Article

Cour d'appel Liège, 03/10/2002, R.D.C.-T.B.H., 2004/3, p. 269-271

Cour d'appel de Liège 3 octobre 2002

PROCÉDURE
Référé - Urgence
Le retard d'une partie à porter le différend en justice n'exclut pas nécessairement l'urgence, si la situation existante est aggravée par des faits nouveaux ou par l'effet de sa simple durée.
Référé - Droits au fond
L'absence de lien contractuel entre l'entrepreneur et l'architecte n'exclut pas que l'entrepreneur, en mettant en cause son donneur d'ordre, implique l'architecte dans la procédure vu qu'il n'est pas exclu que, même en l'absence de lien contractuel entre eux, l'entrepreneur condamné puisse dans certains cas se retourner contre l'architecte si ce dernier a commis une faute à son égard.
RECHTSPEGING
Kort geding - Urgentie
De vertraging waarmee een partij de zaak voor de rechtbank brengt, sluit het bestaan van urgentie niet noodzakelijk uit, indien de bestaande toestand verergert door nieuwe feiten of door het voortduren ervan.
RECHTSPEGING
Kort geding - Rechten ten gronde
De afwezigheid van contractuele band tussen de aannemer en de architect sluit niet uit dat de aannemer, door zijn opdrachtgever gedagvaard, de architect in de procedure betrekt nu niet uitgesloten is dat, zelfs zonder contractuele band, de aannemer een vordering tegenover de architect zou stellen.

SPRL K.I. System / SA Entralux, SA Vigneron, C.P., SA Pierret, SPRL Arbra, S.C. P&V Assurances

Siég.: R. de Francquen (conseiller ff de président), M. Ligot en A. Jacquemin (conseillers)
Pl.: Vercammen loco B. Minne, Derroitte loco J. De Dobbeleer, V. Lamalle, Crucifix loco J. Stephenne, Rozencweig loco J.-C. Mottet, Janssens loco B. Vincent, B. Hesbois loco J.-P. Huet

Vu les appels de l'ordonnance rendue le 17 juillet 2002 par le président du Tribunal de commerce de Namur, interjetés le 26 août 2002 par la SPRL K.I. System et par conclusions de l'intimée Entralux du 12 septembre 2002;

Attendu que par citation du 3 juillet 2002 l'appelante assignait la première intimée à l'effet de voir désigner un expert-architecte qui dresserait un état des dégradations affectant l'immeuble de bureaux qu'elle l'avait chargée de construire par convention du 21 mai 1997 et où des infiltrations d'eau étaient déplorées depuis 1999;

Que le locataire de l'appelante réclamait en effet 'une intervention très urgente de réparation de la façade arrière (parce que) les infiltrations d'eau par ce mur suite aux pluies des dernières semaines... ont causé des problèmes électriques... (et que) la sécurité des personnes présentes dans le bâtiment n'est plus garantie' (lettre 24 juin 2002), ces plaintes étant relayées et objectivées par l'architecte qui constate 'un risque énorme de voir certains morceaux d'enduit se détacher et tomber, risquant ainsi de blesser des personnes... ou même d'endommager des véhicules' et estime, les réparations provisoires antérieures n'étant plus suffisantes, qu'il y a 'urgence à faire constater le problème par un expert judiciaire afin de donner à son rapport un caractère officiel et opposable à l'entrepreneur responsable de ce désordre', pour que 'les travaux de réparation (puissent) être exécutés avant la fin du mois de septembre, (car) dans le cas contraire, les conditions climatiques ne seront plus réunies' (lettre Arbra 25 juin 2002);

Que dès le 5 juillet 2002, l'entrepreneur principal Entralux citait en intervention et garantie ses sous-traitants, la SA Vigneron, chargée de réaliser le crépi, C.P. qui s'est occupé de réaliser la toiture, la SA Pierret qui a fabriqué les châssis, mais aussi son propre assureur en responsabilité civile exploitation et après livraison, et enfin l'architecte auteur de projet ainsi que la société Arbra par laquelle il exerce;

Que cette dernière a seule déposé des conclusions devant le premier juge pour que la demande dirigée contre elle soit déclarée irrecevable, 'vu l'absence de lien de droit entre l'entrepreneur et l'architecte', ce qui constitue encore en appel l'essentiel de son argumentation;

Que l'ordonnance entreprise rejette la demande principale au motif que les problèmes d'humidité remontent à 1999 et que l'urgence ne peut par conséquent plus être invoquée; que la citation en intervention est quant à elle déclarée sans objet;

Attendu que l'appelante a intimé toutes les parties présentes à la cause en instance, telles que le premier juge les a inventoriées, l'architecte, cité à titre personnel étant laissé de côté;

Que vis-à-vis des parties avec lesquelles l'appelante n'avait pas de lien d'instance, l'appel est irrecevable (voy. Mons 23 septembre 1992, J.L.M.B. 1994, p. 549; Cass. 13 mars 1998, Pas. 1998, I, 140);

Attendu que la première intimée introduit par conclusions un appel dirigé contre les parties qu'elle avait appelées en intervention et garantie; que le débat se trouve ainsi reconstitué de la même manière que devant le premier juge, ce qui est tout à fait régulier (de Leval, note sous Mons 10 avril 1986, Ann. dr. Liège 1986, p. 357; Bourlabah, Les voies de recours, CUP décembre 2000, p. 301; Cass. 4 mai 2001, C.980408N);

Attendu que le juge des référés vérifie, même d'office, si l'urgence qui fonde sa compétence peut être retenue telle qu'elle est invoquée;

Que le retard d'une partie qui se plaint d'un dommage à porter le différend en justice n'exclut pas nécessairement l'urgence, si la situation existante est aggravée par des faits nouveaux ou par l'effet de sa simple durée (de Leval, 'Le référé en droit judiciaire privé', Act. dr. 1992, p. 867; Bruxelles (9ème ch.) 4 février 1999, NR98KR298);

Attendu qu'en l'espèce, si la présence d'infiltrations d'eau n'est pas nouvelle, l'absence de remède durable est de nature à permettre une aggravation sérieuse des dommages que ces infiltrations entraînent; que les mesures de protection provisoire appliquées s'avèrent insuffisantes, dans la mesure où la bâche étendue sur la toiture ne résiste pas au vent et à des pluies répétées; que le décollement et la chute de l'enduit de façade est susceptible de causer d'autres dommages et que l'appelante ne peut être plus longtemps exposée au risque de voir le locataire à qui elle doit une paisible jouissance du bien soit demander la résiliation du bail soit invoquer des dommages à son matériel ou à son personnel;

Que le premier juge aurait dû reconnaître l'état d'urgence pour que, comme l'architecte le préconisait, un constat contradictoire soit dressé et que les vraies réparations puissent être effectuées avant l'hiver;

Que la première intimée, pas plus que ses sous-traitants, ne s'oppose véritablement à la demande sur laquelle les intéressés s'en réfèrent à justice sans déposer de conclusions motivées; que l'assureur de la première intimée n'élève pas de critique quant à son intervention à la cause;

Attendu que l'architecte auteur de projet conteste que l'entrepreneur avec lequel il n'est pas lié par contrat puisse l'obliger à participer à l'expertise postulée; qu'il souligne que le maître d'oeuvre ne lui adresse aucun reproche et qu'il suivra en fait l'expertise comme conseil technique de son client;

Attendu que l'entrepreneur affirme que 'les problèmes rencontrés par l'appelante peuvent trouver leur origine dans un défaut de conception ou un manque de direction de chantier, dans une mauvaise exécution de l'entrepreneur en toiture et/ ou d'une mauvaise exécution de l'entrepreneur en crépi et/ ou d'une mauvaise fourniture ou pose des châssis' (conclusions p. 3), la discussion étant ainsi largement ouverte quant aux causes possibles des désordres constatés;

Qu'il est recommandé, pour éviter d'aboutir à des résultats incertains voire choquants, de mettre toutes les parties concernées à la cause et de mettre les actions en intervention en état d'être jugées en même temps que l'action principale (Henry et Pottier, 'Droit de la construction', Act. dr. 1991, p. 1224); qu'il n'est pas exclu que, même en l'absence de lien contractuel entre eux, l'entrepreneur condamné puisse dans certains cas se retourner contre l'architecte si ce dernier a commis une faute à son égard (o.c., p. 1189), la qualification à donner à semblable recours étant de la compétence du juge du fond;

Attendu que s'agissant d'une mesure d'expertise qui présente un caractère conservatoire, il n'est pas exigé que la partie demanderesse justifie d'un droit évident, incontestable ou non sérieusement contesté (Bruxelles 4 février 1999, déjà cité);

Que le juge des référés ordonne une mesure d'instruction dont l'opportunité et le résultat seront appréciés librement par le juge du fond à l'égard duquel la décision n'a aucune autorité de chose jugée (de Leval, 'L'examen du fond des affaires par le juge des référés', J.T. 1982, p. 422, n° 11; Van Compernolle, 'Actualité du référé', Ann. dr. Louvain 1989, p. 149);

Que s'il faut éviter de contraindre une partie à suivre une expertise lorsqu'elle est totalement étrangère à la question discutée et ne pourra certainement pas être inquiétée, il n'en va pas de même pour l'architecte dont le rôle est critiqué par un intervenant et à l'égard duquel l'expertise qui révélerait des défaillances pourrait être un instrument utile pour le maître d'oeuvre soucieux d'être complètement indemnisé;

Qu'il y a lieu de contraindre toutes les parties à l'instance d'appel de suivre les opérations de l'expert dont la mission n'est pas discutée;

Par ces motifs,

Vu l'article 24 de la loi du 15 juin 1935,

La cour, statuant contradictoirement,

Reçoit les appels sauf celui en ce que celui de K.I. System est dirigé contre les intimés autres que Entralux,

Réforme la décision entreprise sauf en ce qu'elle joint les causes et reçoit la demande principale,

Vu l'urgence, désigne en qualité d'expert, tous droits des parties saufs quant au fond, (...).