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Cour d'appel Liège, 18/03/2003, R.D.C.-T.B.H., 2004/10, p. 991-993

Cour d'appel de Liège 18 mars 2003

PRATIQUES DU COMMERCE
Usages honnêtes - Concurrence parasitaire - Imitation de produit - Liberté de la copie
L'imitation servile ne peut être critiquée que si elle est de nature à induire dans l'esprit de la clientèle une confusion entre les deux commerçants qui distribuent l'objet ressemblant.
La notion de concurrence parasitaire ne peut aboutir à créer un monopole; celui qui s'inspire de l'idée à l'origine d'un produit déterminé non protégé par un droit intellectuel ne commet pas un acte contraire aux usages honnêtes quand bien même il profite des efforts déployés par celui qu'il copie.
PRATIQUES DU COMMERCE
Usages honnêtes - Détournement de clientèle - Agent commercial - Liberté de concurrence
Tout comme l'ancien employé d'une firme est libre d'entrer en concurrence avec celle-ci dès lors qu'il n'est pas tenu par une clause de non-concurrence, l'ancien agent commercial peut exploiter le même créneau que celui qu'a développé le commettant qu'il quitte régulièrement et sans s'être emparé de données confidentielles auxquelles il aurait eu accès.
HANDELSPRAKTIJKEN
Eerlijke gebruiken - Parasitaire concurrentie - Imitatie van een product - Vrijheid om te kopiëren
Men kan zich enkel verzetten tegen een slaafse imitatie wanneer deze van aard is om bij de cliënteel verwarring te scheppen tussen de twee handelaren die de gelijkaardige producten verdelen.
Men mag geen monopolie creëren door het gebruik van het concept “parasitaire concurrentie”. De persoon die zich baseert op een idee dat aan de basis ligt van een bepaald product dat niet beschermd wordt door een intellectueel recht, schendt de eerlijke handelsgebruiken niet, zelfs niet indien hij voordeel haalt uit de inspanningen van de persoon wiens product hij nabootst.
HANDELSPRAKTIJKEN
Eerlijke gebruiken - Afwerving van cliënteel - Handelsagent - Vrije mededinging
Net zoals een voormalige werknemer van een onderneming vrij is om met deze firma te concurreren indien hij niet gebonden is door een niet-concurrentiebeding, zo kan ook de voormalige handelsagent dezelfde afzetmarkt betreden als zijn vroegere opdrachtgever die hij op een regelmatige wijze verlaten heeft zonder zich de hem toegankelijke vertrouwelijke gegevens toegeëigend te hebben.

S.C. Creative Products / J. Boone

Siég.: R. de Francquen (président), M. Ligot et A. Jacquemin (conseillers)
Pl.: Mes I. Ekierman et N. Bourdon

Vu les appels du jugement rendu le 4 avril 2000 par le président du tribunal de commerce de Dinant siégeant comme juge des cessations, interjetés le 30 juin 2000 par la s.c. Creative Products et par conclusions de l'intimé du 15 mars 2001 qui contiennent en outre une demande incidente de dommages et intérêts du chef d'appel téméraire et vexatoire;

Attendu que l'enjeu du litige avait pratiquement disparu lorsque la cause fut introduite devant le premier juge; que le 30 avril 1996 les parties signaient en effet un contrat d'agence obligeant l'intimé à se consacrer à la promotion des ventes des crochets doux fabriqués et vendus par l'appelante; que l'intimé anima le séminaire annoncé par les deux parties pour le 3 mai 1996 et qu'il remit au conseil de l'appelante un lot de 100 crochets doux imitant ceux que l'appelante commercialise;

Que ce contrat d'agence a pris fin à l'initiative de l'intimé qui restait tenu par une clause de non-concurrence produisant ses effets pendant les 6 mois suivant la résiliation, soit jusqu'au 31 octobre 1997;

Que les hostilités ont alors repris, l'appelante pour demander que cesse la fabrication et la vente de crochets doux copiés par l'intimé et ce dernier pour exiger la restitution de ceux qui sont toujours détenus par le conseil de l'appelante;

Que le premier juge a décidé que les crochets mis au point par l'appelante n'avait pas d'originalité en sorte que leur copie n'avait rien d'illicite, ajoutant que sur un plan contractuel aucune violation de l'obligation de non-concurrence n'était démontrée; qu'il interdisait néanmoins à l'intimé de vendre des crochets doux parce qu'il n'était pas immatriculé au registre du commerce et ne respectait pas ses obligations en matière de TVA; qu'il se déclare incompétent pour connaître de la demande de restitution des crochets;

Attendu qu'il est acquis que dès le 16 mai 2000 l'intimé a pris inscription au registre du commerce et qu'il a un numéro de TVA; qu'il a donc régularisé sa situation d'un point de vue strictement administratif;

Qu'au stade actuel le litige se résume à la question de savoir si l'intimé à qui l'appelante reconnaît des qualités d'enseignant peut ou non, à l'occasion des séminaires de formation qu'il donne, distribuer des crochets doux de sa fabrication; que subsiste la demande de restitution de l'intimé qui demande en outre 2.500 euros du chef d'action et d'appel téméraires et vexatoires (conclusions 25 février 2003);

Que pour l'appelante l'interdiction postulée se justifie parce que l'imitation des crochets dont elle se déclare l'inventeur serait parasitaire et parce que sa prospection de la clientèle a un caractère original en sorte qu'en utilisant la même méthode de démarchage auprès de la même clientèle il y a un véritable détournement culpeux des clients qui lui sont acquis pour être habitués des lieux que l'intimé occupe également en vue de les approcher;

Attendu que les parties ont collaboré ensemble de 1992 à 1995; que l'appelante faisait appel à l'intimé pour dispenser aux kinésithérapeutes les formations à la technique du crochetage inventée par Ekman dans les années 1940 et destinées aux praticiens d'une thérapie manuelle et sportive; qu'au cours des séminaires organisés pour les kinésithérapeutes, ceux-ci recevaient des sets de crochets et une cassette de démonstration vendus par l'appelante;

Qu'il n'est pas discuté que les crochets vendus par l'appelante ne font pas l'objet d'une protection spécifique, n'étant pas couverts par un brevet ou un modèle; que l'appelante “a simplement transformé et amélioré les crochets mis au point par Ekman”, le crochet fixé à un manche étant constitué par un fil de fer recourbé de manière à éviter toute douleur aux patients dont les muscles peuvent être ainsi doucement écartés;

Attendu qu'il n'est pas discutable que les crochets fabriqués par l'intimé ressemblent presque parfaitement à ceux que l'appelante commercialise; que seule la couleur du manche diffère; qu'il s'agit bien de copies mises au point par l'intimé pour éviter de se fournir, comme précédemment, auprès de l'appelante;

Attendu que l'objet qui n'est pas protégé par brevet ou modèle peut être copié servilement sous réserve de l'accomplissement d'actes de concurrence déloyale accessoires (J.J. Evrard, “Chronique de jurisprudence, les pratiques du commerce”, J.T. 1985, p. 196, n° 97; Bruxelles 24 août 1995, Ing.-Cons. 1996, p. 323); que la liberté de copier est un droit qui appartient à tout concurrent et qui doit être considéré comme un des principes fondamentaux du droit de la concurrence (Buydens, “La sanction de la piraterie de produits par le droit de la concurrence déloyale”, J.T. 1993, p. 119, n° B, 1);

Que l'imitation servile ne peut être critiquée que si elle est de nature à induire dans l'esprit de la clientèle une confusion entre les deux commerçants qui distribuent l'objet ressemblant (J.T. 1993, p. 121, n° C, 1, a); qu'il n'est pas allégué que l'intimé cherche à faire croire que les crochets qu'il distribue sont ceux que l'appelante commercialise; que certes, avant de faire fabriquer lui-même des crochets comme aussi durant la période du contrat d'agence, l'intimé n'a remis que des sets vendus par l'appelante à ceux qui suivaient les formations à la technique du crochetage; que depuis qu'il est libéré de la clause de non-concurrence, hormis peut-être pour le séminaire des 12-13 septembre 1997 ce qui relève du contrat résilié et non de l'action en cessation, l'intimé distribue ses propres crochets et que dès lors qu'il ne fait plus aucune référence à l'appelante lors des séminaires qu'il organise, il n'existe pas de risque de confusion avec cette dernière;

Que l'originalité des crochets mis au point par l'appelante semble très théorique, s'agissant d'un objet ayant une fonction déterminée; qu'elle n'est pas suffisante pour justifier une interdiction de copier dès lors que celui qui s'en réclame ne peut faire valoir des droits de propriété intellectuelle; que la fabrication des crochets doux n'est pas le fruit de recherches et de mises au point onéreuses; que le crochet taillé dans la masse inventé par Ekman est ici remplacé par un fil de fer; que l'idée du fil de fer est neuve mais ne modifie pas la fonction du crochet Ekman et ne complique pas outre mesure la fabrication de l'objet;

Attendu que si l'appelante reconnaît à l'intimé le droit d'enseigner la technique du crochet, elle voudrait se réserver le monopole de la fabrication et de la vente de tels instruments; que la notion de concurrence parasitaire ne peut aboutir à créer un monopole; que celui qui s'inspire de l'idée à l'origine d'un produit déterminé non protégé ne commet pas un acte contraire aux usages honnêtes (J.J. Evrard, o.c., p. 194, n° 86; Bruxelles 25 novembre 1994, R.D.C. 1995, p. 288) quand bien même il profite des efforts déployés par celui qu'il copie (Buydens, o.c., p. 123, n° C, 1, b; Bruxelles 24 août 1995, o.c.); que les crochets doux sont des instruments d'une grande simplicité et qu'il n'apparaît pas que l'intimé aurait utilisé des moyens illicites en vue d'arriver à les faire imiter; que si les prix qu'il pratique sont peut-être moindres que ceux de l'appelante, il n'est pas démontré que leur vente se ferait à perte; que la liberté du commerce et de la concurrence s'exerce normalement sur ce plan aussi;

Attendu que l'appelante s'en prend encore à l'intimé parce qu'il cherche à atteindre la même clientèle que celle à laquelle elle s'adresse; qu'il faut rappeler que la clientèle n'est pas susceptible d'appropriation; que l'appelante avait l'habitude d'envoyer ses publicités aux 12.000 kinésithérapeutes de Belgique; que la circonstance que l'intimé fait de la publicité dans des brochures à destination des 6.000 praticiens francophones n'a rien de répréhensible; que l'intimé était déjà introduit auprès des kinésithérapeutes faisant partie de l'Académie de Thérapie Manuelle et Sportive (ATMS) avant d'entrer en relation avec l'appelante en 1992; que l'appelante l'avait sollicité précisément parce qu'il enseignait au sein de cette association, ce qui lui ouvrait des perspectives de vente;

Attendu que tout comme l'ancien employé d'une firme est libre d'entrer en concurrence avec celle-ci, dès lors qu'il n'est plus tenu par une clause de non-concurrence (J.J. Evrard, o.c., p. 192, n° 77), l'ancien agent commercial peut exploiter le même créneau que celui qu'a développé le commettant qu'il quitte régulièrement et sans s'être emparé de données confidentielles auxquelles il aurait eu accès; que l'intimé peut avoir connaissance des adresses des kinésithérapeutes tant par la consultation des annuaires téléphoniques que par le fichier de l'ATMS dont il fait partie au contraire de l'appelante;

Que le choix par l'intimé pour l'organisation de ses séminaires des lieux où l'appelante rassemblait sa clientèle n'est pas fautif; qu'il ne peut y avoir confusion, dès lors que l'intimé fait les annonces en son nom et qu'à l'origine le choix de Dinant découlait de l'établissement de l'intimé dans cette ville tandis que, au contraire du séminaire de mai 1996, il n'est pas allégué qu'actuellement encore l'appelante y aurait prévu une formation à la même date que l'intimé;

Que l'action en cessation de l'appelante n'est pas fondée; que la remise à l'appelante des 100 crochets dont il disposait au moment de l'introduction de l'action, n'implique aucun aveu d'une faute justifiant une quelconque interdiction;

Attendu que la prétention toute légitime de l'intimé de récupérer les crochets confiés au conseil de l'appelante dans le cadre d'un accord momentané ne peut être rencontrée dans le cadre d'une action en cessation; que le premier juge s'est à bon droit déclaré incompétent;

Attendu que l'action de l'appelante pouvait se comprendre dès lors que l'intimé devait certainement savoir qu'un séminaire était organisé à Dinant le 3 mai 1996 par l'appelante et que lui aussi avait choisi exactement la même date et le même endroit pour dispenser un cycle de formation; que l'action n'avait pas de caractère téméraire;

Que les deux parties ont interjeté appel et sont pareillement déboutées de leur recours, si bien qu'il n'y a lieu à aucune indemnité au profit de l'intimé;

Par ces motifs,

(...)

La cour, (...)

Reçoit les appels,

Confirme le jugement entrepris.

(...)