Les circonstances de fait sont malheureusement “classiques”: la titulaire d'une carte de débit voit sa carte avalée par un distributeur de billets “défectueux”. Au cours de vaines manoeuvres de récupération de la carte, la cliente est amenée, sur les conseils de tiers présents aux abords du distributeur à faire usage de son code secret. La carte ressort de l'appareil pendant un moment d'inattention de la part de la titulaire. Celle-ci croyant la carte toujours retenue par le distributeur ne juge pas nécessaire de se conformer à la procédure d'avertissement de Card Stop du risque d'usage abusif de la carte. Des retraits sont opérés au moyen de la carte en question et la titulaire en demande le remboursement à la banque. Cette dernière lui oppose une clause de son règlement général des opérations suivant laquelle le titulaire de la carte est responsable de tout usage abusif qui en serait fait jusqu'à la notification du risque d'usage abusif à Card Stop. Cette responsabilité est plafonnée à 6.000 FB mais seulement pour autant qu'il n'y ait eu de la part du titulaire ni négligence grave ni fraude. Le juge ordonna, dans un premier temps, la réouverture des débats en invitant les parties à conclure sur le caractère abusif ou non de la clause répartissant les responsabilités entre parties.
Les clauses contractuelles relatives à la fourniture de services bancaires et financiers sont susceptibles d'être sanctionnées à des titres divers: contrariété à l'ordre public, principe d'interprétation des contrats, principe d'exécution de bonne foi des conventions, abus de droit, lésion etc. Elles sont en outre soumises à la loi du 14 juillet 1991 sur les pratiques du commerce et sur l'information et la protection du consommateur et en particulier aux articles 31 et suivant de la loi, relatifs aux clauses abusives [1].
L'article 32 de la loi produit une énumération limitative des types de clause dans lesquelles le déséquilibre manifeste entre les droits et obligations des parties est sous-entendu. Semblables clauses sont nulles. Elles ouvrent en outre le recours au juge de cessation.
Les dispositions du règlement général des opérations incriminées en l'espèce n'entraient toutefois manifestement dans aucun des cas de figure énumérés par l'article 32.
L'article 31 pose en outre l'interdiction générale de toute clause ou condition qui, à elle seule ou combinée avec une ou plusieurs autres clauses ou conditions crée un déséquilibre manifeste entre les droits et les obligations des parties.
Aux termes de l'article 31, § 3, le caractère abusif d'une clause contractuelle est apprécié en tenant compte de la nature des produits ou services qui font l'objet du contrat et en se référant, au moment de la conclusion du contrat, à toutes les circonstances qui entourent sa conclusion, de même qu'à toutes les autres clauses du contrat, ou d'un autre contrat dont il dépend.
L'article 31, § 4 précise par ailleurs que lorsque toutes ou certaines clauses du contrat sont écrites, ces clauses doivent être rédigées de manière claire et compréhensible et qu'en cas de doute sur les sens d'une clause, l'interprétation la plus favorable au consommateur prévaut.
Le juge jouit d'un large pouvoir d'appréciation quant à l'application de l'article 31. Ce pouvoir d'appréciation est toutefois marginal et doit respecter la liberté contractuelle des parties, dans la mesure où la clause convenue d'une part était suffisamment transparente et d'autre part ne crée pas un déséquilibre manifeste entre les droits et obligations respectifs.
Par ailleurs, si la sanction d'une violation de cette disposition est la nullité - relative - de la clause incriminée, le juge dispose également, en vertu de l'article 33 de la loi d'un large pouvoir d'appréciation quant à la sanction adéquate de semblable violation: rescision pour lésion, réparation en nature, octroi de dommages et intérêts ou encore rétablissement des parties dans leurs droits tels que ceux-ci auraient dû se trouver en l'absence de la clause abusive [2].
En l'espèce, la titulaire de la carte fit valoir, après réouverture des débats, qu'elle ne disposait, sur base de la clause litigieuse, que de droits strictement limités et conditionnés alors que l'émetteur usait de la manière la plus large de son pouvoir de limiter ses responsabilités en mettant à charge du titulaire des devoirs et obligations dépassant ceux d'un utilisateur “bon père de famille”.
La clause appliquée en l'espèce reflétait pourtant le prescrit de l'article 61 de la loi du 12 juin 1991 relative au crédit à la consommation, applicable (mais uniquement aux cartes de crédit) au moment des faits [3]. Cet article prévoyait en effet, une mise à charge du consommateur des risques d'usage abusif jusqu'au moment de la notification de la perte ou du vol. Pouvoirs étaient par ailleurs donnés au Roi [4] de prévoir des plafonds pour les risques mis à charge du consommateur en tenant compte du comportement éventuellement imprudent ou frauduleux de ce dernier.
De même, une recommandation européenne du 17 novembre 1988 prévoyait déjà, en son article 8.3 que “le titulaire contractant supporte la perte subie jusqu'au moment de la perte, du vol ou de la contrefaçon du moyen de paiement mais seulement jusqu'à un seuil de 150 Ecus par événement sauf s'il a fait la preuve d'une négligence extrême ou a agi frauduleusement” [5].
Le juge constate en l'occurrence, que la clause litigieuse n'avait rien d'abusive. Elle contenait en effet, une répartition “logique” de responsabilité en considérant d'une part la période antérieure à la notification de la perte, du vol ou du risque d'usage abusif de la carte - période au cours de laquelle les risques sont à charge du titulaire - et la période postérieure à la notification, à partir de laquelle les risques sont exclusivement à charge de l'émetteur de la carte. Pour la période antérieure à la notification, les risques à charge du client étaient en outre plafonnés à un montant “raisonnable” de 6.000 FB pour autant qu'il n'y ait eu, de sa part, ni fraude ni négligence grave. En tant que telle, la clause était donc parfaitement équilibrée.
La loi du 17 juillet 2002 [6] a confirmé le principe de répartition de responsabilité basée sur la prise en considération du moment de la notification du risque d'usage abusif. Le plafond de risque mis à charge du titulaire est actuellement de 150 EUR.
Ce plafond n'est toutefois pas applicable si l'émetteur prouve que le titulaire a agi frauduleusement ou s'est rendu coupable de négligence grave [7].
Devant le juge, la titulaire vilipendait également la position de la banque tendant à considérer que l'utilisation abusive de la carte par un tiers impliquait, par définition, une faute du titulaire, faute exclusive de toute responsabilité dans le chef de l'émetteur.
Au niveau de la charge de la preuve, la loi du 17 juillet 2002 “aggrave” la situation de l'émetteur de la carte en cas de perte, de vol ou d'utilisation abusive d'un instrument de transfert électronique de fonds (ITEF) en mettant à charge de l'émetteur la preuve d'une fraude ou d'une négligence grave imputable au titulaire. Dans cette optique, l'utilisation de l'instrument de paiement avec usage du code normalement connu du seul titulaire ne constitue pas une preuve suffisante de la négligence de ce dernier [8]. Par ailleurs, la responsabilité du titulaire ne peut être engagée si l'instrument de paiement a été utilisé sans présentation physique ni identification électronique.
Les clauses et conditions contractuelles qui auraient pour effet d'aggraver la charge de la preuve au détriment du consommateur (titulaire de l'ITEF) ou d'atténuer la charge de la preuve au niveau de l'émetteur sont interdites et nulles [9].
La loi du 17 juillet 2002 met en outre à charge de l'émetteur, la preuve de ce que le titulaire de l'instrument de transfert électronique de fonds a, dès avant la mise à disposition de l'instrument, été informé, de manière claire et non équivoque, par écrit ou sur un support durable des conditions contractuelles régissant l'émission et l'utilisation de l'ITEF [10]. Le titulaire d'une carte - de retrait ou de crédit - doit en particulier être informé de ce qu'il a, le cas échéant dans certaines limites fixées par l'émetteur et dont le titulaire doit avoir été clairement informé, le droit de choisir des plafonds d'utilisation correspondant à ses besoins propres [11]. La loi précise que le titulaire a le droit de modifier ces plafonds au moins deux fois par an et à la suite de la perte ou du vol de sa carte ou en cas de contestation d'une opération [12].
En l'espèce, toutefois, ni l'information donnée au titulaire au moment de la mise à disposition de la carte ni la clarté de cette information ne faisait l'objet de contestations.
Une fois admis que la clause de répartition de responsabilité était entrée dans le champ contractuel et n'avait rien d'abusif, l'application stricte de ladite clause aurait dû avoir pour conséquence de faire dépendre la solution du litige d'une seule et unique question: la titulaire de la carte victime de l'usage abusif avait-elle, ou non commis une négligence grave: en cas de négligence, la totalité du dommage était - contractuellement - à sa charge, en l'absence de négligence grave son risque était plafonné à 6.000 FB (rappelons qu'en l'espèce aucune notification de perte, de vol ou de risque d'usage abusif n'avait été faite).
Le juge a toutefois estimé que le caractère non abusif de la clause en question - et donc la reconnaissance de la validité d'une répartition contractuelle des risques entre parties - n'empêchait pas que doive être posée, en tenant compte des circonstances de l'espèce la question d'un éventuel partage de responsabilité.
À charge de la titulaire, le juge relève deux types de négligence ayant facilité l'usage abusif de la carte:
- le fait d'avoir réintroduit son code secret dans des circonstances qui auraient dû éveiller sa suspicion, en présence et sur le conseil de personnes inconnues - le jugement ne comporte toutefois pas de commentaire particulier sur ce comportement;
- et le fait de n'avoir pas averti Card Stop de la perte de la carte [13]. À propos du non-avertissement de Card Stop, le juge relève que la cliente a pu croire “à bon droit” qu'une notification de la perte de la carte n'était pas nécessaire dans la mesure où, la carte ayant été avalée par l'appareil automatique, il ne pouvait - dans l'esprit de la titulaire - en être fait mauvais usage.
À l'émetteur de la carte, le juge reproche également deux fautes:
- ne pas avoir pris des mesures pour empêcher qu'une carte puisse être introduite dans un appareil défectueux;
- et le fait de n'avoir pas attiré l'attention de l'utilisateur, par un message apparaissant sur l'écran ou autrement, de ce que la carte allait ressortir de l'appareil défectueux.
À la lecture des faits relatés dans le jugement, on peut supposer que l'appareil défectueux était du type “self bank” et appartenait donc bien à l'émetteur de la carte. Le jugement fait cependant par ailleurs allusion aux appareils “Bancontact/Mister Cash”. On notera que bien que ce type d'appareil soit la propriété - et sous le contrôle - de la société Banksys et non de la banque émettrice de la carte, la loi du 17 juillet 2002 n'envisage que le rapport entre l'émetteur [14] et le titulaire: l'émetteur est seul tenu à l'égard du titulaire en cas de défaillance du système [15], quitte à se retourner ensuite, le cas échéant contre la société ayant le contrôle et la responsabilité du bon fonctionnement de l'appareil.
La loi du 17 juillet 2002 renforce par ailleurs l'obligation qu'a l'émetteur de la carte de donner, tant lors de la conclusion du contrat (art. 4, § 2, 5°) que périodiquement au cours de son exécution des conseils de prudence destinés à éviter tout usage abusif de son instrument de transfert électronique de fonds (art. 5, § 2). La loi prévoit également (art. 6, 5°) que l'émetteur doit mettre à la disposition du titulaire les moyens appropriés lui permettant de faire la notification de perte ou de vol de l'instrument de transfert électronique de fonds. Dans cet esprit, des avis sont aujourd'hui systématiquement apposés sur les appareils distributeurs automatiques de billets invitant le titulaire dont la carte ne ressort pas de l'appareil à réagir immédiatement en avertissant Card Stop.
En vertu de la loi du 14 juillet 2002, l'émetteur doit rembourser au titulaire la perte financière résultant de l'exécution incorrecte des opérations par celui-ci, lorsque cette exécution est due à un dysfonctionnement du dispositif ou terminal ou de tout autre équipement agréé par l'émetteur pour autant que ce dysfonctionnement n'ait pas été soit provoqué sciemment par le titulaire soit rendu possible par la violation des obligations que la loi met à charge du titulaire de notamment, notifier dès qu'il en a connaissance, à l'émetteur ou à une entité indiquée par celui-ci, la perte ou le vol de l'instrument de transfert électronique de fonds ou des moyens qui en permettent l'utilisation [16].
Il est donc clair, a contrario, que le titulaire d'une carte volée, perdue ou avalée par un appareil défectueux doit supporter la perte financière résultant d'une exécution incorrecte d'opérations s'il n'a pas respecté l'obligation - que la loi met à sa charge - de notifier la perte ou le vol de sa carte dès qu'il en a connaissance.
Dans l'espèce litigieuse, la clause du règlement général de l'émetteur stipulait expressément que le titulaire était entièrement responsable pour tout usage abusif fait de sa carte à défaut pour lui d'avertir immédiatement Card Stop de la perte, du vol ou de tout risque d'usage abusif de ladite carte.
L'équation soumise au juge était donc des plus simples: ou il prenait en considération uniquement le fait de l'absence de notification et l'entièreté du dommage incombait à la titulaire de la carte ou il considérait, sur base de son pouvoir d'appréciation souverain des faits qui lui sont soumis que dans les circonstances de l'espèce, l'absence de notification était “excusable” ou à tout le moins n'était pas constitutive d'une négligence grave et la titulaire n'était responsable du dommage subi qu'à concurrence du plafond de 6.000 FB.
Soit que le droit ne se prête pas à la mise en équation soit que les mathématiques juridiques doivent se teinter d'équité, le juge opta en l'occurrence, pour la voie médiane d'une répartition du dommage à concurrence de deux cinquièmes à charge de la banque (soit 20.000 FB) et de trois cinquièmes à charge de la cliente (soit 30.000 FB).
[1] | Sur l'application de ces articles aux clauses relatives aux services financiers, consultez notamment P. Wolfcarius, “La protection du consommateur en matière contractuelle: la réglementation des clauses abusives dans la nouvelle loi du 14 juillet 1991 sur les pratiques du commerce et l'information et la protection du consommateur”, in Les pratiques du commerce et la protection et l'information du consommateur depuis la loi du 14 juillet 1991, Bruxelles, Éd. du Jeune Barreau, 1991 et les Doc. parl. Chambre, n° 1240/20, pp. 15 à 17, 21, 23, 24 à 31, 32, 33, 35 et 266 à 276. |
[2] | P. Wolfcarius, o.c., p. 321. |
[3] | Cet article qui ne visait que les cartes de crédit a été abrogé - à compter du 1er février 2003 par la loi du 17 juillet 2002 relative aux opérations effectuées au moyen d'instruments de transfert électronique de fonds, artt. 18 et 21. |
[4] | L'arrêté royal du 24 février 1992 précisait que - sauf fraude ou négligence grave - le montant maximum du risque assumé par le consommateur en cas de perte ou de vol d'une carte de crédit était de 6.500 FB. En cas de négligence grave du consommateur, ce plafond de risque mis à sa charge était de 32.000 FB maximum (sauf pour les crédits excédant 65.000 FB pour lesquels le plafond de risque à charge du consommateur ne pouvait excéder 50% du montant du crédit). |
[5] | Recommandation de la Commission 88/590/CEE; J.O. n° L 317 du 24 novembre 1988-0058. Voy. également la recommandation 97/489/CE du 30 juillet 1997, J.O. n° L 208/52 du 2 août 1997. |
[6] | Applicable aux personnes physiques qu'elles agissent à titre privé ou professionnel mais pas aux personnes morales même dans la mesure où la carte dont la personne morale est titulaire est utilisée par une personne physique pour autant que ce soit bien la personne morale elle-même qui ait signée le contrat relatif à la carte avec l'établissement émetteur. La loi vise tout moyen permettant d'effectuer par voie entièrement ou partiellement électronique un transfert de fonds, un retrait ou dépôt d'argent liquide, un chargement ou déchargement d'un instrument rechargeable (type Proton) ou autorisant un accès “à distance”) au compte - que ce soit pour en consulter le solde ou pour effectuer des opérations à partir de ce compte. |
[7] | Loi du 17 juillet 2002, art. 8, § 2. |
[8] | Voy. également: Doc. parl. Chambre 2001-02, n° 1389/001, pp. 31 et 32 et n° 1389/003, p. 3. |
[9] | Loi du 17 juillet 2002, art. 8, § 2, 3°. |
[10] | Loi du 17 juillet 2002, art. 4. |
[11] | Loi du 17 juillet 2002, art. 4, § 2, 3° et 4°. |
[12] | Loi du 17 juillet 2002, art. 6, 6°. |
[13] | Loi du 17 juillet 2002, art. 6, 7°, met à charge de l'émetteur une obligation de résultat d'empêcher toute nouvelle utilisation de l'ITEF dès que le titulaire a notifié, selon la procédure convenue la perte ou le vol de l'ITEF. |
[14] | Défini à l'art. 2, 3°, de la loi comme étant “toute personne qui dans le cadre de son activité commerciale, met un instrument de transfert électronique de fonds à la disposition d'une autre personne conformément à un contrat conclu avec celle-ci”. |
[15] | L'art. 7 de la loi stipule que l'émetteur est responsable de l'inexécution ou de l'exécution incorrecte des opérations effectuées à l'aide d'un ITEF, à partir de dispositifs, terminaux ou moyens d'équipement agréés par l'émetteur, que ceux-ci soient placés sous son contrôle ou non. |
[16] | Loi du 17 juillet 2002, art. 7, § 2, 6° et art. 8, § 1er. |