Article

L'action directe en cas de faillite, R.D.C.-T.B.H., 2004/9, p. 904-909

FAILLISSEMENT
Gevolgen (personen, goederen, verbintenissen) - Onderaannemer - Overheidsopdrachtenwet - Rechtstreekse rechtsvordering
De bij een overheidsopdracht gebezigde onderaannemer geniet zowel van de bescherming verzekerd door artikel 1798, 1ste lid, van het Burgerlijk Wetboek, als deze geboden door artikel 23 van de Wet van 24 december 1993 betreffende de overheidsopdrachten en sommige opdrachten voor aanneming van werken, leveringen en diensten (Overheidsopdrachtenwet).
Het faillissement heeft tot gevolg dat de schuldvordering van de aannemer op de bouwheer onbeschikbaar wordt, terwijl de rechtstreekse rechtsvordering van artikel 1798 van het Burgerlijk Wetboek enkel kan worden ingesteld wanneer de schuldvordering van de aannemer op de bouwheer nog beschikbaar is in het vermogen van de aannemer. Schendt derhalve artikelen 1798 van het Burgerlijk Wetboek, 7 en 8 van de Hypotheekwet en 16, 1ste lid van de Faillissementswet, het arrest dat beslist dat een rechtstreekse vordering door een onderaannemer kan worden ingesteld na het faillissement van de hoofdaannemer.
FAILLITE
Conséquences (personnes, biens, obligations) - Sous-traitant - Loi relative au marché public - Action directe
Le sous-traitant employé dans le cadre d'un marché public jouit tant de la protection assurée par l'article 1798, alinéa 1er, du Code civil, que de celle offerte par l'article 23 de la loi du 24 décembre 1993 relative aux marchés publics et à certains marchés de travaux, de fournitures et de services.
La faillite a pour conséquence de rendre indisponible la créance de l'entrepreneur sur le maître de l'ouvrage, tandis que l'action directe de l'article 1798 du Code civil ne peut être introduite que lorsque la créance de l'entrepreneur sur le maître de l'ouvrage est encore disponible dans le patrimoine de l'entrepreneur. Viole dès lors les articles 1798 du Code civil, 7 et 8 de la loi hypothécaire et 16, alinéa 1er, de la loi sur les faillites, l'arrêt qui décide qu'une action directe peut être introduite par un sous-traitant après la faillite de l'entrepreneur principal.

L'action directe en cas de faillite [2]
Jeanine Windey et Thomas Hürner [3]

L'arrêt annoté statue sur la question du sort de l'action directe dérivant de l'article 1798 du Code civil en cas de concours engendré par la faillite de l'entrepreneur principal.

À contre-courant d'une doctrine et d'une jurisprudence majoritaires, il décide que l'action directe ne peut être intentée postérieurement au jugement déclaratif de faillite de l'entrepreneur principal. Cette solution novatrice, quoique déjà dégagée par certaines juridictions du pays [4], nous offre ainsi l'occasion de revenir sur une des questions juridiques les plus délicates posées par les situations de concours.

A. Les faits

1.La SPRL D. Rudy exécutait des travaux en sa qualité de sous-traitant dans le cadre d'un marché public conclu entre la SA L&H, entrepreneur principal, et la Région flamande, maître de l'ouvrage.

Le 11 décembre 1998, un créancier de la société L&H effectua une saisie-arrêt entre les mains de la Région flamande sur toutes sommes dues par cette dernière à ladite société.

La société L&H fut déclarée en faillite par jugement du 25 juin 1999. Par citation du 4 août de la même année, la SPRL D. Rudy intenta une action directe à charge de la Région flamande. La société D. Rudy fut à son tour déclarée en faillite le 19 mai 2000.

Par arrêt du 29 novembre 2001, la cour d'appel de Gand décida que l'action directe introduite par la société D. Rudy en tant que sous-traitant au contrat principal conclu entre la société L&H et la Région flamande, contre cette dernière, était fondée au regard de l'article 1798 du Code civil et, partant, condamna la Région flamande à lui payer la somme de 155.578 francs.

2.La Région flamande, maître de l'ouvrage, invoqua deux moyens à l'appui de son pourvoi dirigé contre l'arrêt rendu par la cour d'appel.

Dans son premier moyen, la Région flamande reprochait à l'arrêt attaqué d'avoir considéré que la position privilégiée dont bénéficient les personnes citées au § 2 de l'article 23 de la loi du 24 décembre 1993 relative aux marchés publics, au rang desquels figurent les sous-traitants, ne ressort nullement du texte du § 1 du même article, lequel ne vise pas, pas plus qu'il n'exclut, la possibilité pour le sous-traitant d'introduire une action directe contre le maître de l'ouvrage. La cour d'appel en avait déduit que ledit article ne constituait nullement un obstacle à l'intentement d'une telle action. Dans son pourvoi, la Région flamande faisait valoir que l'article 23, § 2, de la loi précitée, lequel permet aux sous-traitants de saisir (ou de faire opposition à) la créance détenue par l'entrepreneur principal envers le maître de l'ouvrage, avant la réception provisoire des travaux, constitue une exception au § 1 du même article, qui pose comme principe que lesdites créances ne peuvent être ni saisies, ni cédées, ni données en gage jusqu'à la réception provisoire, et, partant, doit être interprété de manière restrictive. L'action directe n'étant pas mentionnée aux termes du § 2, celle-ci tombe dans le champ d'application du § 1 et doit par conséquent être exclue. En outre, la demanderesse en cassation soutenait que l'application de l'article 1798 du Code civil aux marchés publics est incompatible avec le régime particulier institué par l'article 23 et est dès lors implicitement exclue par ce dernier.

La Cour de cassation refusa d'accueillir ce moyen en considérant qu'il ressortait des travaux préparatoires que l'article 23 de la loi relative aux marchés publics complète la protection accordée au sous-traitant par l'article 1798 du Code civil et, partant, qu'un sous-traitant, occupé à la réalisation d'un marché public, bénéficie tant de la protection octroyée aux termes de l'article 1798 précité que de celle résultant de l'article 23.

Dans la première branche du second moyen invoqué par elle, la Région flamande, partant de la prémisse que le transfert de la créance de l'entrepreneur au profit du sous-traitant n'opère qu'à l'instant de l'introduction de l'action directe, faisait valoir que si le demandeur à l'action n'avait pas introduit celle-ci avant la survenance du concours résultant de la saisie, individuelle ou collective, des biens du débiteur, il était alors soumis à la loi du concours et au principe de l'égalité des créanciers dont il procède. Partant, en décidant que la faillite de l'entrepreneur n'a pas pour effet d'exclure la possibilité d'introduire une action directe et que le principe d'égalité doit exclusivement être respecté dans le chef du défendeur à l'action, étant le maître d'oeuvre, l'arrêt attaqué viole les articles 7 et 8 de la loi hypothécaire ainsi que les articles 16, 23, 25, 26 et 99 de la loi sur les faillites.

Dans la seconde branche du deuxième moyen, la Région flamande soutenait que la saisie-arrêt entre les mains de la Région flamande, pratiquée avant que l'entrepreneur principal ne soit déclaré en faillite, faisait obstacle à l'intentement ultérieur de l'action directe par le sous-traitant dès lors que la créance objet de l'action était devenue indisponible par application des articles 1451 et 1540 du Code judiciaire. La cour d'appel a par conséquent violé les dispositions légales précitées en considérant, au motif que l'action directe concerne les rapports entre le sous-traitant et le maître de l'ouvrage cependant que la saisie-arrêt porte sur le patrimoine de l'entrepreneur, que la saisie-arrêt n'excluait pas l'introduction subséquente d'une action directe.

La Cour de cassation fit droit à la première branche du second moyen en décidant que, par application des articles 7 et 8 de la loi hypothécaire et 16 de la loi sur les faillites, la faillite avait pour effet de rendre la créance de l'entrepreneur envers le maître de l'ouvrage indisponible et que l'action directe ne pouvait être intentée que lorsque la créance dudit entrepreneur était encore disponible dans son patrimoine.

Pour ce motif, la cour cassa la décision attaquée, n'examinant pas la seconde branche du moyen.

B. Rappel des principes

3.L'action directe consiste en un droit accordé par le législateur à certaines catégories de créanciers de se prévaloir - dans une certaine mesure et selon des degrés variables - des effets internes d'un acte auquel ils ne sont pas parties.

Il existe une grande diversité d'hypothèses dans lesquelles le législateur [5] a conféré au créancier le bénéfice d'une “action directe', en sorte qu'hormis la caractéristique mentionnée ci-avant, elles diffèrent totalement les unes des autres. Ainsi, les effets attachés par la loi à l'action directe vont du simple dessaisissement des droits du créancier intermédiaire, au moment de son intentement, comme dans le cas de l'article 1798 du Code civil, au détachement complet par rapport au contrat, comme dans le cas de l'article 87 de la loi du 25 juin 1992 sur le contrat d'assurances terrestres. Aussi, la doctrine a-t-elle établi une distinction entre les actions directes “parfaites” et les actions directes “imparfaites”, suivant le degré d'opposabilité des exceptions liées au contrat [6].

4.Les actions directes dites “imparfaites” sont celles dans lesquelles toutes les exceptions nées antérieurement à l'intentement de l'action sont opposables par le débiteur final au titulaire de l'action. Dans ce cas, en effet, c'est “l'exercice même de l'action qui fait naître dans le chef du créancier agissant, un “droit propre” auquel le sous-débiteur ne pourra, si elles naissent après l'intentement de l'action, opposer aucune (…) exception [7]”.

Ainsi, l'introduction de l'action “immobilise” la créance du débiteur intermédiaire, l'action directe constituant “une mesure d'exécution, apparentée à la saisie-arrêt, mais plus rapide et plus efficace [8]”. L'exercice de l'action, mesure d'exécution portant sur la créance du débiteur intermédiaire, a par conséquent pour effet de cristalliser les droits de son titulaire.

5.Le titulaire de l'action directe ne fait qu'exercer le droit de créance qu'il puise dans le patrimoine du débiteur intermédiaire. Certes, s'il exerce ce droit de créance pour son compte propre et en son nom - ce qui distingue l'action directe de l'action oblique -, il l'exerce toutefois tel qu'il existe dans le patrimoine de son débiteur au moment de l'intentement de l'action, nanti de tous ses avantages, mais également grevé de tous ses inconvénients.

Ainsi que nous l'avons démontré dans une précédente étude [9], le titulaire de l'action directe “imparfaite”, par l'exercice de son action, ne met dès lors pas en oeuvre, à proprement parler, un “droit propre”, c'est-à-dire un droit né directement dans son chef [10], mais bien un droit né dans le chef du débiteur intermédiaire qu'il exerce en son nom propre, comme dans le cas d'une cession de créance ou d'une subrogation.

M. Cozian a ainsi observé avec pertinence que “l'action directe est une arme commode pour intercepter le droit du débiteur [11]”, “la créance est d'abord immobilisée pour être transportée ensuite sur la tête du créancier direct (…) par l'effet translatif, c'est le droit même du débiteur, avec ses limites et ses sûretés, qui passe dans le patrimoine du créancier. On vérifie ainsi une fois encore le mécanisme de l'action directe: le sous-débiteur n'est pas tenu à la manière d'un responsable pour autrui, mais plutôt à la manière d'un débiteur cédé, l'action directe réalisant une cession forcée de créance [12].

Il résulte des développements qui précèdent que le “droit propre conféré au créancier”, demandeur à l'action, consiste à “s'emparer”, à s'accaparer le droit de créance du débiteur intermédiaire.

6.L'article 1798 du Code civil consacre expressément le caractère imparfait de l'action directe qu'il institue. En effet, cette disposition permet aux sous-traitants de recouvrer les sommes qui leur sont dues par l'entrepreneur principal, directement à charge du maître de l'ouvrage, le recouvrement étant, aux termes de la disposition, toutefois limité à “ce dont celui-ci se trouve débiteur envers l'entrepreneur au moment où leur action est intentée”.

Il en découle que le maître de l'ouvrage peut opposer à l'action du sous-traitant, toutes les exceptions affectant la créance de l'entrepreneur principal, pourvu qu'elles soient antérieures à l'introduction de l'action. Ainsi, le maître de l'ouvrage peut-il opposer les paiements effectués avant l'introduction de l'action, la compensation intervenue avant ce moment ou encore la confusion [13]. De la même manière, le maître de l'ouvrage peut opposer l'exception d'inexécution tirée de la défaillance du débiteur intermédiaire, celle-ci étant inhérente au contrat synallagmatique conclu entre le maître de l'ouvrage et l'entrepreneur, et préexistant par conséquent à la défaillance [14].

7.L'absence de droit propre dans le chef du titulaire de l'action directe explique parfaitement que le droit du débiteur intermédiaire à l'encontre du sous-débiteur demeure intact dans son patrimoine et qu'il puisse l'exercer pour son propre compte ou en disposer en le cédant ou en le donnant en gage, tant que le créancier direct n'a pas, par l'exercice de l'action contre le sous-débiteur, manifesté qu'il s'en emparait comme la loi l'y autorise [15].

Il est ainsi unanimement admis que l'action directe ne peut aboutir si la créance de l'entrepreneur a été régulièrement cédée à un tiers, antérieurement à son intentement [16]. L'entrepreneur pouvant disposer de sa créance, tant que l'action directe n'a pas été intentée, il peut également la remettre en gage à un tiers. Dans un tel cas, le sous-traitant qui ne fait qu'exercer le droit de créance de son débiteur, avec les avantages et les inconvénients qu'il présente au moment de l'introduction de l'action directe, devra également subir les effets du gage de la créance mise en la possession du créancier gagiste [17].

En reconnaissant l'opposabilité des exceptions liées à la créance et nées avant l'intentement de l'action, doctrine et jurisprudence consacrent dès lors implicitement mais nécessairement le fait que le droit exercé par le sous-traitant n'est que celui du débiteur intermédiaire, dont il s'est “emparé” comme la loi l'y autorise.

8.Dès lors que la créance du débiteur intermédiaire demeure dans son patrimoine, le titulaire de l'action directe qui n'a pas introduit celle-ci avant la survenance du concours se trouve déchu du droit de l'exercer postérieurement à celui-ci. En effet, “à l'heure de la saisie ou de la faillite, c'est une obligation générale, ou plus exactement un devoir universel, qui s'installe, et l'indisponibilité des biens paralyse la naissance sur ceux-ci de prétentions incompatibles avec le droit du créancier saisissant ou des créanciers du failli, organisés en masse [18]”.

Ainsi, à dater du jugement déclaratif de faillite, les biens du failli sont affectés exclusivement au désintéressement de ses créanciers dont les droits sont cristallisés dès cet instant, dans leurs rapports réciproques, la faillite entraînant une sorte de saisie collective du patrimoine du failli au profit de l'ensemble de ses créanciers. À cette saisie collective correspond le dessaisissement du failli, l'administration de ses biens étant confiée à un mandataire de justice chargé de les gérer et de les réaliser, pour en répartir le produit entre ses créanciers [19].

Dès lors, le concours qui résulte de l'existence d'une saisie, individuelle ou collective, fait obstacle à l'intentement de l'action directe qui a pour objet la “saisine” d'une créance du débiteur intermédiaire.

La créance de l'entrepreneur principal - débiteur intermédiaire - que le sous-traitant aurait pu appréhender pour lui-même en exerçant l'action et ainsi soustraire au droit de gage général des autres créanciers, fait en effet toujours partie de la masse des biens affectés au désintéressement de l'ensemble des créanciers [20].

9.Une doctrine et une jurisprudence dominantes, contredites en cela par l'arrêt annoté, considèrent toutefois que l'action directe peut encore être exercée par le sous-traitant après la survenance du concours. Les partisans de cette thèse croient pouvoir justifier leur position, d'une part, par le souci de protection du sous-traitant qui a animé le législateur lors de la modification de l'article 1798 du Code civil par la loi du 19 février 1990 [21] et, d'autre part, par le fait que l'action directe s'exercerait en dehors du patrimoine de l'entrepreneur, directement dans celui du maître de l'ouvrage.

L'argument déduit de l'intention du législateur, outre que celle-ci demeure bien obscure en l'espèce, ainsi que le relevait fort à propos la cour d'appel dans l'espèce ayant donné lieu à l'arrêt annoté, ne nous paraît pas conforme au texte même de la loi du 19 février 1990. Il résulte en effet de celui-ci que le législateur a conféré une protection idoine au sous-traitant par l'insertion d'un nouveau privilège (art. 20, 12°, de la loi hypothécaire), lequel s'exerce sur la créance de l'entrepreneur, en cas de concours de ses créanciers. Le privilège prend ainsi le relais de l'action directe, si celle-ci n'a pas été exercée avant la survenance du concours, ce qui permet de pallier l'éventuelle inaction du sous-traitant avant faillite.

L'opinion suivant laquelle l'indisponibilité consécutive à l'exercice de l'action directe ne viendrait frapper que “la dette (du maître d'ouvrage) envers le failli  [22] “ne résiste pas plus à l'analyse. Elle aboutit en effet à détacher l'aspect positif et négatif d'un seul rapport d'obligation en laissant supposer que nonobstant l'introduction de l'action directe par le sous-traitant, le curateur de la faillite de l'entrepreneur pourrait encore réclamer payement au maître de l'ouvrage, en sorte que ce dernier pourrait être contraint de payer deux fois la même dette.

Ainsi qu'il a été exposé ci-dessus, il nous paraît au contraire incontestable que l'exercice de l'action directe ampute le patrimoine de l'entrepreneur de la créance à charge du maître de l'ouvrage. Comme le souligne Monsieur Cozian, l'action directe n'a pas pour effet d'adjoindre à l'entrepreneur un co-débiteur tenu de la même dette, telle une caution, mais de conférer à son titulaire une mesure d'exécution rapide et simplifiée, en lui permettant “de s'emparer” de la créance de son débiteur à charge du sous-débiteur. Par conséquent, analyser l'action directe en ne prenant en considération que son sujet passif (le sous-débiteur) ne permet pas de justifier son efficacité, en cas d'intentement de celle-ci postérieurement au concours [23], pas plus que d'expliquer en quoi la cession de la créance visée, par l'entrepreneur, ferait obstacle à l'exercice de l'action. En outre, à suivre le raisonnement consistant à dire que l'action directe confère le droit de s'emparer de l'obligation du maître de l'ouvrage, il faudrait en conclure que le sous-traitant se voit transférer la dette de celui-ci, soit l'obligation de payement envers l'entrepreneur principal. Point n'est besoin de préciser ici que tel n'est assurément pas ce que le législateur a voulu, ni le résultat auquel tend le sous-traitant.

10.Dès lors que l'action directe porte directement sur un élément du patrimoine du débiteur intermédiaire [24], la circonstance que l'action vise à obtenir payement d'un tiers ne modifie pas l'analyse, puisqu'il s'agit en quelque sorte d'un double payement abrégé (un payement omisso medio).

Le fait que certains qualifient le droit conféré au sous-traitant de droit exclusif est pareillement dépourvu de portée. Comme l'ont souligné à juste titre Messieurs J.- P. Renard et M. Van den Abeele, il convient en effet de ne pas confondre droit “exclusif” et droit “absolu”, le droit “exclusif”, étant celui qui appartient à une seule personne ou catégorie de personnes, “ne confèr(ant) cependant pas un droit absolu, c'est-à-dire un droit qui ne comporterait aucune restriction ni réserve  [25]”.

11.Il résulte de ce qui précède que c'est à tort qu'une partie de la jurisprudence et de la doctrine considère que la déclaration de faillite ne ferait pas obstacle à l'action directe.

Cette affirmation n'est exacte que lorsque l'action directe a été introduite antérieurement à la déclaration de faillite mais ne donne lieu à une décision de justice que postérieurement. La faillite survenant après l'intentement de l'action frappe alors dans le vide puisque, par son action, le sous-traitant a mis en oeuvre son “droit propre” et, par conséquent, à dater de ce moment, en quelque sorte appréhendé à son profit la créance de l'entrepreneur.

C. Solution retenue par l'arrêt annoté

12.L'arrêt annoté décide que l'action directe reconnue aux sous-traitants par l'article 1798 du Code civil ne peut plus être intentée après la faillite de l'entrepreneur principal.

En statuant de la sorte, l'arrêt a, à notre estime, fait une parfaite application des principes énoncés ci-avant.

13.La circonstance que la cour ait rejeté le premier moyen, déduit de la prétendue incompatibilité existant entre l'article 23 de la loi relative aux marchés publics, d'une part, et l'article 1798 du Code civil, d'autre part, apparaît au demeurant naturelle au regard de la solution in fine retenue par l'arrêt.

En effet, dès lors que la cour cantonne l'exercice de l'action directe à la période antérieure au jugement déclaratif de faillite, aucun cumul ni aucune intersection ne sauraient logiquement se produire entre l'action directe et le privilège institué aux termes de l'article 23, celui-ci supposant par essence la survenance du concours et ne naissant qu'à dater de ce dernier. Il en est de même, bien que la cour n'ait pas été saisie de cette question, en ce qui concerne le privilège résultant de l'article 20, 12° de la loi hypothécaire. C'est par ailleurs pour venir au secours du petit entrepreneur inattentif, peu au fait des questions juridiques ou n'étant pas en mesure d'intenter l'action directe, que le législateur a voulu instituer en sa faveur un nouveau privilège, parallèlement à l'octroi de ladite action, par la loi du 19 février 1990 [26].

14.Ainsi qu'il a été dit ci-dessus, la cour n'a pas souhaité se prononcer sur la question de l'incidence, dans l'espèce ayant donné lieu à l'arrêt annoté, de la saisie-arrêt préexistante à la déclaration de faillite et à l'exercice de l'action directe.

Il est toutefois permis d'inférer avec certitude des motifs retenus par la cour pour rejeter l'action directe après faillite que celle-ci aurait conclu à l'impossibilité d'intenter pareille action postérieurement à l'emprise exercée sur la créance objet de l'action par le biais d'une saisie-arrêt, conservatoire ou exécution.

La saisie-arrêt “bloque” [27] en effet la créance de l'entrepreneur sur le maître de l'ouvrage en sorte qu'elle a pour principale propriété de rendre ladite créance indisponible et, partant, de la faire échapper à la mainmise des autres créanciers.

Dès lors que la créance saisie-arrêtée ne peut plus disparaître du patrimoine du débiteur saisi [28], le transfert de ladite créance au profit du demandeur à l'action directe est rendu impossible. La saisie exercée antérieurement à l'introduction de l'action a pour effet d'empêcher l'exercice de cette dernière.

Les développements qui précèdent peuvent, à notre avis, être transposés à toutes les situations de concours, dont celles résultant de la mise en liquidation ou du sursis provisoire [29].

Condamnant la thèse consistant à valider l'action directe après concours au nom de la dualité des patrimoines respectivement visés, l'action directe visant le patrimoine du maître de l'ouvrage tandis que le concours s'opère sur celui de l'entrepreneur principal, et rompant de la sorte avec une doctrine et une jurisprudence majoritaires, l'arrêt annoté nous paraît ainsi devoir être approuvé sans réserves.

SAMENVATTING
Het geannoteerde arrest beslist terecht dat de rechtstreekse rechtsvordering van de onderaannemer tegen de opdrachtgever niet meer kan worden ingesteld na de faillietverklaring van de hoofdaannemer. Gelet op de door het Hof van Cassatie ingeroepen redenen, kan er worden aangenomen dat het dezelfde stelling zou hebben aangenomen met betrekking tot een bewarend beslag onder derden in handen van de opdrachtgever (bouwheer) op diens schuld jegens de hoofdaannemer.
Dezelfde oplossing zou overigens ook moeten worden toegepast in alle gevallen van samenloop, zoals, o.m., de vereffening van een rechtspersoon of de voorlopige opschorting.
De rechtstreekse rechtsvordering van de onderaannemer tegen de opdrachtgever maakt immers een onvolmaakte rechtstreekse vordering uit. Die rechtstreekse rechtsvordering is dus niet echt een eigen recht van de onderaannemer tegen de opdrachtgever maar kan beter worden omschreven als het recht voor die onderaannemer om zich, letterlijk, meester te maken van de schuldvordering van de hoofdaannemer op die opdrachtgever.
[1] Cet article a été rédigé avant que ne soit rendu par la chambre francophone de la Cour de cassation, le 23 septembre 2004 un arrêt statuant dans le même sens que l'arrêt commenté.
[2] Avocats au barreau de Bruxelles, Eubelius.
[3] Bruxelles 7 novembre 2001, inédit, cité par Ph. Gérard et J. Windey, “Action directe des sous-traitants, faillite et concordat judiciaire: à contre-courant”, in Liber Amicorum Lucien Simont 2002, Bruxelles, Bruylant, pp. 391-392; Anvers 13 décembre 2001, R.D.C.B. 2002, p. 466; Anvers 13 décembre 2001, R.D.C.B. 2002, p. 470, note W. Derijcke; Comm. Louvain 24 février 1998, R.G.D.C. 1999, p. 213; Civ. Bruxelles 8 septembre 2000, R.W. 2000-01, p. 1102; Comm. Bruxelles 27 juillet 1998, R.D.C.B. 1999, p. 209, note W. Derijcke. Contra, notamment: Gand 29 novembre 2001, inédit, cité par Ph. Gérard et J. Windey, o.c., p. 390; Liège 27 février 2001, R.R.D. 2001, p. 137; Liège 31 mars 1995, J.L.M.B. 1995, p. 1340; Civ. Gand 14 février 2001, Entr. dr.2001, p. 110; Comm. Verviers 10 novembre 1997, R.D.C.B. 1998, p. 462; Comm. Bruxelles 30 juin 1994, R.D.C.B. 1994, p. 928.
[4] Pour une critique de la conception suivant laquelle l'action directe doit nécessairement être consacrée par une disposition légale idoine, voy. X. Dieux, “Nature et limites du droit du titulaire d'une action directe contre un cocontractant de son débiteur”, note sous Cass. 19 octobre 2001, R.C.J.B. 2004, pp. 9 et s.
[5] E. Dirix, Obligatoire verhoudingen tussen contractanten en derden, 1984, Kluwer, pp. 106 et s.
[6] Ph. Nonet, “Action directe et inopposabilité des exceptions”, Ann. Liège 1963, p. 72.
[7] B. Starck, Rép. Dalloz de droit civil, v° Action directe, n° 8, cité par L. Simont, “L'action directe de la victime d'un accident automobile contre l'assureur du propriétaire de celle-ci”, note sous Cass. 18 janvier 1962; voy. également p. 474, n° 14. Adde B. Starck, Rép. Dalloz de droit civil, v° Action directe, 1970, n° 15, p. 2.
[8] Ph. Gérard et J. Windey, o.c., p. 399.
[9] L. Simont, o.c., 1962, p. 486, n° 32.
[10] M. Cozian, L'action directe, 1969, Paris, L.G.D.J., n° 551.
[11] Ibid., n° 552.
[12] Liège 8 janvier 1996, J.L.M.B. 1997, 376 ; Liège 29 janvier 1999, R.G.D.C. 2000, 313; P. Wéry, “L'action directe du sous-traitant contre le maître de l'ouvrage: bilan de sept années d'application du nouvel article 1798 du Code civil”, R.R.D. 1997, p. 180.
[13] Liège 30 juin 2000, J.T. 2001, p. 597 et références citées dans l'arrêt.
[14] Ph. Gérard et J. Windey, “Action directe des sous-traitants, faillite et concordat judiciaire: à contre-courant”, o.c., p. 400.
[15] P. Wéry, o.c., p. 182, n° 10; J.-P. Bruls, “La loi du 19 février 1990 complétant l'article 20 de la loi hypothécaire et modifiant l'article 1798 du Code civil en vue de protéger les sous-traitants, une réforme d'efficacité limitée”, Act. dr. 1991, p. 775, n° 34.
[16] Comm. Bruxelles 27 juillet 1998, R.D.C.B. 1999, p. 209; E. Dirix, “De rechtstreekse vordering van de onderaannemer na verpanding”, note sous Civ. Turnhout 21 mai 1997, R.W. 1997-98, p. 411.
[17] M. Grégoire, Théorie générale du concours des créanciers en droit belge 1992, Bruxelles, Bruylant, n° 23, p. 18.
[18] Cass. 29 octobre 1976, Pas.1977, I, p. 252; Cass. 5 décembre 1997, Pas. 1997, I, n° 532, p. 1355, concl. avoc.-gén. J. Spreutels.
[19] Ph. Gérard et J. Windey, o.c., p. 400.
[20] Observons par ailleurs que M. Derijcke aboutit à une conclusion totalement opposée, après une analyse minutieuse desdits travaux préparatoires: W. Derijcke, “Rechtstreekse vordering van de onderaannemer en faillissement van de hoofdaannemer”, note sous Comm. Bruxelles 27 juillet 1998, R.D.C.B. 1999, pp. 211 à 213.
[21] J. Caeymaex, Manuel des sûretés, 1987, Éd. du Jeune Barreau de Liège, p. 80/10.
[22] Civ. Hasselt 3 novembre 1999, Limb. Rechtsl.2000, p. 424.
[23] Civ. Gand 1er décembre 1999, R.W. 2000-01, p. 487.
[24] J.-P. Renard et M. Van den Abeele, “Les garanties offertes aux sous-traitants en cas de défaillance de l'entrepreneur général”, Entr. et Dr. 1997, p. 145.
[25] Proposition de loi complétant l'art. 20 de la loi hypothécaire en vue de protéger les sous-traitants, rapport fait au nom de la commission de la justice par M.G. Verhaegen, Doc. parl. Ch. session 1982-83, n° 294 (1981-82)/3, p. 3; W. Derijcke, “Rechtstreekse vordering van de onderaannemer en faillissement van de hoofdaannemer”, note sous Comm. Bruxelles 27 juillet 1998, R.D.C.B. 1999, p. 212.
[26] Ch. Jassogne, “Action directe et privilège du sous-traitant”, R.R.D. 1991, p. 126.
[27] M. Grégoire, o.c., p. 383.
[28] Sur ce point voy. Ph. Gérard et J. Windey, o.c., pp. 401 et s.