Tribunal de commerce de Namur 20 janvier 2004
TRANSPORT
Transport par rail - Responsabilité de l'expéditeur - Wagon non nettoyé - Chargement non attaché - Rechargement par le transporteur ferroviaire - Prescription
Suivant l'article 20, § 3, RU-CIM (1980), l'expéditeur est responsable de toutes les conséquences d'un chargement défectueux effectué par lui et doit notamment réparer le dommage subi de ce fait par le chemin de fer.
Par “expéditeur”, on entend la partie qui est mentionnée dans le cadre “expéditeur” de la lettre de voiture CIM.
L'expéditeur commet une double faute du fait que d'une part, les rouleaux de papier sont tombés suite à un nettoyage incomplet du sol du wagon et que d'autre part, les rouleaux n'ont pas été attachés malgré que les équipements à cet effet étaient présents.
Le transporteur ferroviaire a également commis une faute vu que les rouleaux, après rechargement, n'ont pas été non plus attachés, ce qui a entraîné à nouveau un incident.
Suivant l'article 58, § 1, RU-CIM (1980), le délai de prescription est de deux ans si l'action est fondée sur un dommage causé intentionnellement ou fondé sur le dol. Les fautes commises par l'expéditeur et le transporteur ferroviaire sont lourdes dans la mesure où ceux qui les ont causés ne peuvent nier que leurs manquements sont de nature telle qu'ils pouvaient causer un dommage non seulement au chargement transporté mais aussi au wagon succesif.
La SNCB est, en tant que transporteur ferroviaire suivant, responsable des fautes commises par le chemin de fer intervenant en amont.
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VERVOER
Spoorwegvervoer - Aansprakelijkheid van de afzender - Niet-gereinigde wagon - Niet-vastgehechte lading - Herbelading door de spoorwegvervoerder - Verjaring
Ingevolge artikel 20, § 3, RU-CIM (1980) is de afzender aansprakelijk voor alle gevolgen van een door hem verrichte gebrekkige belading en moet hij de door de spoorweg daardoor geleden schade vergoeden.
Onder “afzender” wordt verstaan de partij die in de CIM-vrachtbrief in het vak “afzender” is vermeld.
De afzender begaat een dubbele fout doordat enerzijds de rollen papier gevallen zijn ingevolge de onvolledige reiniging van de wagonvloer en doordat anderzijds de rollen niet werden vastgezet ofschoon hiervoor de voorzieningen aanwezig waren.
Ook de spoorwegvervoerder begaat een fout nu de rollen na herbelading evenmin werden vastgezet waardoor er opnieuw een incident ontstond.
Ingevolge artikel 58, § 1, RU-CIM (1980) bedraagt de verjaringstermijn twee jaar indien de vordering gegrond is op een opzettelijk veroorzaakte schade of gegrond is op bedrog. De door de afzender en de spoorwegvervoerder begane fouten zijn in die mate zwaar dat de veroorzakers ervan niet kunnen ontkennen dat hun tekortkomingen van die aard zijn dat ze schade konden veroorzaken waarbij niet alleen de vervoerde lading maar ook de wagon in gevaar werd gebracht.
De NMBS is als opvolgende spoorwegvervoerder aansprakelijk voor de fouten begaan door de eerder tussengekomen spoorweg.
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SNCB / SCA Packaging Italia SpA
Siég.: F. Davreux (juge ff. de président), J. Marchal et J.-L. Maquet (juges consulaires) |
Pl.: Mes S. Kerkhofs, Chebib loco C. Ronse, J. Libouton et B. Denamur |
(...)
Les faits |
La SCA Packaging Italia a chargé la SA Eurorail d'organiser le transport par chemin de fer de 10 rouleaux de papier cartonné de 2,30 m de hauteur et de 1,40 m de diamètre depuis Lucca en Italie jusqu'à Dilbeek;
La SA Eurorail a fait, à son tour, appel à la SPRL Autotrasporti Citti afin que celle-ci achemine les dits rouleaux jusqu'à la gare de Lucca puis les charge sur le wagon n° 20 du train n° 40920 en partance pour la Belgique;
Lors du passage du train à la gare de Chiasso, le 8 novembre 1997, les chemins de fer fédéraux suisses (CFF) ont constaté de l'extérieur une anomalie au wagon qui a été ouvert; après quoi il a été constaté, à l'intérieur du wagon, un glissement du chargement qui était mal réparti;
Les CFF ont alors procédé à un réaménagement du chargement au moyen d'un tracteur, les rouleaux étant recentrés sur le wagon.
Le train a ensuite poursuivi sa route jusqu'à Namur où, lors de l'entrée en gare, le 12 novembre 1997, les 20ème et 21ème wagons ont déraillé;
Par ordonnance du 19 novembre 1997, rendue sur requête unilatérale de la SNCB; le président du tribunal de première instance de Namur a désigné l'expert Binard pour procéder à l'examen des causes de l'accident et évaluer le dommage des parties;
Toutes les parties actuellement à la cause ont été conviées à assister aux constatations de l'expert.
Celui-ci, dans son avis sur les causes et origines du déraillement, écrit (Rapport Binard, pp. 32-33):
“Le scénario du déraillement tel qu'il est déduit des constatations faites sur les lieux du sinistre est décrit au chapitre 4.1 du rapport préliminaire. Les causes du déraillement sont exposées au chapitre 4 du rapport préliminaire. La cause du déraillement réside indiscutablement dans le déplacement des bobines favorisé par la présence sur le plancher du wagon d'une couche de graphite impalpable. La présence de ce graphite provenant d'un chargement antérieur constitue la preuve d'un manque de nettoyage du wagon avant chargement des bobines.” “... les agents des chemins de fer, effectuant la visite des convois avant mise en circulation, n'ont pas dans leur mission une inspection du chargement à l'intérieur des wagons fermés. Leur inspection, effectuée le long du convoi au niveau du sol, se limite à l'examen des organes visant la sécurité de la circulation du train (essieux, état des ressorts et boîtes d'essieux, fonctionnement du système de freinage, etc.). Au départ, avant que n'intervienne un déplacement de la charge, aucune anomalie ne pouvait être constatée. Ce n'est qu'en gare de Chiasso que les visiteurs des C.F.F. ont remarqué une anomalie au niveau de la répartition des charges sur les essieux (vraisemblablement confirmé par une déformation différente des ressorts). Ils ont fait procéder à un recentrage des bobines avant poursuite de voyage sur le réseau suisse. Aucune nouvelle visite du convoi n'a été signalée lors de l'entrée successive en France, au Luxembourg et en Belgique”.
Discussion |
L'examen des différentes demandes impose qu'il soit répondu dans l'ordre suivant aux questions soulevées par les parties:
- identité de l'expéditeur;
- auteur(s) de la ou des fautes à l'origine du déraillement;
- prescription éventuelle des demandes;
- fondement des demandes.
1. | L'expéditeur |
L'article 20, § 3, des règles uniformes CIM précise que:
“L'expéditeur est responsable de toutes les conséquences d'un chargement défectueux effectué par lui et doit notamment réparer le dommage subi par les chemins de fer...”. Or la lettre de voiture relative au transport des 10 bobines indique l'identité et l'adresse de la SCA Packaging Italia;
Cette lettre, rédigée par Autotrasporti Citti, précise cependant après l'indication des coordonnées de Packaging Italia “C/TO Autotrasporti Citti... c'est-à-dire “Conto Autotrasporti Citti”.
Ceci signifie que la société Autotrasporti Citti agissait pour compte de la SCA Packaging Italia et qu'elle se présente elle-même comme étant l'expéditeur;
Selon les termes de la lettre de voiture CIM, acceptée par le chemin de fer, l'expéditeur est donc Autotrasporti Citti, qui agissait pour compte de SCA Packaging.
C'est donc contre cette dernière société que la SNCB aurait dû diriger son action.
2. | Auteur(s) de la ou des fautes |
La société Autotrasporti Citti a doublement manqué à ses obligations en réalisant le chargement du wagon qui lui était présenté sans procéder à un nettoyage complet de celui-ci puis en s'abstenant d'arrimer les bobines alors qu'un dispositif le permettait;
Il ressort du rapport d'accident rédigé par les agents de la SNCB, après le déraillement, que le sol du wagon était recouvert d'une couche de graphite qui le rendait particulièrement glissant:
“1. Le plancher métallique du wagon était recouvert d'une importante pellicule de poussière noire.
2. Le chargement non arrimé était complètement déplacé latéralement et touchait la paroi de droite du wagon sur toute sa longueur.
4. Dans le poste étiquette arrière droit du wagon n° 2374 246 93719, nous avons trouvé une étiquette faisant état d'un transport antérieur par ce véhicule de graphite entre la République Tchèque et la gare de Massu (Italie). Ce fait explique la présence importante de poussière noire dans le wagon 2374 246 93719”.
Il est donc manifeste que le nettoyage que la société Autotrasporti Citti affirme avoir réalisé a dû être plus que sommaire et que les cartons posés sur le sol du wagon avaient plus pour objet d'éviter la souillure des bobines par le graphite que de protéger d'une quelconque humidité;
Autotrasporti Citti s'est abstenue, en outre, d'arrimer les bobines alors que le wagon disposait d'un équipement le permettant et que Autotrasporti Citti avait pu constater la présence de graphite puisqu'elle avait cherché à le nettoyer;
L'expert relève à ce propos: “... le wagon était équipé de dispositifs permettant l'arrimage des bobines. Cet arrimage n'a pas été prévu malgré le risque de déplacement latéral du chargement sous les sollicitations induites au cours du transport...” (Rapport Binard, p. 28);
Les chemins de fer fédéraux suisses (C.F.F.) ont également commis une faute en se limitant à recentrer les bobines dans le wagon sans procéder à leur arrimage.
L'expert relève à ce propos que: “... Cette opération a nécessairement requis l'ouverture des portes latérales du wagon. Les agents du chemin de fer suisse auraient dû s'inquiéter des causes du déplacement des bobines et constater l'absence d'arrimage conforme au règlement RIV...”. (Rapport Binard, p. 14).
Les C.F.F. devaient donc impérativement procéder eux-mêmes à l'arrimage ou s'opposer à la poursuite du transport aussi longtemps que les conditions réglementaires n'étaient pas remplies.
En vertu de la règle de l'équivalence des conditions, en présence de fautes concurrentes, le juge apprécie souverainement dans quelle mesure la faute de chacun contribue au dommage;
Les manquement des C.F.F. à la prudence qui s'imposait à des professionnels du transport sont loin d'équivaloir à ceux qui peuvent être reprochés à Autotrasporti Citti dont le négligence apparaît doublement;
Il est donc juste d'attribuer à Autotrasporti Citti les 2/3 de la responsabilité et aux C.F.F. 1/3 de celles-ci;
3. | Prescription des demandes |
Par conclusions du 3 août 2001, la SNCB a formé une demande incidente à l'encontre de la SA Eurorail ainsi que de la société Autotrasporti Citti;
Il a été précisé que cette demande n'est pas fondée à l'égard d'Eurorail dans la mesure où cette société n'est pas l'expéditeur.
Elle est, au surplus, prescrite tant à l'égard d'Autotrasporti que d'Eurorail en sa qualité de mandant d'Autotrasporti;
L'article 58 du règlement CIM stipule en effet que le délai de prescription de l'action du chemin de fer contre l'expéditeur est d'un an;
Or, le droit de la SNCB à poursuivre la réparation de son dommage est né le jour où la faute et le dommage se sont réalisés soit le jour du déraillement le 12 novembre 1997;
Les demandes incidentes formées tant par la SA Eurorail que les intervenantes volontaires ne sont, par contre, pas prescrites.
L'article 58, § 1.C, du règlement CIM prévoit, en effet, que le délai de prescription est de deux ans lorsque l'action est fondée sur “... un dommage résultant d'un acte ou d'une omission commise soit avec l'intention de provoquer un tel dommage soit témérairement et avec conscience qu'un tel dommage en résultera probablement...”.
Les fautes concurrentes d'Autotrasporti Citti et des C.F.F. sont à ce point lourdes que leurs auteurs n'ont pu ignorer que leurs carences étaient de nature à provoquer une avarie mettant en danger non seulement le contenu du wagon mais aussi celui-ci;
4. | Fondement et recevabilité des demandes |
1- La demande de la SNCB à l'encontre de la SCA Packaging Italia n'est pas fondée, cette dernière n'ayant pas la qualité d'expéditeur;
2- Les demandes incidentes de la SNCB à l'encontre de Eurorail et d'Autotrasporti Citti sont prescrites et donc irrecevables;
3- La demande de la SCA Packaging Italia à l'encontre de la SA Eurorail et Autotrasporti Citti est recevable et fondée à concurrence de 6.748 euros en principal;
4- La demande incidente formée subsidiairement par Eurorail à l'encontre de la SNCB et d'Autotrasporti Citti et tendant à voir ces dernières condamnées à la garantir de toute condamnation prononcée à sa charge est recevable et fondée comme il sera dit ci-après;
En effet, conformément à l'article 36 du règlement CIM, la SNCB répond des fautes des chemins de fer fédéraux suisses;
5- Enfin, les demandes incidentes formées par Eurorail et par les intervenantes volontaires concernant leurs débours ainsi que la franchise contractuelle sont recevables et fondées à l'encontre de la SNCB et d'Autotrasporti Citti;
Vu la loi du 15 juin 1935 sur l'emploi des langues en matière judiciaire;
Par ces motifs
Le tribunal de commerce;
(...)
Reçoit la demande de la SNCB à l'encontre de la SCA Packaging Italia et la dit non fondée;
Dit irrecevables les demandes incidentes de la SNCB à l'encontre d'Eurorail et d'Autotrasporti Citti;
Reçoit la demande de la société de droit italien SCA Packaging Italia et condamne solidairement et indivisiblement les SA Eurorail et Autotrasporti Citti à lui payer la somme de 6.748 euros, majorée des intérêts judiciaires depuis le 12 novembre 1997;
Condamne la SNCB à garantir la SA Eurorail à concurrence d'un 1/3 des montants alloués à la SCA Packaging Italia;
Condamnes Autotrasporti Italia à garantir la SA Eurorail à concurrence de 2/3 des montants alloués à la SCA Packaging Italia;
Reçoit la demande incidente de la SA Eurorail et condamne la SNCB pour 1/3 et Autotrasporti Citti pour 2/3 à lui payer la somme de 2.892,05 euros, majorée des intérêts judiciaires depuis le 12 novembre 1997;
Reçoit la demande des intervenantes volontaires et condamne la SNCB pour 1/3 et Autotrasporti Citti pour 2/3 à leur payer la somme de 1.112,27 euros, majorée des intérêts judiciaires depuis le 12 novembre 1997;
Condamne la SNCB aux dépens liquidés par la SCA Packaging Italia SpA à la somme de 901,96 euros;
Condamne solidairement la SNCB et Autotrasporti Citti aux dépens liquidés par SA Eurorail et par les intervenantes volontaires à la somme de 334,66 euros;
Délaisse à la SNCB et à Autotrasporti Citti leurs propres dépens.
Ordonne l'exécution provisoire du présent jugement nonobstant tout recours et sans caution.
(...)