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L'entrée en vigueur du Code de droit international privé, R.D.C.-T.B.H., 2005/6, p. 607-610

L'entrée en vigueur du Code de droit international privé

Nadine Watté [1]

TABLE DES MATIERES

1. Genèse et structure

2. Entrée en vigueur

3. Les innovations

4. Les règles particulières

Ce numéro de la revue a pour ambition d'offrir à ses lecteurs différents commentaires du récent Code de droit international privé par des experts, dans des matières particulières du droit international des affaires [2]. La présente introduction a pour objet de rappeler brièvement la genèse du code et sa structure, son application temporelle, ses principales innovations et ses règles de conflit dans les domaines concernés.

1. Genèse et structure

Il y a près de dix ans (en 1996), à la demande du ministre de la justice de l'époque, après consultation des milieux intéressés, un groupe de six professeurs de droit international privé a rédigé un avant-projet de loi codifiant cette savante discipline. Après l'examen critique du Conseil d'Etat (qui contestait l'idée même d'une codification), il fut repris sous la forme d'une proposition de loi [3]. En 2003, soutenue par le gouvernement, la proposition est une nouvelle fois déposée [4]. Tout va s'accélérer: examinée de manière approfondie par la commission de la Justice du Sénat d'octobre 2003 à avril 2004 - à ce titre le rapport de cette commission est précieux pour l'interprétation du texte [5] - la proposition de loi est adoptée par les deux chambres moyennant des amendements touchant le plus souvent à des questions politiquement sensibles (par exemple le mariage des personnes de même sexe, la répudiation) ou des questions économiques particulières (comme les procédures d'insolvabilités) [6].

Je ne reviendrai plus sur les objectifs poursuivis: transparence, modernité et ouverture internationale; ils ont été longuement commentés [7].

Je m'attarderai, en revanche, quelques instants à l'objet et à la structure du code.

Le code a pour objet de rassembler en un texte toutes les questions intéressant le droit international privé en matière civile et commerciale: compétence internationale des juridictions belges, loi applicable et effets des décisions judiciaires et des actes authentiques étrangers.

Il faut souligner que le code a un caractère supplétif: il ne s'applique qu'à défaut de droit communautaire, de droit conventionnel ou encore de lois particulières (par exemple la loi du 27 juillet 1961 sur la résiliation unilatérale des concessions exclusives de vente à durée indéterminée).

Quant à sa structure, le code est divisé en 140 articles répartis en 13 chapitres.

Le premier chapitre comporte des dispositions générales sur les trois matières précitées mais aussi des définitions des facteurs de rattachement servant à déterminer la compétence internationale ou le droit applicable [8].

Les chapitres 2 à 12 contiennent des dispositions par catégories de rattachement (personnes physiques, personnes morales, obligations, etc.). Au sein de chacun des chapitres, il est adopté le même ordonnancement: compétence, détermination de la loi applicable, domaine de la loi applicable et parfois reconnaissance. La référence à ces catégories relativement souples et l'énumération des matières visées par la loi applicable devraient avoir pour effet de supprimer la délicate question de la qualification et de simplifier la tâche de l'interprète, même si subsistent des zones d'incertitude liées à la diversité des systèmes juridiques nationaux.

Le chapitre 13 contient des dispositions transitoires, modificatives et abrogatoires ainsi que des règles relatives à l'entrée en vigueur du code.

2. Entrée en vigueur

À l'exception des dispositions relatives à l'adoption, l'ensemble du code est entré en vigueur le 1er octobre 2004, trois mois après la publication de la loi du 16 juillet 2004 qui l'a adopté.

Pour ce qui concerne les règles de conflit de juridictions, les nouvelles règles s'appliquent aux actions introduites après le 1er octobre 2004 et aux décisions et actes étrangers établis après le 1er octobre 2004. Une application rétroactive est cependant possible quand elle est favorable à la reconnaissance (art. 126 du code).

Quant aux règles de conflit de lois, le code consacre le principe de la non rétroactivité. Toutefois, les nouvelles règles s'appliquent aux effets futurs d'actes et faits survenus antérieurement au 1er octobre 2004. Cette règle, apparemment simple, peut susciter des difficultés notamment en matière d'opposabilité de cession de créances [9]. Le code précise que cette dernière règle ne s'applique pas aux effets produits après le 1er octobre 2004 par un contrat, un quasi-contrat, un engagement unilatéral d'un fait dommageable survenu avant cette date (art. 127, § 1er, du code). Enfin, le code prévoit pour certaines matières (comme le mariage) une application rétroactive des règles.

3. Les innovations

Quelles innovations relever, de manière générale ou particulière, dans les matières qui nous occupent dans le présent numéro?

3.1. La référence au principe de proximité. Ce principe, consacré dans la Convention de Rome du 19 juin 1980 sur la loi applicable aux obligations contractuelles, a influencé le règlement des conflits de lois (notamment en matière extracontractuelle), mais aussi le traitement des conflits de juridictions en permettant au juge belge de décliner sa compétence lorsqu'il résulte de l'ensemble des circonstances que le litige ne présente aucun lien significatif avec la Belgique (art. 6, § 2, du code) [10].

3.2. L'introduction d'une clause d'exception. Celle-ci permet au juge belge d'écarter la loi normalement applicable lorsqu'il est manifeste qu'elle n'a qu'un lien très faible avec la situation pour se référer à la loi de l'Etat avec lequel celle-ci présente en revanche des liens très étroits (art. 19). Cette clause, qui ne peut pas intervenir à l'encontre d'une loi choisie par les parties ou lorsque la désignation de la loi repose sur le contenu de celle-ci, a déjà été vivement critiquée [11]. Il est vrai qu'elle suscite de nombreuses questions d'interprétation, certains voulant l'écarter lorsque la règle de conflit est fondée sur le principe de proximité (par exemple en matière de personne morale, la loi du principal établissement) [12].

3.3. La suppression de la théorie du renvoi. Lorsqu'il est fait référence à la loi d'un Etat, il s'agit des dispositions matérielles de cette loi à l'exclusion des règles de droit international privé (art. 16 du code).

Elle est toutefois tolérée dans certaines matières (notamment en matière de personnes morales) quand elle permet d'atteindre un objectif particulier (dans notre exemple, la validité de la constitution de la personne morale).

3.4. La suppression du problème du conflit mobile résultant de la modification dans le temps du facteur de rattachement (par exemple, la modification du lieu de la résidence de l'une des parties). La plupart des règles précisent, en effet, à quel moment dans le temps le facteur de rattachement doit être pris en compte. Ainsi en matière d'acte unilatéral, la loi applicable est celle du lieu de la résidence habituelle que possède celui qui s'engage par déclaration unilatérale de volonté au moment de cet engagement (art. 105).

3.5. La reconnaissance de plein droit. En matière des effets des décisions judiciaires étrangères, le code consacre l'extension du régime mis en place par la Cour de cassation dans l'arrêt Defontaine [13] qui se limitait aux décisions relatives à l'Etat et à la capacité des personnes (physiques). Dorénavant l'ensemble des décisions bénéficie de la reconnaissance de plein droit, sans aucune procédure. Des motifs de refus sont énumérés à l'article 25 du code [14].

4. Les règles particulières

Pour ce qui concerne les règles particulières, plus spécialement dans le droit des affaires, il faut d'abord relever l'importance que le code attribue à la compétence de la lex rei sitae au chapitre 8 relatif aux biens. Il confirme le principe lorsqu'il s'agit de l'acquisition ou de la perte de droits réels sur les biens, avec un sort particulier réservé aux créances dont l'immatérialité pose entre autres un problème de localisation. L'article 87, qui vise la cession de créances, a déjà donné lieu à des controverses. Celles-ci sont examinées par Patrick Wautelet.

Le chapitre 8 vise également les titres négociables, dont on sait que la détermination de la loi applicable a été discutée. Ils sont ici analysés sous un angle différent, celui des investisseurs. Leur protection est assurée à l'article 114 par le biais d'une règle alternative. Si certains aspects de cette disposition sont traditionnels (le recours à la loi locale), d'autres ont suscité des incertitudes sur leur portée véritable voire même des oppositions. C'est à Jean Marc Gollier qu'a été confiée la tâche de commenter cette disposition.

Enfin, si le chapitre 8 traite aussi des biens volés et des biens culturels an faveur du revendiquant qui bénéficie d'une option de lois applicables, le code vise aussi les droits de la propriété intellectuelle. Il a paru intéressant de les confronter à la question de la concurrence déloyale, qui fait l'objet d'une règle spéciale de rattachement à l'article 99 en faveur de la loi du dommage. C'est tout naturellement à Andrée Puttemans que l'on a demandé de traiter de ces questions.

Le chapitre 9 du code concerne les obligations. Il convient de relever à ce sujet que le code innove en matière d'obligations dérivant d'un fait dommageable, en abandonnant la référence de principe à la lex loci delicti commissi (la loi du lieu du fait générateur du dommage) établie par la Cour de cassation depuis le célèbre arrêt Pirlet-Bologne et à laquelle elle était restée fidèle [15]. Dorénavant le code consacre une règle générale en forme de cascade: droit de l'Etat de la résidence de l'auteur du dommage et de la victime; à défaut, loi de l'Etat où le fait générateur et le dommage sont survenus (ou menacent de survenir); à défaut, loi de l'Etat avec lequel l'obligation en cause présente les liens les plus étroits (art. 99, § 1er). Il est également prévu une série de règles particulières désignant en principe la loi du lieu du dommage, dans les matières suivantes: diffamation ou atteinte à la vie privée, concurrence déloyale ou pratique commerciale restrictive, atteinte à l'environnement et responsabilité du fait d'un produit (art. 99, § 2). Le cas des accidents de la circulation routière est évidemment réservé (compétence de la convention de La Haye du 4 mai 1971).

Quant aux obligations contractuelles, elles relèvent, en principe, des règles de la convention de Rome du 19 juin 1980. Le code étend ses solutions aux matières que la convention exclut à son article 1er (art. 98, § 1er, du code) [16].

Le chapitre 10 est applicable aux personnes morales. Sur le plan de la compétence, l'article 109 vient à l'appui des règles du règlement 44/2001 du Conseil du 22 décembre 2000 (dit règlement Bruxelles I) concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale. Quant au droit applicable, l'article 110 consacre une règle semblable à celle de l'ancien article 56 du Code des sociétés en retenant la loi de l'établissement principal (visé déjà à l'art. 197 des lois coordonnées sur les sociétés commerciales). Cette loi s'applique entre autres à la liquidation des personnes morales [17], sauf l'incidence du chapitre 11 du code relatif aux procédures d'insolvabilité. À l'origine, le projet de loi portant Code de droit international privé se contentait de renvoyer au règlement 1346/2000 du Conseil du 29 mai 2000 relatif aux procédures d'insolvabilité [18]. Il a été ultérieurement décidé d'intégrer ses dispositions dans le code, tout en les adaptant ou en les clarifiant quand il était nécessaire (artt. 116 et s.). Il en a résulté une modification particulièrement significative du droit international privé antérieur. Cette matière est dès lors incontournable pour les praticiens. Son commentaire a été confié à deux spécialistes chevronnés: Ivan Verougstraete et Vanessa Marquette.

Enfin le chapitre 12 organise des règles en matière de trust, institution bien connue des pays anglo-saxons. Il n'est évidemment pas question de créer un trust de droit belge mais de prévoir des règles de reconnaissance de trusts constitués à l'étranger mais portant sur des biens situés en Belgique ou gérés depuis la Belgique [19]. Cette reconnaissance est néanmoins limitée par le respect de dispositions impératives d'autres lois comme la loi sur les biens, la loi successorale.

Le souci du législateur était d'aboutir à une clarification du droit international privé, dont la complexité est indéniable et considérée par d'aucuns comme une science des broussailles.

L'avenir nous dira si le code sera ce véritable guide pour les praticiens et s'il aura contribué à un accès efficace des particuliers à la justice.

[1] Professeur ordinaire à l'ULB.
[2] Des commentaires généraux ont déjà été publiés: L. Barnich, “Présentation du nouveau Code belge de droit international privé”, Rev. not. 2005, pp. 6 et s.; H. Boularbah, C. Barbé, L. Barnich, W. Derijcke, S. Francq, R. Jafferali, V. Marquette, A. Nuyts, M. Pertegas-Sender, S. Sarolea et P. Wautelet, “Le nouveau droit international privé belge”, J.T. 2005, pp. 173 et s.; J.-Y. Carlier, “Le Code belge de droit international privé”, Rev. crit. d.i.p. 2005, n° 1; J. Erauw, “Het vernieuwde internationaal privaatrecht van België wordt van kracht”, R.W. 2004-05, pp. 121 et s. Un “Commentaire du Code de droit international privé”, fruit d'un projet interuniversitaire paraîtra aux éd. Bruylant/Intersentia en automne 2005.
[3] Avant-projet de loi portant le Code de droit international privé et l'avis du Conseil d'Etat, proposition de loi du 1er juillet 2002 portant le Code de droit international privé et développements, Doc. parl. Sénat 2001-02, n° 2-1225/1.
[4] Proposition de loi du 7 juillet 2003 portant le Code de droit international privé et développements, Doc. parl. Sénat 2003, n° 3-27/1.
[5] Rapport fait au nom de la commission de la Justice par Mme Nyssens et M. Willems, Doc. parl. Sénat 2003-04, n° 3-27/7. Voy. également le rapport fait au nom de la commission de la Justice de la Chambre (Doc. parl. Ch. 2003-04, n°51-1078/005) et le second rapport fait au nom de la commission de la Justice du Sénat (Doc. parl. Sénat 2003-04, n° 27/11).
[6] Loi du 16 juillet 2004 portant le Code de droit international privé, M.B. 27 juillet 2004.
[7] H. Boularbah, article cité supra note 1, n° 2 et les auteurs cités à la note 3, p. 173.
[8] Voy. sur ceux-ci, H. Boularbah, article cité note 1, n°s 21 et s.
[9] Voy. infra, le texte de P. Wautelet.
[10] Voy. sur cette disposition, A. Nuyts, article cité note 1, n° 36.
[11] L. Barnich, “La clause d'exception dans la proposition de loi portant le Code de droit international privé”, Mélanges John Kirkpatrick, Bruylant, 2004, pp. 59 et s.
[12] L. Barnich, o.c., pp. 71 et 72. Plus nuancé, voy. P. Wautelet, article cité note 1, n°s 49 et s.
[13] 29 mars 1973, Pas. I, p. 725.
[14] H. Boularbah, article cité note 1, n°s 94 et s.
[15] Cass. 17 mai 1957, Pas. I, pp. 1111 et s.; M. Fallon et S. Francq, “Chronique de jurisprudence. Les conflits de lois en matière d'obligations contractuelles et non contractuelles (1986-1997)”, J.T. 1998, pp. 692 et s.
[16] S. Francq, article cité note 1, n°s 190 et 191.
[17] Sur le domaine de la loi applicable, R. Jafferali, article cité à la note 1, n° 205.
[18] Voy. notam. Th. Bosly, “La faillite internationale. Une ère nouvelle s'est-elle ouverte avec le règlement du Conseil du 29 mai 2000”, J.T. 2001, pp. 689 et s.; N. Watté et V. Marquette, “Le règlement communautaire, du 29 mai 2000, relatif aux procédures d'insolvabilité”, R.D.C. 2001, pp. 565 et s.; P. Wautelet, “De Europese insolventieverordering”, Het nieuwe Europese IPR: van verdrag naar verordering, H. Van Houtte et M. Pertegas Sender (éd.), 2001, pp. 103 et s.; E. Dirix et V. Sagaert, “De Europese Insolventievordering”, in Gerechtelijk akkoord en faillissement, Kluwer, 2002, pp. 20 et s.
[19] W. Derijcke, article cité note 1, n°s 180 et s.