Article

Cour d'appel Liège, 02/06/2003, R.D.C.-T.B.H., 2004/1, p. 66-69

Cour d'appel de Liège 2 juin 2003

MANDAT
Agent immobilier - Mention 'mandat de vente'
La seule mention 'mandat de vente' sur un contrat passé entre un agent immobilier et des propriétaires ne signifie pas que l'agent immobilier a le pouvoir de donner le consentement à la vente en lieu et place de ses mandants.
MANDAAT
Immobiliënmakelaar - Melding verkoopmandaat
De enkele melding 'verkoopmandaat' op een contract tussen de eigenaar en een verkoopmakelaar houdt niet in dat de makelaar het recht heeft in naam van zijn mandanten zijn toestemming te geven tot de verkoop.

F. / L.

Siég.: B. Prignon (conseiller, ff de président), M.-A. Lange et M.-F. Hubert (conseillers)
Pl.: B. Darmont, Ph. Gérard

Les faits et l'objet des demandes ont été correctement énoncés par le premier juge à l'exposé duquel la cour se réfère, sous les précisions que ce sont les défendeurs au principal, les époux Cd. et Henri-Paul L., qui ont introduit une action en garantie à l'encontre de la SPRL Bureau C. et que les demandeurs au principal, les époux F., ont étendu à la SPRL Bureau C. leur demande de remboursement de l'acompte qui lui avait été versé.

En degré d'appel, les époux F. sollicitent également la condamnation de la SPRL Bureau C. au payement de dommages et intérêts.

Les époux F. estiment à titre principal que l'acte qu'ils ont signé le 21 juin 1993 n'est pas une convention de vente, mais une offre unilatérale d'achat qu'ils ont retirée valablement en temps opportun.

Les époux Cd., Henri-Paul L. et la SPRL Bureau C. estiment au contraire qu'il y a bien eu convention de vente.

La convention de vente est un contrat consensuel: la vente existe entre parties par le seul concours des volontés.

Il est constant que le 21 juin 1993, les époux F. ont signé un acte intitulé 'CONVENTION DE VENTE' entre 'les soussignés:... d'une part, Monsieur et Madame Cd.-L.... qui déclarent être propriétaires exclusifs dénommés ci-après: le vendeur,... d'autre part, F. Jean-Marie... B. Marie Jeanne... dénommé ci-après: l'acquéreur...'.

Il est stipulé dans ledit acte que 'le soussigné de première part déclare vendre au soussigné de seconde part qui déclare accepter pour lui ou pour command le bien suivant:

Terrain à bâtir sis à Wépion, route de Saint-Gérard et chemin de la Pinède, section C n° 448 à partie pour une contenance totale de ± 39 ares'.

En fin d'acte, sont inscrits les termes suivants: 'Fait et signé en 5 exemplaires, le 21 juin 1993 chacune des parties se reconnaissant en possession d'un exemplaire des présentes LES ACQUEREURS LES VENDEURS'.

L'orignal de cet acte en possession des époux F. ne comporte que leur signature sous les termes 'LES ACQUEREURS'.

Les époux Cd. et Henri-Paul L. ne possèdent pas dans leur dossier un exemplaire original.

Par contre, la SPRL Bureau C. dépose en son dossier un exemplaire original qui outre la signature des époux F., comporte sous les termes 'VENDEURS' une signature précédée de la mention suivante écrite à la main: 'Pour les vendeurs, Bureau C. SPRL'.

Les époux Cd., Henri-Paul L. et la SPRL Bureau C. énoncent que la SPRL Bureau C. qui est une agence immobilière qui avait été contactée par les époux Cd., avait reçu mandat de vendre notamment le terrain litigieux.

Ils déposent un contrat intitulé: 'MANDAT DE VENTE', par lequel les époux Cd. donnent à la SPRL Bureau C. 'mandat de vendre' deux terrains dont le terrain litigieux, le prix à proposer étant de 1.000.000 de francs belges pour le terrain litigieux et 900.000 francs belges pour l'autre.

Il est également mentionné dans ce contrat 'que si le Bureau C. trouve acquéreur à un prix supérieur au montant prévu, mandat lui est donné de traiter avec ce candidat acquéreur. La différence entre le prix de vente et le prix convenu étant acquise au Bureau C. à titre de commission.'.

La seule mention dans le contrat que les époux Cd. donnent 'mandat de vendre' n'implique pas que le mandataire, la SPRL Bureau C., disposait du pouvoir de donner le consentement à la vente en lieu et place de ses mandants, en apposant sa signature sur la convention de vente à la place de ceux-ci, les époux Cd.

Aucune autre mention contenue dans le contrat de mandat, ni aucun élément soumis à la cour, ne permet de considérer que la volonté des mandants était de donner mission à leur mandataire de donner à leur place le consentement à la vente et donc de signer la convention de vente.

Au contraire, si telle avait été leur volonté, il ne fait aucun doute que la SPRL Bureau C., mandataire, professionnel de l'immobilier, aurait immédiatement signé la 'convention de vente' et remis un exemplaire en original, signé ainsi par toutes les parties, aux époux F., en respectant de la sorte l'article 1325 du Code civil lequel impose à tout le moins que chaque partie détienne l'exemplaire de la convention synallagmatique revêtu de la signature des autres parties (Cass. 17 juin 1981, Pas., p. 1192); de même, la convention aurait été rédigée de façon telle qu'il apparaissait que la SPRL Bureau C. était mandatée pour exprimer le consentement à la vente en lieu et place de ses mandants.

Il se déduit de l'ensemble de ces éléments que l'acte intitulé 'CONVENTION DE VENTE', lequel est à l'évidence un formulaire type il y a des mentions pré imprimées qui sont tout à fait étrangères au cas d'espèce tel 'immeuble bâti', 'bail à ferme'... - lequel fut proposé par le professionnel de l'immobilier qu'est la SPRL Bureau C., l'acte reprenant d'ailleurs en tête toutes ses coordonnées, correspond en réalité à une offre d'achat formulée par les époux F., soit un acte juridique unilatéral.

Par lettre du 19 octobre 1993 adressée au mandataire des époux Cd., les époux F. ont rétracté clairement leur offre d'achat.

Il n'est démontré ni que les mandants, les époux Cd., aient eu connaissance de cette offre avant cette date du 19 octobre auquel cas l'offre n'aurait plus été rétractable, ni a fortiori qu'ils aient ratifié ne fût-ce que tacitement mais certainement, avant cette même date, l'acte commis par leur mandataire, la SPRL Bureau C., en dehors des limites du mandat, à savoir d'avoir signé un exemplaire original de l'acte intitulé 'CONVENTION DE VENTE' - auquel cas il y aurait eu accord de volonté dans leur chef avec effet rétroactif au jour de la signature par leur mandataire.

Au contraire, il appert d'un courrier qu'ils ont adressé le 25 octobre 1993 à la SPRL Bureau C. qu'ils n'étaient pas au courant de l'existence de l'acte du 21 juin 1993 puisque dans cette missive, ils demandent à leur mandataire de leur transmettre les noms des personnes qui se seraient intéressées à leurs terrains depuis le 11 mai, soit depuis le contrat de mandat.

Le versement par les époux F., lors de la signature, le 21 juin 1993, d'un acompte de 110.000 francs belges au mandataire des époux Cd., est l'expression de leur volonté de bénéficier d'une priorité.

Aucun de leurs écrits, aucun de leurs actes ne permet d'établir que, dans leur esprit, il y avait bien eu échange des consentements et que la vente était parfaite.

Le fait qu'ils se sont adressés dès le 28 juin 1993 au service d'Urbanisme de la Ville de Namur afin d'obtenir un certificat d'urbanisme n° 1 et qu'ils ont renouvelé leur demande en date du 28 septembre 1993, est logique puisqu'ils désiraient acquérir un terrain afin d'y construire leur immeuble.

Dans leur lettre du 19 octobre 1993, il est question de 'renoncer à leur achat', de reproches faits aux propriétaires qui 'n'ont en quatre mois effectué la moindre démarche visant à la bonne conclusion de la convention'.

  1. De même, le fait qu'ils aient avant de renoncer, fait une autre offre quant au prix, celui-ci étant revu à la baisse vu la réponse du 6 septembre 1993 du bourgmestre de Namur basée sur l'avis de l'administration communale selon laquelle 'au plan de secteur, ces parcelles sont reprises en zone d'habitat. Toutefois, vu leur situation, elles ne peuvent être actuellement considérées comme terrain à bâtir pour les motifs ci-après:

  2. du côté de la route de Saint-Gérard, la dénivellation du terrain est trop importante;
  3. du côté du chemin de la Pinède, celui-ci n'est ni suffisamment carrossable, ni suffisamment équipé.

', est sans incidence. Il n'est pas davantage établi que les époux Cd. ont eu connaissance de cette seconde offre quant au prix, avant la rétractation du 19 octobre 1993.

Cette seconde offre quant au prix n'implique pas non plus que dans l'esprit des époux F., il y avait eu accord de volontés sur la vente.

Enfin, les termes utilisés dans leur lettre du 29 novembre 1993: 'Le terrain mis en vente n'étant pas un terrain à bâtir, la convention est annulée' ne peuvent être analysés comme la reconnaissance de l'existence d'une convention de vente; à cette époque, ils n'étaient pas encore conseillés par un avocat et il est donc tout à fait vraisemblable qu'ils aient confondu 'convention' avec 'offre' soit 'acte juridique unilatéral'.

Il s'en déduit que sans devoir examiner, notamment, la question de la vente de la chose d'autrui, le terrain litigieux appartenant également à Henry-Paul L., et celle de la nullité de la vente pour vice du consentement, il y a lieu de dire qu'il n'y a pas eu vente et que la demande de restitution de la somme en principal de 110.000 francs belges soit

2.726,83 euros, avec payement de dommages et intérêts est fondée.

En effet, non seulement les époux F. ont rétracté valablement leur offre, mais il est établi que s'ils ont rétracté leur offre, c'est parce que le terrain présenté à la vente comme 'à bâtir' ne l'était en réalité pas.

Il n'est pas contesté que les époux F. désiraient acquérir un terrain en vue d'y construire leur immeuble; que la qualité de constructibilité du terrain était une qualité substantielle du terrain en sorte que sans cette qualité du terrain, ils ne se seraient pas engagés comme ils l'ont fait.

La 'CONVENTION DE VENTE' litigieuse décrit le bien comme 'Terrain à bâtir'.

Cette expression ne signifie pas seulement que le terrain devait être repris en zone d'habitat au plan de secteur; il faut encore que concrètement, le terrain soit constructible, peu importe par contre que son propriétaire ait obtenu l'autorisation de construire ou pas.

Le terrain litigieux était d'ailleurs annoncé dans les publicités comme faisant partie de 'magnifiques terrains à bâtir'.

Or, il appert de la réponse fournie à deux reprises par la Ville de Namur que le terrain tel qu'il était proposé à la vente et pour lequel les époux F. firent offre, n'était pas constructible, nonobstant leur situation en zone d'habitat.

La SPRL Bureau C. a commis une faute. Elle ne s'est pas comportée comme tout agent immobilier normalement compétent et prudent l'aurait fait.

En tant que professionnelle de l'immobilier, elle ne pouvait pas se contenter de vérifier si le terrain était bien repris en zone à bâtir, ni d'obtenir l'extrait cadastral et la liste des propriétaires - pièces 6 et 7 qu'elle dépose en son dossier.

La situation urbanistique d'un terrain justifie une attention toute particulière de la part de l'agent immobilier d'autant qu'il fait partie 'des personnes qui, en raison de leur profession ou de leur activité, offrent en vente ou en location vendent ou donnent en location des immeubles' qui à ce titre sont soumises à des sanctions pénales plus lourdes par le CWATUP, article 154.

En sa qualité de professionnelle de l'immobilier, elle devait prendre tous les renseignements relatifs à la situation urbanistique du bien et en informer les candidats acquéreurs voir en ce sens 'La responsabilité professionnelle des agents immobiliers' (B. Louveaux, CUP 2001, p. 267 et s.).

Si elle avait agi de la sorte notamment en sollicitant le certificat d'urbanisme n° 1 prévu par l'article150 du CWATUP - sollicitation d'autant plus évidente au vu des lieux pour une professionnelle de l'immobilier voir les photographies des lieux corroborées par l'avis de la Ville de Namur -, lequel certificat doit indiquer à quelles conditions la construction est soumise, elle aurait pu informer les époux F. de la situation réelle des lieux.

Les époux Cd. qui ont donc décidé de faire appel à une agence immobilière pour vendre leur terrain, choix ayant été ratifié par Henri-Paul L. qui a déclaré le 5 novembre 1993 qu''il ratifiait la vente intervenue, telle qu'elle a été conclue, au nom et pour compte de M et Mme Cd.-L., par leur mandataire, la SPRL Bureau C.', sont tenus par la faute commise ainsi par leur mandataire dans le cadre de l'exécution de son mandat.

Aucune faute n'est établie dans le chef des époux F.

Mis en présence d'un professionnel de l'immobilier, ils ont légitimement cru, nonobstant le contenu de l'article 8 b) de l'acte qui énonce que:

'À défaut de permis de bâtir ou de certificat d'urbanisme, le vendeur déclare qu'il n'est pris aucun engagement quant à la possibilité de construire sur le bien vendu ou d'y placer des installations fixes ou mobiles pouvant être utilisées pour l'habitation.

Aucune construction ni installation fixe ou mobile pouvant être utilisée pour l'habitation ne peut être édifiée sur le bien présentement vendu tant que le permis de bâtir n'a pas été obtenu', que le terrain qualifié de 'à bâtir' dans l'acte et annoncé comme 'magnifique terrain à bâtir' dans la publicité, était bien constructible, sans devoir procéder eux- mêmes, avant de s'engager, à des vérifications approfondies, l'aspect du terrain leur laissant croire qu'ils auraient pu avoir accès par le chemin de la Pinède voir le procès-verbal d'audience de la cour du 13 janvier 2003.

Il n'est nullement démontré que le prix d'achat était tellement bon marché qu'ils auraient dû se rendre compte que le terrain n'était en réalité pas constructible.

La faute commise par la SPRL Bureau C. est en relation causale nécessaire avec le dommage subi par les époux F.: dommage moral dû au stress subi et tracasseries supportées, dommage matériel vu les demandes qu'ils ont dû effectuer auprès de l'autorité administrative, les déplacements sur le terrain, chez les notaires en vue de régler en vain la situation.

Ce dommage sera évalué ex aequo et bono à 1.500 euros à titre définitif, la demande de réserver à statuer sur le surplus de leur réclamation n'étant pas justifiée.

La SPRL Bureau C. se dénomme actuellement SPRL Pneus Presque Neufs.

Il y a lieu de condamner la SPRL Pneus Presque Neufs, Jacques Cd., Simone L., et Paul-Henry L., in solidum, à payer à Jean-Marie F. et Marie-Jeanne Bauduin la somme totale de 4.226,83 euros augmentés des intérêts aux taux légaux successifs depuis le 21 juin 1993 jusqu'à complet payement.

L'action en garantie dirigée par Jacques Cd., Simone L., et Paul-Henry L. à l'encontre de la SPRL Pneus Presque Neufs

est recevable et fondée vu la faute commise par celle-ci dans l'exécution de son mandat.

Leur demande reconventionnelle dirigée à l'encontre des époux F. est dénuée de fondement.

Par ces motifs,

(...)

Dit les appels fondés.

Réforme le jugement entrepris.

Condamne la SPRL Pneus Presque Neufs, Jacques Cd., Simone L., et Paul-Henry L., in solidum, à payer à Jean- Marie F. et Marie-Jeanne Bauduin, à titre définitif, la somme totale de 4.226,83 euros augmentés des intérêts aux taux légaux successifs depuis le 21 juin 1993 jusqu'à complet payement.

Les condamne in solidum aux dépens des deux instances de Jean-Marie F. et Marie-Jeanne Bauduin, liquidés dans leur chef au montant non contesté de 1.079,8 euros.

Condamne la SPRL Pneus Presque Neufs à garantir Jacques Cd., Simone L., et Paul-Henry L., de toute condamnation prononcée par le présent arrêt en principal, intérêts et frais.

La condamne à leurs dépens des deux instances.

(...)