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Observations, R.D.C.-T.B.H., 2004/2, p. 166-168

BANQUE - CRÉDIT - RESPONSABILITÉ (EXTRA- CONTRACTUELLE)
Ouverture de crédit - Engagement contractuel de ne pas hypothéquer - Conversion d'un mandat hypothécaire - Dépassement de crédit - Dénonciation du crédit - Taux contractuel d'intérêts moratoires
Lorsqu'une partie au contrat de crédit prétend que la banque lui aurait accordé une augmentation de crédit, elle doit en rapporter la preuve. La preuve est libre en droit commercial. Les dépassements accusés par une ligne de crédit sont une pure tolérance de la part du banquier. Ils n'ouvrent aucun droit contractuel au maintien de ces dépassements dans le chef du crédité même si ceux-ci ont été constants et substantiels. Les dépassements de crédit ne s'analysent pas sauf convention spéciale, en une modification de la convention initiale de l'ouverture de crédit.
Lorsque le client manque à son engagement contractuel de ne pas hypothéquer un bien davantage 'sans le consentement écrit et préalable' du dispensateur de crédit, il ne peut critiquer la transformation par le banquier du mandat hypothécaire en hypothèque.
Dans ce contexte, le banquier qui met fin à une tolérance du dépassement important connu du crédité et qui dénonce le crédit moyennant un préavis d'un mois conformément au règlement des ouvertures de crédit ne commet ni faute, ni abus.
Le débiteur n'est pas fondé à postuler une réduction du taux des intérêts moratoires contractuellement convenu, lorsqu'il n'excède pas 'manifestement le dommage subi à la suite de ce retard' et qu'il n'apparaît pas exorbitant au regard de la pratique bancaire actuelle.
BANK - KREDIET - AANSPRAKELIJKHEID (EXTRACONTRACTUEEL)
Kredietopening - Contractuele verbintenis om niet te hypothekeren - Omzetting van een hypothecair mandaat - Kredietoverschrijding - Opzegging van het krediet - Contractuele voet voor verwijlinteresten
Wanneer een partij bij een kredietovereenkomst beweert dat de bank haar een kredietverhoging heeft toegekend, moet zij daarvan het bewijst leveren. Het bewijs is vrij in handelsrecht. De overschrijdingen van een kredietlijn zijn een loutere tolerantie vanwege de bankier. Zij geven geen enkel contractueel recht op de handhaving van deze overschrijdingen in hoofde van de kredietnemer zelfs wanneer deze constant en substantieel waren. De kredietoverschrijdingen maken geen wijziging uit van de initiële overeenkomst van kredietopening behoudens een bijzondere overeenkomst.
Wanneer de cliënt zijn contractuele verbintenis om een goed niet te hypothekeren 'zonder de schriftelijke en voorafgaande toestemming' van de kredietverlener niet nakomt, kan hij de omzetting door de bankier van het hypothecair mandaat in hypotheek niet bekritiseren.
In deze context, begaat de bankier, die een einde stelt aan een tolerantie van de belangrijke overschrijding, bekend aan de kredietnemer, en die het krediet opzegt mits een opzeggingstermijn van één maand in overeenstemming met het reglement der kredietopeningen, geen fout noch misbruik.
De schuldenaar is niet gerechtigd om een vermindering van de contractueel overeengekomen moratoire interestvoet te vragen, wanneer deze niet 'manifest de schade geleden ten gevolge van deze vertraging' te boven gaat en dat deze niet buitensporig blijkt in vergelijking met de actuele bankpraktijk.

1.Cet arrêt aborde principalement trois questions: les dépassements de crédits, la dénonciation unilatérale d'un contrat de crédit par le dispensateur de crédit et la question des taux conventionnels d'intérêts moratoires.

2.En l'espèce, le client prétendait, sans le prouver, que la banque lui avait accordé une augmentation de crédit de manière informelle.

L'ouverture de crédit implique nécessairement que le banquier s'engage à faire des avances jusqu'à un montant déterminé [1]. Le banquier doit souvent réagir à des demandes de ses clients tendant à obtenir ou à maintenir un dépassement de crédit. En fonction de la solvabilité et de l'honorabilité du crédité ou pour des raisons commerciales, le banquier peut y répondre favorablement [2]. Il n'est pas rare qu'il accorde de tels dépassements de crédit. L'octroi de dépassements n'est pas fautif en soi. Dans la mesure où il s'agit d'une simple tolérance, le client n'a aucun droit contractuel à l'octroi ou au maintien de telles facilités [3].

En principe, l'octroi et même la répétition de dépassements n'entraînent pas à eux seuls de modification tacite du contrat originaire, de sorte que le crédité n'a pas le droit de compter sur le maintien ou le renouvellement des dépassements [4]. Toutefois, lorsque ces dépassements sont systématiques, de longue durée [5] et renouvelés, le client peut dans certains cas revendiquer l'existence d'un droit acquis qui transforme le dépassement en véritable ouverture de crédit tacite [6]. Il revient au client d'en apporter la preuve.

Le crédité en l'espèce se prévalait du régime de la preuve libre en droit commercial pour tenter de prouver le contenu de l'augmentation de crédit. Or, comme le soulève justement l'arrêt, cela ne le dispensait pas de rapporter la preuve certaine de l'acte litigieux. En cas de contestation, la preuve peut, en toute loyauté [7], être apportée par toute voie de droit [8].

L'établissement de l'augmentation de crédit peut résulter d'une part de l'envoi au client d'extraits de compte et de l'absence de contestation immédiate, celle-ci valant ratification et d'autre part, de l'absence de mise en demeure ou d'invitation de la banque de revenir dans les limites du crédit convenu et autorisé. Cette preuve peut encore résulter de la production de l'enregistrement par exemple de conversations entre la banque et le client [9].

3.Sauf convention particulière, le dépassement occasionnel est révocable ad nutum [10] et ne confère à son bénéficiaire aucun droit ni à son maintien ni à son renouvellement. Le banquier peut donc le dénoncer, du moment que cela ne soit pas fait à contretemps, et en exiger le remboursement.

Souvent, les conditions générales ou les règlements des opérations et des ouvertures de crédit auquel le client adhère, le confirment. Il incombe à l'organisme dispensateur de crédit de ne mettre fin au crédit en cas de dépassement que de manière prudente et réfléchie. Il doit le faire non seulement dans le souci de ses propres intérêts mais également dans celui de ne pas mettre brusquement son client dans une position financière impossible, sans avoir tenté d'analyser avec lui la situation et de trouver un arrangement susceptible de concilier les intérêts des deux parties en présence. En négligeant de le faire, il est susceptible de rompre fautivement le contrat et de commettre un abus de droit.

De plus, la dénonciation unilatérale du contrat ne peut intervenir qu'après que l'organisme de crédit ait dûment constaté un manquement contractuel précis ou qu'un préavis suffisant ait été donné en vue de lui permettre de trouver d'autres disponibilités et de tenter d'apurer le dépassement non autorisé dans un délai raisonnable [11].

Souvent, les parties elles-mêmes prévoient des clauses conventionnelles résolutoires [12] permettant à chacune ou à l'une d'entre elles de mettre fin au crédit en cas de survenance de l'une ou l'autre hypothèse contractuellement prévue. La survenance de l'un de ces événements ne met pas fin automatiquement au contrat mais donne seulement une faculté à une partie de le dénoncer [13].

Les cas prévus dans les règlements d'ouvertures de crédit ne sont pas limitatifs. Chacune des parties peut résilier la convention, en dehors de ces hypothèses, du moment qu'il y ait faute grave, portant gravement atteinte au caractère intuitu personae [14].

En l'espèce, c'est à tort que le client alléguait que le banquier lui avait accordé une augmentation de son crédit de caisse. C'est à bon droit que la Cour d'appel de Bruxelles a considéré que les dépassements litigieux accusés par la ligne de crédit constituaient une pure tolérance n'ouvrant aucun droit au maintien de ces dépassements. En outre, dans le contrat d'ouverture de crédit figurait une clause selon laquelle 'l'existence d'un dépassement n'ouvre aucun droit à une majoration de crédit'. Il ressortait de l'historique du compte bancaire du crédité que celui-ci n'avait dépassé qu'à quelques reprises et de manière marginale, la limite du crédit qui lui avait été octroyé [15]. Dès lors, la responsabilité du banquier qui avait mis fin à la tolérance du dépassement et dénoncé le crédit, en vertu d'une clause contractuelle, moyennant un préavis, ne pouvait nullement être engagée, d'autant plus qu'il était établi que le client s'était fait consentir un nouveau crédit auprès d'une autre banque.

4.En l'espèce, l'ouverture de crédit en compte courant était garantie d'une part, par l'engagement du crédité de ne pas aliéner, ni d'hypothéquer davantage un terrain sans le consentement du dispensateur de crédit et, d'autre part, par un mandat hypothécaire sur ce même bien à concurrence du montant de l'ouverture de crédit [16]. Le crédité s'était vu accorder une nouvelle ouverture de crédit par une banque tierce et lui avait conféré une seconde inscription hypothécaire en violation de ses obligations envers la banque initiale. Cette dernière avait requis alors à son tour une inscription hypothécaire pour sûreté de sa créance. Le notaire l'avait avisée de ce qu'il était chargé d'un nouvel acte d'ouverture de crédit consenti par un dispensateur de crédit tiers et qu'il lui demandait soit la mainlevée de l'inscription hypothécaire, soit une cession de rang. En conséquence, le banquier lésé avait converti le mandat en hypothèque et avait dénoncé l'ouverture de crédit.

Le mandat irrévocable d'hypothéquer [17] est le mandat notarié donné par une personne à une autre et consistant à constituer une hypothèque [18] en faveur d'un tiers, en pratique une banque, sur les biens immeubles décrits dans la procuration et ceci, à concurrence d'un montant déterminé. Le but est de permettre, à la banque de prendre inscription en sa faveur sans intervention du mandant [19]. Elle n'utilise cette possibilité qu'en cas d'inexécution des obligations du crédité ou en cas de survenance d'autres éléments négatifs.

L'inconvénient pour le client est qu'en consentant un mandat hypothécaire assorti d'une promesse de ne pas aliéner et de ne pas hypothéquer le bien, il fait naître la possibilité irrévocable qu'une hypothèque soit prise sur ses biens en cas de manquement à son obligation 'de ne pas disposer', ce qui va à l'encontre d'une des prérogatives les plus importantes de son droit de propriété. Un mandat hypothécaire entraîne par ailleurs comme conséquence, pour le client, que du jour au lendemain, sans avertissement préalable son bien peut être grevé d'une hypothèque. Tel était le cas en l'espèce. Le crédité n'ayant pas respecté son engagement 'de ne pas faire' [20], le dispensateur de crédit avait pris l'hypothèque en exécution du mandat préalable [21]. Néanmoins, cet inconvénient ne doit pas être surestimé. Le client insiste souvent pour que la banque se contente de cette garantie car il se trouve ainsi dans une situation meilleure qu'un débiteur hypothécaire [22].

La valeur d'un mandat hypothécaire aux yeux du banquier dépend en particulier du respect ou non de la clause interdisant d'aliéner et d'hypothéquer à laquelle le client a souscrit.

En l'espèce, le mandant a violé l'obligation qui lui était imposée et a hypothéqué le bien immeuble décrit dans la procuration. On peut se demander quelles sont en pareil cas, les possibilités de recours à l'égard du mandant crédité, afin de déterminer, si en l'espèce le banquier a agi légalement en exécutant le mandat hypothécaire et en dénonçant le crédit?

Envers le mandant, le dispensateur de crédit peut rendre exigible le crédit soit sur base du droit commun [23], soit sur base des conditions générales de crédit comportant un certain nombre d''events of default' sur base desquels le crédit pourra être dénoncé sans mise en demeure préalable [24] à la suite d'un manquement grave dans la relation de crédit.

5.Dans l'arrêt commenté, le crédité postulait une réduction à 7% du taux des intérêts moratoires contractuellement convenu à 12%.

Les intérêts moratoires se définissent comme l'indemnisation du retard dans le paiement d'une obligation de somme, que cette obligation de somme puise sa source dans la convention des parties ou dans la loi [25]. Sous réserve du dol [26] ou d'une clause contractuelle, les intérêts moratoires couvrent non seulement le dommage qui résulte de l'absence de jouissance de la somme due mais aussi le préjudice qui découle de l'érosion monétaire.

Le compte courant est soumis aux règles générales des comptes pour tout ce qui concerne la capitalisation des intérêts, leur point de départ et leur mode de calcul. Les intérêts en comptes courants sont en outre régis par des règles particulières: sauf convention contraire, toute remise porte intérêt de plein droit dès son entrée en compte, même si les parties ne sont pas convenues explicitement d'un intérêt. Il s'agit d'une règle coutumière propre au compte courant [27]. Elle se justifie par l'inexigibilité des créances entrées dans le compte: l'intérêt est la contrepartie du crédit que le mécanisme du compte procure au récepteur. Ce n'est donc pas une dérogation à l'article 1153 du Code civil [28].

Le taux d'intérêt est librement fixé par les parties. Si le contrat ne prévoit rien au sujet de l'intérêt, on applique le taux d'usage [29].

En l'espèce, la cour d'appel a décidé à bon droit que le taux des intérêts moratoires contractuellement convenu n'excédait pas manifestement le dommage subi à la suite du retard de paiement, de même ce taux contractuel était inférieur à celui de la pratique bancaire [30].

[1] J. Van Ryn et J. Heenen, Principes de droit commercial, t. IV, p. 406, n° 530.
[2] Bruxelles 12 février 1992, R.D.C. 1993, pp. 1041 et s.
[3] Gand 24 décembre 1997, R.D.C. 1998, p. 848.
[4] A. Zenner et L.-M. Henrion, 'La responsabilité du dispensateur de crédit en droit belge', J.T. 1984, p. 473.
[5] Comm. Bruxelles (réf.) 28 octobre 1986, R.D.C. 1987, p. 768.
[6] Voy. en jurisprudence française: Versailles 9 mai 1984, Jur. Comm. 1986, p. 227.
[7] Bruxelles 15 mars 1994, J.T. 1994, p. 657 et obs. F. Rigaux.
[8] X. Dieux, 'La preuve en droit commercial belge', R.D.C. 1986, pp. 84 et s.
[9] Les enregistrements sont généralement considérés comme des présomptions; Comm. Nivelles 26 septembre 1996, R.D.C. 1997, p. 794.
[10] J.-P. Buyle, 'La dénonciation du crédit', Rev. banque 1988, liv. 9, p. 44.
[11] J.-P. Buyle, O. Creplet, 'La responsabilité civile des établissements de crédit', Les responsabilités professionnelles, Formation permanente CUP; Civ. Bruxelles 6 mars 1997, J.L.M.B. 1998, p. 602 .
[12] X. Dieux et D. Willermain, 'La responsabilité civile et pénale du banquier dispensateur de crédit - Développements récents', in Le crédit aux entreprises, aux collectivités publiques et aux particuliers, Bruxelles, Éditions du Jeune Barreau, 2002, p. 407.
[13] J.-P. Buyle, 'l.c.', Rev. banque 1988, liv. 9, p. 49.
[14] Novelles, Droit bancaire, v° Ouvertures de crédit, p. 208.
[15] Comm. Marche en Famenne 23 avril 2001, inédit.
[16] Comm. Marche en Famenne 23 avril 2001, inédit (jugement dont appel).
[17] Loi hypothécaire du 16 décembre 1851, art. 78.
[18] J. Van Compernolle, 'Les sûretés réelles en droit belge', in Les sûretés, Bruxelles, Feduci, 1983, pp. 116 et s.
[19] Cette pseudo-garantie est fréquemment utilisée dans la pratique bancaire surtout lors de l'octroi de crédits commerciaux; E. Van Tricht, 'Het fiscale aspect van de hypotheekleningen', Kredietverlening en hypotheekleningen, Anvers, Kluwer, 1992, p. 5.
[20] M. Grégoire, 'Chronique de jurisprudence. Les sûretés réelles et les privilèges. 2ème partie 1981-2002: Les hypothèques et les privilèges spéciaux sur immeubles', Dr. banc. fin. 2002, p. 104.
[21] I. Moreau-Margrève, 'Sûretés', in Chronique de droit à l'usage du notariat, XI, Univ. Liège, Sart-Tilman, 1989, p. 96.
[22] Collectif, Privilèges et hypothèques, Story-Scientia, 2000, II, pp. 83 et s.
[23] Art. 1188 C.civ.; H. De Page, Traité, VII, n° 729.
[24] Comm. Bruxelles (réf.) 9 novembre 1999, R.W. 1999-2000, p. 1379.
[25] Art. 1153 C.civ.
[26] Art. 1153, al. 4, C.civ.
[27] Cass. fr. 15 juillet 1986, D. 1987, p. 291.
[28] C. Briquet-Mathieu, Le sort des intérêts dans le droit du crédit. Actualité ou désuétude du Code civil?, Éd. Collection de la Faculté de droit de Liège, 1998, p. 101.
[29] Montpellier 23 octobre 1953, D. 1955, p. 131; J. Van Ryn et J. Heenen, Principes de droit commercial, IV, 2e éd., 1988, p. 380; A. Willems et J.-P. Buyle, 'Les usages en droit bancaire', DAOR 1990, p. 81; Comm. Hasselt 5 novembre 1996, R.D.C. 1997, p. 130.
[30] J. Van Ryn et J. Heenen, o.c., IV, 2éd., 1988, pp. 353 et s.