Article

Cour d'arbitrage, 10/12/2003, R.D.C.-T.B.H., 2004/3, p. 253-256

Cour d'arbitrage 10 décembre 2003

FAILLISSEMENT
Gevolgen - Overeenkomsten - Beëindiging - Geen ongelijkheid
Artikel 46 van de Faillissementswet schendt de artikelen 10 en 11 van de Grondwet niet.
FAILLITE
Effets - Contrats - Résiliation - Pas de discrimination
L'article 46 de la loi sur la faillite ne viole pas les articles 10 et 11 de la Constitution.

J.-P. Vander Borght, R. Parijs et SPRL Courtfield Belgium / SA Interbrew Belgium et L. Segers

Siég.: P. Martens (ff de président), A. Arts (président), M. Bossuyt, E. De Groot, A. Alen, J.-P. Snappe et J.-P. Moerman (juges)
Pl.: B. Renson, C. Leplat loco E. Smit, O. Verhulst loco P. Hofströssler et J. Windey

En cause: les questions préjudicielles relatives à l'article 46 de la loi du 8 août 1997 sur les faillites, par le Tribunal de commerce de Bruxelles.

(...)

I. Objet des questions préjudicielles et procédure

Par jugement du 28 novembre 2002 en cause de J.-P. Vander Borght et R. Parijs et de la SPRL Courtfield Belgium contre la SA Interbrew Belgium et L. Segers, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour d'arbitrage le 9 décembre 2002, le Tribunal de commerce de Bruxelles a posé les questions préjudicielles suivantes:

'1. L'article 46 de la loi du 8 août 1997 sur les faillites, interprété comme autorisant un curateur à déroger à la loi du 30 avril 1951 sur les baux commerciaux en ne respectant pas les conditions fixées par cette loi pour pouvoir mettre fin au bail qui lie le failli au preneur, viole-t-il ou non les articles 10 et 11 de la Constitution?

2. L'article 46 de la loi du 8 août 1997 sur les faillites, interprété en ce qu'il interdirait au preneur évincé de réclamer paiement au curateur qualitate qua d'une indemnité d'éviction telle que prévue par l'article 25 de la loi du 30 avril 1951, viole-t-il ou non les articles 10 et 11 de la Constitution?'

(...)

II. Les faits et la procédure antérieure

Le Tribunal de commerce de Bruxelles est saisi d'une action principale mue par les curateurs à la faillite de la SA Mein qui vise à entendre valider le renon signifié à la SA Interbrew Belgium en mettant fin au contrat de bail qui lie cette société à la société faillie à compter du jugement déclaratif de faillite, en application de l'article 46 de la loi du 8 août 1997 sur les faillites.

Interbrew conteste la décision des curateurs aux motifs que la faillite n'a pas mis fin au bail qui était opposable à la curatelle et que l'article 46 ne justifiait pas un refus de poursuite du bail dès lors qu'il n'y a pas eu de création d'une dette de la masse ni d'inégalité de traitement entre créanciers.

Le Tribunal de commerce de Bruxelles considère que le choix opéré par la curatelle, conformément à l'article 46 précité, de poursuivre ou de résilier des contrats en cours se justifie par la règle de l'égalité des créanciers et par le souci d'éviter que des cocontractants dont l'exécution du contrat est poursuivie par la curatelle soient avantagés par rapport à ceux dont le contrat est résilié et qui ne bénéficieront que d'une inscription au passif de la faillite. La décision de la curatelle est guidée par l'intérêt de la masse en général, dont elle est le seul juge. Si la curatelle avait opté pour la poursuite du bail commercial, elle aurait été tenue par les dispositions protectrices à l'égard des locataires instituées par la loi sur les baux commerciaux, qui sont des dispositions susceptibles d'engendrer d'importantes dettes de masse. En décidant de ne pas poursuivre le contrat de bail commercial, les curateurs ne devaient pas qualitate qua respecter toutes les prescriptions légales inscrites dans la loi du 30 avril 1951 sur les baux commerciaux. Cette loi n'est pas une loi d'ordre public mais une loi impérative tandis que la loi sur les faillites est une loi d'ordre public qui touche aux intérêts essentiels de la collectivité et qui fixe, dans le droit privé, les bases juridiques fondamentales sur lesquelles repose l'ordre économique de la société. De par l'intérêt supérieur qu'elle sert, la loi sur les faillites prime la loi sur les baux commerciaux.

Le Tribunal de commerce de Bruxelles estime encore que l'article 46 de la loi sur les faillites ne viole pas l'article 1er du Premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme. La créance d'Interbrew est respectée; elle est susceptible d'être inscrite au passif, ce qui est une conséquence de la faillite, et elle devra suivre la loi du concours dans le respect de l'égalité des créanciers. Le tribunal conclut qu'il n'y a pas lieu de refuser aux curateurs le bénéfice de l'application de l'article 46 de la loi sur les faillites. Interbrew demande toutefois de poser deux questions préjudicielles à la Cour d'arbitrage. Le tribunal estime devoir poser ces questions dès lors qu'il n'apparaît pas hors de doute que la disposition soulevée soit conforme à la Constitution.

III. En droit
- A -
Position de la SA Interbrew Belgium

A.1. La SA Interbrew Belgium rappelle tout d'abord que la faillite ne produit en elle-même aucun effet sur le contrat de bail conclu sans fraude et que l'objectif poursuivi par le législateur a été de permettre au curateur de mettre fin à un contrat particulièrement onéreux pour la faillite ou qui pourrait entraîner une inégalité de traitement entre créanciers. La possibilité prévue par la disposition en cause existait déjà antérieurement à la loi de 1997.

La partie insiste sur la particularité du cas soumis au juge a quo. La plupart du temps, la société déclarée en faillite est le preneur et les curateurs n'ont donc pas d'autre choix que de renoncer à l'exécution du contrat de bail puisqu'à défaut d'actif, la poursuite de ce contrat ferait naître une dette de la masse. En l'espèce, la société déclarée en faillite est le bailleur et, si l'article 46 de la loi sur les faillites trouve à s'appliquer, ce que conteste la partie, encore convient-il d'admettre également que la loi de 1951 doit également s'appliquer, avec son régime de protection spécifique. Si le législateur avait voulu porter atteinte à l'économie et au principe de la loi sur les baux commerciaux, il aurait dû le prévoir par le biais de dispositions légales spécifiques. La partie estime qu'il n'est pas possible de mettre fin au bail sans respecter les délais prévus par la loi de 1951 et sans indemnisation préalable du preneur qui a le droit d'obtenir le paiement d'une indemnité d'éviction. Il s'ensuivrait une évidente discrimination entre les preneurs d'un contrat de bail commercial selon qu'ils ont contracté avec une personne privée ou avec une personne ayant la qualité de commerçant.

A.2. La loi sur les faillites a donc créé une distinction qui n'existait pas auparavant; la règle du concours et l'égalité des créanciers peuvent peut-être justifier qu'il soit mis fin au contrat de bail mais non le fait que les dispositions de la loi du 30 avril 1951 soient méconnues. L'intérêt supérieur ne peut constituer cette justification.

Il n'est pas justifié de privilégier l'intérêt supérieur protégé par la loi sur les faillites par rapport à celui que protège la loi sur les baux commerciaux. Il ressort par ailleurs des travaux préparatoires qu'en matière de licenciement des travailleurs, il peut être mis fin au contrat mais en respectant les dispositions de la loi de 1978 sur les contrats de travail. Le preneur évincé perd quant à lui toute forme de protection.

Elle estime aussi que la disposition en cause méconnaît l'article 1er du Premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme et l'article 16 de la Constitution parce que le preneur ne peut obtenir la juste et nécessaire indemnisation qui lui est reconnue par la loi de 1951 en cas d'éviction des lieux loués et parce qu'un enrichissement injuste en résulte pour les curateurs.

La partie souligne aussi qu'il y a disproportion parce que la loi sur le règlement collectif des dettes qui vise à résoudre le cas d'une personne physique endettée et qui peut être comparée à la procédure de faillite ne contient pas une disposition identique. Les créanciers de la faillite sont donc traités de façon différente.

Position du Conseil des ministres

A.3. Le Conseil des ministres estime que le fait que le curateur puisse, sans respecter les conditions énoncées par la loi du 30 avril 1951 sur les baux commerciaux, mettre fin au contrat de bail liant la société faillie n'est pas contraire aux articles 10 et 11 de la Constitution. Le critère de distinction qui permet de déroger au formalisme strict régissant les résiliations des baux commerciaux est le fait que la société mettant fin au bail est déclarée en faillite. Il repose donc sur la qualité de commerçant de la partie qui met fin au bail. Dans son arrêt n° 132/2000 du 13 décembre 2000, la cour a déjà admis le bien-fondé de ce critère qui est objectif et pertinent au regard du but poursuivi, à savoir garantir l'égalité entre les créanciers. Le but du législateur est de faire subir à chaque créancier une perte proportionnelle au montant de ses droits dans le total des dettes et de réduire ainsi le risque en le répartissant entre tous.

A.4. Le Conseil des ministres estime à titre principal que la deuxième question préjudicielle n'appelle pas de réponse parce qu'elle repose sur une lecture erronée de la disposition en cause. Il est de doctrine et de jurisprudence unanimes que le curateur peut, à son entière discrétion, décider de mettre fin au contrat conclu par le failli avant le jugement déclaratif de faillite et que ce droit ne le dispense pas d'indemniser le cocontractant pour le dommage qu'il a ainsi causé. Le curateur est réputé être la partie défaillante et il est, conformément aux principes généraux du droit de la responsabilité, tenu d'indemniser le cocontractant. Cela vaut également pour les indemnités spécifiques. Ses dettes seront toutefois, sauf privilège accordé par la loi à leurs créanciers, des dettes dans la masse puisqu'elles ne découlent pas de l'administration de la faillite et qu'elles ne découlent pas non plus de la poursuite par le curateur des opérations commerciales du failli.

A.5. Le Conseil des ministres estime à titre subsidiaire que la différence de traitement n'est pas contraire aux articles 10 et 11 de la Constitution. Puisque le curateur est tenu d'indemniser le cocontractant comme il vient d'être précisé, la seule discrimination qui pourrait demeurer réside dans la nature des dommages-intérêts auxquels la partie adverse a droit. En effet, la créance de la partie adverse constitue une créance chirographaire (dette dans la masse et non dette de la masse). Il n'y a cependant pas de discrimination parce que le critère de distinction est objectif et pertinent, comme il a déjà été précisé. Le Conseil des ministres rappelle encore que les dettes en cause ne sont pas des dettes de la masse puisqu'elles n'ont nullement contribué à augmenter la valeur de la masse.

Position de la SPRL Courtfield Belgium

A.6. La SPRL Courtfield Belgium, à qui les curateurs ont vendu l'immeuble donné en location estime que le bail a été valablement rompu par les curateurs et que l'article 46 de la loi du 8 août 1997 ne viole pas les articles 10 et 11 de la Constitution.

La différence de traitement entre les personnes qui contractent avec des commerçants et celles qui contractent avec des non-commerçants repose sur un critère objectif et est raisonnablement justifiée par le régime particulier de la faillite. La sécurité du commerce est l'objectif premier de la faillite; cette sécurité réside moins dans le règlement, souvent illusoire, des créanciers, que dans l'arrêt des activités d'entreprises défaillantes dont la poursuite est néfaste pour les tiers. Il s'agit donc d'une institution d'utilité sociale essentielle dans l'organisation économique, dont les règles présentent un caractère d'ordre public. L'article 46 en cause ne fait aucune distinction parmi les contrats et se justifie par la règle de l'égalité des créanciers, qui est un principe fondamental dominant le droit de la faillite. Cette règle est à ce point importante qu'elle relève de l'ordre public international belge. Afin de respecter l'équilibre entre créanciers, le curateur n'optera pour la poursuite de l'exécution du contrat en cours que si celle-ci est avantageuse pour la masse ou, à tout le moins, nécessaire pour les besoins de la liquidation.

Si le curateur devait respecter les législations particulières à certains contrats, cela reviendrait à alourdir considérablement les dettes de masse et à contrevenir à la règle de l'égalité des créanciers. La première question préjudicielle appelle une réponse négative parce que le traitement différentiel ne résulte en réalité que des conséquences inévitables de la faillite.

A.7. La deuxième question préjudicielle n'est pas pertinente parce que l'article 46 en cause n'interdit pas au cocontractant évincé de prétendre au paiement d'une indemnité. La créance n'est pas remise en question mais elle suit la loi du concours et respecte ainsi la règle de l'égalité des créanciers.

- B -

B.1. L'article 46 de la loi du 8 août 1997 sur les faillites dispose:

'Dès leur entrée en fonctions, les curateurs décident sans délai s'ils poursuivent l'exécution des contrats conclus avant la date du jugement déclaratif de la faillite et auxquels ce jugement ne met pas fin.

La partie qui a contracté avec le failli peut mettre les curateurs en demeure de prendre cette décision dans les quinze jours. Si aucune prorogation de délai n'est convenue ou si les curateurs ne prennent pas de décision, le contrat est présumé être résilié par les curateurs dès l'expiration de ce délai; la créance de dommages et intérêts éventuellement dus au cocontractant du fait de l'inexécution entre dans la masse.

Lorsque les curateurs décident d'exécuter le contrat, le cocontractant a droit, à charge de la masse, à l'exécution de cet engagement dans la mesure où celui-ci a trait à des prestations effectuées après la faillite.'

Quant à la première question préjudicielle

B.2. Le juge a quo interroge la cour sur la compatibilité de cette disposition avec les articles 10 et 11 de la Constitution, en ce qu'elle autorise un curateur à déroger à la loi du 30 avril 1951 sur les baux commerciaux en ne respectant pas les conditions fixées par cette loi pour pouvoir mettre fin au bail qui lie le failli au preneur.

B.3. Il ressort des travaux préparatoires de la loi du 8 août 1997 sur les faillites que le législateur a voulu 'mieux concilier les intérêts des créanciers, des pouvoirs publics, des travailleurs et du failli lui-même' (Doc. parl. Chambre 1991-92, n° 631/1, p. 1). Il s'est soucié de tenir 'compte, de manière équilibrée, des intérêts combinés de la personne du failli, des créanciers, des travailleurs et de l'économie dans son ensemble' et d'assurer un règlement humain qui respecte les droits de toutes les parties intéressées (ibid., n° 631/13, p. 29).

Concernant le sort des contrats en cours, il a voulu confier au curateur le pouvoir de décider s'il exécute ou non le contrat, 'faute de quoi certains créanciers pourraient obtenir plus de la faillite que d'autres, ce qui violerait le principe de l'égalité' (ibid., n° 631/1, p. 23).

B.4. En visant tous les contrats, y compris ceux qui sont régis par la loi du 30 avril 1951 sur les baux commerciaux, le législateur prend une mesure pertinente au regard de l'objectif poursuivi, qui est d'assurer l'égalité des créanciers, donc de ne pas favoriser certains créanciers par rapport à d'autres.

Si les curateurs étaient obligés en toutes circonstances de poursuivre les contrats de bail commercial, les autres créanciers de la faillite pourraient être préjudiciés en ce que la réalisation d'un bien immobilier grevé d'un bail commercial en cours peut être préjudiciable pour la masse. La spécificité d'une faillite qui doit assurer le traitement égal des créanciers justifie raisonnablement la différence de traitement entre deux catégories de preneurs d'un bail commercial, selon que le bailleur avec lequel ils ont contracté est commerçant ou non.

B.5. La première question préjudicielle appelle une réponse négative.

Quant à la deuxième question préjudicielle

B.6. Le juge a quo interroge la cour sur la compatibilité de la disposition en cause avec les articles 10 et 11 de la Constitution en ce qu'elle interdirait au preneur évincé de réclamer paiement au curateur qualitate qua d'une indemnité d'éviction prévue par l'article 25 de la loi du 30 avril 1951.

B.7. La disposition en cause n'interdit pas au cocontractant évincé de prétendre au paiement d'une indemnité, conformément aux règles applicables en la matière. Il est vrai que cette créance suit la loi du concours. Mais cette solution est conforme à la règle de l'égalité des créanciers et ne crée donc pas de différence de traitement injustifiée.

B.8. La deuxième question préjudicielle appelle une réponse négative.

Par ces motifs,

la cour

dit pour droit:

L'article 46 de la loi du 8 août 1997 sur les faillites ne viole pas les articles 10 et 11 de la Constitution.

(...)