Tribunal de commerce de Bruxelles 13 mars 2003
CONCESSION
Concession de vente - Résiliation - Préavis raisonnable - Secteur automobile
Le préavis raisonnable dû par le concédant à l'occasion de la rupture d'un contrat ayant duré 20 ans et représentant entre 40 et 49% des ressources du concessionnaire, peut être estimé à 30 mois.
Pour le calcul de l'indemnité compensatoire de préavis il y a lieu de prendre en compte, comme période de référence, les 36 mois qui ont précédé la rupture.
CONCESSION
Concession de vente - Résiliation - Secteur automobile - Indemnité de clientèle - Caractère notable - Mode de calcul
Le caractère éventuellement notable de l'apport de clientèle peut résulter du fait que le coefficient de pénétration de la marque du concédant dans le territoire concédé est supérieur au coefficient de pénétration moyen en Belgique. Si cette hypothèse est vérifiée, l'indemnité de clientèle peut être fixée à 10% du bénéfice brut des 36 mois précédant la rupture.
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CONCESSIE
Verkoopconcessie - Ontbinding - Redelijke opzeggingstermijn - Automobielsector
De redelijke opzeggingstermijn die door de concessiegever verschuldigd is bij de verbreking van een overeenkomst van 20 jaar die overeenstemt met 40 tot 49% van de inkomsten van de concessiehouder, kan geschat worden op 30 maanden.
Voor de berekening van de opzeggingsvergoeding moet men de 36 maanden voorafgaand aan de verbreking als referentieperiode in rekening brengen.
CONCESSIE
Verkoopconcessie - Ontbinding - Automobielsector - Uitwinningsvergoeding - Bekendheid - Berekeningswijze
De bekendheid van de inbreng van de cliënteel kan volgen uit het feit dat de penetratiecoëfficiënt van het merk van de concessiegever in het gebied van de concessie hoger ligt dan de gemiddelde penetratiecoëfficiënt in België. Indien dit aangetoond wordt, kan de uitwinningsvergoeding vastgesteld worden op 10% van de brutowinst van de 36 maanden voorafgaand aan de verbreking.
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SA Ets Michel Lecoq / Honda Motor Europe (North) GmbH
Siég.: M.-Fr. Carlier (juge, président de chambre), A. Lechien et S. Speth (juges consulaires) |
Pl.: J.-L. Dewez, E. Kairis loco G. Bogaert et Y. Van Couter |
(...)
II. | Les faits |
À l'examen des pièces et des exposés des parties, les principaux faits de la cause peuvent être résumés comme suit:
1. la SA Ets Michel Lecoq et la SA Honda Benelux ont conclu successivement plusieurs contrats de distribution, datés respectivement des 3 février 1981, 14 mars 1983 et 1er janvier 1985.
Conformément à l'article 11 du premier contrat, les relations contractuelles entre parties ont commencé, le 1er janvier 1981.
Le dernier contrat de distribution a été conclu en date du 20 septembre 1996 et ce, pour une durée indéterminée;
2. en 1988, la SA Ets Michel Lecoq est devenue concessionnaire de la marque Suzuki;
3. le 1er octobre 1999, les droits et obligations de la SA Honda Benelux ont été repris par HME-North;
4. par lettre recommandée du 28 août 2000, HME-North a notifié à la SA Ets Michel Lecoq la résiliation des relations contractuelles moyennant un délai de préavis de 15 mois (...).
III. | Discussion |
(...)
4. | Quant à l'indemnité compensatoire de préavis |
Pour contester le bien-fondé de la demande de paiement d'une indemnité compensatoire de préavis, HME-North fait valoir les moyens suivants:
- à titre principal, que le délai de préavis accordé est conforme à l'article 31 2 du contrat de concession du 20 septembre 1996, lui-même conforme au règlement européen 1475/95;
- à titre subsidiaire, qu'au regard de la loi du 27 juillet 1961, un préavis de 15 mois est raisonnable.
a. Le contrat de concession au regard du règlement 1475/95 |
1. Pour conclure au caractère suffisant du délai de 15 mois accordé à la SA Ets Michel Lecoq, HME-North invoque:
- d'une part, l'article 5, § 3 du règlement 1475/95 de la Commission du 28 juin 1995, concernant l'application de l'article 85, § 3, du traité à des catégories d'accords de distribution et de service de vente et d'après-vente de véhicules automobiles, lequel prévoit que:
“Les conditions d'exemption prévues aux paragraphes 1 et 2 ne préjugent pas du droit du fournisseur de résilier l'accord moyennant un préavis d'au moins un an en cas de nécessité de réorganiser l'ensemble ou une part substantielle du réseau”;
- et d'autre part, l'article 312 du contrat du 20 septembre 1996 rédigé de la manière suivante: “Le fournisseur aura le droit de résilier le présent contrat moyennant notification d'un préavis d'un an minimum, s'il doit réorganiser son réseau de distribution ou une partie importante de celui-ci”;
2. La question à trancher est donc de savoir si en respectant le préavis fixé par le règlement européen 1475/95 et le contrat liant les parties, la partie qui résilie a rempli toutes ses obligations légales ou si l'autre partie peut prétendre à un préavis “raisonnable” plus long conformément aux principes résultant de la loi de 1961.
À cet égard, ledit règlement 1475/95 de la Commission “n'empêche nullement le concessionnaire de se prévaloir des dispositions plus favorables prévues par les dispositions impératives de la loi du 27 juillet 1961 et de réclamer une indemnité compensatoire lorsque le préavis accordé n'est pas suffisant” (par analogie avec Liège 12 octobre 1993, Cass. 6 octobre 1995 et Anvers 13 février, 1996, cités par D. Van Bunnen, “Chronique de jurisprudence. La distribution automobile (1985-1997)”, J.T. 1998, pp. 755-756 , P. Kileste et C. Staudt, “Le règlement n° 1400/2002 du 31 juillet 2002 de la Commission européenne en matière de distribution automobile”, J.T. 2003, p. 148 ).
3. La SA Ets Michel Lecoq peut donc se prévaloir du bénéfice de la loi du 27 juillet 1961.
b. La loi du 27 juillet 1961 |
b.1. La durée du préavis |
1. Nonobstant le sentiment d'injustice et d'iniquité dont fait état Monsieur Michel Lecoq au regard de son âge et du fait que trois autres membres de sa famille travaillent dans le garage Lecoq et s'il a peut-être cru que le contrat conclu en 1996 serait maintenu pendant au moins quinze à vingt ans, il n'en demeure pas moins d'une part, que la convention a été conclue avec la SA Ets Michel Lecoq, personne morale distincte de Monsieur Michel Lecoq, et d'autre part, que chacune des parties à une convention de concession de vente à durée indéterminée a la faculté d'y mettre fin moyennant un préavis raisonnable ou une juste indemnité à déterminer par les parties au moment de la dénonciation du contrat.
C'est à la partie qui résilie sans invoquer de faute grave qu'il appartient d'opter entre l'exécution du préavis raisonnable ou le versement de la juste indemnité.
2. En l'espèce, HME-North a opté pour l'octroi d'un préavis raisonnable.
La SA Ets Michel Lecoq est toutefois en désaccord quant à la durée de 15 mois accordée. Elle estime qu'elle avait droit à un préavis de 60 mois, et partant réclame une indemnité compensatoire de préavis supplémentaire de 45 mois.
3. Selon les termes de l'article 2, alinéa 2, de la loi du 27 juillet 1961, “à défaut d'accord entre les parties, le juge statue en équité”.
La doctrine et la jurisprudence considèrent généralement que le préavis raisonnable doit permettre au concessionnaire d'exécuter les obligations qu'il a contractées envers les tiers et de se procurer une source de revenus nets équivalente à celle qu'il a perdue, le cas échéant moyennant reconversion totale ou partielle de ses activités.
Pour apprécier la durée de ce préavis, les critères suivants peuvent notamment être retenus: étendue et durée de la concession, part de la concession dans les activités globales, renommée du produit, chiffre d'affaires de la concession, investissements réalisés pour les besoins de la concession et évolution des résultats d'exploitation (P. Kileste et P. Hollander, “Examen de jurisprudence. La loi du 27 juillet 1961 relative à la résiliation unilatérale des concessions de vente exclusive à durée indéterminée”, R.D.C. 1998, p. 23, n° 57).
Par ailleurs, “l'équité peut intervenir comme un facteur de modération permettant au juge de tempérer son évaluation, dans un sens comme dans l'autre du reste, en raison de circonstances objectives” (M. et S. Willemart, “Les concessions de vente”, in Traité pratique de droit commercial, t. 2, 1992, p. 788, n° 963).
“Le choix même des termes 'préavis raisonnable' et 'en équité' démontre bien que la volonté du législateur n'a pas été de prendre en compte exclusivement les intérêts de celui qui subit la rupture de la concession, mais également de prendre en compte les intérêts, du moins ceux qui sont légitimes, de celui qui provoque la résiliation. Ceci est d'autant plus vrai que la résiliation unilatérale d'une concession à durée indéterminée est l'exercice d'un droit” (Comm. Bruxelles 16 juin 1998, inédit, R.G. 97/4665; voy. également en ce sens, L. du Jardin, Le droit belge de la distribution commerciale, Larcier, 1992, p. 128, n° 167).
4. Quant à la durée de la concession, la SA Ets Michel Lecoq fait état de ce que les relations contractuelles auraient commencé en 1978 de manière informelle et en 1980 par voie de contrats, ce qui est contesté et non prouvé.
Le contrat du 3 février 1981 précise à son article 11 que les relations contractuelles entre parties ont commencé, le 1er janvier 1981, ce qui est confirmé dans le courrier du 20 octobre 2000 du conseil de la SA Ets Michel Lecoq.
La durée totale de la concession dont cette dernière a bénéficié, peut donc être fixée à 20 ans.
La SA Ets Michel Lecoq était concessionnaire pour le territoire des communes de Stavelot, Stoumont et Trois-Ponts. L'étendue de la concession était donc limitée.
“Il est plus facile de retrouver la concession d'un produit et d'en organiser la distribution sur un territoire réduit jusqu'à se retrouver dans une situation équivalente plutôt que de la faire pour l'ensemble du pays, et ce d'autant plus que les concessions à l'échelle nationale changent moins souvent de main” (M. et S. Willemart, “Les concessions de vente”, in Traité pratique de droit commercial, t. 2, p. 781, n° 953).
Ce territoire n'est toutefois pas négligeable compte tenu de sa localisation en milieu rural et non en milieu urbain et de l'absence d'autres concessions dans les communes adjacentes.
Par ailleurs, le nombre de véhicules neufs Honda achetés par les Ets Michel Lecoq était prima facie assez variable les dernières années de la concession de même que le chiffre d'affaires relatif à la vente de véhicules neufs Honda par la demanderesse.
Quant à la part de la représentation Honda, elle variait entre 40 et 49% des activités des Ets Michel Lecoq.
La SA Ets Michel Lecoq fait état d'investissements importants relatifs notamment à la création d'un atelier de carrosserie et l'installation d'une cabine de peinture. Ces investissements qui ont plus que probablement partiellement été amortis doivent également être pris en considération dans l'évaluation du délai nécessaire à la SA Ets Michel Lecoq pour assurer sa reconversion tout en ne perdant pas de vue qu'ils doivent présenter une certaine utilité dans le cadre de l'exploitation de la concession Suzuki.
Il convient également de tenir compte de ce que la marque Honda dans son ensemble a rencontré des difficultés en Belgique au début des années 2000, ce qui n'est pas contesté, et que HME-North a estimé devoir réorganiser l'ensemble de son réseau de distribution et pas uniquement mettre fin à la concession de la SA Ets Michel Lecoq.
5. Au regard de l'ensemble de ces éléments, le tribunal estime en équité qu'un préavis de 30 mois eut été raisonnable.
Compte tenu des 15 mois déjà alloués, la SA Ets Michel Lecoq a droit à une indemnité compensatoire de préavis équivalente à 15 mois supplémentaires.
b.2. Le montant de l'indemnité compensatoire de préavis |
1. Les parties sont également en désaccord que la période de référence à prendre en compte.
La SA Ets Michel Lecoq demande de prendre en considération les années 1997, 1998 et 1999.
HME-North soutient que les années 1998, 1999 et 2000 sont davantage pertinentes.
En l'espèce, il y a lieu de prendre en compte comme période de référence, les trois dernières années d'activités, soit du 31 août 1997 au 31 août 2000, car elles reflètent le mieux, compte tenu des circonstances de l'espèce et de la manière dont les relations se sont déroulées entre les parties, la valeur économique de la concession au moment de la résiliation.
2. L'indemnité compensatoire de préavis doit être calculée sur base du bénéfice net augmenté des frais généraux incompressibles en rapport avec l'exploitation de la concession, c'est-à-dire les frais qui, en dépit de la rupture des relations, continueront à grever l'exploitation du concessionnaire jusqu'au moment où le préavis raisonnable aurait dû expirer.
(...)
5. | Quant à l'indemnité pour plus-value notable de clientèle |
1. HME-North conteste la débition d'une éventuelle indemnité de clientèle.
2. Bien que qualifiée de complémentaire par la loi, l'indemnité visée à l'article 3 de la loi du 27 juillet 1961 est totalement indépendante de la juste indemnité compensatoire de préavis visée à l'article 2 de la même loi.
La loi pose trois conditions à l'octroi de l'indemnité pour plus-value de clientèle: l'exploitation de la concession doit avoir entraîné une plus-value notable de clientèle, cette plus-value doit avoir été apportée par le concessionnaire et la clientèle ainsi apportée doit rester acquise au concédant à la fin de la concession.
3. En l'espèce, la SA Ets Michel Lecoq n'établit pas quel était le montant de ses ventes au début de la concession. En raison de la durée des relations entre parties, l'on peut toutefois présumer qu'il y a eu progression des ventes, HME-North n'aurait sans doute pas accepté de conclure 4 contrats successifs avec les Ets Michel Lecoq si ses résultats n'étaient pas satisfaisants.
Il ressort à suffisance de droit de cet élément que la SA Ets Michel Lecoq a apporté de la clientèle à HME-North.
4. Encore faut-il que cet apport soit notable, qu'il ait donc une certaine importance. Cet apport ne pourrait être la simple conséquence du développement du parc automobile en général et des ventes des produits Honda en particulier. Il y a donc lieu de comparer les coefficients de pénétration de la marque Honda dans le territoire concédé au coefficient de pénétration nationale de cette marque.
Pour effectuer cette comparaison, le tribunal estime devoir avoir recours aux lumières de l'expert judiciaire.
Dans la mesure où, compte tenu de la population, le coefficient de pénétration de la marque précitée dans le territoire concédé à la SA Ets Michel Lecoq serait supérieur au coefficient de pénétration moyen et ou, par conséquent, la plus-value de clientèle pourrait être considérée comme notable, il faudrait admettre que cette clientèle est restée acquise au concédant après la fin du contrat en raison de la qualité, de la nature et de la marque des produits, du fait que les produits sont vendus sous garantie et de la nécessité pour la clientèle de s'approvisionner auprès du réseau de HME-North pour les pièces détachées.
Dans cette hypothèse, il pourrait être alloué à la SA Ets Michel Lecoq une indemnité pour plus-value de clientèle égale à 10% du bénéfice brut des années allant du 31 août 1997 au 31 août 2000.
La clientèle étant un actif dont la valeur est fonction de son aptitude à produire des bénéfices, sa valeur peut être calculée sur la base du bénéfice brut que cette clientèle a engendré.
(...)
Par ces motifs,
Le tribunal,
(...)
Voyez la note Y. Van Couter, p. 26.