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DROIT DE LA CONSOMMATION – Généralités – Notion consommateur – Pratiques du commerce, R.D.C.-T.B.H., 2005/7, p. 793-798

DROIT DE LA CONSOMMATION

Généralités - Notion consommateur - Pratiques du commerce

La Directive 2005/29/CE du 11 mai 2005 relative aux pratiques commerciales déloyales
I. Introduction

Le Parlement européen et le Conseil ont adopté le 11 mai 2005 une nouvelle directive (ci-après directive 2005/29/CE) relative aux pratiques commerciales déloyales des entreprises vis-à-vis des consommateurs [1]. Celle-ci est l'aboutissement d'une initiative prise par la direction générale “santé et protection des consommateurs” de la Commission qui avait publié le livre vert sur la protection des consommateurs dans l'Union européenne. Elle se proposait d'analyser la situation actuelle au sein de l'Union européenne et de lancer une consultation publique sur les orientations à donner dans le futur à la protection des consommateurs au sein de l'Europe [2]. Après une consultation et une étude approfondie des législations dans les différents pays de l'Union, la Commission déposait au mois de juin 2003 une proposition de directive sur les pratiques du commerce accompagnée d'une étude d'évaluation d'impact de ladite proposition [3].

Cette directive vise à harmoniser dans un délai de deux ans les législations nationales en matière de pratiques du commerce qui, faut-il le rappeler, souffrent de la plus grande disparité. Celle-ci constitue un frein manifeste aux échanges commerciaux et notamment aux achats transfrontaliers, outre l'insécurité juridique qui en résulte tant pour les entreprises désireuses de pénétrer d'autres marchés que pour les consommateurs souhaitant étendre leurs achats à des entreprises établies dans d'autres pays que celui de leur résidence. La transposition de la directive en droit belge devrait bouleverser de manière substantielle certaines parties de la loi du 14 juillet 1991 sur les pratiques du commerce et sur l'information et la protection du consommateur, telles que la réglementation sur les annonces de réduction de prix, la vente à perte, les offres conjointes, les bons de valeur, pour ne citer que les principales.

Après l'expiration du délai de transposition fixé au 12 juin 2007, les États devront mettre effectivement en application les nouvelles règles au plus tard le 12 décembre 2007 [4]. D'entrée de jeu, il faut souligner que cette directive impose un cadre légal “maximal”, car les États ne peuvent prendre de mesures plus restrictives de protection des consommateurs, sauf dans des hypothèses limitées quant à leur objet et à leur durée [5].

II. Champ d'application

Comme son intitulé l'indique, la directive a pour objet d'harmoniser dans l'Union européenne la réglementation relative aux pratiques commerciales déloyales des entreprises qui portent atteinte aux intérêts des consommateurs.

La notion de consommateur

Contrairement à notre loi du 14 juillet 1991 sur les pratiques du commerce et la protection et l'information du consommateur qui vise tant les pratiques commerciales vis-à-vis du consommateur que vis-à-vis d'entreprises elles-mêmes, la directive européenne voit son champ d'application ratione personae strictement limité aux seules pratiques qui s'adressent aux consommateurs. “Elle ne couvre ni n'affecte les législations nationales relatives aux pratiques commerciales déloyales qui portent atteinte uniquement aux intérêts économiques de concurrents ou qui concernent une transaction entre professionnels” [6]. Aussi, toute la jurisprudence relative à l'application de l'article 93 LPC restera en vigueur dans la mesure où les pratiques en cause n'ont pas de réelle influence sur le comportement économique des consommateurs, comme, par exemple, le refus de vente ou certaines formes de débauchage de personnel.

Le consommateur est défini dans la directive comme “toute personne physique qui (...) agit à des fins qui n'entrent pas dans le cadre de son activité commerciale, industrielle, artisanale ou libérale” [7]. On notera la différence avec la définition actuelle du consommateur dans notre loi qui vise aussi bien les personnes physiques que morales. Mis à part cette différence, il nous paraît qu'au-delà d'une terminologie quelque peu différente, les deux notions se rejoignent.

Les pratiques commerciales

La directive propose une définition des plus larges de ce qu'il faut entendre par pratiques commerciales, à savoir “toute action, commission, conduite, démarche ou communication commerciale, y compris la publicité et le marketing, de la part d'un professionnel, en relation directe avec la promotion, la vente, la fourniture d'un produit au consommateur”, la notion de produit couvrant tant les biens ou les services que les biens immobiliers, les droits et les obligations [8]. Il appert ainsi que la nouvelle directive couvre tant le domaine de la publicité que celui des promotions commerciales. Si une harmonisation des règles en matière de promotions commerciales n'a jamais pu aboutir [9], en revanche, la publicité trompeuse et la publicité comparative ont été harmonisées par la Directive 84/450/CEE modifiée par la Directive 95/55/CE. L'une et l'autre font l'objet d'une adaptation, afin de coordonner les différentes notions avec celles de la nouvelle directive [10].

Les domaines réservés aux États

La directive ne touche pas à la sphère contractuelle, notamment aux règles nationales relatives à la formation, la validité ou encore les effets des contrats [11]. De même, les États membres peuvent maintenir ou instaurer des mesures plus restrictives pour des motifs de protection de la santé et sécurité des consommateurs, notamment en ce qui concerne des produits tels que l'alcool, le tabac ou les médicaments [12]. La même latitude est laissée aux États pour les services financiers et les biens immobiliers, dès lors que les mesures plus restrictives ont bien pour objectif de mieux protéger les intérêts économiques des consommateurs. Enfin, la directive ne s'appliquera que lorsqu'il n'existe pas de dispositions communautaires spécifiques qui régissent certaines pratiques déloyales, notamment en matière d'information du consommateur [13].

III. Les pratiques commerciales déloyales

La structure du contenu normatif de la directive est relativement simple, puisqu'elle commence par définir de manière générale les pratiques commerciales déloyales et les interdire. Ensuite, elle distingue deux sous-catégories, à savoir les pratiques trompeuses et les pratiques agressives, mais qui n'excluent pas nécessairement d'autres types de pratiques déloyales. Enfin, la directive contient en son annexe une liste des pratiques commerciales réputées déloyales en toutes circonstances, c'est-à-dire pour lesquelles les conditions d'application sont présumées remplies.

La définition d'une pratique déloyale

La définition générale d'une pratique déloyale à l'égard du consommateur - qui est appelée à remplacer l'actuel article 94 de notre loi sur les pratiques du commerce - se lit comme suit: “Une pratique commerciale est déloyale si: a) elle est contraire aux exigences de la diligence professionnelle et b) elle altère ou est susceptible d'altérer de manière substantielle le comportement économique, par rapport au produit, du consommateur moyen qu'elle touche et auquel elle s'adresse, ou du membre du groupe lorsqu'une pratique commerciale est ciblée vers un groupe particulier de consommateurs” [14].

Cette définition contient les éléments classiques de la responsabilité quasi délictuelle, à savoir la faute, le dommage et le lien de causalité. Ce n'est plus un acte contraire aux usages honnêtes mais une pratique commerciale contraire aux exigences de la diligence professionnelle qui tiendra lieu de faute. On se reportera à cet égard à la définition de la diligence professionnelle contenue dans la directive et qui n'est pas sans rappeler la notion de faute en matière de responsabilité civile [15].

Quant au dommage, il peut être effectif ou simplement potentiel, à l'instar de ce que prévoit l'article 94 LPC. En revanche, l'intérêt du consommateur n'est plus un intérêt généralement quelconque, mais reste confiné à sa sphère économique, et encore, dans la seule mesure où l'altération éventuelle du comportement du consommateur peut être considérée comme substantielle, c'est-à-dire “compromettant sensiblement l'aptitude du consommateur à prendre une décision en connaissance de cause et l'amenant par conséquent à prendre une décision commerciale qu'il n'aurait pas prise autrement” [16]. Elle est proche de cette qualité qu'une erreur ou un dol doit revêtir pour devenir un vice de consentement qui ouvre le droit à l'annulation d'un contrat.

Il n'est pas douteux que les auteurs de la directive ont souhaité interdire les pratiques manifestement déloyales et préjudiciables au consommateur, comme en témoignent les exemples repris dans la liste noire annexée à la directive, tout en se gardant de s'en prendre aux diverses techniques de marketing qui ont cours dans un certain nombre d'États membres. Ainsi, peut-on lire dans les préliminaires de la directive que celle-ci n'affecte pas “les incitations à l'achat qui peuvent légitimement influencer la perception d'un produit par le consommateur ainsi que son comportement, sans altérer son aptitude à prendre une décision en connaissance de cause” [17]. Dans ces conditions, il nous paraît douteux que les interdictions de certaines pratiques promotionnelles classiques, telles que les offres conjointes, interdites en principe dans notre pays mais complètement libéralisées chez la plupart de nos voisins, les tombolas et jeux de hasard gratuits, ou encore les annonces de réduction de prix pendant certaines périodes pourront être intégralement maintenues.

Les pratiques commerciales trompeuses

Comment concilier les anciennes Directives 84/450/CEE et 97/55/CE relatives à la publicité trompeuse et à la publicité comparative avec la présente directive? La question était évidente et la solution fut plutôt radicale: l'ancienne directive ne s'appliquera plus qu'aux relations entre entreprises, tandis que la nouvelle s'étendra à toutes les pratiques, en ce compris la publicité, qui s'adressent au consommateur.

Après cette mise au point nécessaire, nous pouvons revenir à la première catégorie de pratiques déloyales: les pratiques trompeuses. Pas plus que par le passé, il ne fallait s'attendre à un texte concis, ceux-ci se faisant toujours plus rares, ce qui nous donne droit à une longue énumération de tous les éléments des produits (ou services) sur lesquels le consommateur pourrait être trompé. Plus judicieux, en revanche, est le fait d'avoir rappelé dans la définition qu'une pratique commerciale pouvait être trompeuse “même si les informations présentées sont factuellement correctes” et que le critère général d'appréciation restait en définitive de déterminer si la pratique était susceptible d'amener le consommateur “à prendre une décision commerciale qu'il n'aurait pas prise autrement” [18]. On notera que la publicité qui crée la confusion y est également visée, de même, et ceci est une nouveauté, “le non-respect d'engagements par le professionnel contenus dans un code de conduite”, dès lors que ceux-ci ne sont pas de simples aspirations et que ledit professionnel a indiqué qu'il était lié par ce code [19].

Enfin, et toujours dans le cadre des pratiques commerciales trompeuses, la directive consacre de longs développements à une autre catégorie représentée par les omissions trompeuses [20]. On retrouve les mêmes critères que précédemment quant à l'évaluation du caractère trompeur d'une omission, outre l'exigence selon laquelle l'information omise doit porter sur un élément substantiel. La deuxième annexe de la directive contient la liste non exhaustive des informations réputées substantielles obligatoires en vertu d'autres directives.

Une des difficultés pour juger du caractère répréhensible des omissions vient des contraintes d'espace du support choisi par l'annonceur. Toutes les informations, même essentielles, ne peuvent pas toujours se trouver sur le même plan visuel ou auditif du support choisi. Cette raison a conduit les auteurs de la directive à se montrer prudents en préconisant de tenir compte de ces contraintes d'espace ou de temps, et, dès lors, des informations complémentaires accessibles aux consommateurs par d'autres moyens ou sur d'autres supports [21].

Les pratiques commerciales agressives

Une pratique commerciale agressive est celle qui recourt “au harcèlement, à la contrainte, y compris la force physique ou à une influence injustifiée” [22] et qui “altère ou est susceptible d'altérer de manière significative (...) la liberté de choix ou de conduite du consommateur moyen à l'égard d'un produit” [23]. Soucieuse de cohérence avec les conditions que doivent revêtir les pratiques trompeuses, la directive ajoute que la pratique doit être de nature à amener le consommateur “à prendre une décision commerciale qu'il n'aurait pas prise autrement”.

La directive comporte aussi une invitation à analyser le contexte factuel de la pratique en énumérant les éléments qui devraient être pris en considération, comme le moment et l'endroit où la pratique est mise en oeuvre, sa persistance, l'exploitation éventuelle de tout malheur ou circonstance particulière qui pourrait altérer le jugement du consommateur, tout obstacle non contractuel imposé par le professionnel pour empêcher le consommateur de faire valoir ses droits ou encore des menaces d'action judiciaire qui ne serait pas légalement justifiée.

La liste noire

La directive s'accompagne d'une première annexe énumérant la liste des 31 pratiques trompeuses ou agressives qui peuvent être considérées comme déloyales en toutes circonstances, c'est-à-dire sans devoir vérifier si les critères d'appréciation d'une pratique trompeuse ou agressive sont rencontrés. L'examen de l'ensemble de ces pratiques sort du cadre limité d'un compte rendu d'actualité, d'autant que pour un certain nombre d'entre elles, il reste des marges d'appréciation qui n'offriront peut-être pas toujours la sécurité juridique à laquelle on prétend [24]. Il n'en demeure pas moins que pour l'appréciation des pratiques qui ne seraient pas visées dans la liste, cette dernière pourra servir de point de comparaison pour mieux évaluer le niveau de nocivité qu'une pratique doit atteindre pour être sanctionnée.

IV. La clause de marché intérieur

Cette directive se veut maximale, en ce sens qu'elle ne laisse en principe pas aux États membres la faculté de prendre des mesures plus restrictives, même si celles-ci visaient à assurer un degré plus élevé de protection des consommateurs. Ceci nous amène à penser que le législateur belge devra abroger une partie substantielle de notre loi actuelle sur les pratiques du commerce, dans la mesure où elle vise des pratiques destinées au consommateur. La clause de marché intérieur est classique et se lit comme suit: “Les États membres ne restreignent ni la libre circulation de services, ni la libre circulation des marchandises pour des raisons relevant du domaine dans lequel la présente directive vise au rapprochement des dispositions en vigueur”.

On observera que la Commission avait, dans sa proposition initiale, prévu d'y ajouter une clause de reconnaissance mutuelle semblable à celle que l'on trouve dans la directive européenne sur le commerce électronique ou dans la proposition de règlement communautaire sur les promotions commerciales [25]. Les États membres n'en ont pas voulu et lui ont substitué une disposition qui, au contraire, leur donne la faculté de continuer à appliquer des dispositions nationales plus restrictives pendant une période de six ans à compter du 12 juin 2007 dans les domaines couverts par la directive, pour autant, toutefois, qu'elles mettent en oeuvre d'autres directives incluant des clauses d'harmonisation minimale, qu'elles soient essentielles pour garantir une protection adéquate des consommateurs et qu'elles restent proportionnées à l'objectif à atteindre [26].

La Belgique pourrait profiter de cette période transitoire pour maintenir certaines de ses dispositions en matière de publicité et notamment d'annonce de réduction de prix, dans la mesure où celles-ci relèvent bien du champ d'application de la Directive 84/450/CEE relative à la publicité trompeuse, et ceci nonobstant sa modification actuelle qui la prive de tout effet à l'égard de pratiques déloyales envers les consommateurs. On gardera toutefois à l'esprit que ces mesures plus restrictives peuvent toujours faire l'objet d'un recours devant la Cour de justice dans l'hypothèse où l'on considèrerait qu'elles ne sont pas essentielles ou proportionnées à l'objectif à atteindre.

Même si la Belgique entend conserver sa réglementation actuelle dans les quelques espaces de liberté que lui laisse la directive plutôt que d'opter pour un alignement sur les réglementations plus libérales de ses voisins, la transposition de la directive devrait profondément bouleverser notre loi actuelle sur les pratiques du commerce.

[1] J.O. L. 149 du 11 juin 2005, p. 22.
[2] Com (2001), 531 final.
[3] Com (2003), 356 final.
[4] Directive 2005/29/CE, art. 19.
[5] Directive 2005/29/CE, art. 3.5° (cf. infra).
[6] Directive 2005/29/CE, considérant 6. Observons incidemment que la proposition de règlement de la Commission sur les promotions commerciales visait indifféremment celles qui s'adressaient aux consommateurs et aux entreprises.
[7] Directive 2005/29/CE, art. 2, a).
[8] Directive 2005/29/CE, art. 2, c) et d).
[9] Il n'est peut-être pas inutile de rappeler que parallèlement à l'initiative de la direction générale “santé et protection des consommateurs” de la Commission, une autre initiative, émanant cette fois de la direction “marché intérieur”, avait abouti à une communication importante en octobre 2001 sur les promotions des ventes dans le marché commun qui s'accompagnait d'une proposition de règlement destinée à lever les restrictions aux promotions des ventes au sein du marché européen (Com. (2001), 546). Cette proposition de règlement avait été examinée par le Parlement européen en première lecture et soumise depuis lors aux différentes présidences du Conseil qui se sont succédées, mais sans résultat jusqu'à présent. Sans doute le niveau relativement faible de protection des consommateurs conjugué à l'existence d'une clause de reconnaissance mutuelle a-t-il provoqué l'opposition des pays dont la réglementation en matière de promotion des ventes était nettement plus restrictive, comme la Belgique, ce qui aurait pénalisé les entreprises qui y sont établies (discrimination à rebours). Actuellement et compte tenu de l'adoption de la directive ici commentée, on peut cependant se poser la question de l'utilité de rechercher encore un compromis au sein du Conseil sur cette proposition de règlement sur les promotions commerciales, bien qu'un tel règlement puisse toujours s'insérer dans la législation communautaire.
[10] Directive 2005/29/CE, art. 14.
[11] Directive 2005/29/CE, art. 3.2°.
[12] Directive 2005/29/CE, art. 3.3°, considérant 9.
[13] Directive 2005/29/CE, considérant n° 10; voir aussi la liste des dispositions communautaires spécifiques reprise à l'annexe 2 de la directive.
[14] Directive 2002/65/CE, art. 5.2°.
[15] Directive 2005/29/CE, art. 2, h).
[16] Directive 2005/29/CE, art. 2, e).
[17] Directive 2005/29/CE, considérant n° 6 in fine.
[18] Directive 2005/29/CE, art. 1er.
[19] Directive 2005/29/CE, art. 6, b).
[20] Directive 2005/29/CE, art. 7.
[21] Directive 2005/29/CE, art. 7.3°.
[22] Directive 2005/29/CE, art. 9.
[23] Directive 2005/29/CE, art. 8.
[24] Directive 2005/29/CE, considérant n° 17.
[25] Proposition de directive, Com (2003), 356 final, art. 4.1 et 4.2; directive 2000/31/CEE, art. 3.1 et 3.2; Proposition de règlement CE relative aux promotions des ventes, art. 3.1 et 3.2, Com (2002), 585 final.
[26] Directive 2005/29/CE, art. 3.5°.