Article

Cour d'appel Versailles, 04/09/2003, R.D.C.-T.B.H., 2004/8, p. 820-822

Cour d'appel de Versailles 4 septembre 2003

FAILLITE
Faillite internationale - Règlement CE 1346/2000 relatif aux procédures d'insolvabilité - Groupe de sociétés - Filiale française - Procédure d'insolvabilité principale ouverte au Royaume-Uni - Reconnaissance en France de cette décision
La notion de groupe de sociétés, ou de filiale, n'a aucune vocation à commander la compétence de la juridiction.
La Haute Cour de Justice de Leeds qui s'est déclarée compétente pour prononcer l'administration order en date du 16 mai 2003 à l'égard de la SAS ISA Daisytek en se fondant sur le fait que le centre des intérêts principaux de cette société était situé à Bradford en Angleterre, apparaît ainsi compétente en vertu de l'article 3 § 1 du Règlement. Il s'en déduit que l'administration order pris à l'égard de la SAS ISA Daisytek le 16 mai 2003 doit être reconnu en France.

FAILLISSEMENT
Internationaal faillissement - Verordening (EG) nr. 1346/2000 betreffende insolventieprocedures - Groep van vennootschappen - Franse dochtervennootschap - Opening van de hoofdinsolventieprocedure in het Verenigd Koninkrijk - Erkenning van deze beslissing in Frankrijk
Het concept van een groep van vennootschappen of van een dochtervennootschap speelt geen rol bij de bepaling van de bevoegdheid van de rechtsinstanties.
De High Court of Justice van Leeds, dat zich bevoegd heeft verklaard om de administration order van 16 mei 2003 uit te spreken ten aanzien van de SAS ISA Daisytek op grond van het feit dat het centrum van de voornaamste belangen van die vennootschap zich in Bradford (Verenigd Koninkrijk) bevindt, lijkt bevoegd op grond van artikel 3 § 1 van de Verordening. Daaruit volgt dat de administration order van 16 mei 2003 ten aanzien van de SAS ISA Daisytek in Frankrijk moet worden erkend.

ISA Daisytek SAS e.a. / Me Valdman e.a.

Sièg.: M. Besse, Mme Perrin et M. Hayat
Pl.: A. Adeline, Ph. Saigne, F. Maisant

La cour est saisie de l'appel interjeté par Monsieur Klempka, es qualités, Monsieur Taylor, es qualités, et Monsieur Green, es qualités, (ci-après les Administrateurs) du jugement rendu le 1er juillet 2003 par le tribunal de commerce de Pontoise qui a rejeté la tierce opposition formée par eux à l'encontre du jugement rendu par le même tribunal, le 26 mai 2003.

Par 'Administration order' n° 873 de 2003, en date du 16 mai 2003, (JOR 2003/287; red.) la Haute Cour de justice de Leeds a ouvert une procédure d'insolvabilité à l'égard de la SAS ISA Daisytek, société de droit français dont le siège social est situé dans le ressort du tribunal de commerce de Pontoise. Monsieur Klempka, Monsieur Taylor, et Monsieur Green ont été nommés co-administrateurs de cette procédure.

Par jugement rendu le 26 mai 2003 sur déclaration de l'état de cassation des paiements, le tribunal de commerce de Pontoise a ouvert la procédure de redressement judiciaire de la SAS ISA Daisytek et a désigné Maître Valdman en qualité d'administrateur judiciaire, et Maître Mandin en qualité de représentant des créanciers.

Estimant que la procédure d'insolvabilité ouverte au Royaume Uni interdisait d'ouvrir une autre procédure d'insolvabilité en France, les Administrateurs désignés par la Haute Cour de justice de Leeds, ont formé une tierce opposition au jugement rendu le 26 mai 2003 par le tribunal de commerce de Pontoise.

Par jugement rendu le 1er juillet 2003, le tribunal de commerce de Pontoise a rejeté la tierce opposition formée par les Administrateurs et a condamné ces derniers à payer à Maître Valdman, es qualités, la somme de € 5.000 sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Pour statuer comme il l'a fait le tribunal de commerce de Pontoise a relevé que, si une procédure d'insolvabilité ouverte dans un État membre fait obstacle à l'ouverture d'une autre procédure d'insolvabilité, c'est à la condition que la première procédure ait été ouverte dans les conditions prévues par le Règlement des communautés européennes n° 1346/2000 du 29 mai 2000, et a estimé que tel n'était pas le cas en l'espèce.

Pour juger que la Haute Cour de justice de Leeds n'avait pas suivi ce Règlement, en ouvrant une procédure d'insolvabilité à l'égard de la SAS ISA Daisytek, le tribunal de commerce de Pontoise a notamment relevé:

- que la SAS ISA Daisytek est filiale de la société de droit anglais Daisytek-ISA Limited dont le siège social est situé dans le ressort de la Haute Cour de justice de Leeds, et que cette juridiction a rendu le 16 mai 2003 quatorze décisions par lesquelles elle a ouvert la procédure d'Administration de la société mère, et de treize autres sociétés filiales et parmi elles de la SAS ISA Daisytek;

- que le fait que la SAS ISA Daisytek soit filiale de la société de droit anglais Daisytek-ISA Limited, dont le siège social est situé dans le ressort de la Haute Cour de justice de Leeds, ne donne pas compétence à cette juridiction pour ouvrir une procédure d'insolvabilité à son égard, dans la mesure où la notion de 'groupe' n'a pas de portée juridique, et que chaque société du groupe dispose de la personnalité morale à part entière;

- que cette décision revient à nier la notion de personnalité morale des sociétés, et ne saurait entraîner l'application du Règlement communautaire.

(...)

Discussion
Sur la nature de procédure d'insolvabilité principale des deux procédures

Considérant que pour la clarté des débats il convient de relever que les deux procédures ouvertes, l'une par la Haute Cour de justice de Leeds le 16 mai 2003, et l'autre par le tribunal de commerce de Pontoise le 26 mai 2003 sont des procédures d'insolvabilité principales de l'article 3, § 1, et que la notion de procédure d'insolvabilité secondaire de l'article 3, § 2 est étrangère au présent litige;

Considérant qu'il s'agit dans la présente espèce de dire qu'elle est celle des deux procédures d'insolvabilité principales qui doit être appliquée à la SAS ISA Daisytek.

Sur le critère de compétence

Considérant que les alinéas 1 et 2 de l'article 3 du Règlement (CE) n° 1346/2000 du Conseil du 29 mai 2000 relatif aux procédures d'insolvabilité sont ainsi rédigés:

'Article 3: Compétence internationale

1. Les juridictions de l'État membre sur le territoire duquel est situé le centre des intérêts principaux du débiteur sont compétentes pour ouvrir la procédure d'insolvabilité. Pour les sociétés et les personnes morales, le centre des intérêts principaux est présumé, jusqu'à preuve contraire, être le lieu du siège statutaire.

2. Lorsque le centre des intérêts principaux du débiteur est situé sur le territoire d'un État membre, les juridictions d'un autre État membre ne sont compétentes pour ouvrir une procédure d'insolvabilité à l'égard de ce débiteur que si celui-ci possède un établissement sur le territoire de cet autre État membre. Les effets de cette procédure sont limités aux biens du débiteur se trouvant sur ce dernier territoire.' Considérant qu'il se déduit de cette rédaction:

- que la juridiction compétente pour ouvrir la procédure d'insolvabilité principale est celle sur le territoire duquel est situé le centre des intérêts principaux de la société;

- que tout autre juridiction est incompétente;

- que pour les sociétés, le centre des intérêts principaux est présumé être le lieu du siège statutaire;

- que lorsque le siège statutaire n'est pas le centre des intérêts principaux de la société, la juridiction compétente n'est pas celle dans le ressort duquel est situé le siège statutaire, mais celle dans le ressort duquel se trouve le centre des intérêts principaux de la société, à charge pour cette juridiction de constater que ce fait est démontré;

Considérant qu'en d'autres termes le seul critère de compétence, pour ouvrir une procédure d'insolvabilité principale est le centre des intérêts principaux de la société;

Considérant que la notion d'établissement n'est appelée à jouer que pour l'ouverture d'une procédure d'insolvabilité secondaire (de l'art. 3, § 2), ce qui est étranger au présent litige, ainsi qu'il a été dit supra;

Considérant qu'ainsi que l'a dit le tribunal de commerce de Pontoise, et qu'en sont d'accord toutes les parties, et parmi elles les Administrateurs, la notion de groupe de sociétés, ou de filiale, n'a aucune vocation à commander la compétence de la juridiction;

Sur le critère de compétence appliqué par la Haute Cour de justice de Leeds

Considérant que la Haute Cour de justice de Leeds a rendu le 16 mai 2003 seize décisions différentes portant les numéros 861 à 876 de l'année 2003, par lesquelles elle a suspendu l'ouverture de la procédure pour deux sociétés ('Hundleby' et 'Source'), et par lesquelles elle a ouvert les procédures d'insolvabilité principales de 14 sociétés, dont la SAS ISA Daisytek (selon Administration order n° 873 de 2003);

Considérant que chaque 'administration order' ainsi rendu est motivé par le jugement prononcé le même jour par le juge McGonigal;

Considérant qu'il résulte clairement de ce jugement:

- que le juge a estimé que les conditions de fond étaient réunies pour que soient ordonnées l'ouverture d'une procédure d'insolvabilité à l'égard des 14 sociétés, mais a relevé que pour les trois sociétés allemandes et pour la société française, il ne pouvait prendre ces mesures que 'sous réserve que le tribunal anglais ait compétence';

- que le juge a rappelé que le tribunal anglais a compétence 'si le centre des intérêts principaux' des sociétés allemandes et de la société française est situé en Angleterre ou au Pays de Galles;

- que le juge a souligné que pour faire tomber la présomption selon laquelle le centre des intérêts principaux est situé au lieu du siège social, la société requérante doit fournir preuve suffisante que le centre de ses intérêts principaux est en Angleterre;

- que le juge a énuméré pour les sociétés allemandes les actes significatifs exécutés à Bradford, puis a exposé les critères devant commander en droit la notion de centre des intérêts principaux, pour en déduire que ce centre situait effectivement à Bradford en Angleterre;

- que le juge a relevé, pour la société française SAS ISA Daisytek, que le bureau de Bradford fonctionne en relation avec cette société de la même façon qu'avec les sociétés allemandes, et en déduit 'que Bradford est le centre des intérêts principaux de cette société française;

Considérant qu'il est ainsi établi que la Haute Cour de justice de Leeds s'est déclarée compétente pour prononcer l'administration order en date du 16 mai 2003 à l'égard de la SAS ISA Daisytek en se fondant sur le fait que le centre des intérêts principaux de cette société était situé à Bradford en Angleterre;

Considérant qu'il est donc inexact de prétendre que la Haute Cour de justice de Leeds se serait fondée sur la notion d'établissement, ou encore sur la notion de groupe de sociétés et de filiale;

Sur les effets de principe, en France, de la procédure d'insolvabilité principale ouverte antérieurement en Angleterre, sous réserve de l'examen des moyens de forme

Considérant qu'il résulte des dispositions de l'article 16 du règlement que toute décision ouvrant une procédure d'insolvabilité prise par une juridiction d'un État membre compétente en vertu de l'article 3 est reconnue dans tous les autres États membres;

Considérant qu'il a été indiqué supra que la Haute Cour de justice de Leeds s'est déclarée compétente car elle a estimé suffisamment démontré que le centre des intérêts principaux de la SAS ISA Daisytek se situait à Bradford en Angleterre;

Considérant que la Haute Cour de justice de Leeds apparaît ainsi compétente en vertu de l'article 3, § 1 du règlement; qu'il s'en déduit que l'administration order pris à l'égard de la SAS ISA Daisytek le 16 mai 2003 doit être reconnu en France;

Considérant qu'il résulte des dispositions de l'article 17 du règlement que cet 'administration order' produit, sans aucune autre formalité, dans tout autre État membre, dont la France, les effets que lui attribue le droit anglais;

Considérant que l'on doit déduire de ces textes que l'ouverture de la procédure d'insolvabilité principale de la SAS ISA Daisytek par la Haute Cour de justice de Leeds a interdit à toute juridiction française d'ouvrir ultérieurement une autre procédure d'insolvabilité principale, et donc au tribunal de commerce de Pontoise d'ouvrir une procédure de redressement judiciaire;

Considérant que c'est donc en violation du Règlement communautaire 1346/2000 du 29 mai 2000 que le tribunal de commerce de Pontoise a ouvert la procédure de redressement judiciaire de la SAS ISA Daisytek et a désigné les organes de cette procédure;

(...)

Par ces motifs

Statuant publiquement et par arrêt réputé contradictoire, en dernier ressort,

Infirme le jugement rendu le 1er juillet 2003 par le tribunal de commerce de Pontoise,

Statuant à nouveau, déclare bien fondée la tierce opposition formée par Monsieur Klempka, es qualités, Monsieur Taylor, es qualités, et Monsieur Green, es qualités, à l'encontre du jugement rendu le 26 mai 2003 par le tribunal de commerce de Pontoise,

En conséquence dit que la SAS ISA Daisytek ne peut faire l'objet d'une procédure de redressement judiciaire en France, infirme le jugement rendu le 26 mai 2003 par le tribunal de commerce de Pontoise, et constate que cette infirmation produit ses effets à l'égard des appelants, de la SAS ISA Daisytek, de Maître Valdman, es qualités, et de Maître Mandin, es qualités.

Zie noot Candice Barbé onder arrest Comm. Charleroi 16 februari 2002, p. 814 e.v.