Article

Cour de cassation, 06/02/2004, R.D.C.-T.B.H., 2005/10, p. 1060-1062

Cour de cassation 6 février 2004

ASSURANCE
Contrat d'assurance - Preuve du contrat d'assurance - Exclusion de garantie - Existence et contenu clause d'exclusion
En admettant la preuve par présomptions de l'existence et du contenu du contrat d'assurance conclu entre les parties, sans relever l'existence d'un commencement de preuve par écrit, le jugement attaqué viole l'article 10 § 1er alinéas 1er et 2 de la loi du 25 juin 1992 sur le contrat d'assurance terrestre.
VERZEKERING
Verzekeringsovereenkomst - Bewijs van de verzekeringsovereenkomst - Uitsluiting van de waarborg - Bestaan en inhoud uitsluitingsbeding
Door het bewijs door vermoedens van het bestaan en de inhoud van de tussen de partijen gesloten verzekeringsovereenkomst toe te laten, zonder te vermelden dat een begin van een bewijs door geschrift bestaat, schendt het bestreden vonnis artikel 10 § 1 lid 1 en 2 Wet Landverzekeringsovereenkomst.

SPRL Marpol / AXA Belgium

Siég.: Cl. Parmentier (président), Ch. Storck, D. Batselé, D. Plas et Ch. Matray (conseillers)
M.P.: A. Henkes (avocat général)
Pl.: Mes P. Van Ommeslaghe en J. Kirkpatrick
I. La décision attaquée

Le pourvoi en cassation est dirigé contre le jugement rendu le 30 janvier 2002 par le tribunal de première instance de Verviers, statuant en degré d'appel.

(...)

III. Le moyen de cassation

La demanderesse présente un moyen libellé dans les termes suivants:

Dispositions légales violées

- articles 8 alinéa 2 et 10 § 1er alinéas 1er et 2 de la loi du 25 juin 1992 sur le contrat d'assurance terrestre;

- articles 1315, 1349 et 1353 du Code civil.

Décisions et motifs critiqués

Le tribunal de première instance a déclaré l'appel non fondé, confirmé le jugement entrepris et condamné la demanderesse aux dépens, aux motifs:

“que c'est à tort que (la demanderesse) estime qu'il ne pourrait être fait droit à l'action entreprise par la (défenderesse), dans la mesure où celle-ci ne justifierait pas de l'existence de la clause d'exclusion dont elle se prévaut dans le contrat, tel qu'il a été conclu entre les parties, puisque (la défenderesse) ne peut produire ce contrat;

que (la défenderesse) expose, en effet, qu'elle n'est plus en possession de ce contrat, qui serait introuvable à la suite des opérations de fusion entre les diverses compagnies d'assurances;

que cette explication apparaît vraisemblable;

que (la défenderesse) invoque, cependant, que le contrat 'omnium' était conforme aux conditions générales 'Global Car' du contrat-type, lequel prévoit la clause d'exclusion invoquée;

qu'il est, en effet, constant que ce contrat-type prévoit bien en son article 5 l'exclusion de l'indemnisation en 'dégâts matériels' lorsque 'le conducteur se trouve en état d'intoxication alcoolique de plus de 0,8 gr/l. de sang ou d'ivresse ou dans un état analogue résultant de l'utilisation de produits autres que des boissons alcoolisées';

que tel était le cas, en l'espèce, dans le chef du conducteur C.;

que cette clause se rencontre, de manière générale, dans tous les contrats;

que, dès lors, il ne s'agit pas d'une clause exceptionnelle ou particulière qui dérogerait au contenu de la plupart des contrats et qui ne pourrait se concevoir qu'en raison d'une caractéristique spéciale afférente à l'assuré;

que, par conséquent, c'est à (la demanderesse) qu'il appartient de prouver que le contrat souscrit entre les parties serait dérogatoire au contrat-type qui régit habituellement tous les contrats;

qu'en effet, la (demanderesse) devenant demanderesse sur cette exception qu'elle invoque, c'est à elle qu'il revient de démontrer de manière certaine que la clause d'exclusion dont se prévaut (la défenderesse) n'aurait pas été inscrite dans le contrat particulier souscrit entre les parties;

que cette preuve n'est ni rapportée, ni même offerte par (la demanderesse);

que (la demanderesse) ne dépose d'ailleurs pas ce contrat, alors qu'il doit être en sa possession et qu'elle y avait été expressément invitée par le premier juge;

que (la demanderesse), au contraire de l'assureur, n'explique par aucune raison pertinente pourquoi ce contrat ne serait plus en sa possession, alors qu'elle avait dit expressément se référer audit contrat pour obtenir les indemnités dont le remboursement est actuellement demandé;

que l'existence de ce contrat ne fait, par conséquent, aucun doute et que l'allégation de (la demanderesse) selon laquelle elle l'aurait détruit n'est pas crédible;

que si elle s'abstient de le produire, c'est à l'évidence parce qu'il est conforme - ainsi que la quasi totalité des contrats - aux conditions générales formulées dans le contrat-type produit par (la défenderesse).”.

Griefs
1. Première branche

Dans ses conclusions d'appel, la demanderesse faisait essentiellement valoir que la (défenderesse), à laquelle incombait la charge de la preuve, ne produisait pas le contrat d'assurance contenant la clause sur laquelle elle avait basé son action récursoire.

Le tribunal de première instance a rejeté ce moyen par les motifs reproduits ci-dessus.

Ce faisant, le tribunal de première instance a violé les règles relatives à la preuve du contenu du contrat d'assurance, spécialement des causes d'exclusion qu'il prévoit (art. 8 al. 2 et 10 § 1er al. 1er et 2 de la loi du 25 juin 1992), en particulier la règle de l'article 10, selon laquelle le contrat d'assurance - tant dans son existence que dans son contenu - se prouve par écrit, sous réserve de l'aveu et du serment, et sauf le cas où il existerait un commencement de preuve par écrit rendant admissible la preuve par témoins ou par présomptions, quod non en l'espèce.

2. Deuxième branche

En considérant, en particulier,

“que cette clause se rencontre, de manière générale, dans tous les contrats; que, dès lors, il ne s'agit pas d'une clause exceptionnelle ou particulière qui dérogerait au contenu de la plupart des contrats et qui ne pourrait se concevoir qu'en raison d'une caractéristique spéciale afférente à l'assuré; que, par conséquent, c'est à (la demanderesse) qu'il appartient de prouver que le contrat souscrit entre les parties serait dérogatoire au contrat-type qui régit habituellement tous les contrats; qu'en effet, la (demanderesse) devenant demanderesse sur cette exception qu'elle invoque, c'est à elle qu'il revient de démontrer de manière certaine que la clause d'exclusion dont se prévaut (la défenderesse) n'aurait pas été inscrite dans le contrat particulier souscrit entre les parties; que cette preuve n'est ni rapportée, ni même offerte par (la demanderesse)”,

le tribunal de première instance a également violé les règles relatives à la charge de la preuve en général, la nécessité de justifier le fait qui a produit l'extinction de l'obligation (art. 1315 al. 2 du Code civil) présupposant que celle-ci ait été prouvée au préalable (art. 1315 al. 1er du Code civil), quod non en l'espèce.

3. Troisième branche

En considérant, en particulier,

“que (la demanderesse) ne dépose d'ailleurs pas ce contrat, alors qu'il doit être en sa possession et qu'elle y avait été expressément invitée par le premier juge; que (la demanderesse), au contraire de l'assureur, n'explique par aucune raison pertinente pourquoi ce contrat ne serait plus en sa possession, alors qu'elle avait dû expressément se référer audit contrat pour obtenir les indemnités dont le remboursement est actuellement demandé; que l'existence de ce contrat ne fait, par conséquent, aucun doute et que l'allégation de (la demanderesse) selon laquelle elle l'aurait détruit n'est pas crédible; que si elle s'abstient de le produire, c'est à l'évidence parce qu'il est conforme - ainsi que la quasi totalité des contrats - aux conditions générales formulées dans le contrat-type produit par (la défenderesse)”,

le tribunal de première instance a encore violé les règles relatives aux présomptions de l'homme et plus spécialement la notion légale de présomption de l'homme (art. 1349 et 1353 du Code civil).

En effet, on ne saurait déduire de la non-production du contrat d'assurance par la demanderesse que “c'est à l'évidence parce qu'il est conforme - ainsi que la quasi totalité des contrats - aux conditions générales formulées dans le contrat-type produit par (la défenderesse)”, le raisonnement inverse pouvant d'ailleurs être opposé à cette dernière, qui a également “dû expressément se référer audit contrat pour (payer) les indemnités dont le remboursement est actuellement demandé”.

IV. La décision de la Cour
Quant à la première branche:

Attendu qu'aux termes de l'article 10 § 1er alinéas 1er et 2 de la loi du 25 juin 1992 sur le contrat d'assurance terrestre, sous réserve de l'aveu et du serment, et quelle que soit la valeur des engagements, le contrat d'assurance ainsi que ses modifications se prouvent par écrit entre les parties et il n'est reçu aucune preuve par témoins ou par présomptions contre et outre le contenu de l'acte;

Qu'en vertu du deuxième alinéa de cette disposition légale, la preuve par témoins ou par présomptions est toutefois admise lorsqu'il existe un commencement de preuve par écrit;

Sur la première fin de non-recevoir opposée au moyen, en cette branche, par la défenderesse et déduite de ce qu'il obligerait la Cour à vérifier les conditions de fait nécessaires à son appréciation:

Attendu qu'en cette branche, le moyen soutient que le jugement attaqué viole les dispositions impératives de l'article 10 § 1er alinéas 1er et 2 de la loi du 25 juin 1992 en admettant que l'existence et le contenu du contrat d'assurance litigieux soient prouvés autrement que par écrit;

Que l'appréciation du moyen, en cette branche, ne requiert pas que la Cour vérifie des éléments de fait d'où il apparaîtrait que seraient réunies les conditions auxquelles, par dérogation au premier alinéa dudit article 10 § 1er, le second admet la preuve par témoins ou par présomptions;

Sur la seconde fin de non-recevoir opposée au moyen, en cette branche, par la défenderesse et déduite de ce qu'il n'invoque pas la violation de l'article 1347 alinéa 2 du Code civil:

Attendu que le moyen, en cette branche, ne fait pas grief au jugement attaqué de violer la notion de commencement de preuve par écrit;

Attendu que la seule violation de l'article 10 § 1er alinéas 1er et 2 de la loi du 25 juin 1992 qu'invoque le moyen, en cette branche, suffirait, si le moyen était fondé, à entraîner la cassation;

Que les fins de non-recevoir ne peuvent être accueillies;

Sur le fondement du moyen, en cette branche:

Attendu qu'en admettant, par les motifs que le moyen reproduit et critique, la preuve par présomptions de l'existence et du contenu du contrat d'assurance conclu entre les parties, sans relever l'existence d'un commencement de preuve par écrit, le jugement attaqué viole l'article 10 § 1er alinéas 1er et 2 de la loi du 25 juin 1992;

Qu'en cette branche, le moyen est fondé;

Par ces motifs,

La Cour

Casse le jugement attaqué;

(...)