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La nouvelle loi uniforme Benelux: quels changements en perspective?, R.D.C.-T.B.H., 2004/1, p. 38-49

La nouvelle loi uniforme Benelux: quels changements en perspective?

Emmanuël Cornu [1]

TABLE DES MATIERES

1. Introduction: les objectifs poursuivis par le protocole

2. Le fait générateur du droit à la marque: l'enregistrement

3. Les autres conditions de validité

4. La procédure accélérée d'enregistrement

5. L'examen d'office des motifs absolus de refus d'enregistrement de la marque

6. La procédure d'opposition 6.1. Fondement de l'opposition

6.2. Délai d'opposition

6.3 Déroulement de la procédure

6.4 L'emploi des langues dans la procédure d'opposition

6.5 Pluralité d'oppositions

6.6 Représentation dans le cadre de la procédure d'opposition

6.7 Recours

6.8 L'opposition contre les dépôts internationaux

7. L'introduction d'un registre des mandataires en marques

8. Les recours contre les décisions du Bureau Benelux des marques

9. Consécration du risque de confusion comme critère de l'atteinte à la fonction distinctive de la marque (13, A., 1, b) LUB

10. La protection de la marque renommée

11. La protection élargie de la marque ordinaire

12. Consécration légale de la règle de l''inburgering'

13. La protection de la marque notoirement connue au sens de l'article 6bis, de la Convention de Paris

14. Le droit d'agir en justice

15. Autres modifications

RESUME
Le 11 décembre 2001, les gouvernements des États du Benelux signaient un protocole modifiant, sur plusieurs points essentiels, la loi uniforme Benelux sur les marques. Ce protocole fut approuvé en Belgique par la . loi du 24 décembre 2002. Il entre en vigueur le 1er janvier 2004.
Le présent article expose les changements qui interviendront désormais dans la pratique du droit des marques au Benelux, en les analysant au regard de la jurisprudence communautaire et Benelux récente.
Sont ainsi abordés le fait générateur du droit à la marque, l'introduction de la procédure d'opposition, jusqu'alors inédite en droit Benelux, l'instauration d'un registre des mandataires en marques agréés auprès du Bureau Benelux des marques, l'examen des conditions de validité du droit à la marque, la consécration du 'risque de confusion' comme critère de l'atteinte à la fonction distinctive de la marque, la protection de la marque notoirement connue au sens de l'article 6bis de la Convention d'Union de Paris ou encore la protection de la marque renommée.
SAMENVATTING
Op 11 december 2001 ondertekenden de regeringen van de Staten van de Benelux een protocol tot wijziging van bepaalde essentiële punten van de eenvormige Beneluxwet op de merken. In België werd dit protocol goedgekeurd door de wet van 24 december 2002. Het zal in werking treden op 1 januari 2004.
In dit artikel worden de wijzigingen toegelicht die voortaan in de praktijk zullen gelden op het vlak van het merkenrecht in de Benelux. Voor de analyse van deze wijzigingen vertrekt de auteur vanuit de recente Europese rechtspraak en de rechtspraak op het niveau van de Benelux.
De volgende aspecten komen aan bod: het rechtsfeit dat het recht op het merk doet ontstaan, de invoering van de oppositieprocedure die vooralsnog onbestaand was in het Beneluxrecht, de invoering van een register van de merkengemachtigden die door het Benelux-Merkenbureau erkend zijn, de controle van de geldigheidsvereisten van het recht op het merk, de bekrachtiging van het criterium van het 'verwarringsgevaar' om uit te maken of afbreuk wordt gedaan aan de onderscheidingsfunctie van het merk, de bescherming van een algemeen bekend merk in de zin van artikel 6bis van het Unieverdrag van Parijs of de bescherming van een bekend merk.

Le 11 décembre 2001, les gouvernements des États-membres du Benelux signèrent un protocole portant modification de la loi uniforme Benelux sur les marques. Celui-ci fut approuvé en Belgique par la loi du 24 décembre 2002 [2]. Il entre en vigueur ce 1er janvier 2004.

Sans qu'il soit possible d'en faire ici un examen exhaustif, il nous a paru utile de signaler au praticien les modifications substantielles qu'il introduit dans le droit des marques au Benelux.

1. Introduction: les objectifs poursuivis par le protocole

En adoptant ce nouveau protocole, le législateur Benelux a poursuivi quatre objectifs principaux.

1.Le premier est d'adapter une nouvelle fois la loi uniforme Benelux à la première directive du Conseil du 21 décembre 1988 et plus spécifiquement à l'interprétation qu'en a donnée la Cour de justice des Communautés européennes. Lors de l'adoption du protocole modificatif de 1992, le nombre de modifications apportées à la loi uniforme en vue de transposer la directive était resté limité, parce que l'idée avait alors prévalu que la loi uniforme, récente et moderne, était déjà conforme à la directive sur la plupart des points et qu'elle avait même, dans une certaine mesure, servi de modèle à celle-ci [3]. Il est cependant apparu ensuite, à la lumière de la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes relative à la notion de 'risque de confusion qui comprend le risque d'association' [4], que la compatibilité de certaines dispositions de la loi uniforme avec celles de la directive pouvait être mise en doute, ce qui pouvait aboutir à des situations difficiles en pratique. Modifiant radicalement leur approche par rapport à celle adoptée en 1992, les gouvernements des États du Benelux ont tenu, dans le protocole de 2001, à reproduire littéralement le texte de la directive au sein de la loi uniforme. L'adaptation ainsi réalisée a définitivement tranché la question de la dichotomie entre les notions de 'risque de confusion' et de 'risque d'association'. Elle a également résolu la question quelque peu controversée du fait générateur du droit à la marque: dorénavant, le droit exclusif naît au moment de l'enregistrement de la marque et non plus simplement au moment du dépôt.

2.Un deuxième objectif du protocole de 2001 a été d'introduire une procédure d'opposition. Si celle-ci n'était pas formellement prescrite par la directive, le Benelux était cependant le seul territoire de l'Union européenne à ne pas connaître une procédure de ce genre. L'introduction de celle- ci participe donc, selon le législateur Benelux, à l'effort d'harmonisation dans le marché intérieur.

3.Un troisième objectif poursuivi a été l'instauration d'un registre des mandataires en marques en vue d'aligner la pratique Benelux sur celle existante dans la plupart des pays de l'Union européenne. À cet égard, l'objectif a été limité puisque l'instauration d'un tel registre n'a été prévue que dans le cadre de la procédure d'opposition.

4.Enfin, le quatrième objectif poursuivi par le protocole de 2001 a consisté à apporter diverses corrections à la loi existante, notamment en ce qui concerne la protection des marques notoirement connues au sens de l'article 6bis, de la Convention d'Union de Paris.

2. Le fait générateur du droit à la marque: l'enregistrement

5.Aux termes de l'article 3 nouveau de la loi uniforme Benelux, le fondement juridique du droit à la marque est constitué 'par l'enregistrement de la marque, dont le dépôt a été effectué en territoire Benelux (dépôt Benelux)'. Le nouveau système s'écarte ainsi de celui prévalant depuis l'origine de la loi uniforme Benelux et consacrant le 'premier dépôt' comme étant attributif du droit à la marque.

6.Une controverse était cependant née sous l'application de l''ancienne' loi uniforme à propos du fait générateur du droit à la marque. Selon un courant de jurisprudence il est vrai minoritaire, et en dépit de la formulation de l'ancien article 3 de la loi, le fait générateur du droit devait se situer au moment de l'enregistrement de la marque et non du fait de son seul dépôt, cet enregistrement ne survenant depuis la réforme entrée en vigueur en 1996 qu'après l'examen préalable effectué par le Bureau Benelux des marques sur les motifs absolus de refus, soit parfois plusieurs mois après que la marque ait été déposée [5]. Cette controverse jetait un doute sur le fait générateur du droit et c'est sans doute par un souci de sécurité juridique, à l'égard des tiers notamment, ainsi qu'en vue d'assurer une plus grande cohérence par rapport au texte de la directive, que le dernier protocole modificatif a décidé de fixer sans équivoque la naissance du droit exclusif au moment de l'enregistrement de la marque.

Les effets de l'enregistrement remonteront cependant à la date du dépôt.

7.La règle s'appliquera également aux enregistrements internationaux couvrant le Benelux, dont l''extension Benelux' ne jouera qu'après qu'elle ait été enregistrée par le Bureau Benelux des marques.

La solution ainsi retenue par la nouvelle loi uniforme est également la solution retenue en ce qui concerne la marque communautaire conformément à l'article 6 du règlement CE 40/94.

3. Les autres conditions de validité

8.Le protocole de 2001 n'a pas modifié les conditions de validité d'une marque. Les trois conditions de fond retenues précédemment, à savoir, que la marque possède un pouvoir distinctif, qu'elle ne soit pas déjà appropriée par un tiers et qu'elle réponde aux exigences de licéité sont conservées dans la version actuelle de la loi uniforme. Il est seulement précisé en outre que pour constituer une marque valable, le signe doit être 'susceptible d'une représentation graphique' [6]. Cette exigence a été reprise au texte de la directive. Jurisprudence et doctrine l'avaient cependant déjà consacrée.

9.Cette exigence d'une représentation graphique de la marque ne posera généralement guère de difficulté, sauf dans certains cas exceptionnels tels que les marques de couleur [7] ou les marques olfactives [8], pour lesquelles on se référera à la jurisprudence récente de la Cour de justice.

10.En ce qui concerne les exigences de licéité du signe déposé comme marque, on se souviendra que le protocole modificatif du 7 août 1996 [9] a mis en concordance le texte de la loi uniforme Benelux avec les dispositions de l'Accord particulier relatif aux aspects des droits de propriété intellectuelle conclu dans le cadre de l'OMC (accord ADPIC ou TRIPs). Il fut alors ajouté un septième alinéa à l'article 4 de la loi uniforme Benelux, lequel a pour objet la protection des appellations d'origine antérieures des vins et spiritueux. Ces indications géographiques constituent, rappelons-le, des antériorités absolues, dont la sanction sera la nullité du droit à la marque.

4. La procédure accélérée d'enregistrement

11.Dans un système où le droit n'est acquis que par l'enregistrement et non plus par le seul dépôt, l'introduction de la procédure d'opposition, ainsi d'ailleurs que l'examen par le Bureau Benelux de l'existence éventuelle de motifs absolus de refus d'enregistrement, peuvent présenter un inconvénient majeur pour le déposant: une longue période peut en effet s'écouler avant qu'une marque puisse être enregistrée, notamment dans l'hypothèse où la décision du Bureau Benelux statuant sur une opposition ou sur un motif absolu de refus serait frappée d'appel. Il en va d'autant plus ainsi que les différentes voies de recours contre les décisions du Bureau Benelux des marques sont suspensives, ainsi que le précise dorénavant expressément la loi uniforme.

12.Cet inconvénient aurait été préjudiciable au déposant désirant agir en justice sous le bénéfice de l'urgence. Il aurait également gêné ceux souhaitant effectuer un enregistrement international ou obtenir à l'étranger une protection de leur marque en invoquant le droit de priorité né de leur dépôt Benelux et qui se doivent de respecter un délai de six mois conformément à l'article 4 de la Convention d'Union de Paris.

Pour pallier ces différents inconvénients, le législateur Benelux a désormais prévu à l'article 6 E, de la loi uniforme la faculté de solliciter du Bureau Benelux des marques qu'il procède de manière accélérée à l'enregistrement du dépôt, sans attendre l'examen d'un éventuel refus pour motifs absolus ni l'expiration du délai d'opposition. Il importe seulement que les conditions formelles de validité du dépôt soient remplies.

L'enregistrement accéléré ainsi accordé restera cependant soumis à l'examen formel et matériel du Bureau Benelux et notamment à l'examen des motifs absolus de refus. De même, l'enregistrement accéléré pourra faire l'objet d'une éventuelle procédure d'opposition, dont il pourra résulter le cas échéant la radiation de l'enregistrement.

5. L'examen d'office des motifs absolus de refus d'enregistrement de la marque

13.Comme on le sait, depuis le 1er janvier 1996, les dépôts Benelux sont soumis à l'examen préalable du Bureau Benelux des marques, lequel peut refuser leur enregistrement quand ceux-ci se heurtent à un motif absolu de refus.

Le protocole modificatif du 11 décembre 2001 n'a en substance pas modifié la portée de l'examen exercé par le Bureau Benelux. Les motifs de refus ont cependant fait l'objet d'une nouvelle présentation en vue de les clarifier. Dans l'ancien article 6bis, de la loi uniforme, il était renvoyé à l'article 6quinquies, B, 2°, de la Convention d'Union de Paris et le terme 'notamment' utilisé à cet égard paraissait équivoque. Les modifications apportées par le protocole de 2001 ont consisté à reproduire tel quel le libellé de l'article 3, alinéa 1er, a), b), c) et d), de la directive. Il est désormais clairement indiqué que le pouvoir de contrôle du Bureau Benelux vise tous les motifs énumérés dans cette disposition. Cela étant, l'article 3, alinéa 1er, a), b), c) et d), de la directive correspond en substance au contenu de l'article 6quinquies, B, 2°, de la Convention de Paris. Il n'y a donc pas de modification du contenu ou de la portée des motifs absolus de refus contenus dans la loi uniforme Benelux. Seule la formulation du texte se veut plus claire. Le commentaire commun des Gouvernements, qui constitue l'interprétation authentique de la loi, le confirme. Il souligne en effet que 'malgré le fait que quelques différences textuelles existent entre l'article 3, alinéa 1er, c), de la directive et l'article 6quinquies, B, 2., de la Convention de Paris, la présente modification n'entend rien changer quant au fond'.

La Convention d'Union de Paris, à laquelle les trois États du Benelux sont membres, restera donc une référence incontournable dans l'interprétation du texte de la loi et des motifs absolus de refus tirés d'une absence de distinctivité de la marque. L'article 38 de la loi uniforme le précise expressément. Le 12ème considérant de la directive européenne du 21 décembre 1988 va dans le même sens.

6. La procédure d'opposition

14.La procédure d'opposition constitue l'une des principales innovations du protocole modificatif du 11 décembre 2001. Cette procédure inédite au Benelux entre en vigueur le 1er janvier 2004, s'appliquant d'abord à certaines classes de produits et étant ensuite progressivement étendue aux autres classes de produits ou de services. Jusqu'alors, le Benelux était le seul territoire de l'Union européenne à ne pas connaître une procédure équivalente, les milieux industriels y semblant opposés.

En introduisant cette procédure, le législateur Benelux a tenté de tirer parti de l'expérience des systèmes appliqués dans les pays environnants comme du régime communautaire créé dans le cadre du règlement 40/94 sur la marque communautaire. La procédure Benelux d'opposition se veut 'simple et rapide', en permettant 'un règlement rapide et peu coûteux, à un stade précoce, des conflits de marques'. Plusieurs dispositions de la loi nouvelle soulignent ainsi qu'il appartient au Bureau Benelux de traiter l'opposition 'dans un délai raisonnable' [10] ou même 'dans les meilleurs délais' [11]. Le règlement d'exécution confirme également la souplesse à laquelle doit tendre cette procédure.

15.La procédure d'opposition Benelux se démarque cependant des procédures pendantes dans d'autres États membres de l'Union européenne et de la procédure organisée devant l'OHMI par le fait qu'elle peut être formée avant même que l'autorité d'enregistrement n'ait contrôlé le dépôt sur la base des motifs formels et matériels. L'opposition peut ainsi être introduite dès la publication du dépôt et avant même l'examen des motifs absolus de refus effectué par le Bureau Benelux des marques.

Par ailleurs, à l'instar du système pratiqué devant l'OHMI, la procédure Benelux prévoit qu'à partir du dépôt de l'opposition, les parties bénéficient d'un court délai pour examiner la possibilité de régler leur différend à l'amiable. Il s'agit d'une période dite de 'cooling off'.

6.1. Fondement de l'opposition

16.Conformément à l'article 6quater, de la loi uniforme, seul le déposant ou le titulaire d'une marque antérieure protégée au Benelux peut introduire une opposition devant le Bureau Benelux des marques. L'alinéa 2 de l'article 6quater, ouvre également l'opposition au licencié d'une marque, pour autant qu'il y ait été autorisé par le titulaire. Il va de soi que conformément à l'article 11 C de la loi, le licencié ne pourra agir que si sa licence a été enregistrée.

Les motifs d'opposition sont limitativement énumérés à l'article 6quater, de la loi: il s'agit uniquement de conflits entre marques.

L'opposition n'est donc pas recevable si elle est fondée sur un droit portant sur un autre signe distinctif, tel un droit à un nom commercial, à une dénomination sociale ou à une enseigne ou sur un autre droit intellectuel, par exemple un droit d'auteur ou un droit de modèle, ou encore sur un nom de domaine.

L'opposition doit être fondée sur une ou plusieurs marques antérieures et s'attaquer à une marque qui prend rang après celle de l'opposant, conformément à l'article 3, alinéa 2, a) et b), de la loi uniforme, ou qui est susceptible de créer une confusion avec une marque notoirement connue au sens de l'article 6bis, de la Convention de Paris et dont l'opposant serait titulaire ou licencié. Rappelons cependant que si l'opposant est titulaire d'une marque notoirement connue au sens de l'article 6bis, de la Convention de Paris, celle-ci ne doit pas être enregistrée auprès du Bureau Benelux des marques pour être protégée. Il appartiendra cependant au titulaire de cette marque 'notoirement connue' d'établir, pièces à l'appui, la preuve qu'elle possède ce caractère au Benelux.

6.2. Délai d'opposition

17.L'opposition doit être formée au plus tard dans un délai de deux mois à compter du premier jour du mois suivant la publication du dépôt par le Bureau Benelux. L'opposition, qui se fait par écrit, ne sera réputée avoir été formée qu'après le paiement des taxes déterminées par le règlement d'exécution.

6.3 Déroulement de la procédure

18.La procédure d'opposition est en grande partie réglée par le règlement d'exécution. L'on s'y référera donc. Observons cependant les grandes lignes de la procédure que, conformément à l'article 6sexties, de la loi, il appartient au Bureau Benelux de traiter dans un délai raisonnable et en respectant le principe du contradictoire. Si l'opposition est une procédure administrative, le Bureau Benelux veillera à respecter les droits de défense des différentes parties.

19.La loi et le commentaire commun des gouvernements prévoient que la procédure d'opposition peut être suspendue dans cinq hypothèses:

    • lorsque l'opposition est fondée sur un dépôt de marques: en ce cas, l'opposition est suspendue jusqu'à l'enregistrement de la marque servant de base à l'opposition;
    • lorsqu'une action en nullité ou en déchéance est engagée: en ce cas, il y a lieu d'attendre l'issue de cette action de manière à vérifier si le titre sur lequel l'opposition est fondée n'est pas amené à disparaître;
    • l'opposition est également suspendue lorsqu'une action judiciaire en nullité est intentée contre la marque du défendeur dans la procédure d'opposition [12];
    • l'opposition est suspendue pendant la durée de la procédure de refus pour motifs absolus;
    • la procédure est enfin suspendue sur demande conjointe des parties: outre la suspension d'office de la procédure pour un court délai en début de procédure, les parties bénéficient également de la possibilité, à tout moment de la procédure, de demander conjointement la suspension de celle-ci pour tenter de régler leur différend à l'amiable. Le Bureau Benelux ne peut s'y opposer.

    Il y a lieu d'observer que ces motifs de suspension sont énumérés de manière limitative.

    Au terme de la procédure, l'opposition peut faire soit l'objet d'une décision de clôture soit d'une décision au fond, celle- ci pouvant être une décision de refus d'enregistrer la marque si l'opposition est accueillie ou une décision de rejet de l'opposition dans le cas contraire.

    20.Une décision de clôture peut intervenir dans les quatre cas énumérés à l'article 6sexties, C, de la loi, à savoir:

      • lorsque l'opposant a perdu qualité pour agir ou n'a fourni dans le délai imparti aucune pièce propre à établir que le droit sur sa marque ne peut pas être déclaré éteint en application de l'article 5, alinéa 2, a). La perte de la qualité pour agir vise deux hypothèses: celle où l'opposant n'est plus titulaire de la marque sur laquelle il a fondé son opposition; celle où l'opposant a perdu sa personnalité juridique depuis le moment où l'opposition a été introduite. D'autre part, une décision de clôture interviendra également quand l'opposant, bien qu'invité à le faire par le Bureau Benelux, n'a pas produit de preuve d'usage de sa marque dans le délai qui lui est imparti. On vise ici le cas où l'opposant n'a pas fourni la moindre preuve. En ce cas, la procédure est clôturée, ce qui ne préjuge nullement d'une éventuelle déchéance de la marque de l'opposant, le Bureau Benelux des marques n'ayant aucune compétence en la matière. En effet, la procédure d'opposition ne concerne que la question de la validité de la marque du défendeur et non celle de l'opposant. En revanche, si l'opposant a produit des preuves d'usage, mais que celles-ci sont jugées insuffisantes par le Bureau Benelux, la procédure ne sera pas clôturée, mais une décision 'au fond' rejetant l'opposition sera prise par le Bureau Benelux des marques;
      • la deuxième possibilité de clôture de l'opposition est celle où le défendeur ne réagit pas à l'opposition introduite: dans ce cas, le défendeur dans la procédure d'opposition est censé avoir renoncé à ses droits sur le dépôt. Le dépôt est alors privé d'effet. Il s'agit là d'une particularité de la procédure Benelux d'opposition;
      • l'opposition aboutit également à une décision de clôture lorsqu'elle est devenue sans objet, soit parce qu'elle est retirée, soit parce que le dépôt faisant l'objet de l'opposition est devenu sans effet, par exemple parce qu'il a lui-même été retiré;
      • enfin, une décision de clôture intervient également lorsque la marque antérieure n'est plus valable, par exemple parce qu'elle a été annulée ou que sa déchéance a été prononcée dans le cadre d'une procédure judiciaire parallèle, laquelle aura entraîné une suspension de la procédure d'opposition (voy. supra).

      21.Dans le cas d'une clôture de la procédure d'opposition, il est prévu un remboursement partiel des taxes payées par l'opposant.

      Si l'opposition n'est pas clôturée, son examen est poursuivi et il appartiendra au Bureau Benelux de statuer 'au fond' sur celle-ci dans les meilleurs délais. Lorsque l'opposition est reconnue fondée, le Bureau refusera d'enregistrer la marque en tout ou en partie. Dans le cas contraire, l'opposition est rejetée.

      Statuant sur le fond de l'opposition, le Bureau Benelux mettra les dépens à charge de la partie succombante. Si l'opposition n'est que partiellement fondée, les dépens ne seront cependant pas dus. La décision du Bureau Benelux concernant les dépens forme titre exécutoire et peut dès lors faire l'objet d'une exécution forcée dans chacun des trois États du Benelux, conformément aux règles en vigueur dans l'État sur le territoire duquel elle a lieu.

      Comme nous le verrons ci-après, la décision du Bureau Benelux est susceptible de voies de recours et elle ne deviendra définitive qu'à l'expiration de ces voies de recours.

      6.4 L'emploi des langues dans la procédure d'opposition

      22.La règle régissant l'emploi des langues est simple: l'opposition se déroule dans l'une des deux langues officielles du Bureau Benelux, le français ou le néerlandais. Le choix entre ces langues est déterminé en fonction de la langue dans laquelle le défendeur a effectué son dépôt. Toutefois, s'il s'agit d'un dépôt international, la langue de la procédure sera déterminée par la défendeur dans un délai d'un mois à dater de la notification qu'il reçoit du Bureau, le défendeur ayant le choix entre l'une des deux langues officielles du Bureau Benelux. À défaut de choix de sa part, le français sera la langue de la procédure.

      23.Si la règle est ainsi simple, elle se veut également souple: d'une part, les parties peuvent de commun accord opter pour l'autre langue du Bureau Benelux, jusqu'au début de la procédure [13]. D'autre part, la détermination d'une langue de la procédure n'ôte pas la faculté dont disposent les parties de se servir de l'autre langue officielle du Bureau Benelux dans la procédure, le Bureau assurant alors la traduction des arguments dans la langue de la procédure. De même, à la demande d'une des parties, le Bureau Benelux peut assurer la traduction vers l'autre langue officielle d'actes de procédure qui seraient rédigés dans la langue de la procédure [14].

      Enfin, le système pousse la souplesse jusqu'à autoriser les parties à échanger les arguments en langue anglaise, pourvu qu'elles marquent leur accord sur ce point [15].

      6.5 Pluralité d'oppositions

      24.Lorsque plusieurs oppositions ont été formées à l'encontre d'une même marque, le Bureau Benelux peut décider, avant le début de la procédure, de traiter seulement une ou plusieurs oppositions, à savoir celles qui semblent avoir le plus de chances d'aboutir. En ce cas, l'examen des autres oppositions est reporté.

      6.6 Représentation dans le cadre de la procédure d'opposition

      25.L'article 6quinquies, de la loi uniforme autorise les parties à agir par elles-mêmes dans une procédure d'opposition ou à se faire représenter.

      Si l'opposant est une personne physique ou morale ayant son siège social ou même un simple établissement industriel ou commercial effectif et sérieux dans l'Union européenne ou dans l'Espace économique européen, cette personne pourra agir elle-même dans le cadre de la procédure d'opposition ou encore par l'entremise d'un employé, lequel devra alors déposer auprès du Bureau Benelux un pouvoir signé dont les modalités sont fixées par le règlement d'exécution. L'employé d'une personne morale pourra même agir aux noms d'autres personnes morales qui sont économiquement liées à l'opposant, même si ces autres personnes morales n'ont ni domicile ni siège ni établissement industriel ou commercial effectif et sérieux dans l'Union européenne ou dans l'Espace économique européen. Il appartiendra alors à l'opposant d'établir le lien existant avec ces autres personnes morales.

      En revanche, à défaut de domicile, de siège ou d'établissement industriel ou commercial effectif et sérieux dans l'Union européenne ou dans l'Espace économique européen, l'opposant devra obligatoirement être représenté par un mandataire. Celui-ci pourra être un avocat ou un mandataire agréé auprès du Bureau Benelux [16].

      6.7 Recours

      26.À l'instar des décisions du Bureau Benelux des marques statuant dans le cadre de l'examen des motifs absolus de refus, les décisions du Bureau Benelux des marques statuant sur opposition peuvent faire l'objet d'un recours devant les cours d'appel de Bruxelles, de La Haye ou encore de Luxembourg, conformément à l'article 6septies, de la loi.

      Ce recours est introduit par requête, laquelle vise à obtenir un ordre d'annulation de la décision du Bureau.

      27.La compétence territoriale des trois cours d'appel désignées par la loi est déterminée en fonction de l'adresse du défendeur, de celle de son mandataire ou de l'adresse postale mentionnée lors du dépôt. Si aucune de ces adresses ne se trouve sur le territoire Benelux, la cour territorialement compétente se détermine par l'adresse de l'opposant ou de son mandataire. Si ni l'opposant ni son mandataire n'ont d'adresse ou d'adresse postale sur le territoire Benelux, la cour compétente est alors celle choisie par la partie qui introduit le recours.

      28.D'autre part, la loi nouvelle précise que la décision de la cour d'appel peut faire l'objet d'un pourvoi en cassation, lequel est suspensif.

      Par ailleurs, il nous paraît que si le recours tendant à obtenir un ordre d'annulation de la décision du Bureau aboutit favorablement, la cour d'appel doit annuler la décision du Bureau, le Bureau Benelux ayant alors à rejuger l'opposition, aucun effet dévolutif n'étant prévu par la loi uniforme au profit des cours d'appel désignées.

      6.8 L'opposition contre les dépôts internationaux

      29.L'article 8bis, nouveau de la loi traite de l'opposition introduite devant le Bureau Benelux contre un dépôt international dont l'extension de la protection au territoire Benelux a été demandée. La notion de 'dépôt international' doit à cet égard s'entendre conformément à l'article 7 de la loi et elle vise tant les dépôts effectués en vertu de l'Arrangement de Madrid que ceux effectués en vertu du Protocole relatif à l'Arrangement de Madrid. Notons à cet égard que les États- Unis et l'Union européenne ont récemment ratifié ce dernier protocole.

      L'opposition introduite contre un dépôt international suit les mêmes règles que celles introduites contre un dépôt Benelux, étant entendu que le délai de deux mois dans lequel l'opposition doit être introduite se compte à partir du premier jour du mois suivant la publication par le Bureau international du dépôt international.

      Le Bureau international est également informé sans délai par le Bureau Benelux de l'introduction d'une opposition, puis de la décision qui interviendra quand elle ne sera plus susceptible de recours.

      7. L'introduction d'un registre des mandataires en marques

      30.L'une des principales innovations du protocole de 2001 est d'avoir créé une reconnaissance officielle de la profession d'agent en marques par l'introduction d'un registre des mandataires en marques agréés du Bureau Benelux.

      Jusqu'alors, la loi uniforme ne contenait en effet aucune disposition relative aux mandataires en marques. Toute personne pouvait dès lors assister un déposant ou un titulaire d'une marque au Benelux en qualité de mandataire devant le Bureau Benelux des marques, sans faire preuve de qualification spécifique.

      31.Avec l'introduction de la procédure d'opposition, le législateur Benelux a cependant considéré que la représentation dans le cadre de cette procédure exigeait des compétences particulières et qu'un registre des mandataires devait être créé. L'introduction des règles relatives aux mandataires répondait également à un voeu exprimé depuis de nombreuses années par les milieux intéressés et spécialement par l'association Benelux des mandataires en marques, le BMM.

      Par ailleurs, le législateur Benelux s'est de la sorte aligné sur la situation existante dans la plupart des pays de l'Union européenne.

      Si la loi uniforme Benelux a ainsi créé un registre des mandataires agréés auprès du Bureau Benelux, l'inscription au sein de ce registre n'est une condition pour agir qu'en matière d'opposition. Le recours à un mandataire agréé n'est donc pas obligatoire pour effectuer un dépôt ou encore pour intervenir dans le cadre de l'examen d'office des motifs absolus de refus d'enregistrement prévu à l'article 6bis, de la loi.

      32.En revanche, il est interdit aux personnes autres que celles qui sont inscrites dans le registre des mandataires agréés de donner l'impression qu'elles sont admises dans ce registre. Elles commettraient ainsi un acte de publicité trompeuse, lequel pourrait être sanctionné, en droit belge, sur la base de la loi du 14 juillet 1991 sur les pratiques du commerce, l'information et la protection du consommateur, ou encore sur la base de la loi du 2 août 2002 relative à la publicité trompeuse et à la publicité comparative, aux clauses abusives et aux contrats à distance en ce qui concerne les professions libérales.

      33.Est également admis à agir comme mandataires dans le cadre d'une opposition tout avocat inscrit au tableau de l'Ordre ou sur la liste des stagiaires d'un barreau situé sur le territoire Benelux ou tout avocat habilité à exercer sur le territoire de l'un des États membres de l'Union européenne ou de l'Espace économique européen et possédant son domicile professionnel dans l'Union européenne ou dans l'Espace économique européen, dans la mesure où il peut agir dans ledit État dans le cadre des procédures d'opposition qui y sont organisées. Il en est de même des personnes habilitées à agir dans le cadre des procédures d'opposition devant l'Office d'un État membre de l'Union européenne ou de l'Espace économique européen sur le territoire duquel elle a son domicile professionnel ou le lieu de son emploi et qui, dans le cadre de la libre prestation de services au sein de l'Union européenne ou de l'Espace économique européen, est également habilitée à agir sur le territoire Benelux.

      34.Les articles 50 et suivants de la loi nouvelle ont trait à la tenue par le Bureau Benelux des marques du registre des mandataires agréés. Il y a lieu de noter que l'article 51 de la loi ouvre un recours devant les cours d'appel de Bruxelles, de La Haye ou de Luxembourg en faveur de la personne que le Bureau Benelux des marques aurait refusé de reconnaître comme mandataire agréé ou en cas de retrait ou de radiation de cette agréation. Ce recours doit, comme les autres recours contre le Bureau Benelux des marques, être introduit dans un délai de deux mois à dater de la décision attaquée et la décision de la juridiction d'appel est susceptible d'un pourvoi en cassation, lequel est suspensif.

      8. Les recours contre les décisions du Bureau Benelux des marques

      35.Dans sa version précédente, la loi uniforme prévoyait déjà que les décisions du Bureau Benelux des marques statuant en matière d'examen pour motifs absolus de refus d'enregistrement pouvaient être entreprises devant l'une des trois cours d'appel désignées dans la loi uniforme Benelux.

      La question s'était posée de savoir si les arrêts ainsi rendus par les cours d'appels désignées étaient susceptibles de faire l'objet d'un pourvoi en cassation. Dans son arrêt 'Biomild' du 26 juin 2000 [17], la Cour de justice Benelux avait précisé que 'la décision rendue en vertu de l'article 6ter, de la loi uniforme Benelux est susceptible d'un pourvoi en cassation si et dans la mesure où les règles nationales concernées de la procédure civile autorisent le pourvoi en cassation contre les décisions rendues sur requête par le juge civil'.

      36.Les articles 6bis, 4° et 6ter, 4° nouveaux, de la loi uniforme précisent désormais expressément qu'un tel pourvoi en cassation est possible et a un effet suspensif.

      Comme nous l'avons vu, il en va de même dans le cadre des recours introduits contre les décisions statuant en matière d'opposition. L'article 6septies, de la loi uniforme porte en effet expressément qu'en matière d'opposition, 'la décision de la juridiction d'appel est susceptible d'un pourvoi en cassation, lequel est suspensif'.

      Telle est également la règle s'agissant des recours relatifs à la tenue par le Bureau Benelux du registre des mandataires agréés.

      9. Consécration du risque de confusion comme critère de l'atteinte à la fonction distinctive de la marque (13, A., 1, b) LUB

      37.L'article 13, A., 1, b), tel que modifié par le protocole du 11 décembre 2001, reconnaît désormais au titulaire d'une marque le pouvoir 'd'interdire à tout tiers, en l'absence de son consentement, de faire usage dans la vie des affaires, d'un signe pour lequel, en raison de son identité ou de sa similitude avec la marque et en raison de l'identité ou de la similitude des produits couverts par la marque et le signe, il existe, dans l'esprit du public, un risque de confusion qui comprend le risque d'association entre le signe et la marque'.

      La notion de 'risque de confusion qui comprend le risque d'association avec la marque antérieure' a ainsi été substituée à la notion de 'risque d'association'. La même modification a été introduite à l'article 3, 2°, de la loi en vue de déterminer le rang du dépôt d'une marque.

      38.Comme nous l'avons vu, un des objectifs principaux poursuivis par le protocole de 2001 fut de mettre la loi uniforme Benelux en conformité parfaite avec la première directive du Conseil du 21 décembre 1988 et plus spécifiquement avec l'interprétation qu'en avait donnée la Cour de justice des Communautés européennes dans ses arrêts 'Sabel', 'Canon', 'Lloyd' et 'Adidas/Marca Mode'.

      En 1992, le nombre de modifications apportées à la loi uniforme en vue de transposer la directive était en effet resté limité parce que l'idée avait alors prévalu que la loi uniforme, récente et moderne, était déjà conforme à la directive sur la plupart des points et notamment sur le critère de la ressemblance entre la marque invoquée et le signe attaqué.

      39.Dans la troisième édition de son Précis des marques, le bâtonnier A. Braun rapporte avec précision la genèse de la directive [18]. Il souligne comment après de longs débats au sein du groupe de travail des représentants des États membres, le Conseil des ministres s'était en définitive rallié à la proposition formulée par les États membres du Benelux pour que soit intégré dans le critère du 'risque de confusion' celui du 'risque d'association', tel qu'il avait été dégagé par la Cour de justice Benelux. Comme le confirmèrent les représentants hollandais du groupe de travail [19], le Conseil des ministres avait ainsi entendu maintenir la jurisprudence antérieure du Benelux ayant consacré la notion du 'risque d'association'. Ceci ressortait également des minutes du Conseil des ministres.

      L'on pouvait donc légitimement penser comme le bâtonnier Braun que la jurisprudence du Benelux relative au risque d'association demeurerait. C'était cependant sans compter sur le revirement que la Cour de justice des Communautés européennes allait apporter dans son arrêt 'Sabel' en décidant que 'la simple association entre deux marques que pourrait faire le public par le biais de la concordance de leur contenu sémantique ne suffit pas en elle-même pour conclure à l'existence d'un risque de confusion' [20].

      40.L'arrêt 'Sabel' fut, on le sait, accueilli de manière partagée par la doctrine belge: réjouissant Louis Van Bunnen [21], très heureux d'avoir raison quinze ans après que la Cour de justice Benelux ait rejeté sa thèse dans l'affaire Union c/ Union Soleure [22] cette jurisprudence laissa quelque peu amer un autre annotateur, lequel soutint même que quelle que soit la concordance de la loi uniforme par rapport à la directive,, il ne pouvait pas être donné à la loi uniforme une interprétation 'contra legem' et que dans l'attente d'une éventuelle modification de la loi uniforme le risque d'association trouverait toujours à s'appliquer [23]. On le sait, l'arrêt 'Sabel' de la Cour de justice fut ensuite confirmé par l'arrêt 'Canon' du 29 septembre 1998 [24], puis par l'arrêt 'Lloyd' du 22 juin 1999 [25] et enfin par l'arrêt 'Adidas/Marca Mode' du 22 juin 2000 [26].

      41.Dans l'analyse qu'elle fit de cette jurisprudence, Madame Velu releva que le risque de confusion ainsi défini inclut à la fois le risque de confusion directe, c'est-à-dire le cas où le public confond le signe et la marque en cause, mais aussi le risque de confusion indirecte, c'est-à-dire le cas où le public fait un lien entre les titulaires du signe et de la marque [27]. Le critère du risque d'association se trouva ainsi écarté, si ce n'est en tant qu'élément d'appréciation du risque de confusion, seul ce dernier critère permettant de juger de la ressemblance entre deux marques.

      42.Comme l'on pouvait s'y attendre, les cours et tribunaux du Benelux suivirent assez fidèlement la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes, en dépit de la formulation inadéquate que revêtait alors la loi uniforme.

      Dans son arrêt 'Val/Valvert', la Cour de justice Benelux, saisie sur question préjudicielle de la Cour de cassation de Belgique, se rallia expressément à la jurisprudence 'Sabel' et distingua à cet égard très clairement deux périodes à prendre en considération, selon que les États membres étaient tenus ou non d'adapter leurs législations à la directive. Pour les faits qui s'étaient produits avant le 31 décembre 1992, période durant laquelle les États membres n'étaient pas encore tenus d'adapter leurs législations de la directive, eu égard au principe général de la sécurité juridique, la Cour de justice Benelux dit qu'il y a lieu d'appliquer le droit en vigueur à l'époque en vertu de la législation et de la jurisprudence nationales, sans avoir égard à la directive. Dès lors, pour cette période, le critère du risque d'association sera toujours applicable. En revanche, pour les faits qui se sont produits après le 31 décembre 1992, selon la Cour de justice Benelux, l'article 13 ancien de la loi uniforme devait être interprété dans toute la mesure du possible dans un sens conforme à la directive et dès lors au regard du critère du 'risque de confusion qui comprend le risque d'association avec la marque antérieure', un simple risque d'association ne suffisant pas [28].

      43.Cette jurisprudence fut répétée par la Cour de justice Benelux dans son arrêt 'Adidas/Marca Mode' du 7 juin 2002, la cour se prononçant spécifiquement sur l'interprétation à donner à l'article 13, A., 1, b), de la loi uniforme, tel que rédigé avant la réforme de 2001 [29].

      La Cour de cassation se prononça également dans le même sens [30].

      44.L'abandon du risque d'association comme critère de la ressemblance entre deux marques étant ainsi consacré de toutes parts, il appartenait également au législateur Benelux de faire la toilette du texte légal. Tel fut donc un des objectifs poursuivis par le protocole modificatif de 2001.

      Modifiant radicalement l'approche adoptée en 1992, les gouvernements des États du Benelux ont tenu, en 2001, à reproduire littéralement le texte de la directive au sein de la loi uniforme. En calquant désormais l'article 13, A., 1, b), de la loi Benelux sur le texte de la directive, l'interprétation donnée par la Cour de justice des Communautés européennes s'impose aujourd'hui naturellement.

      10. La protection de la marque renommée

      45.La protection de la marque renommée est assurée à l'article 13, A, 1., c), de la loi uniforme.

      Si on aura égard à la jurisprudence récente de la Cour de justice des Communautés européennes relative à la protection de la marque renommée [31], la nouvelle loi uniforme Benelux ne contient pas de changement fondamental sur ce point. Le protocole modificatif de 2001 a seulement aligné le texte de l'article 13, A., 1, c) sur l'article 5, 2°, de la directive. À propos du préjudice porté au caractère distinctif ou à la renommée de la marque antérieure, il est désormais fait usage du présent et non plus du conditionnel dans la formulation du texte légal. Cette formulation laisse penser que le préjudice porté à la renommée de la marque ou à son pouvoir distinctif doit être effectif et non plus simplement potentiel comme auparavant.

      11. La protection élargie de la marque ordinaire

      46.Comme on le sait, l'article 13, A., 1, d), de la loi uniforme offre au titulaire d'une marque la possibilité d'interdire à tout tiers, en l'absence de son consentement, de faire usage d'un signe à des fins autres que celles de distinguer des produits ou des services, lorsque l'usage de ce signe sans juste motif tire indûment profit du caractère distinctif ou de la renommée de la marque ou leur porte préjudice.

      47.Le protocole modificatif de 2001 a modifié de manière significative l'article 13, A., 1, d), en n'exigeant plus que l'usage du signe attaqué s'effectue 'dans la vie des affaires'. Le texte de la loi est calqué sur celui de l'article 5, § 5, de la directive. Cette nouvelle formulation étend ainsi le champ d'application de cette disposition à des formes d'atteinte contre lesquelles seule l'application du droit de la responsabilité civile pouvait jusqu'alors être invoquée. Il n'est en effet plus nécessaire que le signe attaqué intervienne 'dans la vie des affaires', c'est-à-dire selon la définition qu'en avait donnée la Cour de justice Benelux, 'dans le cadre d'une entreprise, d'une profession ou de toute autre activité qui n'est pas exercée dans le domaine privé et dont l'objet de réaliser un avantage économique' [32]. Des usages portant atteinte à la renommée ou au caractère distinctif de la marque invoquée pourront donc être attaqués même s'ils interviennent en dehors de la vie économique. L'on songe par exemple à l'usage d'une marque qui interviendrait, sans juste motif, dans un article de presse.

      12. Consécration légale de la règle de l''inburgering'

      48.La règle de l''inburgering' ou de l'acquisition par l'usage du caractère distinctif d'une marque était déjà unanimement admise en droit Benelux. Elle ressort de la convention d'Union de Paris, laquelle dispose en son article 6quinquies, C., 1. que 'pour apprécier si la marque est susceptible de protection, on devra tenir compte de toutes les circonstances de fait, notamment de la durée de l'usage de la marque'.

      Consacrée par la Cour de justice Benelux [33], la règle permettant l'acquisition du pouvoir distinctif d'une marque par l'usage qui en a été fait a également été mise en oeuvre par la Cour de justice des Communautés européennes dans plusieurs de ses arrêts [34].

      49.Inscrite à l'article 3, § 3, de la directive 89/104/CEE, elle est maintenant expressément reprise dans le texte de la loi uniforme Benelux, à l'article 14ter, lequel dispose que 'les tribunaux peuvent décider qu'une marque enregistrée a acquis un caractère distinctif en raison de l'usage qui en a été fait'.

      La règle de l''inburgering' ou de l'intégration est donc plus que jamais une règle de droit, dont la Cour de cassation assure la protection [35].

      13. La protection de la marque notoirement connue au sens de l'article 6bis, de la Convention de Paris

      50.Déjà dans sa formulation ancienne, l'article 4, 5°, de la loi uniforme Benelux prévoyait la protection de la marque notoirement connue au sens de l'article 6bis de la Convention d'Union de Paris. Répondant aux exigences de cette convention internationale, cette disposition de la loi porte en substance qu'une marque protégée dans un des pays parties à la Convention d'Union de Paris et qui n'est pas protégée dans un autre de ces pays mais qui y est notoirement connue, peut néanmoins faire obstacle à la naissance du droit à une marque susceptible d'y créer une confusion avec la marque notoirement connue. La marque notoirement connue peut ainsi être protégée dans un État où elle ne fait pas l'objet d'enregistrement, mais où elle est simplement utilisée et connue [36].

      La protection de la marque notoirement connue étant assurée même sans dépôt ni enregistrement, il convenait que le législateur Benelux tienne compte de cette spécificité à l'article 12 de la loi uniforme Benelux, lequel a trait à l'exigence d'un enregistrement préalable à la revendication en justice de la protection d'un signe considéré comme marque.

      51.D'autre part, toujours pour satisfaire aux dispositions de l'article 6bis, alinéa 3, de la Convention de Paris, à laquelle les dispositions de la loi uniforme Benelux ne peuvent pas déroger [37], le législateur Benelux a profité du protocole de 2001 pour modifier l'article 14, B., 2°, de la loi pour confirmer expressément que le délai de cinq années dans lequel la nullité d'une marque doit en principe être invoquée ne s'applique pas aux titulaires des marques notoirement connues voulant invoquer l'extinction du droit sur une marque qui avait été déposée de mauvaise foi et qui créerait une confusion avec leur marque notoirement connue. Il n'y a donc aucun délai pour invoquer une nullité fondée sur l'article 14, B., 2°, combiné à l'article 4, 5°, lorsque la marque attaquée a été déposée de mauvaise foi.

      14. Le droit d'agir en justice

      52.Le fait générateur du droit à la marque étant désormais l'enregistrement et non plus le dépôt, l'article 12 de la loi uniforme porte aujourd'hui qu''à l'exception du titulaire d'une marque notoirement connue au sens de l'article 6bis, de la Convention de Paris, nul ne peut, quelle que soit la nature de l'action introduite, revendiquer en justice un signe considéré comme marque, au sens de l'article premier, sauf s'il peut faire valoir l'enregistrement de la marque qu'il a déposée'. L'irrecevabilité qui découlera d'une absence d'enregistrement devra être soulevée même d'office par le juge. Elle peut être cependant couverte par l'enregistrement de la marque ou son renouvellement effectué en cours d'instance.

      53.Le législateur a tenu à pallier les effets préjudiciables qui pourraient découler de la règle suivant laquelle les droits ne peuvent être valablement opposés qu'après l'enregistrement de la marque alors que cet enregistrement peut parfois ne survenir que de nombreux mois après son dépôt. L'article 12, A., 4°, de la loi uniforme prévoit dès lors que le titulaire de la marque peut exiger une indemnité raisonnable de celui qui, pendant la période située entre la date de publication du dépôt et la date d'enregistrement de la marque, a effectué des actes portant atteinte à la marque. Le législateur Benelux s'est à cet égard inspiré de la règle similaire qui existe à l'article 9, alinéa 3, du règlement sur la marque communautaire.

      15. Autres modifications

      54.Les autres modifications apportées aux dispositions de la loi uniforme découlent principalement du système d'enregistrement nouvellement applicable, à savoir que l'enregistrement est devenu le fait générateur du droit à la marque. C'est ainsi que la nullité du droit à la marque ne pourra être invoquée que si la marque a été enregistrée. Quelques corrections sont pour cette raison venues émailler les articles 4, 5 ou 14bis, de la loi.

      Il en a été de même des dispositions relatives aux marques collectives [38].

      Divers autres ajouts ou corrections mineures sont également intervenus en vue d'assurer ce que le législateur Benelux espère être une parfaite cohérence du texte de la loi uniforme par rapport à celui de la directive communautaire.

      [1] Avocat au barreau de Bruxelles.
      [2] M.B. 19 mars 2003.
      [3] Voy. le commentaire commun des Gouvernements relatif au protocole de 1992.
      [4] Voy. spécialement l'arrêt 'Puma Sabel' du 11 novembre 1997, aff. C-251/95, Ing.-Cons. 1998, 15; R.D.C. 1998, 310.
      [5] En ce sens, Bruxelles 22 décembre 1999, Ing.-Cons. 2000, 49; Prés. Arnhem 12 décembre 2000, I.E.R. 2001, 79; Prés. Trib. Amsterdam 20 juin 2002, I.E.R. 2002, 249 et note contraire de Ch. Gielen.
      [6] Voy. l'art. 1 nouveau de la loi uniforme.
      [7] CJCE 6 mai 2003, aff. C-104/01, Libertel, inédit.
      [8] CJCE 12 décembre 2002, aff. C-273/00, Sieckmann, Ing.-Cons. 2002, 369; et en sens contraire: décision de la 2ème chambre de recours de l'OHMI 11 février 1999, aff. R-156/1998-2, Ing.-Cons. 1999, 284 et observations E. Cornu.
      [9] Lequel est entré en vigueur le 1er janvier 2000.
      [10] Voy. art. 6sexties, A.
      [11] Art. 6sexties, D.
      [12] Voy. le commentaire commun des gouvernements.
      [13] Art. 40 B et art. 43 du règlement d'exécution.
      [14] Art. 41 du règlement d'exécution.
      [15] Voy. art. 42 du règlement d'exécution.
      [16] Voy. infra 7.
      [17] CJ Benelux 26 juin 2000, aff. A-98/2, Biomild, Ing.-Cons. 2000, 250.
      [18] A. Braun, Précis des marques, Larcier, 1995, 3ème éd., pp. 318 et s., nos 361 et 362.
      [19] Voy. H.R. Furstner et M.C. Geuse, B.I.E. 1988, 215.
      [20] CJCE 11 novembre 1997, précité.
      [21] L. Van Bunnen, observations sous l'arrêt 'Sabel', J.T. 1998, 227 .
      [22] CJ Benelux 20 mai 1983, aff. 32/5, Henri Jullien c/ Verschuere, Jur. 1983, p. 36; Ing.-Cons. 1983, 191.
      [23] Th. van Innis, note sous l'arrêt 'Sabel', Ing.-Cons. 1998, 25.
      [24] CJCE 29 septembre 1998, Canon, Ing.-Cons. 1998, 304; R.D.C. 1999, p. 110, note A. Puttemans.
      [25] CJCE 22 juin 1999, aff. C- 342/97, Ing.-Cons. 1999.
      [26] CJCE 22 juin 2000, aff. C-425/98, Adidas c/ Marca Mode, Ing.-Cons. 2000, 239.
      [27] S. Velu, 'La loi uniforme Benelux sur les marques après l'arrêt 'Sabel/Puma' de la Cour de justice des Communautés européennes', R.D.C. 2000, pp. 332 et s., spécialement p. 337.
      [28] CJ Benelux 2 octobre 2000, aff. A-98/3, Ing.-Cons. 2000, 361.
      [29] CJ Benelux 7 juin 2002, aff. A-98/5, Ing.-Cons. 2002, 153.
      [30] Cass. 5 avril 2001, J.L.M.B. 2001, p. 1420 .
      [31] CJCE 9 janvier 2003, aff. C-292/00, Davidoff c/ Gofkid, Rec., p. I.-389; CJCE 23 octobre 2003, aff. C-408/01, Adidas c/ Fitnessworld Traiding, inédit; pour la définition de la marque renommée, voy. CJCE 14 septembre 1999, aff. C-375/97, General Motors c/ Yplon, Chevy, Ing.-Cons. 1999, 555.
      [32] CJ Benelux, aff. 82/2 et 82/3, 9 juillet 1984, Jur. 1984, pp. 7 et 8.
      [33] CJ Benelux 9 février 1977, aff. 76/1, Beecham, Jur. 1977, 27.
      [34] CJCE 4 mai 1999, Windsurfing Chiemsee, Ing.-Cons. 1999, 330; CJCE 6 mai 2003, aff. C-104/01, Libertel, inédit; CJCE 18 juin 2002, aff. C-299/99, Philips c/ Remington, Ing.-Cons. 2002, 411.
      [35] Cass. 22 décembre 1989, Ing.-Cons. 1990, 29.
      [36] Voy. A. Braun, o.c., 3ème éd., nos 178 et s.
      [37] Voy. l'art. 38 de la loi uniforme Benelux.
      [38] Voy. artt. 19 et s.