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CONCURRENCE – Exemption par catégorie – Transfert de technologie, R.D.C.-T.B.H., 2004/10, p. 1058-1061

CONCURRENCE

Exemption par catégorie - Transfert de technologie

Nouveau règlement d'exemption par catégorie en matière d'accords de transfert de technologie
Introduction

Dans un souci de modernisation, la Commission européenne (ci-dessous la “Commission”) a procédé à une révision en profondeur du règlement d'exemption par catégorie en matière d'accords de transfert de technologie existant [1] (ci-après: “règlement n° 240/96”). L'impulsion fut donnée fin 2001, lorsque la Commission a publié un rapport d'évaluation sur l'application du règlement n° 240/96. Après les propositions de texte et les consultations nécessaires, la Commission a publié le 27 avril 2004 tant le règlement modifié, règlement n° 772/2004 [2] (ci-après: “RETT”), que les lignes directrices y afférentes [3]. Le RETT est entré en vigueur le 1er mai 2004, le jour même où un certain nombre de réformes fondamentales du droit de la concurrence dans ses divers aspects entraient en vigueur. Parallèlement, le règlement n° 240/96 a été abrogé (art. 9 RETT).

Cette contribution traite des principales modifications par rapport à l'ancien régime. L'accent est mis sur le champ d'application du RETT, la définition du marché, les seuils de parts de marché et les sphères de sécurité, la liste noire et la liste des restrictions exclues. Les lignes directrices constituent à cet égard un guide indispensable.

Champ d'application du RETT

Le RETT déclare l'article 81(3) CE inapplicable aux accords de transfert de technologie qui sont conclus entre deux entreprises et autorisent la production de produits contractuels (art. 2 RETT).

En premier lieu, il doit s'agir d'un “accord de transfert de technologie”. Cette notion est définie à l'article 1(1)(b) RETT comme concernant un accord pur ou mixte de licence de brevet, de savoir-faire ou de droits d'auteur sur logiciels, ce qui constitue une extension du champ d'application par rapport au règlement n° 240/96, où cette dernière forme d'accord de licence n'était pas couverte. L'article 1(1)(h) et (i) RETT précise ce qu'il faut entendre par brevet et savoir-faire. Il faut signaler que la définition des brevets est plus large qu'auparavant, dans la mesure où elle comprend aussi désormais les dessins et les modèles. Le champ d'application du RETT n'a pas été étendu aux autres formes de droit d'auteur. Les principes du RETT seront néanmoins appliqués par analogie aux contrats de licence relatifs aux formes de droits d'auteur autres que les droits d'auteur sur logiciels (§ 50 lignes directrices). La mise sous licence d'autres droits de propriété intellectuelle tombe aussi dans le champ d'application du RETT à condition que ces dispositions ne constituent pas l'objet principal de l'accord et qu'elles soient directement liées à la production des produits contractuels.

En second lieu, tandis que la Commission relève dans les lignes directrices que les principes du RETT s'appliqueront par analogie aux accords multilatéraux (§ 40 lignes directrices), seuls les accords bilatéraux tombent dans le champ d'application du RETT. Les accords de regroupement de technologies sont explicitement exclus du champ d'application du RETT (considérant 7 RETT). Les lignes directrices sont pourtant, elles, applicables aux accords de regroupement de technologies et présentent des directives détaillées pour l'appréciation de tels accords de regroupement (§ 210-235 lignes directrices).

En troisième lieu, les accords en matière de transfert de technologie ne tombent dans le champ d'application du RETT que s'ils portent sur la production de produits contractuels. Ceux-ci sont définis comme des produits (des biens ou des services, qu'ils soient finaux ou intermédiaires) qui sont produits à l'aide de la technologie concédée sous licence (art. 1(1)(f) juncto (e) RETT). Le donneur de licence autorise en d'autres mots le preneur de licence à exploiter la technologie concédée en utilisant cette technologie dans un processus de production ou dans le produit lui-même et s'engage à ne pas exercer ses droits de propriété intellectuelle à l'encontre du preneur (§ 41-43 lignes directrices).

L'exemption s'applique tant que le droit de propriété intellectuelle sur la technologie concédée en licence n'est pas devenu caduc, n'a pas expiré ou n'a pas été invalidé. S'il s'agit d'un accord de licence de savoir-faire, l'exemption sera applicable tant que le savoir-faire demeure secret. L'exemption est toutefois applicable pendant toute la durée de l'accord s'il est rendu public du fait du preneur de licence (art. 2 RETT et § 54-55 lignes directrices).

Les parts de marché et les sphères de sécurité

L'instauration de seuils de part de marché est une des mesures les plus innovantes, mais aussi les plus discutées du RETT. Il est fait usage de seuils différents suivant la relation de concurrence entre les parties.

Pour la détermination du rapport de concurrence, les entreprises ne sont pas considérées comme des concurrents lorsque le donneur de licence n'est pas un fournisseur réel ou potentiel des produits sur le marché en cause et lorsque le preneur (déjà présent sur le marché de produits), ne concède pas de licences sur une technologie concurrente, même s'il en possède une et qu'il l'utilise pour fabriquer ses produits (§ 68 lignes directrices).

Lorsque les parties à l'accord sont des entreprises concurrentes, l'exemption s'applique à condition que la part de marché cumulée détenue par les parties sur les marchés de technologies et les marchés de produits en cause affectés ne soit pas supérieure à 20% (art. 3(1) RETT).

Lorsque les parties à l'accord sont des entreprises non concurrentes, l'exemption s'applique à condition que la part détenue par chacune des parties sur les marchés de technologies et les marchés de produits en cause affectés ne soit pas supérieure à 30% (art. 3(2) RETT).

Le marché de technologies en cause englobe des technologies considérées par les preneurs de licence comme interchangeables avec la technologie concédée ou substituables à cette technologie en raison de leurs caractéristiques, des redevances dont elles font l'objet et de l'usage auquel elles sont destinées (art. 1(1)(j)(i) RETT).

Le marché de produits en cause englobe des produits considérés par les acheteurs comme interchangeables avec les produits contractuels ou substituables à ces produits en raison de leurs caractéristiques, de leur prix et de l'usage auquel ils sont destinés (art. 1(1)(j)(ii) RETT).

En ce qui concerne l'attribution des seuils de part de marché au donneur de licence et au preneur de licence sur les marchés en cause concernés, on applique comme règle que la part de marché d'une partie sur le(s) marché(s) de technologies en cause est définie en termes de présence de la technologie concédée sur le(s) marché(s) de produits en cause (art. 3(3) RETT). Les lignes directrices donnent d'autres précisions sur la manière dont l'attribution des seuils de marché doit s'effectuer concrètement (§ 70-73 lignes directrices).

Si la part de marché est initialement inférieure ou égale à 20% ou 30%, mais franchit ensuite ces seuils, l'exemption continue à s'appliquer pendant deux années civiles consécutives suivant l'année au cours de laquelle ledit seuil a été dépassé (art. 8(2) RETT).

Le fait que l'accord concerné en matière de transfert de technologie excède le seuil de part de marché ne fait pas naître la présomption que l'accord entre dans le champ d'application de l'article 81(1) CE ou que l'accord ne remplit pas les conditions de l'article 81(3) CE. Une appréciation individuelle est requise dans un tel cas. Si l'accord ne contient pas de restriction caractérisée de la concurrence, une analyse du marché peut indiquer que l'accord ne restreint pas la concurrence (§ 65 en 130 lignes directrices). Il échet de remarquer qu'une deuxième sphère de sécurité a été instaurée dans les lignes directrices pour l'application de l'article 81(1) et (3) CE sur les accords qui contiennent pas de restrictions caractérisées, basée sur le caractère disponible des technologies qui constituent un substitut valable. Une infraction à l'article 81 CE est considérée comme peu probable lorsqu'il existe, outre les technologies contrôlées par les parties à l'accord, au moins quatre technologies indépendantes substituables à la technologie concédée à des coûts comparables pour l'utilisateur (§ 131 lignes directrices).

Restrictions caractérisées

Une infraction à une restriction caractérisée doit être évitée à tout prix, vu qu'une telle infraction fait disparaître l'avantage de l'exemption par catégorie pour toutes les clauses limitatives de concurrence contenues dans l'accord.

La liste des restrictions caractérisées diffère selon le rapport de concurrence entre les parties. La liste qui s'applique entre les concurrents est énumérée à l'article 4(1) RETT et celle qui s'applique entre non-concurrents à l'article 4(2) RETT. Si, au moment de la conclusion de l'accord, les parties à celui-ci ne sont pas des concurrents mais le deviennent par la suite, la liste reprise à l'article 4(2) RETT reste applicable, à moins que l'accord soit modifié ultérieurement sur un point essentiel (art. 4(3) RETT).

Les deux listes contiennent des interdictions à l'égard des restrictions de prix, de production, de répartition des marchés ou des clients, des restrictions à la capacité du preneur d'exploiter sa propre technologie et des dispositions relatives aux systèmes de distribution sélective.

En ce qui concerne les restrictions de prix, le RETT prévoit entre les concurrents une interdiction générale (art. 4(1)(a) RETT). Entre entreprises non-concurrentes, il est permis d'imposer un prix de vente maximal ou de recommander un prix de vente, à condition que ces derniers n'équivalent pas à un prix de vente fixe ou minimal imposé (art. 4(2)(a) RETT).

Les limitations de productions réciproques entre concurrents sont considérées comme une restriction caractérisée (art. 4(1)(b) RETT).

Une interdiction générale est formulée à l'égard de la répartition des marchés ou des clients, tant pour les concurrents que pour les non-concurrents, suivie d'une liste qui spécifie les clauses autorisées. Pour les concurrents, celle-ci est énumérée à l'article 4(1)(c) et (d) RETT et pour les non-concurrents à l'article 4(2)(b) et (c) RETT.

Par exemple, il est permis entre concurrents et non-concurrents d'obliger le preneur de la licence de ne produire les produits contractuels que pour son propre usage, à condition toutefois qu'il puisse vendre librement, activement et passivement, les produits contractuels en tant que pièces de rechange pour sa propre production (art. 4(1)(c)(vi) RETT et art. 4(2)(b)(iii) RETT).

De même, une entreprise peut par exemple imposer aux preneurs de la licence de ne produire à partir de la technologie concédée que dans un ou plusieurs domaines techniques d'utilisation ou sur un ou plusieurs marchés de produits (art. 4(1)(c)(i) RETT) ou de ne pas concéder la technologie sous licence à un autre preneur sur un territoire déterminé (art. 4(1)(c)(iii) RETT).

Un preneur de licence concurrent ne peut être forcé de restreindre l'exploitation de sa propre technologie et les entreprises concurrentes ne peuvent se retirer la possibilité d'effectuer de la recherche-développement, sauf si cette restriction est indispensable pour empêcher la divulgation du savoir-faire concédé à des tiers (art. 4(1)(d) RETT).

Limitations exclues

L'exemption par catégorie ne s'applique pas à certaines restrictions énumérées à l'article 5 RETT. Si un accord de transfert de technologie contient néanmoins une telle restriction, l'exemption qui s'applique à l'égard des autres dispositions de la convention n'est pas influencée. Contrairement à ce qui est le cas pour une infraction à une restriction caractérisée, la règle de la dissociabilité est par conséquent applicable.

Contrairement aux licences grant back non exclusives, il est interdit au preneur de licence d'instaurer une obligation grant back exclusive, c.-à-d. d'imposer une obligation au preneur de licence d'accorder au donneur (ou à un tiers désigné par celui-ci) une licence exclusive sur les améliorations dissociables que le preneur aura lui-même apportées ou sur les nouvelles applications de la technologie concédée qu'il aura lui-même mises en oeuvre (art. 5(1)(a) RETT). Il en va de même pour la cession des améliorations ou des nouvelles applications au donneur de licence (ou à un tiers désigné par celui-ci) (art. 5(1)(b) RETT).

Les clauses de non-agression, par lesquelles le preneur de la licence s'oblige à ne pas mettre en cause la validité des droits de propriété intellectuelle que le preneur détient sur le marché, sont interdites, mais l'on peut prévoir qu'il est mis fin à l'accord si la validité de ces droits est mise en cause (art. 5(1)(c) RETT).

Enfin, entre non-concurrents, l'exemption par catégorie n'est pas applicable pour la limitation de la capacité du preneur de la licence d'exploiter sa propre technologie. Il est également interdit de limiter la capacité du donneur ou du preneur de la licence d'effectuer de la recherche-développement, sauf si cette dernière restriction est indispensable pour empêcher la divulgation du savoir-faire concédé à des tiers (art. 5(2) RETT). Comme indiqué ci-dessus, de telles restrictions constituent entre concurrents une restriction caractérisée (art. 4(1)(d) RETT).

Retrait de l'exemption

Comme c'est toujours le cas, l'exemption de groupe prévoit que la Commission ou une autorité nationale de la concurrence peut retirer l'exemption dans des cas individuels où l'accord a des effets qui sont incompatibles avec l'article 81 (3) CE, comme la restriction de l'accès au marché pour des tiers ou pour des preneurs de licence potentiels, ou le fait que, sans raison objectivement valable, les parties n'exploitent pas la technologie concédée (art. 6(1)(a)-(c) RETT).

Réseaux parallèles

La Commission (mais non les autorités nationales) peut aussi déclarer que le RETT ne s'applique pas aux accords de transfert de technologie qui comportent des restrictions spécifiques concernant ce marché lorsque des réseaux parallèles d'accords de transfert de technologie similaires couvrent plus de 50% d'un marché en cause (art. 7 RETT).

Période transitoire et durée

Les accords en matière de transfert de technologie déjà en vigueur au 30 avril 2004 et qui ne remplissent pas les conditions d'exemption prévues par le RETT, mais satisfont au 30 avril 2004 à celles qui sont prévues par le règlement (CE) n° 240/96, ne tombent pas sous l'interdiction de l'article 81(1) CE pendant la période allant du 1er mai 2004 au 31 mars 2006 (art. 10 RETT). Tous les accords en matière de transfert de technologie conclus après le 1er mai 2004 doivent respecter le nouveau régime d'exemption. Le RETT lui-même expire le 30 avril 2014 (art. 11 RETT).

Considérations finales

Le RETT fait partie des règlements d'exemption par catégorie de la “nouvelle génération”. Ceux-ci sont caractérisés par le fait qu'ils prévoient des sphères de sécurité sous forme de seuils de part de marché, une liste noire (restrictions caractérisées) au lieu d'une liste blanche (une énumération de dispositions exemptées) et une liste des restrictions exclues. Ils sont aussi caractérisés par le fait qu'ils sont accompagnés par des lignes directrices (voy. aussi règlement n° 2790/99 applicable aux restrictions verticales ou règlements n° 2658/2000 et 2659/2000 applicables aux catégories d'accords de spécialisation et de R&D) ou d'autres formes d'explications (une “Brochure explicative” dans le cas du règlement n° 1400/2002 en matière de distribution de véhicules à moteur). Celles-ci donnent des indications pour l'application du règlement d'exemption de groupe, de même que pour l'application de l'article 81 CE en dehors des sphères de sécurité de l'exemption par catégorie, où le contrôle individuel de l'accord est requis. Ce faisant, la Commission essaye d'échapper à “l'effet camisole de force” des anciens règlements d'exemption par catégorie, et de donner de cette manière plus de liberté aux parties dans la négociation de leurs accords et dans les formulations finales de leurs conventions.

Depuis le 1er mai 2004, le système de notification sous l'article 81 CE a été abandonné et les autorités nationales et les juges nationaux doivent appliquer directement l'article 81(3) CE lorsqu'un accord peut influencer le commerce entre les États membres. Les entreprises ne sont par conséquent plus en position de notifier un accord à la Commission afin d'obtenir une sécurité concernant son exemption. En Belgique aussi, l'obligation de notification vit selon toute vraisemblance ses dernières heures. Sous le nouveau système décentralisé, il est donc plus qu'avant conseillé aux entreprises de procéder à leur propre appréciation (“self-assessment”). Le RETT et les lignes directrices qui l'accompagnent peuvent utilement servir de guide à cet effet.

[1] Règlement (CE) n° 240/96 de la Commission du 31 janvier 1996 concernant l'application de l'art. 85, § 3, du traité à des catégories d'accords de transfert de technologie, JOCE L 31/2 du 9 février 1996.
[2] Règlement (CE) n° 772/2004 de la Commission du 27 avril 2004 concernant l'application de l'art. 81, § 3, du traité à des catégories d'accords de transfert de technologie, JOCE L 123/11 du 27 avril 2004.
[3] Communication de la Commission - Lignes directrices relatives à l'application de l'art. 81 du traité CE aux accords de transfert de technologie, JOCE C 101/2 du 27 avril 2004.