Article

Cour d'appel Mons, 04/03/2002, R.D.C.-T.B.H., 2004/5, p. 490

Cour d'appel de Mons 4 mars 2002

TRANSPORT
Transport terrestre - International - CMR - Exonération de responsabilité - Traction d'une semi-remorque - Emballage - Expertise unilatérale
Nonobstant l'article 17, § 3 CMR le transporteur sous-traitant, chargé de tracter la remorque appartenant au transporteur contractuel, peut opposer à celui-ci le défaut de la remorque, dont la charge de la preuve lui incombe.
Le transporteur n'est pas exonéré de sa responsabilité du chef de mouille lorsqu'il se prévaut de prétendues défectuosités d'un emballage de barres d'acier devant normalement être transportées dans une remorque étanche, lorsqu'il n'est pas établi que le but de cet emballage aurait été l'étanchéité plutôt que la protection contre les chocs et les griffes.
Un rapport d'expertise unilatéral peut avoir une force probante si les circonstances permettent de lui donner crédit et de considérer que les intérêts de la partie à qui il est opposé ont été respectés. Tel est le cas de l'estimation du dommage effectué par l'expert du transporteur principal, qui a le même intérêt que le sous-traitant.
VERVOER
Wegvervoer - Internationaal - CMROntheffing van aansprakelijkheid - Trekken van een semi-aanhangwagen - Verpakking - Eenzijdig deskundigenonderzoek
Niettegenstaande artikel 17, § 3 kan de vervoerder-onderaannemer die belast is met het trekken van de aanhangwagen van de contractuele vervoerder, het gebrek aan de aanhangwagen aan deze laatste tegenwerpen. De bewijslast valt echter te zijnen laste.
De vervoerder is niet bevrijd van zijn aansprakelijkheid voor de waterschade wanneer hij zich beroept op vermeende gebreken aan de verpakking van de staalbalken die normaliter vervoerd moeten worden in een waterdichte aanhangwagen indien niet aangetoond wordt dat de verpakking voornamelijk gebruikt werd omwille van haar waterbestendigheid en minder omwille van de bescherming tegen schokken en beschadigingen.
Een eenzijdig deskundigenonderzoek kan bewijskracht hebben indien men er op basis van de omstandigheden geloof aan kan hechten en deze omstandigheden toelaten te stellen dat de belangen van de tegenpartij geëerbiedigd werden. Dit is het geval bij de schatting van de schade door de deskundige van de hoofdvervoerder die dezelfde belangen heeft als de onderaannemer.

Transports Michel / Transports Aupaix

Siég.:Mr Van Wuytswinkel (président), Mme Lefebve (président), Mr Gillardin (conseiller)
Pl.: Mes Urbain loco Verbeke (Bruges), Schweich loco Chevalier (Tournai) et Peels loco Insel (Anvers)

(...)

Attendu que les faits de la cause ont correctement été exposés par le premier juge;

Attendu qu'il suffit de rappeler que lors du déchargement, le 13 février 1996, de barres d'acier transportées par camion, d'Italie à Bruxelles, par l'intimée, agissant en qualité de sous-traitant de l'appelante, la SA Wauters, destinataire de la marchandise a indiqué les réserves suivantes sur la lettre de voiture:

'matériel reçu non conforme, matériel reçu trempé, la cause: la remorque n'est pas étanche';

Que le chauffeur de l'intimée, après avoir signé la lettre de voiture, quitta les établissements de la SA Wauters pour poursuivre ses activités;

Que le même jour, 13 février 1996, la SA Wauters fit expertiser par un expert de la SA Atlantis International Services mandatée par la SA Jean Verheyen, compagnie d'assurance de l'appelante, les barres d'acier dont un certain nombre était oxydé, et l'expert fixa le préjudice à la somme de 200.550 francs hors TVA;

Attendu que la SA Wauters factura le 1er juillet 1996 le montant de 242.666 francs à l'appelante qui elle-même le factura à l'intimée, son sous-traitant, et prétendit le déduire, par compensation, des factures dont elle était elle-même redevable, totalisant 407.770 francs;

Attendu que l'intimée assigna l'appelante en paiement du solde de ses factures, soit 242.666 francs en principal outre une clause pénale et des intérêts conventionnels et l'appelante introduisit une demande reconventionnelle tendant au paiement du dommage causé aux marchandises transportées;

Que le premier juge fit droit à la demande principale, à l'exception de la clause pénale, et dit la demande reconventionnelle fondée à concurrence de la somme de un franc à titre provisionnel, invitant pour le surplus l'appelante à fournir des éléments permettant de fixer la hauteur du dommage;

Qu'en son arrêt antérieur, la cour de céans a dit le jugement déféré exécutoire par provision et a exclu le cantonnement;

Attendu que l'intimée a pris en charge la marchandise sans avoir émis de réserve sur la lettre de voiture; qu'elle est donc présumée avoir reçu la marchandise et son emballage en bon état apparent au moment de la prise en charge (art. 9, al. 2 de la CMR);

Que lors de la livraison, le destinataire Wauters a inscrit des réserves sur la lettre de voiture, ce qui apporte la preuve de l'avarie (art. 30, al. 1 de la CMR);

Attendu que selon l'article 17 de la Convention CMR du 19 mai 1956, le transporteur est responsable de l'avarie qui se produit entre le moment de la prise en charge et celui de la livraison;

Attendu que l'article 17 implique une obligation de résultat entraînant une présomption de responsabilité du transporteur;

Attendu qu'il appartient dès lors à l'intimée de renverser cette présomption de responsabilité;

Attendu que l'intimée soutient être exonérée sur pied de l'article 17.2 de la CMR au motif que le transport fut effectué avec un remorqueur qui appartenait à l'appelante et qui ne fut pas assez étanche;

Attendu que le premier juge a estimé à tort que cette argumentation ne pouvait être invoquée eu égard au contenu de l'article 17.3 qui stipule que le transporteur ne peut exciper, pour se décharger de sa responsabilité... des défectuosités du véhicule dont il se sert pour effectuer le transport;

Attendu en effet que l'intimée n'a exécuté le transport qu'en qualité de sous-traitant de l'appelante, qui en tant que transporteur principal, n'aurait pu effectivement invoquer, pour s'exonérer de sa propre responsabilité, le manque d'étanchéité de la remorque, eu égard au prescrit de l'article 17.3;

Que lorsque les dommages proviennent du défaut d'une remorque appartenant au transporteur contractuel et tractée par un sous-traitant, l'article 17.3 de la CMR ne s'applique pas au recours du premier transporteur contre son sous-traitant qui peut, au contraire, se prévaloir envers son donneur d'ordre de l'article 17.2 de la CMR (Comm. Anvers 22 février 1985, R.D.C. 1987, TR. II, n° spécial, p. 150; J. Putzeys, Le transport routier de marchandises, Bruylant, 1981, p. 255; J. Libouton, observations sous Anvers 24 mars 1976, J.T. 1976, p. 525);

Attendu que l'intimée peut dès lors démontrer, conformément à l'article 17.2 de la CMR, que l'avarie a pour cause 'une faute de l'ayant droit, un ordre de celui-ci ne résultant pas d'une faute du transporteur, un vice propre de la marchandise ou des circonstances que le transporteur ne pouvait pas éviter et aux conséquences desquelles il ne pouvait pas obvier';

Attendu que l'intimée soutient à cet égard que la remorque n'était pas étanche et qu'il n'est pas établi qu'elle était mal bâchée, l'expert n'ayant pu conclure de façon suffisamment crédible qu'il existait un 'jour' entre la bâche et les ridelles, sur base des seules déclarations du destinataire, à défaut d'avoir pu examiner la remorque qui avait quitté les lieux au moment de l'expertise;

Attendu qu'il appartient à l'intimée d'apporter la preuve de la cause libératoire de responsabilité qu'elle invoque conformément à l'article 18.1 de la CMR ('La preuve que... l'avarie a eu pour cause un des faits prévus à l'article 17, § 2 incombe au transporteur';

Attendu que force est de constater que l'intimée ne démontre pas que la remorque présentait une défaillance d'ordre technique et qui ne la rendait plus étanche;

Qu'elle aurait pourtant pu prendre l'initiative de faire expertiser la remorque, ce qu'elle n'a pas fait;

Que la preuve de la déficience de la remorque ne peut résulter du seul fait que l'appelante ne démontre pas que celle-ci aurait été mal bâchée lors du transport litigieux;

Que ni la CMR ni le Code judiciaire ne prévoient qu'il puisse y avoir lieu à interversion de la charge de la preuve;

Que l'intimée devrait en outre apporter la preuve que ce défaut de la remorque était imputable à une faute de l'appelante, les parties étant contraires en fait sur la cause éventuelle d'un défaut d'étanchéité: état avancé de la bâche dûment signalé aux transports Michel (voir lettre de Aupaix du 10 septembre 1996) ou manque d'entretien imputable aux Transports Aupaix (voir conclusions de la SA Transports Michel);

Attendu que l'intimée prétend également être exonérée de la présomption de responsabilité qui pèse sur elle sur pied de l'article 17.4.b de la CMR, qui décharge le transporteur de sa responsabilité lorsque l'avarie a pu résulter de l'absence ou de la défectuosité de l'emballage pour les marchandises exposées, par leur nature, à des déchets ou avaries quand elles ne sont pas emballées ou sont mal emballées;

Qu'elle fait en effet remarquer que l'expert a constaté que le plastibulle, dans lequel des bottes de plus ou moins dix barres d'acier avaient été emballées, était parfois abîmé au niveau des sangles; qu'elle en conclut que les marchandises ont pu être emballées alors qu'elles étaient encore mouillées ou que l'emballage défectueux a laissé pénétrer les eaux de pluie;

Attendu qu'il appartient à l'intimée d'établir avec une certaine vraisemblance, que le dommage a pu résulter de la cause alléguée (G. Block, 'Les transports terrestres', T.P.D.C. 1992, T. II, n° 1243, p. 1035; J. Putzeys, Le contrat de transport routier de marchandise, Bruylant, 1981, p. 265, n° 801);

Attendu que l'hypothèse de marchandises emballées mouillées doit être écartée: qu'en effet, le destinataire a constaté sur la lettre de voiture que le matériel reçu était 'trempé', ce qui implique que l'eau qui a oxydé les barres d'acier était bien plus importante que le simple fait qu'elles auraient été mouillées au moment de l'emballage;

Qu'entre le moment de l'emballage qui eut lieu au plus tard au moment du chargement de la marchandise le 8 février 1996, et le jour de la constatation de l'avarie le 13 février, les paquets auraient d'ailleurs séché alors que l'expert a constaté que 'certains paquets renfermaient encore de l'eau en quantité';

Attendu, quant aux défectuosités de certains emballages, qu'encore faut-il remarquer que cette hypothèse ne s'applique pas aux insuffisances apparentes d'emballage, comme l'est un plastibulle abîmé au niveau des sangles, à propos desquelles le transporteur n'a pas émis de réserves lors de la prise en charge (art. 8.1 de la CMR) (G. Block, o.c., n° 1248, p. 1040);

Que pour qu'une défectuosité de l'emballage puisse être admise, il faut que le transporteur établisse quelles sont les caractéristiques d'un emballage adéquat eu égard à la nature de la marchandise et dans quelle mesure l'emballage utilisé n'y répond pas (Comm. Gand 14 février 1984, R.D.C. 1984, p. 722);

Qu'en l'espèce, il n'est pas établi que des barres d'acier devant normalement être transportées dans une remorque étanche doivent être elles-mêmes emballées dans un emballage étanche;

Qu'à cet égard, les premiers juges ont correctement observé que l'usage du plastibulle démontre que l'emballage devait uniquement servir à protéger les barres d'acier transportées contre les chocs et les griffes;

Qu'ainsi l'intimée n'apporte-t-elle pas la preuve qui lui incombe que l'avarie aurait pu résulter d'une défectuosité de l'emballage;

Attendu quant au dommage, que l'intimée soutient que le rapport d'expertise établi par l'expert de la SA Atlantis International Services ne peut lui être opposé dès lors qu'elle n'a pas été appelée aux opérations d'expertise et que le rapport ne lui a été envoyé que le 23 mai 1996, à un moment où plus rien ne pouvait être constaté;

Attendu qu'il est vrai que le dommage doit être constaté dans le respect des droits de la défense de sorte qu'en règle celui- ci doit faire l'objet d'une expertise contradictoire, amiable ou judiciaire;

Attendu que ce principe n'est pas absolu; qu'un rapport d'expertise unilatéral peut avoir une force probante si les circonstances dans lesquelles il a été établi permettent au juge de lui donner crédit et de considérer que les intérêts de la partie à qui il est opposé ont été respectés;

Attendu que dans le cas particulier de la cause, l'expertise a été effectuée, non point par un expert mandaté par le destinataire préjudicié, mais par un expert mandaté par l'assureur du transporteur principal, ayant exactement le même intérêt que l'assureur de l'intimée et l'intimée elle-même à voir le dommage évalué de la façon la plus raisonnable;

Que l'on ne pourrait donc concevoir que cet expert aurait pu admettre un dommage fictif ou allouer une indemnité trop élevée (en ce sens: P. Lurquin, Traité de l'Expertise, Bruylant, 1985, p. 395; voy. également Anvers 25 octobre 1989, Jur. Anvers 1989, pp. 191-194: un rapport unilatéral établi par l'expert des assureurs de la marchandise peut constituer la preuve de la matérialité et de l'étendue du dommage);

Que l'expertise présente ainsi la garantie suffisante que le dommage n'a pu être surévalué au préjudice de l'intimée;

(...)