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Observations, R.D.C.-T.B.H., 2004/2, p. 190-192

BANQUE - SÛRETÉ
Garantie bancaire - Contre-garantie - Conditions d'appel - Compétence territoriale - Crédit de signature
Quel que soit le caractère littéral, abstrait et inconditionnel d'une contre-garantie, son exécution doit être fonction de la bonne foi que le contre-garant doit à sa contrepartie donneur d'ordre.
Dès lors que garantie, contre-garantie et contrat de base sont autant d'éléments d'un ensemble contractuel concourant à l'exécution d'une même opération, il convient de veiller à ce que garantie et contre-garantie ne soient pas l'occasion frauduleuse ou abusive de ruiner le contrat de base et par là même, de pervertir l'élémentaire bonne foi à laquelle sont tenues les parties.
Il serait excessif de subordonner la preuve que doit apporter le donneur d'ordre du caractère manifestement abusif de l'appel, à la démonstration de l'existence d'une collusion entre banquier garant et contre-garant.
Une demande d'émission d'une contre-garantie relève d'une opération de crédit par signature qui n'implique nullement l'existence d'un mandat donné par le donneur d'ordre à la banque contre-garante de négocier en son nom et pour son compte les clauses de la contre-garantie.
BANK - ZEKERHEID
Bankwaarborg - Tegenwaarborg - Voorwaarden van beroep - Territoriale bevoegdheid - Handtekeningkrediet
Bankwaarborg - Tegenwaarborg - Voorwaarden van beroep - Territoriale bevoegdheid - Handtekeningkrediet
Ongeacht het letterlijke, abstracte en onvoorwaardelijke karakter van een tegenwaarborg moet de uitvoering ervan afhankelijk zijn van de goede trouw die de tegenborg aan zijn tegenpartij-opdrachtgever verschuldigd is.
Daar waarborg, tegenwaarborg en basiscontract allemaal elementen van een samenlopend contractueel geheel zijn, moet ervoor worden gezorgd dat waarborg en tegenwaarborg geen frauduleuze of onrechtmatige gelegenheid zijn om het basiscontract te beschadigen en dus de elementaire goede trouw waartoe de partijen gehouden zijn, aan te tasten.
Het zou overdreven zijn het bewijs dat de opdrachtgever van het duidelijk onrechtmatige karakter van het beroep moet leveren, ondergeschikt te maken aan het aantonen van het bestaan van een samenspanning tussen bankier-borgsteller en tegenborg.
Een aanvraag voor uitgifte van een tegenwaarborg ressorteert onder een kredietverrichting door ondertekening die geenszins het bestaan impliceert van een mandaat dat door de opdrachtgever aan de bank-tegenwaarborg is gegeven om in zijn naam en voor zijn rekening over de clausules van de tegenwaarborg te onderhandelen.

La décision de la Cour d'appel de Bruxelles du 11 janvier 2002 (décision n° 8) et celle du président du Tribunal de commerce de Liège du 2 juillet 2002 (décision n° 9) participent toutes deux à une 'saga' relative à un contrat de fourniture par la SA Eurofit d'une chaîne de montage de desserts lactés à la société algérienne Bonlait.

Toutes deux sont relatives à l'exécution de garanties bancaires: la première affaire porte sur l'exécution d'une garantie de paiement de commissions émise en faveur d'un intermédiaire, la seconde affaire se rapportant à deux contre-garanties émises en couverture d'une garantie de restitution d'acompte et d'une garantie de bonne exécution dont bénéficiait l'acheteur, la société Bonlait.

La Cour d'appel de Bruxelles était saisie d'un appel contre une décision du juge des référés qui avait refusé d'interdire à la banque garante d'exécuter sa garantie de paiement en faveur de l'intermédiaire. Les parties avaient cependant convenu de limiter le débat devant la cour à la question du droit de cantonner le montant de la garantie.

Le caractère forcément limité des possibilités de recours au cantonnement en cas d'appel à une garantie bancaire à première demande a été souligné dans une précédente chronique [1].

Nous avions alors cru devoir critiquer une décision du président du Tribunal de commerce d'Anvers [2] qui avait autorisé le cantonnement du montant d'une garantie dont les conditions d'appel étaient, en l'espèce remplies: la garantie était payable sur présentation d'un jugement condamnant le débiteur principal, le jugement effectivement produit en parfaite conformité avec le texte de la garantie n'excluant pas, par ailleurs, la possibilité du cantonnement.

Nous avions rappelé à cette occasion, que si le cantonnement peut être une modalité d'exécution d'un jugement, il ne peut constituer un mode d'exécution d'une garantie qui par nature repose sur le principe 'payer d'abord, réclamer ensuite'.

Les circonstances de l'espèce soumise à la Cour d'appel de Bruxelles étaient cependant différentes.

En effet, le texte de garantie subordonnait expressément le paiement de la garantie à l'attestation par son bénéficiaire de ce qu'Eurofit n'avait pas respecté ses engagements de paiement de la commission un mois après la date du procès-verbal 'de réception des équipements et de la conformité technique des critères de performance de production' établi contradictoirement. Copie du procès-verbal signé par les parties devait être joint à l'appel à la garantie.

Or, si le procès-verbal présenté à la banque garante portait la date du 11 octobre 2001, il était établi, sur base de documents émanant du transporteur des équipements à monter que ceux-ci étaient toujours en souffrance dans le port d'Alger à la date du 10 décembre 2001.

La cour d'appel estima dès lors, sur base de son pouvoir souverain d'appréciation des faits que les documents émanant du transporteur établissaient 'de manière péremptoire et indiscutable' que la chaîne de production ne pouvait avoir été acheminée sur les lieus du montage et encore moins montée et réceptionnée après vérification des critères de performance à la date mentionnée sur le procès-verbal.

La cour estima donc que la fraude alléguée par le donneur d'ordre était 'loin d'être exclue' et qu'en ces circonstances la demande de cantonnement était fondée.

On peut approuver cette décision dans la mesure où 'qui peut le plus peut le moins': si, comme l'avait relevé dans une autre affaire, la Cour d'appel de Paris [3], une demande de séquestre faite par le donneur d'ordre d'une garantie abstraite n'est pas d'avantage fondée que ne le serait une défense de payer, a contrario, lorsque l'existence d'une fraude justifie l'interdiction d'exécuter la garantie [4], on ne voit pas ce qui empêcherait le juge d'autoriser, à la demande du donneur d'ordre, le cantonnement du montant de la garantie litigieuse.

L'affaire soumise au président du Tribunal de commerce de Liège (décision n° 9) soulevait les questions toujours délicates liées à l'existence d'un mécanisme 'quadripartite' dans lequel un contre-garant intervient, à la demande du donneur d'ordre pour contre-garantir un garant de premier rang engagé vis-à-vis du bénéficiaire.

Ce type de construction complexifie les opérations de garantie pour diverses raisons: d'une part il suppose l'intervention d'un nombre plus important de parties, garant et contre- garant se trouvant le plus souvent localisés dans des pays différents et soumis, dès lors, à des cadres juridiques différents, d'autre part, il suppose la superposition de différents niveaux d'abstraction entre des relations pourtant économiquement étroitement liées.

L'abstraction de la contre-garantie vis-à-vis non seulement du contrat de base mais également vis-à-vis de l'engagement qu'a le garant de premier rang vis-à-vis du bénéficiaire se traduit souvent en pratique par des différences notables au niveau des textes: durée plus étendue de la contre-garantie, conditions d'appel différentes... [5]

L'abstraction de la contre-garantie vis-à-vis de la garantie de premier rang devrait logiquement conduire à soumettre les deux engagements à des droits différents [6].

Ici intervient cependant le rapport de force existant entre les parties [7]: dans la mesure où une partie à une relation commerciale est en position d'exiger l'émission à son profit d'une garantie indépendante, elle exigera que la garantie soit régie par son propre droit. Ce résultat est atteint soit par la soumission expresse de la garantie - émise le cas échéant par un banquier étranger - au droit du bénéficiaire, soit par l'émission de la garantie par un banquier établi dans le pays du bénéficiaire et logiquement soumis au même système juridique.

Dans ce dernier cas, le garant 'de premier rang' verrait évidemment d'un fort mauvais oeil d'être engagé vis-à-vis du bénéficiaire suivant un droit différent de celui régissant ses possibilités de recours contre le contre-garant établi dans le pays du donneur d'ordre étranger.

Le banquier du donneur d'ordre se trouve dès lors confronté au dilemme suivant: se plier aux exigences du garant et soumettre sa contre-garantie à un droit étranger ou faire perdre le marché à son client.

Doit évidemment intervenir ici le devoir de conseil du banquier contre-garant: dans la mesure où la soumission de la contre-garantie à un droit étranger est exigée sans alternative possible, il est important que le client qui demande l'émission de la contre-garantie soit mis au courant de la situation et du risque supplémentaire qu'entraîne sa soumission à un droit dont ni lui ni son banquier ne maîtrisent forcément les arcanes et qui peut cacher bien des mauvaises surprises. Nous y reviendrons.

La présence de deux banques - celle du donneur d'ordre et celle du bénéficiaire - est également susceptible de compliquer les choses en cas de contestation au moment de l'appel à la garantie - entraînant un appel corrélatif à la contre- garantie [8].

Si la preuve du caractère manifestement abusif ou frauduleux de l'appel incombe clairement au donneur d'ordre, différentes conceptions s'affrontent - ainsi que l'a relevé la cour - quant à savoir si la preuve de la complicité du banquier garant 'de premier rang' avec le bénéficiaire fraudeur ou coupable d'abus doit être apportée pour faire obstacle au paiement de la garantie.

D'aucuns font observer à ce niveau que le banquier garant qui de bonne foi exécute sa garantie ne peut être contraint de subir les conséquences de la malhonnêteté du bénéficiaire en se voyant opposer le comportement irrégulier de ce dernier au niveau de son appel à la contre-garantie [9].

D'autres rétorquent que la preuve d'une collusion frauduleuse entre le banquier garant et le bénéficiaire sera souvent difficile voire impossible à fournir pour le donneur d'ordre [10] et que le paiement de la contre-garantie ne peut avoir lieu dès lors qu'il apparaît que l'abus ou la fraude commise par le bénéficiaire ne pouvait échapper à un banquier normalement diligent et prudent [11].

On notera que l'existence d'un appel manifestement abusif ou d'une fraude - et de leur incidence au niveau de l'exécution de la contre-garantie abstraite - semble en l'espèce avoir été moins au centre des débats que ne l'était la question de savoir si le banquier contre-garant pouvait faire supporter au débiteur principal à la demande de qui la contre-garantie avait été émise les conséquences de l'abstraction reflétées dans ledit engagement.

Le tribunal relève en effet, que si Eurofit avait sollicité la banque d'émettre ou de faire émettre une garantie conforme aux exigences de l'acheteur bénéficiaire telles qu'exprimées dans le contrat de base, Eurofit n'avait par contre nullement donné mandat à la banque de 'négocier' avec le garant de premier rang un texte de contre-garantie allant bien au-delà des stipulations du contrat sous-jacent: le contrat de vente prévoyait l'émission en faveur de l'acheteur de deux garanties bancaires 'sans plus', Fortis 'parait avoir de sa propre initiative maximalisé les garanties contractuelles' par le truchement d'une contre-garantie abstraite et inconditionnelle appelable à première demande par le garant de premier rang.

Si le texte des garanties colle relativement aux conditions du contrat de base puisqu'elles couvrent bien - sans abstraction - l'exécution par le vendeur de ses obligations contractuelles le texte des contre-garanties va plus loin puisqu'il stipule l'engagement du contre-garant de payer le garant 'à sa première demande, sans pouvoir recourir à une quelconque formalité et sans lui opposer de motif du chef de la banque contre-garante ou de celui du donneur d'ordre et sans pouvoir se prévaloir d'une quelconque exception tirée du contrat de base [12]'.

De même, le tribunal relève que c'est sans mandat du donneur d'ordre que le banquier contre-garant a accepté la soumission de tout litige né de l'exécution de la contre-garantie à la compétence des tribunaux algériens et à l'application de la loi algérienne. Le tribunal décide dès lors que seule la convention de crédit (soumise au droit belge) dans laquelle s'inscrit l'émission de la contre-garantie détermine le droit applicable et les tribunaux compétents pour trancher les contestations entre donneur d'ordre et contre-garant.

Comme indiqué ci avant, l'émission d'une garantie/contre- garantie s'inscrit nécessairement dans le cadre d'un rapport de force préexistant au niveau de la relation commerciale. Dans la mesure où le bénéficiaire obtient que la garantie à son profit soit soumise à son droit national, jamais le garant - de même nationalité - n'acceptera de soumettre ses recours à l'égard du contre-garant à un droit étranger.

De même, il est classique que le garant se réserve la liberté d'exécuter sa garantie selon ce qu'il juge être ses obligations en exigeant d'être à son tour payé à première demande adressée au contre-garant. Cela ne signifie pas que le garant qui paye mal est alors à l'abri de tout recours, simplement, la contre-garantie sera exécutée par application du principe 'payer d'abord réclamer ensuite' [13] - le garant risquant de voir sa responsabilité mise en cause par la suite par le donneur d'ordre pour compte duquel la garantie a été émise et, par hypothèse, mal exécutée.

Les donneurs d'ordre ne manquent évidemment pas de mettre en avant, devant le juge des référés saisi d'une demande en interdiction de payer la contre-garantie, les difficultés et les aléas d'un recours a posteriori contre le garant ou le bénéficiaire étranger...

Ce qui toutefois est déterminant à ce niveau, est l'obligation qu'a le donneur d'ordre de respecter les règles du jeu qu'il a lui-même accepté en connaissance de cause - ne serait ce que sous la pression du rapport des forces commerciales sous-jacentes.

Et c'est bien là que gît, en l'espèce, toute la source de la contestation entre le donneur d'ordre et son banquier lequel n'a pas été en mesure de convaincre le tribunal de ce que le texte de la contre-garantie avait bien été accepté en toute connaissance de cause par celui pour compte duquel elle était émise.

Nous suivrons cette affaire en degré d'appel, la banque ayant interjeté appel de cette décision.

[1] R.D.C. 2003 p. 50.
[2] Comm. Anvers, réf. 14 mai 2001, R.D.C. 2003, pp. 47 et s.
[3] Paris 3 décembre 1984, inédit, cité par J.-P. Mattout, Droit bancaire international, 2ème éd., p. 187.
[4] Le président du Tribunal de commerce de Bruxelles statuant en première instance avait quant à lui refusé de prononcer l'interdiction d'exécuter la garantie après avoir constaté qu'un abus ou une fraude quelconque n'étaient pas établis ni même invoqués devant lui: Comm. Bruxelles (réf.) 27 décembre 2001, inédit.
[5] R.P.D.B., Complément t. V, 'Les Garanties Autonomes', Bruylant, 1990 n°s 165 et s.; A. Prüm, 'De l'autonomie des contre-garanties à première demande', in Mélanges AEDBF France 1997, Banque 1997, Paris, pp. 261 et s.
[6] Consultez notamment, sur le droit applicable aux garanties: F. Bonelle, 'La Convention de Rome du 19 juin 1998 applicable aux opérations bancaires', R.D.A.I. 1985, pp. 389 et s. et M. Fallon, 'Le clair-obscur du droit applicable aux garanties internationales à première demande', in L'actualité des garanties à première demande, Cahiers AEDBF/EVBFR, n° 4, Bruylant, 1998.
[7] M. Delierneux, 'L'actualité des crédits internationaux', in Le crédit aux entreprises, aux collectivités publiques et aux particuliers, Bruxelles, Éditions du Jeune Barreau, 2002.
[8] M. Delierneux, 'La pratique des garanties à première demande en droit belge', in L'actualité des garanties à première demande, o.c., pp. 23 et s.
[9] Trib. grande instance de Montluçon 9 janvier 1981, Dal. 1981, p. 390, note M. Vasseur; Cass. fr. 12 décembre 1984, Dal. 1985, p. 269, note M. Vasseur; Cass. fr. 11 décembre 1985, J.C.P., p. 86, note J. Stoufflet.
[10] Cour de Justice de Genève, arrêt Miranos, 12 septembre 1985, J.C.P. 1985, p. 609; J.L. Rives-Lange, note après Cass. fr. 10 juin 1985, Banque 1986, p. 712.
[11] Comm. Bruxelles (réf.) 26 mai 1988, J.T. 1988, p. 460.
[12] On notera au passage qu'aucune abstraction particulière n'était formulée en ce qui concerne les exceptions pouvant être tirées de l'exécution par le garant de la garantie de 'premier rang' en faveur du bénéficiaire.
[13] L. Simont, Rev. banque, o.c., p. 596; Comm. Bruxelles (réf.) 6 avril 1982, Dall. 1982, I.R., p. 504.