévaloir des clauses qu'elle contient pour conclure des contrats d'accès et exiger l'exécution de contrats conclus sur la base de l'offre de référence, sauf dans l'hypothèse où la preuve serait rapportée - par le demandeur d'accès en cas de litige, ou par l'IBPT dans l'exercice de sa compétence générale -, que ce faisant, l'opérateur puissant viole les obligations que la loi met à sa charge.

Dès lors, décider que l'IBPT pourrait à tout moment exercer sa compétence de contraindre l'opérateur puissant à apporter à l'offre de référence les modifications qu'il juge nécessaires, reviendrait à reconnaître aux décisions individuelles par lesquelles l'IBPT lui enjoindrait, au cours de l'année concernée, de modifier les conditions commerciales de l'accès, un effet rétroactif. Or, la non-rétroactivité des décisions administratives constitue un principe d'ordre public qui a pour conséquence que la mesure nouvelle ne s'applique ni dans le passé, ni à une situation constituée dans le passé (J. Salmon, Le Conseil d'État, Bruylant, 1994, pp. 351 et s.). Il doit s'appliquer quand bien même les motifs que l'IBPT a invoqués pour justifier la décision attaquée existant déjà au 1er janvier 2003.

Les dispositions de l'arrêté royal du 22 juin 1998, insérées par l'arrêté royal du 12 décembre 2000 ne dérogent pas à ce principe, sauf implicitement, en ce que l'article 6nonies § 2 habilitait expressément l'IBPT à communiquer au plus tard le 28 février 2001, les modifications qui devaient être apportées à l'offre de référence publiée le 31 décembre 2000. Cette exception au calendrier fixé par l'article 6nonies n'aurait présenté aucune utilité si, comme l'IBPT le prétend, le délai qui lui était imparti pour imposer des modifications n'était pas impératif.

C'est donc à bon droit que Belgacom soulève la nullité de la décision attaquée, en raison du fait que l'IBPT a méconnu les conditions de l'exercice du pouvoir que lui confère l'arrêté royal du 22 juin 1998, de la contraindre à appliquer, en 2003, d'autres conditions que celles prévues dans l'offre de référence publiée le 31 décembre 2002.

(...)

D. Sur le bien-fondé du recours

41. Il résulte de ce qui précède que la décision attaquée est entachée d'illégalité en ce qu'elle enjoint à Belgacom de modifier son offre de référence et en ce qu'elle décide que de toute manière, les opérateurs bénéficiaires de l'offre de référence, peuvent valablement se prévaloir des modifications imposées dès la parution du "complément à l'avis BROBA 2003 de l'IBPT relatif aux aspects Guaranted Positions and related Migrations Rules", et que le recours en annulation est dans cette mesure, fondé.

Il n'y a en revanche pas lieu d'annuler la décision attaquée en ce qu'elle tient lieu d'avis non contraignant et de notification par l'IBPT de sa décision de ne pas approuver le document contenant l'offre de Belgacom, joint à son courrier du 23 avril 2003, et annexé à la décision attaquée.

42. Par ailleurs et eu égard au motif retenu, la cour ne saurait faire droit au recours de Belgacom en ce qu'elle tend à entendre édicter par la cour des modalités techniques et/ou commerciales de l'accès au débit binaire pour l'année 2003 se substituant à celles édictées par l'IBPT par sa décision du 2 juin 2003.

Par ces motifs,

La cour,

(...)

Dit le recours recevable.

Le dit fondé dans la mesure ci-après,

Met la décision attaquée à néant en ce qu'elle a pour objet d'enjoindre à Belgacom de modifier l'offre de référence BROBA 2003 et en ce qu'elle dit pour droit que "de toute manière, chacun peut lire les offres de Belgacom comme si chaque clause en question avait été modifiée, ajoutée ou supprimée dès la parution du présent complément d'avis".

Le dit non fondé pour le surplus.

Met les dépens à charge de l'IBPT.

(...)