Article

Président Tribunal de commerce Bruxelles, 07/03/2005, R.D.C.-T.B.H., 2005/6, p. 675-682

Président Tribunal de commerce de Bruxelles
7 mars 2005

ASSURANCES
Contrat d'assurance - Généralité - Discrimination - Loi anti-discrimination - Discrimination relative à l'augmentation des primes - Âge - Pas de justification objective et raisonnable
L'assureur hospitalisation qui impose de manière unilatérale une augmentation de prime qui varie suivant l'âge de l'assuré mais qui ne peut donner une justification objective et raisonnable, commet une discrimination au sens de l'article 2, § 1 de la loi anti-discrimination.
Le fait que l'assureur soit confronté à une augmentation des coûts relatifs au développement de la médecine et du fait que suivant l'assureur, le rythme de croissance des coûts augmente sensiblement avec l'âge, ne constitue pas une justification objective et raisonnable pour une augmentation de prime inégalement appliquée, en fonction de l'âge, alors qu'il existait des moyens qui auraient pu permettre de réaliser tout aussi bien l'objectif visé, mais en respectant davantage les principes d'égalité et de non-discrimination.
CODE JUDICIAIRE
Conditions de l'action - Généralité - Loi anti-discrimination
Lorsqu'un préjudice est causé par rapport aux missions statutaires qu'elle s'est fixée, une association, qui bénéficie depuis plus de cinq ans de la personnalité juridique, peut agir en justice dans des litiges dans lesquels intervient la loi anti-discrimination, si la défense des droits de l'homme ou la lutte contre les discriminations est définie dans ses statuts (au plus tard) au moment de l'introduction de l'action en cessation.
VERZEKERINGEN
Verzekeringsovereenkomst - Algemeen - Discriminatie - Antidiscriminatiewet - Discriminatie premie­verhoging - Leeftijd - Geen objectieve en redelijke rechtvaardiging
De hospitalisatieverzekeraar die eenzijdig een premieverhoging oplegt die verschilt naar gelang de leeftijd van de verzekerde en hiervoor geen objectieve en redelijke rechtvaardiging kan geven, pleegt discriminatie in de zin van artikel 2, § 1 van de Antidiscriminatiewet.
Het feit dat de verzekeraar geconfronteerd wordt met een stijging van de kosten met betrekking tot de ontwikkeling van de medische wetenschap en het feit dat volgens de verzekeraar het stijgingsritme van de kosten gevoelig toeneemt met de leeftijd, vormt geen objectieve en redelijke rechtvaardiging voor een ongelijk toegepaste premieverhoging naar leeftijd, als er middelen voorhanden waren die het nagestreefde doel evengoed verwezenlijken, maar met meer respect voor de beginselen van gelijkheid en non-discriminatie.
GERECHTELIJK RECHT
Voorwaarden van de rechtsvordering - Algemeen - Antidiscriminatiewet
Wanneer afbreuk wordt gedaan aan de statutaire opdrachten die ze zich tot doel heeft gesteld kan een vereniging die al meer dan vijf jaar rechtspersoonlijkheid geniet in rechte optreden in de geschillen waartoe de Antidiscriminatiewet aanleiding geeft, als de verdediging van de mensenrechten of de bestrijding van discriminatie in de statuten is omschreven (ten laatste) op het ogenblik van het inleiden van de stakingsvordering.

Test-Achats / DKV Belgium

Siég.: M. Laurent (vice-président)
Pl.: V. Callewaert, M. Estienne, C. De Meyer et S. Rousseau

(...)

Vu les pièces du dossier et, en particulier:

- la requête introductive d'instance déposée par la partie demanderesse au greffe du tribunal de commerce de Bruxelles le 16 août 2004;

- les conclusions et les dossiers déposés par les parties;

Entendu les avocats de celles-ci en leurs dires et moyens à l'audience publique du 10 janvier 2005 à laquelle la cause a été prise en délibéré.

Vu les dispositions de la loi du 15 juin 1935 sur l'emploi des langues en matière judiciaire.

Attendu que la demande, selon son libellé dans le dispositif des conclusions de synthèse de la demanderesse, a pour objet d'entendre:

- dire pour droit que l'augmentation tarifaire dont la SA DKV Belgium a informé ses assurés dès septembre 2003 est discriminatoire et, partant, qu'elle est nulle en application de l'article 18 de la loi du 25 février 2003 tendant à lutter contre la discrimination et modifiant la loi du 15 février 1993 créant un Centre pour l'égalité des chances et la lutte contre le racisme;

- condamner la SA DKV Belgium à mettre fin, dans le mois de la signification de l'ordonnance à intervenir et avec effet rétroactif, à la discrimination constatée en réadaptant l'ensemble des contrats d'assurances visés par l'augmentation tarifaire sur la base de la situation antérieure, et en remboursant aux assurés, lorsque cela s'avère nécessaire, le surplus de prime reçu, le tout sous peine d'une astreinte de 500 euros par jour de retard;

- condamner la SA DKV Belgium à informer, dans le mois de la signification de l'ordonnance à intervenir et sous peine d'une astreinte de 500 euros par jour de retard également, les assurés qui ont résilié leur police d'assurance à la suite de l'annonce de l'augmentation tarifaire litigieuse, de la possibilité qu'ils ont de réacquérir la qualité d'assuré aux conditions financières qui étaient en vigueur antérieurement;

- ordonner en outre la publication, aux frais de la SA DKV Belgium, de l'ordonnance à intervenir dans les quotidiens “Le Soir” et “La Libre Belgique”, et de sa traduction jurée en langue néerlandaise dans les quotidiens “De Standaard” et “De Morgen”, dans le mois de la signification de l'ordonnance à intervenir et sous peine d'une astreinte de 500 euros par jour de retard;

- condamner la SA DKV Belgium aux dépens, en ce compris l'indemnité de procédure;

- conformément à l'article 27, dernier alinéa, de la loi du 25 février 2003, déclarer l'ordonnance à intervenir exécutoire par provision, nonobstant tout recours et sans caution, et ordonner que celle-ci soit communiqué “sans délai” par le greffe aux parties et à Monsieur le procureur du Roi;

Attendu que la défenderesse conclut à l'irrecevabilité de cette demande et en ordre subsidiaire à son non-fondement;

qu'elle demande de dire pour droit que l'augmentation tarifaire dont elle a informé ses assurés dès septembre 2003 n'est pas discriminatoire;

qu'en ordre plus subsidiaire, elle demande de reconnaître l'impossibilité de prononcer un ordre de cessation alors que l'acte incriminé a pris fin, de revoir la portée que pourrait avoir un tel ordre de cessation, de revoir le délai d'exécution ainsi que de reconnaître la non-nécessité de l'astreinte et des publications;

Cadre du litige

La requête est basée sur les articles 19 et 22 de la loi du 25 février 2003 publiée au Moniteur du 17 mars 2003,

“Loi tendant à lutter contre la discrimination et modifiant la loi du 15 février 1993 créant un Centre pour l'égalité des chances et la lutte contre le racisme”.

Test-Achats est une association belge des consommateurs.

DKV Belgium est une compagnie spécialisée dans les contrats d'assurance maladie et invalidité.

Ces assurances sont facultatives et complémentaires au régime légal obligatoire d'assurance soins de santé.

Au mois de septembre 2003, DKV Belgium écrit à ses clients:

“Bruxelles, le 22/09/03

Cher client,

Concerne: votre police d'assurance n° …………..

Les médias nous informent régulièrement de l'augmentation croissante des frais médicaux. Outre un déficit de la sécurité sociale, cette augmentation provoque également un déséquilibre entre les primes versées et les remboursements effectués par notre société.

Toute compagnie d'assurance est tenue d'offrir en plus d'un excellent service, des garanties de qualité. Afin de respecter cet engagement, DKV Belgium se doit de rectifier ce déséquilibre. C'est pourquoi, nous sommes dans l'obligation d'augmenter nos primes et ce, à partir de l'échéance principale de votre contrat en 2004.

Le rythme de croissance des frais liés à une hospitalisation augmentant sensiblement avec l'âge, nous incite à différencier cette adaptation tarifaire. Dans votre cas, ceci signifie qu'à partir du …/…/ votre prime à payer s'élèvera à € ……….

Vous estimez que cette augmentation tarifaire est trop importante mais êtes convaincu de la qualité de notre produit? Nous vous proposons d'opter pour une franchise (montant restant à votre charge) ou d'en augmenter le montant. Communiquez-nous simplement votre choix, nous ne manquerons pas de vous proposer d'autres possibilités.

Vous pouvez exceptionnellement éviter cette augmentation tarifaire en limitant votre couverture du type IS(B), IS(B)2000 à une chambre à deux lits. Veuillez dans ce cas remplir le talon ci-dessous et nous le retourner avant l'échéance annuelle de votre contrat.

Si malgré tout, vous décidez de résilier votre contrat, nous vous invitons à nous en aviser par écrit endéans les 3 mois suivant le notification de cette adaptation tarifaire.

Nous espérons que vous restez convaincu de la nécessité de vous protéger, vous ainsi que votre famille, contre les conséquences financières de frais médicaux imprévus.

Nous vous remercions de votre confiance et vous prions d'agréer, cher client, nos sentiments distingués.

W. Janssens

Administrateur-délégué

D. de Laminne de Bex

Administrateur-Directeur

B. Krof

Administrateur-Directeur

Je soussigné ……………………….. déclare accepter qu'à partir de l'échéance principale prochaine (…….) de ma police n° ……………….., les Conditions Générales, Tarifaire et particulièrement d'Assurance relatives à cette police seront appliquées et pour toutes les personnes assurées, en fonction des coûts pour une chambre à deux lits, tant en ce qui concerne le séjour que tous les traitements. J'accepte que pour toutes les personnes assurées, le droit d'utilisation de la Médi-Card® soit accordée uniquement lors d'une hospitalisation dans le cadre d'une chambre à deux lits.

Signature du preneur d'assurance: ………………………. Date: ……………………….”

Le 14 juin 2004, elle précise à ses clients que:

“Bruxelles, le 14/06/04

Cher client,

Concerne: votre police d'assurance n° …………..

Chacun d'entre nous souhaite bénéficier des soins de santé les plus performants. Les coûts relatifs au développent de la médecine ne cessent de croître, tant en milieu hospitalier qu'en soins ambulatoires. L'assurance maladie légale intervient cependant de moins en moins. Outre un déficit de la sécurité sociale, ces évolutions ont un impact négatif sur notre compagnie.

C'est pourquoi, nous sommes dans l'obligation d'augmenter en 2004 les primes de certaines garanties ambulatoires et stationnaires. Tout contrat existant de ce type d'assurance sera adapté en 2004 et ce, à partir de l'échéance principale.

Le rythme de croissance des frais liés à une hospitalisation augmentant sensiblement avec l'âge, l'adaptation tarifaire des plans hospitalisations est appliquée en fonction des différences catégories d'âge.

À partir du 01/11/2004 votre prime à payer s'élèvera à € 31,24.

Bénéficiez-vous d'une garantie d'hospitalisation de type IS(B), IS(B)+, IS(B)2000? Oui?

Vous estimez que cette nouvelle prime est trop élevée? Nous vous proposons soit:

- d'opter pour une franchise (montant restant à votre charge) ou d'en augmenter le montant. N'hésitez pas à nous contacter, nous ne manquerons pas de vous faire une offre.

- d'éviter l'augmentation tarifaire de cette garantie hospitalisation en limitant votre couverture à une chambre à deux lits. Veuillez dans ce cas remplir le talon ci-dessous et nous le retourner avant l'échéance annuelle de votre contrat.

Par contre, si vous acceptez de payer la nouvelle prime proposée ci-dessus, vous ne devez pas réagir à cette lettre.

Si malgré tout, vous décidez de résilier votre contrat, nous vous invitons à nous en aviser par écrit endéans les 3 mois suivant la notification de cette adaptation tarifaire.

Nous espérons que vous restez convaincu de la nécessité de vous protéger, vous ainsi que votre famille, contre les conséquences financières de frais médicaux imprévus.

Nous vous remercions de votre confiance et vous prions d'agréer, cher client, nos sentiments distingués.

W. Janssens

Administrateur-délégué

D. de Laminne de Bex

Administrateur-Directeur

B. Krof

Administrateur-Directeur

Je soussigné ……………………….. déclare accepter qu'à partir de l'échéance principale prochaine (01/11/2004) de ma police hospitalisation IS(B), IS(B)+ ou IS(B)2000 n° ……………….., les Conditions Générales, Tarifaire et particulièrement d'Assurance relatives à cette police seront appliquées en fonction des coûts pour une chambre à deux lits et ce, pour toutes les personnes assurées. J'accepte que pour toutes les personnes assurées, le droit d'utilisation de la Médi-Card® soit accordée uniquement lors d'une hospitalisation dans le cadre d'une chambre à deux lits.

Signature du preneur d'assurance: ………………………. Date: ……………………….”

Le 28 mai 2004, les avocats de la demanderesse ont mit DKV Belgium en demeure de mettre un terme immédiat à l'application d'une augmentation tarifaire des primes liées aux contrats d'assurance-hospitalisation de manière différenciée en tenant compte de l'âge des assurés et en conséquence, de réadapter l'ensemble de leurs avis d'échéance conformément à la situation antérieure, tout en prenant soins d'avertir tous leurs assurés de l'annulation de l'augmentation annoncée.

Les pourparlers entre parties au présent litige n'ayant pas abouti, la demanderesse a déposé une requête en cessation.

La recevabilité de l'action
1. La qualité à agir

La défenderesse soutient que l'action introduite par Test-Achats est irrecevable car seules les personnes énumérées à l'article 19 de la loi anti-discrimination peuvent introduire une action sur base de cette loi.

L'article 19 de ladite loi dispose que:

“À la demande de la victime de la discrimination ou d'un des groupements visés à l'article 31, le président du tribunal de première instance ou, selon la nature de l'acte, le président du tribunal du travail ou du tribunal de commerce, constate l'existence et ordonne la cessation d'un acte, même pénalement réprimé, constituant un manquement aux dispositions de la présente loi”.

L'article 31 quant à lui, précise que:

“Le Centre pour l'égalité des chances et la lutte contre le racisme peut ester en justice dans les litiges auxquels l'application de la présente loi donnerait lieu.

Peuvent également ester en justice dans les litiges auxquels l'application de la présente loi donnerait lieu, lorsqu'un préjudice est portée aux fins statutaires qu'ils se sont donné pour mission de poursuivre:

1° tout établissement d'utilité publique et toute association, jouissant de la personnalité juridique depuis au moins cinq ans à la date des faits, et se proposant par ses statuts de défendre les droits de l'homme ou de combattre la discrimination: …”.

Or, dit la défenderesse, si Test-Achats a la personnalité juridique depuis au moins cinq ans, Test-Achats ne se propose de combattre toutes discriminations que depuis le 14 mai 2004, date de la publication au Moniteur d'une modification de l'article 2 de ses statuts en ce sens.

Cette affirmation est exacte mais la loi visée ne dit pas que les associations autorisées à ester en justice dans les litiges auxquelles son application donnerait lieu, doivent - depuis cinq ans également - proposer dans leurs statuts de combattre la discrimination.

La demanderesse a la personnalité juridique depuis cinq ans au moment des faits visés par sa requête et se propose bien de combattre la discrimination à la date d'introduction de la présente instance, elle remplit les conditions fixées par l'article 31, 1°, de la loi anti-discrimination.

Mais, dit encore la défenderesse, encore faut-il que le prescrit de l'article 31 soit tout à fait respecté, faisant référence au dernier alinéa dudit article:

“Toutefois, lorsque la victime de l'infraction est une personne physique ou une personne morale, l'action des groupements visés au premier et second alinéas ne sera recevable que s'ils prouvent qu'ils ont reçu l'accord de la victime”.

La demanderesse produit à son dossier huit attestations d'assurés concernés qui déclarent s'estimer lésés et marquent leur accord avec la présente action.

La demanderesse a donc qualité pour agir.

2. L'exception “obscuri libelli”

La défenderesse dit que ni la motivation ni le dispositif de la requête en cessation déposée par Test-Achats ne mentionnent clairement quelle clause du contrat existant entre DKV Belgium et ses assurés serait contraire à quelle disposition de la loi anti-discrimination.

En ce qui concerne la clause, le dispositif de la requête visée mentionne clairement qu'il s'agit de l'augmentation tarifaire portée à la connaissance des assurés, en ce qui concerne la ou les dispositions visées par la demanderesse, cette dernière en ses motifs fait bien référence à celles de la loi du 25 février 2003 qui prohibe toute forme de discrimination, directe ou indirecte fondée notamment sur l'âge.

Ces libellés ne sont pas obscurs.

3. La compétence du juge des cessations

La défenderesse fait valoir à bon droit que la demande qui vise à entendre dire pour droit que l'augmentation tarifaire de la DKV Belgium est nulle n'est pas de la compétence du juge des cessations.

Le juge des cessations est compétent pour constater l'existence d'un acte constituant une infraction - en l'espèce à la loi du 25 février 2003 - et en ordonner la cessation mais ne l'est pas pour dire pour droit qu'un acte juridique est nul (1).

Il ne l'est pas non plus pour statuer sur une demande de remboursement consécutif à son ordre éventuel de cessation (2) ni pour accorder aux personnes lésées par l'acte constituant l'infraction la possibilité de réintégrer la qualité d'assuré à des conditions financières précises (3).

Les trois chefs de la demande côtés ci-dessus sous (1), (2) et (3) ne sont pas recevables en la présente instance.

4. Le fond

4.1. La loi du 25 février 2003 tendant à lutter contre la discrimination transpose en droit belge la directive 2000/43/CE du 29 juin 2000 relative à la mise en oeuvre de l'égalité de traitement entre les personnes sans distinction de race et d'origine ethnique, ainsi que la directive 2000/78/CE du 27 novembre 2000 portant création d'un cadre général en faveur de l'égalité de traitement en matière d'emploi et de travail.

Cette loi du 25 février 2003 interdit toute discrimination, directe ou indirecte, qui porte notamment sur “la fourniture ou la mise à disposition du public de biens et de service” (art. 2, § 4).

Cette expression vise notamment les pratiques du secteur des assurances en terme de tarification ou de couvertures des risques.

Dans sa version initiale, la loi du 25 février 2003 énonçait, en son article 2:

“§ 1er. Il y a discrimination directe si une différence de traitement qui manque de justification objective et raisonnable est directement fondée sur le sexe, une prétendue race, la couleur, l'ascendance, l'origine nationale ou ethnique, l'orientation sexuelle, l'état civil, la naissance, la fortune, l'âge, la conviction religieuse ou philosophique, l'état de santé actuel ou futur, un handicap ou une caractéristique physique. (c'est le tribunal qui souligne)

§ 2. Il y a discrimination indirecte lorsqu'une disposition, un critère ou une pratique apparemment neutre a en tant que tel un résultat dommageable pour des personnes auxquelles s'applique un des motifs de discrimination visés au § 1er, à moins que cette disposition, ce critère ou cette pratique ne repose sur une justification objective et raisonnable”;

Saisi d'un double recours en annulation contre la loi du 25 février 2003, la Cour d'arbitrage a estimé, par un arrêt du 6 octobre 2004 (n° 157/2004), que “les dispositions des articles 2 à 4 et 18 à 31 de la loi entreprise sont (…) applicables à toutes les discriminations, quel que soit le motif sur lesquels elles sont fondées” (point B.15 de l'arrêt).

La Cour d'arbitrage a dès lors annulé certains mots et groupes de mots, notamment dans l'article 2 de la loi.

Cet article 2 doit depuis se lire comme il suit:

“§ 1er. Il y a discrimination directe si une différence de traitement qui manque de justification objective et raisonnable.

§ 2. Il y a discrimination indirecte lorsqu'une disposition, un critère ou une pratique apparemment neutre a en tant que tel un résultat dommageable pour des personnes, à moins que cette disposition, ce critère ou cette pratique ne repose sur une justification objective et raisonnable”;

Ce “toilettage” du texte légal n'a cependant aucune incidence en l'espèce dès lors qu'il est constant que la Cour d'arbitrage n'a, en rien, touché aux lignes de force et aux axes essentiels de la loi anti-discrimination et qu'elle en a, au contraire, élargi le champ d'application à toutes les discriminations.

La loi du 25 février 2003 ne prohibe donc pas toute différence de traitement entre les particuliers.

Elle n'interdit que les différences de traitement, directes ou indirectes, qui ne sont pas justifiées de manière objective et raisonnable et qui, de ce fait, revêtent un caractère discriminatoire.

4.2. De manière unanime, la doctrine considère, sur la base des travaux préparatoires (voy. notamment Doc. parl. Sénat 2001-02, 2-12/15, p. 4), que la notion de “justification objective et raisonnable” fait référence à la jurisprudence de la Cour d'arbitrage qui détermine les conditions auxquelles une différence de traitement doit satisfaire pour être jugée conforme aux principes d'égalité et de non-discrimination inscrits aux articles 10 et 11 de la Constitution.

La justification objective et raisonnable d'une différence de traitement suppose la réunion des conditions suivantes:

- la distinction de traitement doit poursuivre un but légitime;

- le critère de distinction doit être objectif;

- la distinction de traitement doit être pertinente par rapport à ce but, en ce sens que sa mise en oeuvre doit être en mesure de réaliser adéquatement celui-ci;

- la distinction de traitement doit être nécessaire pour réaliser l'objectif qu'elle poursuit, en ce sens qu'il ne doit pas exister une mesure qui, tout aussi efficace pour parvenir à ce but, se révèle cependant moins attentatoire aux droits et libertés en cause;

- la distinction de traitement doit être proportionnée au sens strict: un juste équilibre doit être maintenu entre les bénéfices et les préjudices qu'elle génère.

4.3. Le cas d'espèce:

Test-Achats précise qu'elle ne conteste pas, comme tel, le droit de la SA DKV Belgium d'augmenter ses tarifs afin de maintenir l'équilibre financier indispensable à la bonne exécution de ses obligations d'assureur et, ainsi, de se conformer à la réglementation relative au contrôle des entreprises d'assurance.

Test-Achats ne conteste pas non plus le fait qu'au moment de la conclusion du contrat d'assurance, la SA DKV Belgium soit autorisée à différencier le montant de la prime d'assurance en fonction de l'âge auquel ses assurés souscrivent effectivement leur police d'assurance.

En effet, dès lors qu'il est constant que le risque de devoir être hospitalisé est un risque qui croît avec l'âge, il est normal qu'une personne qui a la prévoyance de souscrire une assurance hospitalisation alors qu'elle est encore jeune paye une prime inférieure à celle qui doit être payée par une personne qui tarde à s'assurer et qui souscrit à ce type de police d'assurance à un âge avancé.

Il s'agit là d'une justification objective et raisonnable de traiter différemment deux catégories de personnes qui présentent un risque différent.

Test-Achats conteste par contre qu'il soit permis à un assureur d'imposer unilatéralement une augmentation substantielle des primes d'assurance à ses assurés les plus âgés, sans imposer les mêmes conditions à ses assurés les plus jeunes, alors pourtant que le motif de cette augmentation, à savoir l'accroissement du coût des frais médicaux, est ressenti de manière identique par l'ensemble des assurés quel que soit leur âge.

La différence de traitement, qui tient au taux d'augmentation appliquée aux primes réclamées par la SA DKV Belgium à ses assurés, se présente comme suit:

- pour les assurés âgés
de 0 à 19 ans:
pas d'augmentation de la prime;
- pour les assurés âgés
de 20 à 39 ans:
augmentation de la prime de 8%;
- pour les assurés âgés
de 40 à 59 ans:
augmentation de la prime de 16%;
- pour les assurés âgés
de 60 ans et plus:
augmentation de la prime 24%.

DKV Belgium justifie cette différence de traitement par la croissance de coûts relatifs au développement de la médecine. Elle ajoute que l'assurance maladie légale intervient de moins en moins, outre un déficit de la sécurité sociale (voy. ses lettres du 22 septembre 2003 et 14 juin 2004).

DKV Belgium précise encore, au troisième paragraphe de cette lettre, en italiques, que:

“Le rythme de croissance des frais liés à une hospitalisation augmentant sensiblement avec l'âge, l'adaptation tarifaire des plans d'hospitalisations est appliquée en fonction des différentes catégories d'âge” ou “nous incite à différencier cette adaptation tarifaire” (lettre du 22 septembre 2004).

Cette dernière distinction n'est pas pertinente:

À tort, DKV Belgium la justifie en affirmant que l'âge de l'assuré a un impact certain sur l'aggravation du risque.

L'aggravation du risque liée à l'âge de l'assuré, DKV Belgium la connaissait déjà lors de la conclusion du contrat d'assurance-hospitalisation avec son assuré (voy. supra 4.3).

Elle est constante.

DKV Belgium savait, dès la conclusion de ses contrats, qu'en vieillissant, son assuré risquerait de présenter de plus en plus de pathologies typiques et coûteuses comme les problèmes cardiovasculaires, cancers et autres maladies ou interventions plus fréquentes chez les personnes âgées.

DKV Belgium savait aussi, dès la conclusion de ses contrats, que les progrès de la médecine prolongeraient la vie avec les risques qui y sont liés et que le baby-boom d'après-guerre était à l'origine de l'accroissement d'une population âgée depuis quelques années, phénomène qui n'ira que croissant.

DKV Belgium, en assureur avisé et respectueux de ses obligations d'analyse du risque qu'elle a proposé à ses assurés de couvrir, ne peut avoir ignoré ces éléments au moment de la conclusion de ses contrats d'assurance.

L'augmentation du coût des frais médicaux, elle, est ressentie de manière identique par l'ensemble des patients en Belgique - et, partant, par tous les assurés de la SA DKV Belgium -, et ce quel que soit leur âge.

Le coût d'une prise de sang ou d'une nuit d'hospitalisation - ou de toute autre intervention médicale couverte par un contrat d'assurance hospitalisation - est en effet le même pour un jeune homme de 18 ans que pour une personne âgée de 40 ou 65 ans.

Si ces coûts subissent une augmentation au cours d'une période déterminée, celle-ci frappe donc uniformément l'ensemble des patients - et, partant, les assurés de la SA DKV Belgium -, et ce quel que soit leur âge, ce dernier facteur ayant déjà été ou dû être pris en compte par DKV Belgium.

Par conséquent, il n'est nullement pertinent d'opérer une distinction en fonction de l'âge des assurés couverts par un contrat d'assurance hospitalisation quant à la manière dont ce type d'augmentation est répercutée sur leur prime d'assurance.

En vain, à cet égard, la SA DKV Belgium soutient que les statistiques qu'elle produit infirmeraient cette absence d'incidence du critère de l'âge des assurés sur l'augmentation des coûts précités.

Ces statistiques ne font en effet que révéler une caractéristique inhérente; l'assurance hospitalisation, à savoir le lien qui existe entre le nombre de sinistres par assuré et l'âge des assurés.

Elles ne démontrent par contre aucunement en quoi l'augmentation du coût des frais liés à une hospitalisation serait liée à l'âge des assurés.

La différence de traitement fondée sur ce dernier critère n'est donc pas pertinente.

La différence opérée dans le traitement de ses assurés par DKV Belgium n'est pas non plus nécessaire.

L'exigence de nécessité doit se comprendre en ce sens qu'il ne doit pas exister une mesure qui, tout aussi efficace pour parvenir au but poursuivi, se révèle cependant moins attentatoire aux droits et libertés en cause (J.-Fr. et S. Van Drooghenbroeck, “Égalité et droit des assurances automobiles: de nouvelles données”, in Du neuf en assurance R.C. automobile, actes du colloque organisé le 29 janvier 2004 par le département des recyclages en droit des F.U.S.L. et le D.E.S. en droit et économie des assurances de l'UCL, p. 22, n° 37).

En d'autres termes, une différence de traitement doit systématiquement être considérée comme constitutive d'une discrimination au sens de la loi du 25 février 2003 dès qu'il existe une autre mesure d'efficacité comparable qui s'avère plus respectueuse des droits des personnes.

Vainement, à cet égard, la SA DKV Belgium prétend que l'évaluation du caractère objectif et raisonnable de la différence de traitement incriminée n'impliquerait aucune référence au critère de la nécessité (également appelé critère de l'efficacité comparable).

Cette exigence de nécessité résulte en effet clairement des travaux préparatoires de la loi du 25 février 2003.

Ceux-ci indiquent que “(...) les critères qui permettent au juge d'apprécier si la distinction est fondée sur des motifs légitimes et non arbitraires (...) visent d'une part l'objectivité de la mesure et le rapport raisonnable et proportionnel avec le but qu'elle poursuit, et d'autre part son efficacité par rapport à d'autres mesures plus respectueuses des droits des personnes. Ce dernier critère permettra au juge d'effectuer un contrôle d'opportunité limité” (Doc. parl. Sénat 2001-02, 2-12/15, p. 4 - pièce n° 3).

Contrairement au contrôle opéré par la Cour d'arbitrage en matière de discrimination, l'évaluation du caractère objectif et raisonnable d'une différence de traitement au regard de la loi anti-discrimination implique donc également la vérification de l'absence de mesure moins attentatoire aux principes d'égalité et de non-discrimination.

En l'espèce, qu'il n'est pas douteux qu'en lieu et place de la différence de traitement qu'elle a opérée, la SA DKV Belgium aurait très bien pu appliquer une augmentation linéaire de l'ensemble de ses primes, sans distinction en fonction de l'âge de ses assurés, puisqu'une dernière distinction est déjà ou a dû être prise en compte dans l'appréciation du risque et partant dans le calcul des primes.

Pareille augmentation linéaire aurait en effet permis d'atteindre le besoin de la SA DKV Belgium d'adapter ses primes au regard de l'augmentation du coût des soins de santé de manière efficace.

Contrairement à l'adaptation des primes incriminée, pareille augmentation tarifaire linéaire n'aurait engendré aucune différence de traitement entre assurés et, partant, aurait parfaitement respecté le principe de non-discrimination consacré par la loi du 25 février 2003.

Enfin, la différence de traitement appliquée par la SA DKV Belgium n'est ni équitable ni appropriée au but qui lui est assigné.

En effet, en lieu et place de l'augmentation incriminée, les assurés de la DKV Belgium ont le choix soit d'opter pour une augmentation de leur franchise (ou la création d'une franchise), soit de passer à une garantie limitée aux chambres à deux lits, soit encore de résilier leur contrat d'assurance.

Le but d'une assurance hospitalisation est effectivement de placer l'assuré qui la souscrit à l'abri des dépenses liées aux soins de santé dont il pourrait avoir besoin.

Eu égard au besoin de protection recherché par la souscription de ce type d'assurance et à la nécessité que représente aujourd'hui pareille souscription compte tenu de l'évolution du rôle de la sécurité sociale, qui, à tort ou à raison, est perçu comme fondamentalement incertain, il est dès lors inacceptable de soutenir que les alternatives proposées par la SA DKV Belgium seraient adaptées au besoin de chacun.

De surcroît, en imposant des conditions financières difficilement supportables à ceux de ses assurés qui présentent un profil de risque élevé, alors que le risque (l'âge) a déjà été ou dû être calculé antérieurement, la SA DKV Belgium apparaît bien comme avoir voulu contourner l'interdiction absolue qui lui est faite de résilier ses contrats à quelque moment que ce soit (artt. 26, 30 et 31 de la loi du 25 juin 1992 sur le contrat d'assurance terrestre).

Il convient de rappeler à cet égard qu'en cas de résiliation - et contrairement à ce qui se passe en assurance sur la vie avec la réserve mathématique -, les assurés n'ont aucun droit sur la réserve de vieillissement qu'ils ont alimentée s'ils ont souscrit leur contrat à un âge relativement jeune.

Dans ces conditions, il est inéquitable que, sous prétexte d'une prétendue distinction dans la manière dont l'augmentation du coût des soins de santé serait ressentie par les différentes tranches d'âge d'assurés - quod non -, une compagnie soit autorisée à imposer à ses assurés les plus âgés un choix difficilement supportable.

La différence de traitement par la DKV Belgium de ses assurés en ce qu'elle se fonde sur l'âge de ceux-ci, en ce qui concerne l'augmentation tarifaire qu'elle leur impose est donc discriminatoire.

Cette différence de traitement entraîne un résultat dommageable pour sa victime qui se voit pénalisée en raison de son âge, voire obliger d'abandonner une couverture de soins de santé.

5. À tort, la défenderesse soutient qu'il serait impossible de prononcer un ordre de cessation en l'espèce parce que l'acte incriminé a pris fin.

L'acte incriminé, qu'il ait eu pour effet de maintenir le contrat d'assurance, d'en réduire la couverture ou d'exclure l'assuré, n'a pas pris fin puisque ses effets se continuent.

Par ailleurs, il risque de se reproduire.

Un ordre de cessation est dès lors pleinement justifié.

6. Sa publication est justifiée par la nécessité pour toutes les personnes lésées par la pratique discriminatoire de DKV Belgium dont celles qui n'auraient pas été portées au présent procès, d'en connaître l'existence.

Par ces motifs,

Nous, Michèle Laurent, vice-président au tribunal de commerce de Bruxelles, siégeant à l'audience publique des actions en cessation - salle E, rue de la Régence, 4 à 1000 Bruxelles, en remplacement du président légalement empêché, assistée de Hilde Van Der Poorten, greffier, adjoint délégué;

statuant contradictoirement,

disons pour droit qu'en application des articles 2 et 19 de la loi du 25 février 2003 sur la discrimination, l'augmentation tarifaire des frais d'hospitalisation, dont la DKV Belgium a informé ses assurés dès septembre 2003, est discriminatoire en ce qu'elle est appliquée de façon différenciée et par tranches de taux d'adaptation croissantes en fonction de différentes catégories d'âge;

ordonnons la cessation de cette augmentation tarifaire sous peine d'une astreinte de cinq cents euros par jour à dater de la signification du présent jugement et par dossier dans lequel cette augmentation est appliquée;

ordonnons à la SA DKV Belgium d'envoyer par recommandé, dans le mois de la signification du présent jugement, et sous peine d'une astreinte de cinq cents euros par jour de retard, aux assurés qui ont résilié leur police d'assurance à la suite de l'annonce de l'augmentation litigieuse, une copie du dispositif du présent jugement;

ordonnons la publication aux frais de la SA DKV Belgium, du dispositif du présent jugement dans les quotidiens “Le Soir” et “La Libre Belgique” et de sa traduction jurée en langue néerlandaise dans les quotidiens “De Standaard” et “De Morgen” dans le mois de la signification de l'ordonnance à intervenir sous peine d'une astreinte de cinq cents euros par jour de retard;

condamnons la défenderesse aux dépens liquidés dans son chef à cent seize euros et cinquante et un cents et dans le chef de la demanderesse à cent nonante-huit euros et cinquante et un cents conformément à l'article 22, dernier alinéa, de la loi du 25 février 2003 précitée;

déclarons l'ordonnance à intervenir exécutoire par provision, nonobstant tout recours et sans caution et ordonnons qu'elle soit communiquée sans délai, à toutes les parties et au procureur du Roi.

(...)

Note: Appel a été interjeté.