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Observations, R.D.C.-T.B.H., 2004/2, p. 155-157

CHÈQUE
Paiement par le tiré - Absence de provision - Responsabilités
Paiement par le tiré - Absence de provision - Responsabilités
Même lorsqu'il ne doit servir que de garantie, un chèque exige au moment de son émission une provision préalable et suffisante.
Le paiement d'un chèque non provisionné doit être considéré comme l'exécution d'un ordre du client qui de ce fait accepte d'en assumer les conséquences et notamment que le dommage qui en résulterait pour lui ne soit pas indemnisé.
En exécutant un tel paiement, le banquier tiré épargne au tireur du chèque le risque d'une plainte du chef d'émission de chèque sans provision, opte pour une solution favorable à son client et, loin de lui avoir causé un dommage, ne peut se voir imputer une quelconque responsabilité aquilienne.
CHEQUE
Betaling door de betrokkene - Afwezigheid van dekking - Aansprakelijkheid
Zelfs wanneer hij enkel dient ter garantie, vereist de cheque op het moment van zijn uitgifte een voorafgaande en voldoende dekking.
De betaling van een ongedekte cheque moet beschouwd worden als de uitvoering van een order van de cliënt die bij deze aanvaardt er de gevolgen van te dragen en met name dat de schade die er voor hem uit voorvloeit niet zal worden vergoed.
Door een dergelijke betaling uit te voeren, bespaart de betrokken bankier aan de trekker van de cheque het risico van een klacht uit hoofde van de uitgifte van een cheque zonder dekking, opteert hij voor een gunstige oplossing voor zijn cliënt en, verre van zijn cliënt schade te hebben berokkend, kan hij niet worden aangesproken op grond van aquiliaanse aansprakelijkheid.

1.Cette décision est coulée en force de chose jugée.

2.Le présent arrêt aborde la question du paiement d'un chèque sans provision par le banquier et la responsabilité éventuelle qui peut en découler vis-à-vis de son client.

En l'espèce, le tireur faisait grief à sa banque d'avoir payé un chèque qu'il avait émis, alors qu'il n'y avait pas de provision, sans lui en avoir référé préalablement.

3.Le régime juridique du chèque est régi par la loi du 1er mars 1961 concernant l'introduction dans la législation nationale de la loi uniforme sur le chèque et sa mise en vigueur.

Le chèque est un effet de commerce rédigé sous la forme d'un ordre de paiement adressé à un banquier par l'émetteur (le tireur du chèque), lequel garantit inconditionnellement, au porteur légitime de l'effet, que le montant du chèque lui sera payé à vue par le tiré.

On précise parfois, dans la définition du chèque, que le tireur a des fonds disponibles chez le tiré comme s'il s'agissait d'une condition de validité du chèque. L'existence d'une provision préalable est en effet nécessaire pour que l'émission ne soit pas irrégulière. Mais l'engagement cambiaire du tireur n'en existe pas moins si le chèque n'est pas provisionné. La provision préalable n'est pas une condition nécessaire de l'existence même du chèque et des obligations qu'il comporte [1].

À son origine, la fonction du chèque était peu développée. Il s'agissait d'un 'moyen de paiement' ne jouant qu'un rôle secondaire par rapport aux billets de banque et à la monnaie métallique. Il est plus adapté de parler 'd'instrument de paiement', car il permet au créancier d'obtenir une remise d'espèces par encaissement du chèque [2]. Il se différencie du règlement en espèces dont la simple remise entraîne la libération du débiteur.

Le chèque n'est pas normalement un instrument de crédit puisqu'il est payable dès son émission. Il fait cependant parfois l'objet d'un escompte, lorsqu'un délai est nécessaire pour son recouvrement et que son porteur désire disposer immédiatement des fonds [3]. Il en va de même dans le système du chèque garanti, lorsque le banquier tiré souscrit un engagement unilatéral extra cambiaire et abstrait vis-à-vis du tiers porteur [4] et s'oblige à le payer, même si le titulaire des formules ne dispose pas au compte d'une provision suffisante [5]. Dans cette hypothèse, le crédit est 'extérieur' au chèque. Il s'inscrit dans une convention conclue préalablement entre le tireur et la banque.

4.On peut définir la provision comme une créance de somme d'argent contre le tiré, dont le tireur peut disposer par chèques, créance qui doit exister au moment de l'émission et doit être maintenue jusqu'au paiement du chèque ou à sa prescription [6]. La provision n'est pas une condition de validité du chèque. Il ne s'agit que d'une condition de licéité de l'émission puisque son absence est une infraction passible de prison et d'amende [7] en Belgique.

La provision doit présenter certaines caractéristiques.

Elle doit consister en une créance d'argent du tireur sur le tiré, au moins égale au montant du chèque. Les chèques portent référence au compte sur lequel ils peuvent être tirés. Dans le cas d'un compte courant en position débitrice, la provision n'existe que dans la mesure de la ligne de crédit dont bénéficie le client [8].

Les dépassements de crédit ou les facilités de caisse n'engendrent pas d'obligation pour le banquier. Elles ne peuvent constituer la base d'une provision pour l'émission de chèques [9]. Il n'existe aucune disposition légale contraignant le banquier de payer les chèques sans provision [10] d'un certain montant [11].

La provision doit être préalable, c'est-à-dire exister dès l'émission du chèque.

La provision du chèque doit être disponible au jour de son émission. Elle ne peut être retirée par le tireur avant l'expiration du délai de présentation. Pour que la provision soit disponible, la créance du tireur sur le tiré doit être certaine, liquide et exigible et le tireur doit pouvoir disposer de cette créance par chèque en vertu d'une convention expresse ou tacite avec le tiré [12].

Un chèque est émis, au sens de cette disposition, lorsqu'il est mis en circulation ou remis au bénéficiaire, même s'il n'est pas offert en paiement ou ne l'est qu'ultérieurement [13].

Du point de vue civil, l'absence de provision régulière n'entraîne pas la nullité du chèque.

5.L'infraction de chèque sans provision, prévue à l'article 61, 1° de la loi du 1er mars 1961 nécessite que le chèque soit émis sciemment. L'élément moral en matière de chèque sans provision consiste en la simple connaissance que doit avoir le tireur, lors de l'émission du chèque, du défaut, de l'insuffisance ou de l'indisponibilité de la provision. Certains arrêts ont légalement justifié leur décision en constatant que le prévenu qui avait une longue expérience commerciale n'avait pu ignorer l'absence de provision au moment de l'émission du chèque litigieux remis en garantie à son fournisseur [14].

En cas de poursuite du chef d'émission de chèque sans provision, l'action civile est accueillie si le bénéficiaire démontre que sans l'émission du chèque, l'obligation entre parties ne serait pas née [15].

En l'espèce, le chèque litigieux avait une fonction de garantie. Un tel chèque ne peut servir de garantie de paiement à celui qui le reçoit que si ce dernier est assuré qu'il est ou sera couvert par une provision préalable et suffisante pour en permettre l'encaissement en temps voulu [16]. C'est à bon droit que la Cour d'appel de Liège a considéré que l'émetteur qui savait parfaitement que son compte n'était pas provisionné mais déjà en situation négative irrégulière, commettait une infraction pénale.

6.En l'espèce, l'émetteur du chèque litigieux invoquait la faute du banquier pour avoir honoré le chèque en l'absence de provision en compte.

Lorsque le chèque n'est pas provisionné, il est loisible au banquier de payer à découvert en tolérant un dépassement au tireur. Un paiement à découvert ne saurait être tenu en soi pour fautif [17].

La doctrine française considère en ce cas que l'on se trouve en présence d'une gestion d'affaires, ce qui explique que le tireur n'est tenu au remboursement que dans la mesure où le paiement lui a été utile.

La doctrine belge est plus divisée à cet égard.

Elle insiste sur le fait qu'en apposant sa signature sur le chèque, le tireur marque sa volonté de créer le titre et d'assumer les obligations qui s'attachent à sa mise en circulation.

Dans l'arrêt commenté, la cour a considéré que le banquier n'avait commis aucune faute, mais simplement pris un risque dans le seul but de plaire à un client devenu par la suite insolvable, lui épargnant ainsi une plainte du chef d'émission de chèque sans provision [18]. Dès lors sa responsabilité contractuelle ne pouvait être engagée par le tiré.

La Cour d'appel de Liège a également examiné le recours sur un plan extra-contractuel. Elle rappelle justement les conditions de l'engagement d'une telle responsabilité d'une partie contractante à l'égard de l'autre.

Selon la cour 'la responsabilité d'une partie contractante ne peut être engagée, sur le plan extra-contractuel, du chef d'une faute commise lors de l'exécution du contrat, que si la faute qui lui est imputée, constitue un manquement non à une obligation contractuelle, mais à l'obligation générale de prudence et que si cette faute a causé un dommage autre que celui qui résulte de la mauvaise exécution du contrat' [19].

Cette considération est directement empruntée à la jurisprudence constante de la Cour de cassation en matière de cumul de responsabilités contractuelle et aquilienne [20].

L'arrêt décide à bon droit, qu'en exécutant le paiement, la banque était loin d'avoir causé un dommage au client et ne pouvait donc se voir imputer une quelconque responsabilité aquilienne.

[1] J. Van Ryn et J. Heenen, Principes de droit commercial, 2éd., t. III, Bruxelles, Bruylant, 1981, p. 388.
[2] Cass. 21 novembre 1975, Pas. 1976, I, p. 366; H. De Page, Traité élémentaire de droit civil, Bruxelles, Bruylant, t. III, n° 276.
[3] C. Gavalda et J. Stoufflet, 'Chronique de droit bancaire', Sem. jurid. 1978, p. 2092.
[4] H. Buckinx et W. Van Minnebruggen, 'De aansprakelijkheid in het betalingverkeer', in Financieel recht tussen oud en nieuw, Antwerpen, Maklu, 1996, pp. 777 et s.
[5] J. Van Ryn et J. Heenen, Principes de droit commercial, 2éd., t. III, Bruxelles, Bruylant, 1981, p. 434; Civ. Bruxelles 18 mai 1984, J.T. 1984, p. 431.
[6] Jurisclasseur, v° chèque, émission et circulation, fasc. 320, 2002, p. 7.
[7] Art. 61, 1° de la loi uniforme du 1er mars 1961 sur le chèque et sa mise en vigueur: 1° 'Celui qui sciemment émet un chèque ou tout autre titre assimilé au chèque par la présente loi, sans provision préalable, suffisante et disponible'.
[8] C. Gavalda et J. Stoufflet, Instruments de paiement et de crédit. Effets de commerce, chèque, carte de paiement, transfert de fonds, Paris, Litec, 4éd., 2001, p. 238.
[9] Cass. 24 janvier 1977, J.T., p. 410, obs. G.A. Dal.
[10] A. Zenner et L.M. Henrion, 'La responsabilité du banquier dispensateur de crédit en droit belge', J.T. 1984, p. 473.
[11] En France, par contre, aux termes de l'art. L131-82 du Code monétaire et financier, le tiré est tenu nonobstant l'absence ou l'insuffisance de la provision, d'honorer les chèques d'un montant égal ou inférieur à 15 euros, obligation qui repose sur une 'ouverture de crédit irrévocable', réputée conclue lors de la délivrance de la formule du chèque. Cette obligation disparaît pour les chèques d'un montant supérieur à 15 euros. Le banquier peut donc refuser le paiement d'un tel chèque pour défaut de provision, à la condition d'avoir informé le titulaire du compte lié des conséquences du défaut de provision (art. L131-73 du Code monétaire et financier).
[12] J. Van Ryn et J. Heenen, o.c., 2éd., t. III, Bruxelles, Bruylant, 1981, p. 402.
[13] Cass. 30 mars 1994, Pas. 1994, I, n° 157; Cass. 15 mars 1988, Pas. 1988, I, n° 441.
[14] J.P. Spreutels, 'Droit pénal des affaires. Chronique de jurisprudence (1993-1996)', R.D.C. 1997, p. 155.
[15] Cass. 6 décembre 1995, R.W. 1996-97, p. 255, obs. A. Vandeplas; Cass. 26 mars 1991, Pas. 1991, I, n° 317; Gand 30 juin 1994, R.W. 1994-95, p. 543.
[16] Corr. Bruxelles 5 novembre 1987, R.P.S. 1988, p. 74.
[17] C. Gavalda et J. Stoufflet, o.c., Paris, Litec, 4éd., 2001, p. 279.
[18] Anvers 12 juillet 1995, R.D.C.B. 1996, p. 1046.
[19] Cass. 15 octobre 1985, Pas. 1986, I, p. 155; J.-P. Buyle et O. Creplet, 'La responsabilité civile des établissements de crédit', in Les responsabilités professionnelles, Liège, CUP, 2001, p. 148.
[20] Cass. 9 novembre 1987, Pas. 1988, I, p. 296; Cass. 28 septembre 1995, Pas. I, p. 856.