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Actualité : Comm. Bruxelles, 17/10/2003, R.D.C.-T.B.H., 2004/1, p. 93-98

Comm. Bruxelles 17 octobre 2003

SOCIÉTÉS
Bourse - Prospectus - Responsabilité - Article 1382 C.civ
Siège: Lambers, Ermens et Schepens
Avoc.: Philippe et De Brabander (loco Wtterwulghe), Van Winnendael (loco De Munck), Peeters (loco Simont)
Baltus e.a. / Bank Brussel Lambert NV

1.La société australienne Barrack Mines Ltd. ('BML') et ses filiales étaient actives dans le domaine de la prospection, le développement et la production d'or, de cuivre, d'argent et de métaux de base, la prestation de services en matière de gestion des mines et de conseil en ingénierie et la production de silicum.

En décembre 1988, il fut procédé à l'introduction du titre BML en bourses de Bruxelles et d'Anvers, et ce sous la forme d'international depositary receipts émises par Sogès- Fiducem. Cette opération fut couronnée de succès: au moment de l'introduction, le titre cotait à 104 BEF.

Suite au départ, au début de l'année 1990, de la famille Horgan qui détenait le contrôle de la société, l'action a subi un premier coup dur. En 1991, la charge de la dette signifia le déclin définitif de l'entreprise, qui aboutit à une radiation de la cote. La valeur du titre ne s'élevait plus alors qu'à 0,5 BEF.

Le 10 octobre 1991, la BBL, qui avait accompagné l'introduction en bourse, fut assignée devant le Tribunal de commerce de Bruxelles à l'initiative d'un grand nombre d'actionnaires belges mécontents.

2.Les demandeurs fondaient leur demande essentiellement sur l'article 1382 C.civ., ce qui requiert la preuve des éléments constitutifs de la responsabilité extra-contractuelle ou aquilienne, à savoir: (i) la faute (sous la forme d'une violation de la norme générale de prudence), (ii) le dommage, et (iii) le lien de causalité entre la faute et le dommage.

3.Dix années furent nécessaires aux parties pour mettre l'affaire en état et c'est le 17 octobre 2003 - après un retard nécessaire au délibéré (pour lequel le tribunal s'est explicitement excusé) - qu'une décision fut prononcée en première instance.

L'intervention de la BBL, non seulement comme organisateur de l'introduction avec le prospectus, mais aussi dans ses analyses hors prospectus, dans la présentation de l'introduction dans ses rapports annuels et dans la presse, est assimilée par le tribunal à une campagne promotionnelle à l'égard du public.

Après avoir rejeté l'argumentation du caractère gratuit de cette intervention et de l'applicabilité des clauses d'exonération, le tribunal considère que la BBL s'est rendue coupable d'un acte illicite au sens de l'article 1382 C.civ. A cet égard, le tribunal insiste surtout sur l'absence de communication au public de facteurs de risque clairement définis, de même qu'une approche insuffisamment critique à l'égard de l'émetteur.

Les reproches de dol et de conflit d'intérêts à l'adresse de la BBL ne sont par contre pas retenus par le tribunal.

En ce qui concerne le dommage, le tribunal relève que celui- ci porte d'abord sur le capital investi perdu. En outre, ce dommage peut - suivant le tribunal - aussi porter sur les produits provenant normalement du capital investi. Le tribunal affirme toutefois que le dommage doit encore être analysé individuellement, investisseur par investisseur.

Le tribunal soutient également qu'il est impossible d'établir de manière uniforme dans quelle mesure l'acte illicite a été déterminant dans la décision d'investissement des différents demandeurs. Le tribunal souligne déjà que seul le pater familias trompé par la BBL entrerait en ligne de compte dans le cadre de la détermination de l'indemnisation.

Il condamne enfin la BBL (aujourd'hui ING) à une indemnisation provisionnelle, qui peut être revue à la hausse ou à la baisse à la lumière des futurs débats.

4.La problématique de la responsabilité en matière de prospectus a déjà retenu l'attention de la doctrine au cours des années 1990 [1]. Ce thème est par contre rarement abordé en jurisprudence. Aux côtés des litiges Confederation Life [2], cette décision mérite donc une mention spéciale.

5.Pour nuancer la valeur de précédent de cette décision, il faut cependant indiquer, en guise de conclusion, qu'entre- temps, une évolution s'est dessinée non seulement sur le plan législatif, mais également sur celui des pratiques en la matière (par ex. relativement à la mention des facteurs de risque dans le prospectus ou l'usage de rapports d'analystes).

[1] Voir en particulier les contributions suivantes: P. Camesasca, “Prospectus aansprakelijkheid”, D.A.O.R. 1996, n° 39, 9-37; V. De Schrijver, “Prospectusaansprakelijkheid”, dans E. Wymeersch (éd.), Financieel recht tussen oud en nieuw, Anvers, Maklu, 1996, 337-364; E. Wymeersch, “De nieuwe reglementering van de openbare uitgifte van effecten en de financiële informatie”, dans G. Schrans et E. Wymeersch (éds.), Financiële herregulering in België 1990, Anvers, Kluwer, 1990, 128-132.
[2] F. De Bauw et M. Duplat, 'Emissions d'euro-obligations et devoir de due diligence du banquier chef de file. Observations à propos de l'arrêt Confederation Life', Droit bancaire et financier 2003, 136- 144 (avec d'autres renvois).