Article

Cour d'arbitrage, 28/10/2004, R.D.C.-T.B.H., 2005/10, p. 1052-1054

Cour d'arbitrage 28 octobre 2004

ASSURANCE
Assurance de responsabilité - Assurance véhicules automoteurs - Droits de la victime - Opposabilité des exceptions - Différence entre assurance obligatoire et non obligatoire - Non discrimination
En tant que l'article 87 § 2 de la loi sur le contrat d'assurance terrestre établit une différence de traitement entre les victimes d'un accident de roulage causé, d'une part, par l'utilisation d'un véhicule à moteur et, d'autre part, par l'utilisation d'une bicyclette, ledit article ne viole pas les articles 10 et 11 de la Constitution.
VERZEKERING
Aansprakelijkheidsverzekering - Autoverzekering - Rechten van het slachtoffer - Tegenwerpelijkheid verweermiddelen - Verschil verplichte en niet-verplichte verzekering - Geen discriminatie
In zoverre artikel 87 § 2 Wet Landverzekeringsovereenkomst een verschil in behandeling creëert tussen slacht­offers van een verkeersongeval dat is veroorzaakt, enerzijds door het gebruik van een motorrijtuig en, anderzijds, door het gebruik van een fiets, schendt de artikelen 10 en 11 G.W. niet.

SA Les AP Assurances / G. Van Leekwijck et H. Wouters

Siég.: A. Arts et M. Melchior (présidents), R. Henneuse, M. Bossuyt, A. Alen, J.-P. Moerman et J. Spreutels (juges)
Pl.: Mes T. Van hoogenbemt loco L. Kools et P. Vanlersberghe loco H. Geinger

Arrêt n° 167/2004

(...)

I. Objet de la question préjudicielle et procédure

Par jugement du 3 février 2004 en cause de la SA Les AP Assurances contre G. Van Leekwijck et H. Wouters, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour d'arbitrage le 10 février 2004, le tribunal de première instance de Malines a posé la question préjudicielle suivante:

“Le principe d'égalité et de non-discrimination inscrit aux articles 10 et 11 de la Constitution est-il violé en ce que, en cas d'application de l'article 87 § 1er de la loi du 25 juin 1992 sur le contrat d'assurance terrestre, l'assureur de la responsabilité civile obligatoire, tel l'assureur de la responsabilité civile en matière de véhicules automoteurs (loi du 21 novembre 1989), ne peut opposer à la personne lésée par un accident de roulage les exceptions, nullités ou déchéances, qu'elles soient antérieures ou postérieures à l'accident, tandis que l'assureur d'une assurance non obligatoire de la responsabilité civile, comme par exemple l'assureur de la responsabilité familiale d'un cycliste, peut, par application de l'article 87 § 2 de la loi du 26 [lire: 25] juin 1992 sur le contrat d'assurance terrestre, opposer à la personne lésée par un accident de roulage les exceptions, nullités ou déchéances, pour autant que celles-ci trouvent leur cause dans un fait antérieur au sinistre, alors qu'il s'agit dans les deux hypothèses d'un accident de roulage impliquant un véhicule, à savoir un véhicule automoteur ou une bicyclette, au sens de l'article 2 de l'arrêté royal du 1er décembre 1975 portant règlement général sur la police de la circulation routière?”.

(...)

II. Les faits et la procédure antérieure

L'affaire portée devant le juge a quo concerne l'appel formé contre un jugement du tribunal de police de Malines, siégeant en matière civile, qui condamne la SA Les AP Assurances (assureur familial de F. Van Leuven) à réparer le dommage subi par G. Van Leekwijck et H. Wouters à la suite d'un accident de roulage causé par la faute de F. Van Leuven.

La SA Les AP Assurances fait valoir que la police d'assurance familiale, aux termes de son article 4, c, ne couvre pas le sinistre lorsque celui-ci a été causé par une personne en état d'ébriété ou d'intoxication alcoolique. L'assurance familiale n'étant pas obligatoire, l'article 87 § 2 de la loi du 25 juin 1992 sur le contrat d'assurance terrestre est applicable, disposition aux termes de laquelle l'assureur ne peut opposer à la personne lésée que les exceptions, nullités et déchéances dérivant de la loi ou du contrat et trouvant leur cause dans un fait antérieur au sinistre.

Après avoir cité un arrêt de la Cour de cassation du 24 octobre 2000, dans lequel la Cour a considéré que l'état d'intoxication alcoolique qui est la cause ou l'une des causes d'un accident n'est pas un fait antérieur au sinistre, le juge a quo considère que l'intoxication alcoolique de F. Van Leuven constitue bel et bien une exception qui trouve son origine dans un fait antérieur au sinistre.

Le juge se demande toutefois si la différence de traitement qui découle, pour les victimes d'un accident de roulage, de l'application du § 1er, d'une part, et du § 2, d'autre part, de l'article 87 de la loi du 25 juin 1992 sur le contrat d'assurance terrestre est compatible avec les articles 10 et 11 de la Constitution et il pose par conséquent - d'office - la question préjudicielle reproduite ci-avant.

III. En droit

(...)

- B -

B.1.1. La question préjudicielle porte sur l'article 87 de la loi du 25 juin 1992 sur le contrat d'assurance terrestre, qui énonce:

“§ 1er. Dans les assurances obligatoires de la responsabilité civile, les exceptions, franchises, nullités et déchéances dérivant de la loi ou du contrat, et trouvant leur cause dans un fait antérieur ou postérieur au sinistre, sont inopposables à la personne lésée.

Sont toutefois opposables à la personne lésée l'annulation, la résiliation, l'expiration ou la suspension du contrat, intervenues avant la survenance du sinistre.

§ 2. Pour les autres catégories d'assurances de la responsabilité civile, l'assureur ne peut opposer à la personne lésée que les exceptions, nullités et déchéances dérivant de la loi ou du contrat et trouvant leur cause dans un fait antérieur au sinistre.

Le Roi peut cependant étendre le champ d'application du § 1er aux catégories d'assurances de la responsabilité civile non obligatoires qu'Il détermine.”

B.1.2. Le juge a quo demande si l'article litigieux est compatible avec les articles 10 et 11 de la Constitution en tant qu'il établit une différence de traitement entre les victimes d'un accident de roulage causé, d'une part, par l'utilisation d'un véhicule à moteur et, d'autre part, par l'utilisation d'une bicyclette.

B.1.3. L'article litigieux établit, entre les personnes lésées par un acte dommageable, une différence fondée sur le caractère obligatoire ou non d'une assurance de la responsabilité civile.

Dans le cas d'une assurance obligatoire, comme l'assurance en matière de véhicules automoteurs visée dans la loi du 21 novembre 1989, l'assureur ne peut opposer à la personne lésée les exceptions, franchises, nullités et déchéances dérivant de la loi ou du contrat et trouvant leur cause dans un fait antérieur ou postérieur au sinistre. Dans le cadre d'une assurance non obligatoire, comme l'assurance de la responsabilité familiale, l'assureur peut en revanche opposer les exceptions, nullités et déchéances dérivant de la loi ou du contrat pour autant qu'elles trouvent leur cause dans un fait antérieur au sinistre.

B.1.4. L'article litigieux implique que les personnes lésées par un accident de roulage sont traitées différemment, en fonction de la nature du véhicule au moyen duquel l'accident a été causé. Pour les véhicules automoteurs, au sens de la loi du 21 novembre 1989, l'assurance est obligatoire. Pour les bicyclettes, l'assurance n'est pas obligatoire; l'assurance de la responsabilité familiale, qui couvre le dommage causé par l'utilisation d'une bicyclette, est une assurance non obligatoire.

Le juge a quo demande si la différence de traitement ainsi établie est compatible avec les articles 10 et 11 de la Constitution.

B.2. La disposition litigieuse doit être lue en combinaison avec l'article 86 de la loi du 25 juin 1992 sur le contrat d'assurance terrestre, aux termes duquel l'assurance fait naître, au profit de la personne lésée, un droit propre contre l'assureur. Cette disposition implique que la personne lésée qui n'est pas partie au contrat d'assurance peut s'adresser directement à l'assureur de la personne qui est responsable du dommage, et ce, en vertu de la loi.

B.3.1. La distinction entre les personnes lésées visées dans la question préjudicielle repose sur un critère objectif, à savoir le caractère obligatoire ou non de l'assurance de la responsabilité civile. Bien que l'article 86 de la loi du 25 juin 1992, sur la base duquel la personne lésée dispose d'un droit propre contre l'assureur, n'établisse aucune distinction entre les assurances obligatoires et les assurances non obligatoires, il est inhérent au caractère facultatif d'une assurance que la personne lésée ne pourra pas toujours s'adresser à un assureur; en effet, cela n'est possible que si la personne responsable du dommage a souscrit une assurance. En revanche, il découle du caractère obligatoire d'une assurance que la personne lésée a, en principe, la possibilité de s'adresser à un assureur.

B.3.2. Dans les cas où il a rendu obligatoire la conclusion d'une assurance, le législateur a dérogé à la règle de droit commun selon laquelle la conclusion d'une assurance relève de la liberté contractuelle et il doit être réputé l'avoir fait pour des motifs d'intérêt général. C'est ainsi que la loi du 1er juillet 1956, adoptée en exécution du Traité Benelux relatif à l'assurance obligatoire de la responsabilité civile en matière de véhicules automoteurs et remplacée par la loi du 21 novembre 1989, visait à “assurer à toutes les victimes d'accidents occasionnés au moyen de véhicules automoteurs la réparation rapide et sûre du préjudice subi” (Doc. parl. Chambre 1953-54, n° 379, p. 3).

Dans les cas où le législateur n'a pas rendu la conclusion d'une assurance obligatoire, comme pour l'assurance de la responsabilité familiale, il doit être réputé avoir considéré qu'il n'existait pas de motifs d'intérêt général justifiant une obligation d'assurance.

B.4.1. La règle inscrite au paragraphe 2 de la disposition litigieuse, qui est applicable aux assurances de la responsabilité civile non obligatoires, procède du souci de respecter autant que possible la liberté contractuelle qui fonde le contrat d'assurance. En effet, cette règle implique que la personne lésée bénéficie uniquement des droits résultant du contrat d'assurance, que l'assuré possédait à l'égard de l'assureur au moment du sinistre.

B.4.2. La règle inscrite au paragraphe 1er de la disposition litigieuse, qui est applicable aux assurances obligatoires de la responsabilité civile, déroge au droit commun, étant donné qu'elle implique que l'assureur ne peut opposer à la personne lésée les moyens de défense mentionnés dans ce paragraphe. Cette dérogation au droit commun doit en principe être considérée comme raisonnablement justifiée à la lumière des motifs d'intérêt général sur la base desquels le législateur a estimé qu'il convenait de rendre obligatoire la conclusion d'une assurance.

En l'espèce, en rendant obligatoire l'assurance en matière de véhicules automoteurs, le législateur entendait garantir aux victimes d'accidents causés au moyen de véhicules automoteurs une réparation rapide et certaine du dommage subi. La non-opposabilité de principe de moyens de défense par l'assureur est une mesure pertinente pour garantir une réparation certaine du dommage subi. De surcroît, le législateur a pu estimer que le caractère obligatoire de l'assurance était justifié par le risque particulier de dommages corporels, découlant de la présence de véhicules automoteurs dans la circulation, risque qui est moindre en présence de bicyclettes dans la circulation.

B.5. Le critère de distinction employé est pertinent par rapport à l'objectif qui consiste, d'une part, à respecter autant que possible la liberté contractuelle qui fonde le contrat d'assurance et, d'autre part, à garantir la réparation du dommage lorsque des motifs d'intérêt général le justifient.

La disposition litigieuse n'est pas non plus disproportionnée. En effet, le législateur peut estimer que les exceptions au droit commun des obligations doivent rester limitées. La circonstance que l'assureur, en cas d'assurance non obligatoire, peut opposer à la personne lésée les exceptions, nullités et déchéances dérivant de la loi ou du contrat n'empêche par ailleurs pas la personne lésée de s'adresser à la personne responsable du dommage pour en obtenir réparation.

B.6. La question préjudicielle appelle une réponse négative.

Par ces motifs,

la Cour

dit pour droit:

L'article 87 § 2 de la loi du 25 juin 1992 sur le contrat d'assurance terrestre ne viole pas les articles 10 et 11 de la Constitution.

(...)