Article

Cour d'appel Bruxelles, 18/06/2004, R.D.C.-T.B.H., 2005/8

Cour d'appel de Bruxelles 18 juin 2004

POSTES ET TÉLÉCOMMUNICATIONS
Décisions de l'Institut belge des Services Postaux et des Télécommunications - Recours - Cour d'appel de Bruxelles - Recours de pleine juridiction - Compétence
POST EN TELECOMMUNICATIE
Beslissingen van het Belgisch Instituut voor postdiensten en telecommunicatie - Beroep - Hof van Beroep te Brussel - Volledige toegang tot de rechtsmacht - Bevoegdheid

Belgacom Mobile / Institut belge des Services Postaux, des Télécommunications et SA Base

Siég.: C. Schurmans (conseiller ff. président), S. Raes et H. Mackelbert (conseillers)
Pl.: Mes D. Van Liedekerke et S. Depré, A. Verheyden, S.J. Evrard
I. Antécédents de la procédure

1. Par requête déposée le 17 septembre 2003 au greffe de la cour, la SA Belgacom Mobile a formé un recours contre la décision du Conseil de l'IBPT du 29 août 2003 relative "aux heures peak de l'opérateur Base pour son service de terminaison", dont elle postule la mise à néant.

Le 18 septembre 2003, cette requête a été notifiée, à la demande de Belgacom Mobile, à l'IBPT.

Le 19 septembre 2003, l'IBPT a été invité à transmettre le dossier de la procédure.

L'IBPT a transmis son dossier en date du 22 septembre 2003, lequel a été complété au cours de la procédure.

La SA Base a déposé une requête en intervention le 15 octobre 2003 aux fins d'entendre dire le recours irrecevable, et à tout le moins, non fondé.

(...)

II. Les faits
1. Les opérateurs directement concernés par la décision attaquée de l'IBPT

3. La décision attaquée a été notifiée par l'IBPT à Belgacom, Belgacom Mobile et Mobistar en date du 29 août 2003.

Les sociétés Belgacom, Belgacom Mobile et Mobistar sont directement concernées par la décision attaquée, en leur qualité d'opérateurs notifiés en qualité d'organismes puissants au sens de l'article 4, § 3, de la directive 97/33/CE (directive 97/33/CE du Parlement européen et du Conseil du 30 juin 1997 relative à l'interconnexion dans le secteur des télécommunications en vue d'assurer un service universel et l'interopérabilité par l'application des principes de fourniture d'un réseau ouvert (ONP), J.O. n° L. 169 du 26 juillet 1997, pp. 0032-0052), ci-après "directive ONP" et de l'article 105undecies de la loi du 21 mars 1991 portant réforme de certaines entreprises publiques économiques. Est réputé puissant sur le marché au sens de ces dispositions, l'organisme qui détient une part supérieure à 25% d'un marché donné des télécommunications dans une zone géographique d'un État membre au sein duquel il est autorisé à exercer ses activités.

Belgacom a été désignée par l'IBPT comme opérateur puissant, notamment sur le marché des services de téléphonie vocale.

Belgacom Mobile, filiale de Belgacom qui exploite le réseau de téléphonie mobile Proximus, et Mobistar, qui exploite le réseau de téléphonie mobile du même nom, ont toutes deux été désignées comme opérateur puissant sur le marché des réseaux publics de téléphonie mobile et sur le marché national de l'interconnexion.

4. La société Base, qui est le troisième opérateur de téléphonie mobile sur le marché national, est entrée sur le marché en 1999.

Cet opérateur n'a pas été notifié comme puissant sur le marché de l'interconnexion, en fonction des critères retenus par la directive précitée.

La décision attaquée lui a été également notifiée par l'IBPT en date du 29 août 2003.

2. Les services et les tarifs d'interconnexion

5. L'interconnexion est la liaison des réseaux de télécommunications utilisés par le même organisme ou un organisme différent qui permet aux utilisateurs d'un organisme de communiquer avec les utilisateurs du même ou d'un autre organisme ou d'accéder aux services fournis par un autre organisme (directive 97/33/CE (ONP), art. 1a).

Les services d'interconnexion font l'objet de conventions entre opérateurs, qui sont en principe négociées librement.

L'interconnexion est indirecte lorsqu'un opérateur fait appel aux services de transit d'un autre opérateur qui dispose lui d'une interconnexion directe avec l'opérateur de l'origine de l'appel et avec l'opérateur de la destination de l'appel.

6. Les services de transit ou de terminaison des appels donnent lieu à une "charge d'interconnexion" (MTR (Mobile Termination Rate)), payable par l'opérateur exploitant le réseau d'origine de l'appel à l'opérateur interconnecté. Cette charge d'interconnexion comprend une charge d'établissement de l'appel et une charge proportionnelle à la durée des appels. Cette dernière varie selon la plage horaire pendant laquelle le service est fourni.

L'opérateur du réseau d'origine de l'appel facture l'appel au client raccordé à son réseau, qui a émis l'appel.

Il résulte des pièces du dossier que les opérateurs proposent à leurs clients des plans tarifaires suivant lesquels les tarifs des communications nationales diffèrent selon le réseau destinataire de l'appel et sont donc influencés par les tarifs d'interconnexion appliqués entre opérateurs.

Les tarifs au détail (retail tariff) varient également en fonction de la période durant laquelle la communication a lieu. Ils sont plus élevés en heures pleines qu'en heures creuses ou durant le week-end.

7. Au jour de la décision attaquée, les grilles horaires heures creuses/heures de pointe étaient les mêmes pour tous les opérateurs, tant pour les tarifs au détail (retail) que pour les tarifs d'interconnexion (wholesale). Pour tous les opérateurs actifs sur le marché national, les heures pleines se situaient de 8 à 19 heures, du lundi au vendredi, sauf jours fériés.

3. La convention d'interconnexion entre Belgacom Mobile et Base

8. Une convention d'interconnexion a été conclue le 16 novembre 2000 entre Belgacom Mobile et Base qui fixe, notamment, les tarifs applicables aux services de terminaison d'appel rendus réciproquement par les deux opérateurs de télécommunications mobiles.

À la signature de cette convention, les tarifs d'interconnexion pratiqués par Base et Belgacom Mobile pour la terminaison des appels sur leur réseau respectif étaient identiques.

Cette convention précise que le tarif fixé pour les appels en heures pleines s'appliquait de 8 à 19 heures, du lundi au vendredi, jours fériés exclus.

(...)

4. L'annonce par Base d'une modification de ses conditions d'interconnexion et la réaction des autres opérateurs

10. Par télécopie du 30 juin 2003, Base informait les autres opérateurs qu'elle supprimait le tarif week-end et modifiait comme suit, à partir du 1er août 2003, ses plages horaires déterminant les tarifs applicables à la terminaison sur son réseau des appels d'origine nationale:

- heures pleines: de 10h à 22h du lundi au vendredi;

- heures creuses: toutes les autres heures et les jours fériés légaux entre le lundi et le vendredi.

Elle a confirmé sa décision par ses courriers à Belgacom Mobile des 10 et 24 juillet 2003, tout en indiquant dans ce dernier courrier que la date d'entrée en vigueur des nouveaux tarifs serait reportée, pour des raisons pratiques, au 1er septembre 2003.

(...)

11. Un échange de courriers entre Base et Belgacom Mobile a suivi cette annonce duquel il ressort que Belgacom Mobile s'est opposée à une modification unilatérale des tarifs et a invité Base à lui adresser une demande officielle de négociation en application de l'article 7.1 de la convention d'interconnexion entre les parties qui prévoit des conditions particulières relatives à la renégociation des conditions financières de l'interconnexion, et des dispositions de l'arrêté royal du 20 avril 1999 (arrêté royal du 20 avril 1999 fixant les délais et principes généraux applicables aux négociations commerciales menées en vue de conclure des accords d'interconnexion et les modalités de publication de l'offre de référence, et fixant les conditions à régler dans la convention d'interconnexion, M.B. 21 juillet 1999, tel que modifié par l'arrêté royal du 19 mars 2003, M.B. 7 avril 2003).

(...)

5. Demandes d'intervention de l'IBPT émanant de Belgacom et de Belgacom Mobile

13. Fin juillet 2003, Belgacom et Belgacom Mobile adressaient chacune une lettre à l'IBPT en faisant part de leurs objections à l'encontre de la décision de Base. Elles demandaient à l'IBPT de procéder à la consultation du marché et d'établir des règles de conduite en la matière (lettre de Belgacom du 28 juillet 2003 et lettre de Belgacom Mobile du 30 juillet 2003).

Ces deux opérateurs exposaient notamment que la décision unilatérale de Base de faire passer ses heures à plein tarif de 10 heures à 22 heures avait des conséquences sur les plans tarifaires de tous les opérateurs et sur les conventions entre les opérateurs, qu'elle nécessitait une adaptation des systèmes informatiques de facturation et qu'elle portait atteinte aux intérêts des consommateurs.

Belgacom demandait en outre à l'IBPT de lui donner l'autorisation "de suspendre l'implémentation de la décision de Base" jusqu'à ce que l'IBPT ait pu faire une proposition équilibrée pour l'ensemble des acteurs.

6. L'intervention de l'IBPT et la demande de Base d'intervention de l'IBPT

(...)

Une réunion s'est tenue le 14 août 2003 entre l'IBPT et Belgacom Mobile au cours de laquelle, suivant le rapport de cette réunion, la question d'une modification des heures peak a été abordée.

15. En date du 21 août 2003, Base a sollicité par l'intermédiaire de ses conseils l'intervention formelle de l'IBPT sur pied de l'article 14 § 1, 3° de la loi du 17 janvier 2003 sur le statut du régulateur des postes et des télécommunications belges et de l'article 109ter § 3 de la loi du 21 mars 1991 portant réforme de certaines entreprises publiques économiques "afin que l'IBPT constate le caractère raisonnable de la demande d'interconnexion de Base".

À l'appui de cette demande d'intervention, Base faisait valoir les raisons motivant "l'application de nouveaux tarifs" ainsi que le refus injustifié de Belgacom et de Belgacom Mobile d'accepter ladite modification tarifaire.

16. Par lettre recommandée du 27 août 2003 et sur pied de l'article 19 de la loi du 17 janvier 2003 relative au statut du régulateur des secteurs des postes et télécommunications belges, l'IBPT a invité Mobistar à présenter oralement ses éventuelles observations au sujet de la demande de Base d'entendre constater "le caractère raisonnable de sa demande d'interconnexion" et de soumettre à cette occasion à l'Institut toutes les pièces utiles.

III. L'acte attaqué de l'IBPT du 29 août 2003

17. Le Conseil de l'IBPT a adopté le 29 août 2003 un acte intitulé "décision (...) relative aux heures peak de l'opérateur Base pour son service de terminaison", dont la conclusion est libellée comme suit:

"Après avoir dûment pris en considération d'une part les positions des quatre opérateurs concernés telles qu'exprimées dans leur correspondance et/ou lors des réunions du 18 août 2003 (Base) et du 28 août 2003 (Mobistar) et d'autre part les objectifs généraux du cadre réglementaire en matière de promotion de la concurrence, d'efficacité économique et de défense des intérêts des consommateurs, l'Institut arrête les décisions suivantes:

(1) la demande de Base du 30 juin 2003 est raisonnable. Par conséquent, Belgacom, Belgacom Mobile et Mobistar, opérateurs puissants, doivent répondre favorablement à cette demande;

(2) les opérateurs concernés doivent bénéficier d'un délai raisonnable pour mettre en uvre la présente décision sur le plan opérationnel (notamment: transit, portabilité des numéros, acheminement du trafic international, systèmes de facturation), pour effectuer les modifications obligatoires ou nécessaires au niveau de leurs tarifs de détail, ainsi que pour informer leurs clients. L'Institut tient également compte du fait que la demande de Base a été introduite le 30 juin dernier et que les opérateurs ont donc déjà disposé de près de 2 mois pour traiter les problèmes d'implémentation. Pour ces raisons, l'IBPT fixe l'entrée en application de la nouvelle période peak de Base au 1er octobre 2003;

(3) une réévaluation de la présente décision devra avoir lieu lorsque le nouveau cadre relatif aux communications électroniques sera transposé en droit belge. En effet, du fait de l'application de ce nouveau cadre, chaque opérateur sera vraisemblablement considéré comme puissant pour la terminaison d'appels sur son réseau et, par conséquent, pourra se voir imposer certaines obligations;

(4) la directive 2002/22/CE du Parlement européen et du Conseil du 7 mars 2002 concernant le service universel et les droits des utilisateurs au regard des réseaux et services de communications électroniques (directive `service universel') prévoit que soient mises à la disposition des utilisateurs des informations transparentes et actualisées relatives aux prix et aux tarifs pratiqués, de même que les informations leur permettant d'effectuer une évaluation indépendante des plans tarifaires alternatifs. Dans cette perspective, l'Institut mènera une réflexion sur les moyens de concilier la liberté d'initiative des opérateurs et la garantie d'un minimum de transparence au bénéfice des consommateurs, et sur la nécessité d'une certaine cohérence entre les heures peak/off peak pratiquées au niveau wholesale et retail".

18. S'agissant des aspects procéduraux, le Conseil de l'IBPT constate dans sa décision qu'il a été saisi régulièrement par Base d'une demande d'intervention, vu le refus de Belgacom et de Belgacom Mobile de répondre favorablement à la demande de Base et qu'il n'y a pas lieu pour lui de fixer, en application de l'article 7 de l'arrêté royal du 20 avril 1999 (arrêté royal du 20 avril 1999 fixant les délais et principes généraux applicables aux négociations commerciales menées en vue de conclure des accords d'interconnexion et les modalités de publication de l'offre de référence, et fixant les conditions à régler dans la convention d'interconnexion, M.B. 21 juillet 1999, tel que modifié par l'arrêté royal du 19 mars 2003, M.B. 7 avril 2003), un délai pour l'achèvement des négociations.

19. Quant au fond, la décision attaquée constate le caractère raisonnable de la modification des plages horaires de Base en considération du fait que la période pendant laquelle le réseau de Base est le plus intensément utilisé se situe entre 19 heures et 22 heures, aussi bien pour les appels entre clients de Base (trafic dit "on net"), que pour les appels vers Base en provenance d'autres réseaux nationaux (trafic dit "inbound"), et qu'il paraît dès lors justifié d'assimiler ce créneau horaire à la période peak du réseau de Base.

Elle ajoute que "Base tire équitablement les conséquences de sa distribution du trafic en retardant le début des heures creuses à 10 heures au lieu de 8 heures précédemment".

(...)

IV. Objet du recours de Belgacom Mobile

20. Belgacom Mobile demande à la cour de mettre à néant la décision du 29 août 2003 de l'IBPT et de dire pour droit et d'ordonner qu'une suite favorable ne peut être donnée à la demande de Base d'imposer une modification de la convention d'interconnexion qu'elle a conclue avec Belgacom Mobile, à savoir la demande de Base introduite auprès de l'IBPT le 21 août 2003.

Il s'agit donc d'un recours qui tend à la fois à l'annulation et à la réformation de l'acte litigieux. Ce recours est en outre assorti d'une demande visant à ce que la cour adresse à l'IBPT une injonction de ne pas intervenir dans le sens souhaité par Base.

(...)

VI. Discussion
A. À titre liminaire, sur l'objet et la nature de l'acte attaqué

30. Avant d'examiner les différents moyens présentés par les parties, il importe de déterminer l'objet de la décision déférée au contrôle de la cour et la nature de l'intervention de l'IBPT dans la présente affaire.

(...)

34. La décision attaquée, lue à la lumière des dispositions légales qui selon la décision servent de fondement à l'intervention de l'IBPT, ne peut cependant être comprise que comme une décision par laquelle l'IBPT constate, dans le chef de Belgacom Mobile, l'existence d'une infraction à l'obligation qui pèse sur les opérateurs puissants de répondre à toute demande raisonnable d'interconnexion et lui enjoint d'y mettre fin dans un délai déterminé.

Premièrement, il ressort du libellé de la demande d'intervention que Base a adressée à l'IBPT et des dispositions légales invoquées à l'appui de cette demande, que si Base a sollicité l'intervention de l'IBPT c'est en raison du refus de chaque opérateur nommément désigné d'accepter une modification des conditions d'interconnexion existantes, refus que Base qualifiait d'inacceptable au regard de l'article 109ter § 3 de la loi du 21 mars 1991. Par sa demande, Base sollicitait donc bien de l'IBPT l'adoption d'une série de décisions individuelles en raison de l'existence d'une violation de cette obligation par chacun des opérateurs puissants.

Deuxièmement, l'application d'une norme à un cas concret constitue une décision individuelle. On ne saurait dès lors prétendre que l'acte attaqué aurait un caractère général et qu'il constituerait une simple interprétation d'une norme existante.

Il échet à cet égard de relever que la circonstance que l'IBPT a constaté dans une seule décision le caractère raisonnable de la demande de Base à l'égard de l'ensemble des opérateurs puissants destinataires de la décision, au terme d'une même procédure administrative et sur la base d'un même raisonnement, ne lui enlève pas son caractère de décision individuelle. Bien que rédigée sous la forme d'une seule décision, l'acte attaqué doit s'analyser comme un faisceau de décisions individuelles faisant injonction à chacun des opérateurs puissants de répondre favorablement à la demande de Base.

S'agissant de Belgacom Mobile, la constatation par l'IBPT du caractère raisonnable de la demande de modification des plages horaires peak/off peak, assimilée dans la décision attaquée à une demande d'interconnexion, emporte par elle-même la constatation du caractère injustifié du refus de cet opérateur de l'accepter - refus constaté dans la décision -, et par voie de conséquence, la constatation implicite mais certaine d'une infraction à l'article 109ter § 3 de la loi du 21 mars 1991, disposition dont l'IBPT doit assurer le respect.

On ne saurait dès lors prétendre, comme semble le faire l'IBPT, que la décision attaquée n'aurait pas d'autre finalité que celle de constater le caractère raisonnable de la demande de Base, et qu'elle n'aurait aucun rapport avec des comportements imputables de manière spécifique aux opérateurs puissants concernés. L'IBPT souligne d'ailleurs que son intervention tend à faire cesser un abus par un opérateur puissant.

Troisièmement, la décision attaquée enjoint à Belgacom Mobile de répondre favorablement à la demande dans un délai qu'elle fixe et ne laisse à cet égard, contrairement à ce que l'IBPT soutient, aucune marge de liberté à Belgacom Mobile. Cette injonction ne peut être comprise que comme une mise en demeure de mettre fin à l'infraction constatée au sens de l'article 21 de la loi du 17 janvier 2003 relatif au statut du régulateur des services des postes et des télécommunications belges.

Le fait que le Conseil de l'IBPT n'ait pas assorti cette injonction d'une astreinte - pouvoir que la loi ne lui donne pas -, ni prononcé de sanction administrative à l'encontre de Belgacom Mobile, ne prive pas la décision de sa force obligatoire, ce que l'IBPT reconnaît puisqu'il indique que Base peut se prévaloir de cette décision "pour faire valoir ses droits", et que le non-respect de cette décision pourrait donner lieu à l'ouverture d'une procédure à l'issue de laquelle l'IBPT pourrait infliger une amende administrative à Belgacom Mobile sans devoir réexaminer le caractère justifié ou non du refus de Belgacom Mobile de modifier les clauses du contrat d'interconnexion relatives à la définition des plages horaires.

Quatrièmement, la décision a été notifiée à Belgacom Mobile ce qui confirme qu'elle est bien le destinataire de la décision.

35. Il importe par ailleurs de souligner qu'en adoptant la décision attaquée, le Conseil de l'IBPT n'a pas statué sur un litige entre Base et chacun des autres opérateurs auxquels la décision a été notifiée.

L'acte attaqué relève de l'exercice par l'IBPT de sa mission générale de surveillance qui lui a été assignée par l'article 14 de la loi du 17 janvier 2003 sur le statut du régulateur des secteurs des postes et télécommunications belges, laquelle comprend la constatation d'éventuelles infractions par une décision motivée et le pouvoir d'infliger des amendes pour en assurer le respect.

Le litige dont la cour est saisie a pour origine l'acte attaqué lui-même et non le refus de Belgacom Mobile d'accepter une modification du contrat d'interconnexion entre elle et Base qui n'est que la cause de l'intervention de l'IBPT.

Il ne saurait dès lors être prétendu que le recours de Belgacom Mobile a pour effet de déférer à la cour un litige qui oppose Base à Belgacom Mobile sur lequel l'IBPT n'a pas statué.

Il y a donc lieu d'écarter tout argument que les parties tirent de l'effet dévolutif de l'appel au sens du Code judiciaire, fondé sur la prémisse erronée que l'IBPT aurait été saisi par Base d'une demande de statuer sur un litige auquel la décision attaquée aurait mis fin et que la cour serait saisie de ce litige par l'effet du recours.

(...)

C. Sur la recevabilité du recours de Belgacom Mobile
1. Sur le moyen d'irrecevabilité du recours tiré par Base de la circonstance que le recours est dirigé contre l'IBPT et du caractère indivisible du litige

37. Selon Base, le recours a été dirigé à tort contre l'IBPT eu égard au fait qu'il ne saurait être reconnu à l'Institut, auteur de l'acte attaqué, "la qualité d'adversaire dans le cadre de la procédure en première instance". En outre, aux dires de Base, le litige serait indivisible au sens de l'article 31 du Code judiciaire de sorte qu'en application de l'article 1053 alinéa 3 du même Code, le recours serait irrecevable au motif qu'il n'a pas été dirigé contre Base dont l'intérêt est opposé à celui de Belgacom Mobile.

À l'appui de ce moyen, Base soutient que dans l'hypothèse où la cour viendrait à mettre à néant la décision du 29 août 2003, qui a selon elle un effet erga omnes, cette décision ne lui serait pas opposable de sorte que l'exécution conjointe de la décision attaquée et de celle de la cour serait matériellement impossible.

38. Le moyen ne peut être accueilli eu égard à la nature de l'acte attaqué par lequel le Conseil de l'IBPT n'a nullement tranché un litige (supra, point 35).

C'est donc à juste titre que Belgacom Mobile a dirigé son recours contre l'IBPT, auteur de l'acte attaqué qui constitue un acte administratif unilatéral relevant de la mission générale de surveillance assignée à l'IBPT.

Contrairement à ce que Base prétend, elle n'a pas, devant le Conseil de l'IBPT, la qualité de demandeur au sens qu'a cette notion en droit judiciaire privé. S'il est vrai que le Conseil de l'IBPT est intervenu suite à une demande formelle d'intervention émanant de Base et sur la base des informations fournies par cet opérateur, il n'empêche que Base n'a pu lui soumettre une prétention et qu'en l'espèce, c'est sur la base de sa mission générale de surveillance que l'IBPT a pris la décision litigieuse.

39. Il résulte de ce qui précède qu'à défaut de dispositions plus précises relatives à l'introduction des recours contre les décisions de l'IBPT devant la cour d'appel de Bruxelles, il n'existe aucun motif d'exiger du destinataire de l'acte attaqué qui introduit un recours contre l'IBPT qu'il dirige son recours également contre toute entreprise dont les intérêts pourraient être affectés par la décision de la cour, et en particulier, contre l'opérateur qui aurait provoqué l'intervention du régulateur ou contre l'opérateur qui tirerait un avantage de cette intervention.

Pour le même motif, il ne peut être exigé de la partie requérante qu'elle introduise le recours par voie de citation plutôt que par requête. En outre, s'agissant d'un recours, la règle selon laquelle les demandes principales doivent être introduites par citation ne s'applique pas en l'espèce.

Par ailleurs, contrairement à ce que soutient Base, les articles 31 et 1053 alinéa 3 du Code judiciaire ne trouvent pas à s'appliquer puisque l'annulation éventuelle de l'acte incriminé en ce qui concerne Belgacom Mobile, seule partie requérante, priverait Base du bénéfice de la décision attaquée en ce que celle-ci enjoint à Belgacom Mobile d'accepter les nouvelles plages horaires de Base. Il ne se conçoit en effet pas que Base puisse se prévaloir à l'égard de Belgacom Mobile d'un acte administratif que la cour aurait annulé dans les limites de sa saisine.

La cour n'est pas saisie, dans le cadre du présent litige, d'une contestation sur la portée de son arrêt sur la situation des autres destinataires de l'acte attaqué, qui ne l'ont pas contestée, ni en conséquence, de la question de savoir si l'IBPT a l'obligation, en cas d'annulation et en fonction des motifs d'annulation qui seraient retenus, d'étendre le bénéfice de l'arrêt à ceux-ci.

40. Base est intervenue volontairement à la cause et elle a eu accès au dossier. Elle a donc eu l'occasion de faire connaître utilement son point de vue devant la cour sur les moyens présentés par Belgacom Mobile à l'appui de son recours et celle de présenter elle-même des moyens tendant au rejet du recours.

Eu égard à l'intervention volontaire de Base, la cour ne doit pas s'interroger, dans le cadre de la présente affaire, sur la question de savoir si en l'absence d'intervention volontaire ou d'appel à la cause de l'opérateur qui tire un avantage de l'acte attaqué, il lui appartiendrait d'ordonner la communication de la requête aux fins d'intervention éventuelle afin de sauvegarder au maximum ses intérêts.

(...)

D. Sur les moyens présentés par Belgacom Mobile et tendant à l'annulation de l'acte attaquée
1. Sur le moyen tiré du non-respect des droits de la défense

(...)

Si Belgacom Mobile a fait connaître son point de vue à l'IBPT sur les conséquences que pourrait avoir une telle modification, c'est uniquement dans le but d'inviter le régulateur à manifester sa désapprobation à l'égard d'une pratique consistant, pour un opérateur quel qu'il soit, à modifier de manière unilatérale les plages horaires et à s'écarter des plages horaires définies par l'ensemble des opérateurs sur le marché, et dans le but d'inciter le régulateur à procéder à une étude approfondie de la question avant d'établir en la matière, un code de conduite en concertation avec l'ensemble des opérateurs (lettres du 30 juillet 2003 et du 18 août 2003).

La lettre des conseils de Base du 21 août 2003, qui a été qualifiée par leurs auteurs de confidentielle, n'a pas été communiquée à Belgacom Mobile qui n'a donc pas pu réagir, en fait ou en droit, à la demande par laquelle Base demandait au Conseil de l'IBPT d'intervenir.

48. Il résulte de ce qui précède que c'est à bon droit que Belgacom se plaint d'une violation du principe du respect des droits de la défense en ce que la décision attaquée lui enjoint de répondre favorablement à la demande de Base, alors que l'IBPT n'a pas donné à Belgacom Mobile la possibilité d'être entendue sur les griefs que celui-ci entendait retenir contre elle dans la décision finale constatant le manquement.

Contrairement à ce que soutient l'IBPT, cette conclusion ne saurait dépendre de la constatation préalable que le respect du droit de Base à être entendue lui aurait permis de développer d'autres arguments que ceux qu'elle a spontanément fait valoir dans ses lettres des 30 juillet et 18 août 2003 et que l'IBPT dit avoir pris en considération lors de sa décision. L'IBPT n'a pas à se substituer aux entreprises dont il contrôle les agissements au regard des lois et arrêtés royaux dont il doit assurer le respect, en spéculant sur la façon dont celles-ci auraient pu présenter leur défense si l'occasion leur en avait été donnée.

49. La constatation d'une violation des droits de la défense n'est cependant pas de nature à entraîner par elle-même le bien-fondé du recours en annulation dans la mesure où Belgacom Mobile a la possibilité de développer tous ses arguments dans le cadre de son recours.

En attribuant expressément à la cour d'appel de Bruxelles une compétence de pleine juridiction, le législateur a entendu ne pas limiter ses pouvoirs à celui d'annuler les décisions de l'IBPT entachées d'illégalité et lui reconnaître le pouvoir de réformer en tous points, en fait comme en droit, la décision entreprise.

2. Sur le moyen tiré de la non-applicabilité de l'article 109ter § 3 de la loi du 21 mars 1991

50. La décision attaquée renvoie à l'article 14 § 1er, 3° de la loi du 17 janvier 2003 relatif au statut du régulateur des secteurs des postes et télécommunications belges en vertu duquel l'IBPT a le pouvoir de contrôler le respect de l'obligation visée à l'article 109ter § 3 alinéa 1er de la loi du 21 mars 1991.

Elle indique par ailleurs que le refus d'un opérateur puissant de répondre favorablement à une demande d'interconnexion "ouvre pour l'opérateur débouté la possibilité de demander l'intervention de l'IBPT".

(...)

Comme indiqué plus haut, la décision attaquée met Belgacom Mobile en demeure d'accepter, dans le délai qu'elle fixe, une nouvelle définition des plages horaires pour la terminaison des appels en provenance de son réseau sur le réseau de Base. Il est donc incontestable que la décision attaquée impose à Belgacom Mobile une modification du contrat d'interconnexion avec Base sans laisser aux parties la moindre marge de liberté pour négocier l'objet de la modification ou la date de son entrée en vigueur.

(...)

56. Les dispositions du droit national relatives aux compétences de l'IBPT en ce qui concerne la conclusion et la modification des accords d'interconnexion doivent être lues à la lumière des dispositions de la directive 97/33/CE relative à l'interconnexion dans le secteur des télécommunications qu'elles sont censées transposer.

Il ressort de l'article 9 § 3 de cette directive que le législateur communautaire a clairement distingué les pouvoirs d'intervention des autorités réglementaires nationales dans les négociations qui conduisent à un accord d'interconnexion entre les organismes de télécommunications, de leur pouvoir d'exiger la modification d'accords d'interconnexion déjà conclu (C.J.C.E. 19 septembre 2002, C-221/01, Commission/Belgique, Rec.jur. 2002, p. I-07835).

S'agissant du pouvoir d'exiger la modification d'accords d'interconnexion déjà conclus, cet article prévoit:

"Les autorités réglementaires nationales peuvent, dans des cas exceptionnels, exiger la modification d'accords d'interconnexion déjà conclus, lorsque cette modification se justifie pour garantir la concurrence réelle et/ou l'interopérabilité des services pour les utilisateurs".

Ce pouvoir ne peut donc être exercé que dans des circonstances exceptionnelles, ce qui s'explique aisément à la lumière du principe de la convention-loi, et seulement lorsque la modification est justifiée par la nécessité de garantir la concurrence réelle ou l'interopérabilité des services pour les utilisateurs. Il n'existe aucun motif de considérer que ce pouvoir serait plus large lorsque l'autorité réglementaire nationale l'exerce suite à la demande d'une partie au contrat d'interconnexion qui tirerait de la modification imposée un intérêt propre.

Rien n'indique que la législation belge en matière de télécommunication aurait habilité l'IBPT à imposer une modification d'un contrat d'interconnexion déjà conclu en vue d'atteindre d'autres objectifs que celui de garantir la concurrence réelle ou celui de garantir l'interopérabilité, en cas de refus d'un opérateur puissant de répondre favorablement à une demande de modification qui lui aurait été adressée par un opérateur non puissant.

L'article 14 § 1er, 3° de la loi du 17 janvier 2003 sur le statut du régulateur qui confère à l'IBPT des pouvoirs de surveillance très généraux, ne saurait justifier une extension du pouvoir d'intervention spécifique que prévoit l'article 109ter § 5 de la loi du 21 mars 2001 en habilitant l'IBPT à demander la modification de contrats déjà conclus "si cela est indispensable pour garantir l'égalité des conditions de concurrence ou l'interopérabilité".

Les dispositions de l'arrêté royal du 20 avril 1999 qui sont relatives aux procédures applicables aux négociations commerciales menées en vue de conclure des accords d'interconnexion (art. 6 à 12) ont été prises en exécution de l'article 109ter de la loi du 21 mars 1991 tel que modifié par la loi du 19 mars 2003 et visent à rendre la législation nationale conforme à l'article 9 § 3 de la directive 97/33/CE.

Bien qu'en vertu de l'article 13 de cet arrêté, ces dispositions soient également d'application pour les parties qui mènent des négociations en vue d'apporter des modifications à un accord d'interconnexion qu'elles ont conclu et dont l'objet reste identique, elles ne peuvent ni conférer à l'IBPT un pouvoir non prévu dans la loi, ni restreindre le pouvoir que la loi lui donne d'imposer une modification d'un contrat déjà conclu dans les conditions prévues à l'article 109ter § 5 de la loi du 21 mars 1991.

C'est par ailleurs à tort que Base soutient que le but de l'article 109ter § 3 de la loi serait d'éviter que des organismes puissants abusent de leur position significative sur le marché aussi bien en imposant des conditions d'interconnexion inéquitables lors de la conclusion d'un contrat d'interconnexion qu'en s'opposant à la suppression des conditions contenues dans un contrat d'interconnexion existant lorsque ces conditions sont inéquitables ab initio ou en fonction de la survenance de nouveaux facteurs.

L'obligation pour les opérateurs réputés puissants de répondre favorablement à toute demande raisonnable d'interconnexion fait partie des obligations ex ante que le législateur communautaire avait instituées et qui vont au-delà des obligations qui pourraient être imposées en vertu de l'article 82 du traité, dans le but de favoriser la création des conditions d'une concurrence effective dans le secteur des télécommunications au cours de la transition d'une situation de monopole à la pleine concurrence en garantissant d'emblée aux nouveaux arrivants le droit d'avoir accès aux réseaux des opérateurs en place sans devoir rapporter la preuve d'un abus de position dominante en cas de refus d'accès.

C'est donc sans fondement que l'IBPT prétend tirer de l'article 109ter § 3, en proposant une interprétation extensive de la notion de "demande d'interconnexion", le pouvoir d'imposer à un opérateur puissant une modification des conditions d'interconnexion contractuellement prévues en se fondant seulement sur la constatation du caractère raisonnable de la modification proposée par l'opérateur interconnecté non puissant au regard des particularités du réseau de ce dernier.

57. Il ressort par ailleurs de l'article 9 de la directive 97/33/CE que le législateur communautaire a également distingué les pouvoirs des autorités réglementaires à intervenir dans les négociations qui conduisent à un accord d'interconnexion (§ 3), de ceux qui les habilitent à intervenir en cas de litige en matière d'interconnexion entre des organismes au sein d'un État membre (§ 5).

S'agissant de la résolution des litiges entre entreprises, la directive 2002/21/CE (directive "cadre") établit en son article 20 une distinction entre la compétence de statuer sur les litiges par une décision contraignante (§ 1) et celle d'intervenir, notamment par la médiation, pour résoudre le litige, à la demande de la partie lésée (§ 2).

La même distinction est faite dans la loi du 17 janvier 2003 concernant les recours et le traitement des litiges puisque celle-ci confère au Conseil de la concurrence la compétence de statuer sur les litiges en matière d'interconnexion et à l'IBPT la compétence de formuler des propositions tendant à concilier les parties en cas de litige, en répartissant ainsi entre deux organismes les tâches assignées aux autorités réglementaires nationales.

Cette répartition de compétences serait méconnue par la décision attaquée s'il fallait déduire que l'IBPT s'est considéré saisi d'un litige entre Base et chacun des opérateurs puissants concernés et compétent pour en connaître, du motif de l'acte attaqué selon lequel le refus d'un opérateur puissant de répondre favorablement à une demande d'interconnexion (demande qui porte en réalité sur une modification d'un contrat d'interconnexion déjà conclu), "ouvrirait pour l'opérateur débouté la possibilité de demander l'intervention de l'IBPT".

58. Il résulte de ce qui précède que le Conseil de l'IBPT ne pouvait puiser dans l'article 109ter § 3 de la loi du 21 mars 1991 le pouvoir d'imposer à Belgacom Mobile d'accepter une modification du contrat d'interconnexion qui la lie à Base en ce qui concerne la définition des plages horaires pour les tarifs de terminaison des appels en provenance du réseau de Belgacom Mobile.

Les dispositions relatives aux pouvoirs de l'IBPT étant d'ordre public, l'Institut ne saurait tirer un quelconque argument en faveur d'une extension de ses pouvoirs tiré de la prétendue reconnaissance par Belgacom Mobile de sa compétence à intervenir sur cette base.

3. Sur le moyen tiré du fait que la décision attaquée ne constate pas la réunion des conditions fixées par l'article 109ter § 5 de la loi du 21 mars 1991

59. La décision attaquée impose à Belgacom Mobile l'obligation d'accepter une nouvelle définition des plages horaires des tarifs MTR appliqués par Base.

Cette décision repose sur la considération que Base, vu sa position actuelle sur le marché mobile et sur le marché de l'interconnexion, n'est pas concernée par les obligations ex ante qui pèsent sur les opérateurs désignés puissants de sorte qu'elle est libre de déterminer son tarif MTR.

Elle se fonde, d'une part, sur la constatation que la période allant de 19 à 22 heures constitue une période pendant laquelle le réseau est le plus intensément utilisé, d'autre part, sur la considération que Base tire équitablement les conséquences de sa distribution de trafic en retardant le début des heures creuses à 10 heures au lieu de 8 heures précédemment.

Les autres motifs de la décision ont trait à l'absence d'effets négatifs sensibles de l'imposition de l'obligation pour les opérateurs puissants concernés.

Ces considérations dont il résulte que l'IBPT n'a pris en compte que l'intérêt propre de Base et n'a pas vérifié si le refus de Belgacom d'accepter les nouvelles plages horaires empêche l'émergence d'un marché de détail concurrentiel durable ou risquerait d'être préjudiciable à l'utilisateur final, ne sauraient fonder l'imposition à Belgacom Mobile de ladite obligation en privant Belgacom Mobile des droits qu'elle tire d'une convention d'interconnexion qui fait la loi des parties.

E. Sur le recours de Belgacom Mobile en ce qu'il tend à entendre dire pour droit et ordonner qu'une suite favorable ne peut être donnée à la demande de Base d'imposer une modification de la convention d'interconnexion en ce qui concerne les plages horaires peak/off peak

60. Selon l'IBPT, la cour d'appel de Bruxelles disposerait dans le cadre du contentieux des décisions de l'IBPT du pouvoir de réformer la décision attaquée et de lui substituer la sienne en prenant en considération tous les éléments de la cause et tous les arguments et moyens tant en fait qu'en droit, développés devant la cour.

Mais au stade de l'examen des questions litigieuses, le pouvoir de la cour serait limité à un contrôle marginal en ce sens que la cour devrait se limiter à apprécier si, au regard des circonstances et éléments de la cause, le Conseil de l'IBPT n'a pas manifestement pris une mauvaise décision.

L'IBPT souligne le caractère hautement technique de la matière.

Il considère qu'il serait par ailleurs impossible pour la cour, à l'occasion d'un recours, de recommencer tout le travail d'instruction qui a été réalisé par l'autorité nationale de régulation, d'entendre tous les intervenants et de prendre en considération les préoccupations des uns et des autres.

S'agissant du dossier de la procédure, l'IBPT indique que la cour ne dispose pas de l'ensemble des pièces ayant servi de base à la décision attaquée, en raison de l'interdiction qui pèse sur les membres du Conseil de divulguer des informations confidentielles dont ils ont eu connaissance dans le cadre de l'exercice de leurs fonctions et de l'obligation faite à l'IBPT de préserver la confidentialité des données fournies par les entreprises et qui sont considérées par l'entreprise comme des informations d'entreprise ou de fabrication confidentielles au sens de l'article 6 § 1er, 7° de la loi du 11 avril 1994 (art. 23 de la loi du 17 janvier 2003 relative au statut du régulateur des secteurs des Postes et des Télécommunications belges).

Ainsi, les données relatives à la distribution du trafic enregistré sur le réseau de Belgacom Mobile et celles relatives à la distribution du trafic sur le réseau de Base n'ont pas été versées au dossier de la procédure.

(...)

63. Comme indiqué plus haut, en attribuant expressément à la cour d'appel de Bruxelles une "compétence de pleine juridiction", le législateur a entendu ne pas limiter les pouvoirs confiés à la cour d'appel de Bruxelles à celui d'annuler les décisions de l'IBPT entachées d'illégalité et lui reconnaître le pouvoir de réformer l'acte attaqué pour le soustraire, ainsi réformé, à l'annulation.

L'article 2 § 2 de la loi du 17 janvier 2003 concernant les recours et le traitement des litiges doit être interprété à la lumière de l'article 4 de la directive 2002/21/CE (directive "cadre") auquel le législateur devait se conformer lors de l'adoption de dispositions nouvelles en matière de recours et qui dispose, en ce qui concerne le droit de recours contre les décisions des autorités réglementaires nationales, que "les États membres veillent à ce que le fond de l'affaire soit dûment pris en considération et à ce qu'il existe un mécanisme de recours efficace".

Cette même disposition précise que l'organisme de recours, qui peut être un tribunal, "dispose des compétences appropriées pour être à même d'exercer ses fonctions".

64. Encore faut-il que la cour puisse substituer sa décision à l'acte attaqué sur la base des éléments versés au dossier sans heurter le principe de la séparation des pouvoirs en privant l'IBPT, autorité réglementaire nationale, de son pouvoir d'appréciation, ni méconnaître les dispositions des nouvelles directives qui édictent des obligations d'information et de coopération non équivoques à la charge des autorités réglementaires nationales qui entendent imposer des obligations à un opérateur disposant d'une puissance significative sur un marché donné.

La cour ne pourrait imposer à Belgacom Mobile l'obligation d'accepter une modification des plages horaires que s'il existait une règle de droit objectif qui met directement à charge des opérateurs puissants l'obligation d'accepter une modification d'un contrat d'interconnexion en ce qui concerne la définition des plages horaires servant de base à la détermination du tarif d'interconnexion applicable pour la terminaison des appels sur le réseau interconnecté lorsque les plages horaires fixées contractuellement ne correspondent pas ou ne correspondent plus à la distribution réelle du trafic sur ce réseau à un moment donné. Tel n'est pas le cas.

En conséquence, l'imposition d'une telle obligation relève de l'exercice du pouvoir conféré à l'IBPT, autorité administrative chargée d'accomplir les tâches à accomplir par les autorités réglementaires nationales lesquelles disposent d'une liberté d'appréciation leur offrant la possibilité de déterminer si une obligation s'impose au regard des objectifs énoncés à l'article 8 de la directive 2002/21/CE (directive "cadre"), dans le respect des règles de procédure.

Or, comme précisé plus haut, la cour ne peut sous peine de priver l'IBPT de sa liberté d'appréciation et se substituer ainsi à lui, déterminer elle-même de quelle manière celui-ci doit exercer ses pouvoirs ni choisir à la place de l'autorité réglementaire nationale la solution qui semble la plus appropriée dans les limites fixées par la loi (Cass. 19 avril 1991, Pas. 1991, I, p. 751 et 4 mars 2004, R.C.04341-1).

65. S'agissant des conditions dans lesquelles l'IBPT pourrait imposer ladite modification du contrat, c'est à juste titre que Belgacom Mobile invoque les dispositions des nouvelles directives composant le nouveau cadre réglementaire en matière de télécommunication qui instituent des mécanismes de consultation et de coopération qui s'appliquent notamment lorsqu'une autorité réglementaire nationale a l'intention de prendre une mesure qui relève des articles 5 ou 8 de la directive 2002/19/CE (directive "accès") qui auraient des incidences sur les échanges entre les États membres.

L'article 7 § 1er de la directive 2002/19/CE (directive "accès"), repris plus haut (point 29) prévoit expressément le maintien de certaines obligations ex ante relatives à l'accès et à l'interconnexion qui étaient applicables avant l'entrée en vigueur de cette directive, parmi lesquelles les obligations imposées en vertu des articles 4, 6, 7, 8, 11, 12 et 14 de la directive 97/33/CE, jusqu'à ce que ces obligations aient été réexaminées et qu'une décision ait été prise quant à leur maintien, leur suppression ou leur modification.

Il ne résulte cependant nullement de cette disposition que dans l'attente d'une telle décision, l'IBPT pourrait encore, en vertu d'une disposition nationale transposant l'article 9 de la directive 97/33/CE, imposer une obligation nouvelle à un opérateur qui a été notifié puissant en vertu de l'article 4 § 3 de cette directive, alors que cet opérateur n'a pas encore été désigné comme disposant d'une puissance significative sur le marché concerné conformément à l'article 8 § 2 de la directive 2002/19/CE (directive "accès"), et qu'il pourrait le faire sans respecter les dispositions relatives à la consultation et de coopération prévues dans les directives composant le nouveau cadre réglementaire.

Les procédures prévues aux articles 6 et 7 de la directive 2002/21/CE (directive "cadre") et à l'article 8 § 3 dernier alinéa de la directive 2002/19/CE (directive "accès") concernent les relations entre un État membre et la Commission ou les autres États membres de sorte que ces dispositions ne doivent pas, en principe, être transposées (C.J.C.E. 20 novembre 2003, C-296/01, Commission/France, Rec. 2003, p. 00000, point 92).

Elles sont inconditionnelles et suffisamment précises pour être appliquées par l'IBPT lorsqu'il envisage d'imposer aux opérateurs puissants une obligation nouvelle en matière d'accès ou d'interconnexion, notamment une mesure autre que celles énoncées aux articles 9 à 13 de la directive 2002/19/CE (directive "accès"), qui aurait des incidences sur les échanges entre les États membres, ce que l'IBPT n'a pas vérifié avant d'adopter la décision attaquée.

Conclusion

66. Il résulte de ce qui précède que la décision attaquée doit être mise à néant et qu'en l'espèce, la cour ne peut ni dire pour droit qu'une modification du contrat d'interconnexion entre Belgacom Mobile et Base est justifiée au regard des objectifs énoncés à l'article 8 de la directive 2002/21/CE (directive "cadre"), ou, au contraire, qu'elle ne l'est pas, ni faire à l'IBPT la moindre injonction à ce sujet.

Par ces motifs,

La cour,

(...)

Dit le recours de Belgacom Mobile recevable,

Dit l'intervention de Base recevable,

Dit le recours de Belgacom Mobile fondé dans la mesure ci-après,

Met la décision attaquée à néant en ce qu'elle met Belgacom Mobile en demeure d'accepter de modifier le contrat d'interconnexion entre elle et Base en ce qui concerne la définition des plages horaires pour l'application des tarifs MTR de Base.

Dit le recours non fondé en ce qu'il tend à entendre dire pour droit qu'une modification du contrat d'interconnexion entre Base et Belgacom Mobile en ce qui concerne la définition des plages horaires pour les tarifs MTR appliqués par Base à Belgacom Mobile ne se justifie pas, et en ce qu'il tend à entendre ordonner à l'IBPT de ne pas imposer ladite modification.

(...)