Article

Cour d'appel Liège, 17/01/2002, R.D.C.-T.B.H., 2005/1, p. 38-40

Cour d'appel de Liège 17 janvier 2002

COMPÉTENCE
Compétence territoriale - Référé
L'urgence peut justifier la compétence en référés du juge du lieu où la mesure provisoire doit être exécutée, même en partie, le tribunal de ce lieu fût-il incompétent territorialement pour connaître du fond et alors même que le fond serait de la compétence d'un juge étranger.


CONCESSION
Concession de vente exclusive - Fin de la concession - Obligation de reprise du stock
À défaut de clauses contractuelles spécifiques, le concédant est tenu de reprendre le stock et d'en payer la contre-valeur, exception faite des produits démodés ou inutilisables.
BEVOEGDHEID
Territoriale bevoegdheid - Kort geding
De hoogdringendheid kan gelden als grond voor de bevoegdheid van de rechter in kort geding van de plaats waar de voorlopige maatregel - eventueel gedeeltelijk - moet worden uitgevoerd, ook indien deze rechter territoriaal onbevoegd is om zich over de grond van de zaak uit te spreken en zelfs indien een buitenlandse rechter bevoegd is voor de grond van de zaak.
CONCESSIE
Concessie van alleenverkoop - Einde van de concessie - Verplichting tot terugname van de voorraad
Bij gebrek aan bijzondere contractuele bepalingen is de concessiegever gehouden de voorraad terug te nemen en de tegenwaarde te betalen. Dit geldt niet wanneer de producten onbruikbaar of uit de mode zijn.

Medisana AG / SA Lanaform

Siég.: M.R. de Francquen (conseiller ff. de président), M. Ligot et A. Jacquemin (conseillers)
Pl.: Mes B. Hubinger loco D. Matray, N. Evrard et J.Y. Evrard

Vu les appels de l'ordonnance de référé rendue le 7 juillet 2000 par le président du tribunal de commerce de Liège, interjetés le 18 août 2000 par la société anonyme de droit allemand Medisana, et incidemment par conclusions de la société anonyme Lanaform du 20 octobre 2000;

Attendu qu'alors qu'elle oppose à la demande de reprise d'un stock de marchandises un déclinatoire de juridiction, l'exception d'irrecevabilité tenant au défaut d'urgence et enfin l'absence de preuve d'un contrat de concession de vente exclusive, l'appelante a été condamnée par la décision entreprise “à reprendre le stock de ses produits chez la société demanderesse LANAFORM sous le contrôle d'un huissier de justice, à charge pour elle d'en informer celle-ci huit jours d'avance et de lui remettre, lors de l'enlèvement dudit stock, un chèque bancaire certifié de 4.635.390 FB que les parties déposeront sur un compte commun chez une banque de la place de Liège, sauf à préférer le confier à l'huissier de justice instrumentant, dans l'attente d'une décision au fond (et) à défaut pour la société MEDISANA de reprendre ledit stock dans le mois de la présente décision moyennant remise d'un chèque bancaire certifié de 4.635.390 FB à déposer sur un compte commun comme précisé ci-avant, (LANAFORM est autorisée) à faire vendre ledit stock et à conserver par devers elle le produit de cette vente dans l'attente d'une décision exécutoire à intervenir au fond”;

Que cette décision n'a été exécutée dans aucune de ses dispositions, bien que le 8 août 2000, l'appelante ait informé l'intimée (pièce 73 intimée) de l'arrivée le lendemain de 2 employés “pour juger, vérifier et compter le stock” et que ces derniers soient effectivement venus pour constater “quelques petites différences dans un sens comme dans un autre” (pièce 77); que l'appelante s'en tint à ce que sa démarche était motivée par un projet de rachat de l'entreprise concurrente qu'est l'intimée, et, après avoir décidé le 22 août 2000 qu'elle n'était plus intéressée (pièce 79), rétorquait que “la majorité des produits (en stock) n'est plus vendable (car) ils ne sont plus conformes aux normes européennes”;

Que l'intimée conclut quant à elle à la confirmation de l'ordonnance mais avec un aménagement tenant dans une condamnation à 4.324.767 FB, ramenée en conclusions additionnelles à 4.216.474 FB, somme dont serait déduite le prix de vente obtenu en contrepartie du stock qu'elle réaliserait si dans les 15 jours de la signification de l'arrêt l'appelante n'était pas venue le reprendre;

Attendu que le 9 décembre 1998 l'appelante décidait “de terminer avec effet immédiat (sa) collaboration avec l'intimée” (pièce 52 intimée); qu'après le rejet ferme de la mise en demeure de l'intimée (voy. traduction de la lettre de l'appelante du 26 janvier 1999 - pièce 60), l'intimée a assigné son ancienne partenaire commerciale le 12 avril 1999 tant devant le juge des référés pour voir régler la question de la reprise de son stock que devant le tribunal de commerce de Liège (pièce 67) à l'effet d'obtenir une indemnité compensatoire de délai de préavis estimée à 3.800.000 FB, une indemnité pour plus-value de clientèle de 1.000.000 FB et la contre-valeur du stock;

Que l'appelante prétend justifier la compétence des juridictions allemandes par ses conditions générales de vente comme aussi par une clause du contrat d'usage de marque (art. 12 - voy. pièce 34 intimée) qu'à plusieurs reprises elle soumit, sans l'obtenir, à la signature de l'intimée qui en avait admis le principe (lettre 22 janvier 1996 - pièce 5 appelante)

Attendu que si la demande en référé est en règle introduite devant le président du tribunal compétent territorialement pour connaître du fond, l'urgence peut toutefois justifier qu'il soit dérogé à la règle et que la demande soit introduite devant le juge du lieu où la mesure provisoire doit être exécutée, même en partie, le tribunal de ce lieu fût-il incompétent territorialement pour connaître du fond, l'exception étant applicable alors même que le fond serait de la compétence d'un juge étranger (voy. Cass. 22 décembre 1989, Pas. 1990, I, 504; Réf. civ. Liège 6 juillet 1989, Pas. 1990, III, 18; C. Trav. Bruxelles 11 juillet 1990, R.D.S. 1991, p. 78; Réf. civ. Bruxelles 16 juin 1993, C.D. Justel); que sans qu'il soit nécessaire de vérifier à ce stade du raisonnement quelle est exactement la juridiction compétente pour connaître du litige quant au fond, la saisine du juge des référés commerciaux s'appuie sur la localisation de la mesure demandée à titre provisoire, à savoir l'enlèvement à Louveigné d'un stock de marchandises et le règlement de sa contre-valeur par un paiement à recevoir par l'intimée;

Que le premier juge s'est à juste titre reconnu compétent;

Attendu que le recours à la juridiction des référés est subordonné à la nécessité d'adopter d'urgence des mesures aménageant provisoirement une situation d'attente qui tenant compte des intérêts en présence évite à la partie dont les droits sont apparemment violés de subir un préjudice difficilement réparable; que dans cette appréciation de la mesure la plus adéquate, le juge dispose d'une grande liberté et peut, en se basant sur les faits qu'il relève, anticiper au besoin sur la solution qu'il retiendrait s'il était chargé de statuer sur le fond du litige;

Que l'urgence qui est une condition de recevabilité de l'instance en référé ne peut pas être artificiellement provoquée par l'inertie ou l'incurie du demandeur; que lorsque ce dernier a fait preuve de détermination pour vaincre la résistance de son adversaire, l'écoulement du temps ne fait pas disparaître l'urgence d'une solution mais l'accentue au contraire; que cette urgence s'apprécie lors de l'introduction de la demande et encore au moment où le juge statue, même en appel, en ce sens qu'il est nécessaire que la mesure provisoire ait toujours un objet et soit encore apte à atténuer le préjudice invoqué par le demandeur;

Que le fondement de la décision de référé doit trouver appui dans l'argumentation et le dossier des parties sur une apparence suffisante de droit dans le chef du demandeur; que cette apparence ne doit pas souffrir d'un examen superficiel des thèses en présence mais reposer sur ce qui, à première vue, peut apparaître évident;

Attendu que l'intimée invoque l'existence d'une relation de concession de vente exclusive à durée indéterminée dont l'absence de contrat écrit se trouve largement compensée par les aveux ou confirmations qu'elle puise dans les correspondances émanant de sa partenaire (voy. Fierens et Mottet Haugaard, “Chronique de jurisprudence, la loi du 27 juillet 1961 relative à la résiliation unilatérale des concessions de vente exclusive à durée indéterminée”, J.T. 1998, p. 106 , n° 4);

Que l'appelante, le 3 juillet 1995, écrivait à l'intimée que “Lanaform est notre distributeur exclusif pour la Belgique” (pièce 30 intimée), cette exclusivité étant encore admise (lettre 21 mars 1997 - pièce 36) lorsqu'elle invitait l'intimée à prendre contact avec deux firmes belges dont elle avait rencontré les dirigeants (lettre 25 février 1997 - pièce 33) parce qu'elle-même ne vendait pas ses propres produits en Belgique (lettre 22 août 1997 - pièce 46); qu'elle reconnaissait avoir “bloqué le marché” belge (annotations manuscrites lettre 21 mars 1997 - pièce 37; lettre 12 mai 1998 - pièce 48; lettre 19 mai 1998 - pièce 50; lettre 14 décembre 1998 - pièce 54) au profit de l'intimée à qui elle contestait le droit de vendre les produits Medisana ailleurs qu'en Belgique (lettre 8 avril 1997 - pièce 42); que l'extension de la concession au territoire du Grand-Duché du Luxembourg invoquée dans la citation est également évoquée dans des documents (pièces 32-45 et 46);

Qu'au stade des apparences il est ainsi établi sans ambiguïté que les relations entre parties ne se limitaient pas à des achats répétés, successifs et individuels de produits pour les revendre mais que l'intimée était pour la Belgique au moins le distributeur exclusif des produits portant la marque de l'appelante; que l'absence d'obligation quant à un stock minimum à tenir ou quant à un volume de ventes minimum à respecter ou encore quant aux prix à appliquer n'est pas déterminante; que l'appelante justifiera d'ailleurs sa décision de rompre les relations par une chute du volume des ventes Medisana en Belgique (lettre 9 décembre 1998 - pièce 52; voy. aussi pièce 60, pt. 6) et par l'insuffisance des budgets publicitaires consacrés par l'intimée à la promotion des produits de sa marque, l'annonce de cette rupture étant faite le 19 mai 1998 lorsqu'il était notifié à l'intimée que “sans des résultats améliorés, nous pourrions être forcés (de) chercher un autre distributeur” (pièce 50);

Que sur base de ces documents brièvement évoqués, le premier juge a tiré à bon droit la conclusion que les parties étaient liées par un contrat verbal de concession exclusive dont la rupture peut toujours être soumise au droit belge et plus spécialement à la loi du 27 juillet 1961 dont les dispositions sont impératives; qu'en ce qui concerne la reprise du stock le juge belge est compétent sur base de l'article 5-1° de la convention de Bruxelles (Fierens et Mottet Hautgaard, o.c., p. 120, n° 85);

Attendu que la loi ne contenant aucune disposition à ce sujet, il est généralement admis qu'à défaut de clauses contractuelles spécifiques le concédant soit tenu de reprendre le stock et d'en payer la contre-valeur, exception faite des produits démodés ou inutilisables (J.T. 1998, p. 118 , n°s 73-75); que cette mesure est de nature à limiter le préjudice du concessionnaire qui, à défaut de disposer d'une gamme complète de marchandises, risque de ne plus pouvoir vendre les derniers éléments d'un stock (Bruxelles 9 janvier 1990, R.D.C. 1990, p. 688 et spécialement p. 691);

Attendu que pour s'opposer à la reprise des marchandises constituant le stock de l'intimée, l'appelante soutient d'une part qu'elle ne peut reprendre des articles qu'elle n'a pas vendus elle-même à l'intimée, d'autre part que certains des articles sont devenus invendables, notamment parce ne respectant pas de nouvelles normes européennes de sécurité; qu'elle conteste au surplus et la consistance et la valeur de ce stock;

Qu'il n'est pas discuté qu'avec l'accord de l'appelante l'intimée se procurait “de la marchandise à des prix spéciaux directement auprès des fabricants (de l'appelante) en Extrême Orient” (traduction lettre 26 janvier 1999 - pièce 60), le projet de contrat d'usage de marque présenté par l'appelante à la signature de l'intimée (pièce 34) contenant une clause tout à fait explicite: “le preneur de licence, Lanaform, est habilité à acheter des produits portant le label Medisana ou présentés avec le conditionnement Medisana directement auprès des différents producteurs d'Extrême Orient ou d'autres pays, si les quantités commercialisables minimales requises à cet effet sont atteintes”;

Qu'à première vue, les stocks en provenance des pays d'Extrême Orient seraient ceux que l'intimée à réglés en dollars américains tandis que le stock comprendrait aussi des marchandises payées en deutsche marks et provenant directement des entrepôts ou usines de l'appelante; que le 18 mai 1998 (pièce 49) l'intimée en fournissait le détail à l'appelante et le mettait à jour le 18 décembre 1998 (pièce 55) en demandant à l'appelante ce qu'elle reprenait;

Attendu que l'intimée n'a plus aucune chance de vendre le stock qui lui reste à la clientèle habituelle que l'appelante démarche désormais soit elle-même soit par un nouveau concessionnaire pratiquant des prix moindres (voy. vente en grand surface au Luxembourg - pièce 45); que l'intimée a acheté des produits “par containers” (lettre 4 juillet 1995 - pièce 31) pour diminuer les coûts et ne peut être pénalisée parce qu'un stock important subsiste qu'elle aurait pu écouler plus aisément si un préavis lui avait été signifié; que la provenance importe peu dès lors que tous les produits portent la marque de l'appelante et que les importations d'Extrême Orient sont strictement les mêmes que celles que l'appelante y acquiert auprès de “ses” fabricants; que l'appelante avait d'ailleurs proposé de reprendre cette marchandise en échange de produits que l'intimée lui a vendus (lettre 19 mai 1998 - pièce 50 et traduction lettre 26 janvier 1999, pt. 6 - pièce 60), cette proposition étant formulée alors que l'appelante venait de recevoir la liste des différentes marchandises composant le stock (lettre 18 mai 1998 - pièce 49); qu'ayant envoyé deux employés après le prononcé de l'ordonnance pour vérifier l'état du stock, l'appelante convainc difficilement du caractère prétendument invendable d'une partie du stock; que pour contester l'urgence à intervenir, elle soulignait le caractère non périssable des marchandises; qu'il n'est pas déraisonnable de décider comme le premier juge l'a fait que l'appelante doit reprendre la totalité du stock;

Attendu que l'appelante n'a pas obtempéré à l'ordre qui lui était donné; que l'intimée ne requiert pas que la condamnation à reprendre le stock soit assortie d'une astreinte et que le juge ne peut la prononcer d'office (Cass. 29 novembre 1996, Pas. 1996, I, 466);

Que ce stock peut se révéler encombrant pour l'intimée qui par ailleurs souffre de ne pouvoir disposer de sa contre-valeur qui est importante;

Qu'autoriser l'intimée à le faire vendre risque de poser problème et ne rencontre pas l'intérêt de l'appelante, mieux placée que quiconque pour le réaliser dans de meilleures conditions qu'une vente publique;

Qu'en condamnant d'emblée l'appelante à la contre-valeur du stock tel que l'intimée le présente, l'on peut s'attendre à ce que l'appelante ne laisse pas le stock chez l'intimée et vienne le reprendre en assurant le caractère contradictoire de la reprise, en ce compris la description de chaque article;

Par ces motifs,

(...)

La cour, statuant contradictoirement,

Reçoit les appels,

Confirme la décision entreprise sous l'émendation que l'appelante est dès à présent condamnée à payer à l'intimée à titre provisoire 104.523,66 euros, que l'appelante ne reprendra le stock qu'après avoir prévenu l'intimée 8 jours à l'avance et remettra à l'intimée l'inventaire de ce qu'elle emporte et que si l'appelante ne vient pas le reprendre, l'intimée en conservera la garde jusqu'à décision du juge du fond;

(...)